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01/12/2023 | BELGIQUE | N°C.22.0488.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 décembre 2023, C.22.0488.F


N° C.22.0488.F
LIÈGE AIRPORT SECURITY, société anonyme de droit public, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne (Hollogne-aux-Pierres), rue de l’Aéroport, bâtiment 50, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0894.960.602,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de l’Intérieur, dont le cabinet est établi à Bru

xelles, rue de Louvain, 1,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Martin Lebbe, avoc...

N° C.22.0488.F
LIÈGE AIRPORT SECURITY, société anonyme de droit public, dont le siège est établi à Grâce-Hollogne (Hollogne-aux-Pierres), rue de l’Aéroport, bâtiment 50, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0894.960.602,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de l’Intérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de Louvain, 1,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 25 février 2022 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en dernier ressort.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin conclu.
II. Les faits de la cause et les antécédents de la procédure
Tels qu’ils ressortent du jugement attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause peuvent être résumés comme suit :
La société anonyme Liège Airport Security a été créée par la Région wallonne et par la société anonyme Liège Airport pour assurer les tâches de sûreté au sens de l’article 4ter, § 2, du décret du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne.
Le 16 mars 2018, des agents du ministère de l’Intérieur se présentent à l’aéroport liégeois pour y effectuer un contrôle du respect de la loi du 2 octobre 2017 réglementant la sécurité privée et particulière et constatent que, selon eux, deux employés se livrent à des activités relevant des missions spécifiques de gardiennage privé : ainsi, le premier employé contrôle l’accès des passagers aux pistes, notamment par le recours à un détecteur de métaux, le second déclare inspecter les postes et les agents de contrôle.
Trois procès-verbaux d’infraction sont établis, l’un à charge de la société Liège Airport Security pour avoir organisé un service interne de gardiennage sans y avoir été autorisée par le ministre de l’Intérieur (violation de l’article 16, alinéa 1er, de la loi du 2 octobre 2017), les deux autres à charge respectivement de l’un et l’autre employé contrôlé pour s’être livré aux prestations litigieuses sans être titulaire d’une carte d’identification (article 76, alinéa 1er, de la loi).
III. Le moyen de cassation
À l’appui du pourvoi, la demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- principe général du droit de la primauté du droit de l’Union européenne sur toutes les normes nationales, à tout le moins lorsque les normes de droit de l’Union européenne ont effet direct ;
- principe général du droit de préemption du droit de l’Union européenne, en vertu duquel, en cas de compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne, les États membres ne sont autorisés à exercer leur compétence que pour autant que l’Union européenne n’ait pas exercé la sienne ;
- articles 4 et 9 du règlement (CE) n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) n° 2320/2002 ;
- articles 2, 3, 4, 13, 14, 16 et 42 de la loi du 2 octobre 2017 réglementant la sécurité privée et particulière.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir joint les causes enrôlées sous les numéros 20/7320/A, 21/471/A, 21/2223/A, 21/2224/A, 21/2933/A, 21/2934/A et 21/2935/A et avoir reçu les demandes exprimées dans les requêtes enrôlées sous les numéros 20/7320/A, 21/2223/A et 21/2224/A et dit irrecevables les demandes exprimées dans les autres requêtes et dans les citations en intervention, le jugement attaqué dit les demandes non fondées et condamne la demanderesse aux dépens, liquidés à 1 560 euros (indemnité de procédure) et sept fois 165 euros (rôle) pour [le défendeur], et non liquidés pour elle-même à défaut de relevé, ce qui revient à confirmer les amendes prononcées à charge de la demanderesse (à titre personnel et comme civilement responsable de deux de ses employés) aux motifs suivants :
« 5. Discussion
Attendu que [la demanderesse] fait valoir divers moyens, qu'on rencontrera en s'écartant quelque peu de l'ordre dont elle fit choix ; qu'ainsi, outre qu'on a déjà pris position sur la problématique de la recevabilité, il échet de commencer par s'assurer de la nécessité de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne, demande qui est exprimée en dernier lieu par [la demanderesse] mais à laquelle il vaut mieux s'arrêter d'emblée car le droit européen pourrait conditionner toute la décision ;
Qu'on sait que les juridictions dont les décisions sont susceptibles d'un recours juridictionnel en droit interne ne sont pas tenues de poser les questions qu'on leur soumet (article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) ; que ceci implique un examen de la problématique ;
a) Le droit européen
Attendu que le règlement n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile porte en son article 9 que, ‘lorsque, dans un même État membre, deux organismes ou plus sont chargés de la sûreté de l'aviation civile, l'État membre en question désigne une seule autorité [...] comme responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l'article 4’, c'est-à-dire d'un ensemble de règles qui assurent la sécurité d'un aéroport, dans son quotidien ;
Qu'en Belgique, une autorité fut ainsi désignée pour se charger de cette mission de surveillance et de coordination, qui est, au sein du service public fédéral ‘Mobilité et Transport’, la direction générale (du) transport aérien ou […] D.G.T.A. ;
Que [la demanderesse] se demande alors si, en soumettant les services de sécurité d'un aéroport au contrôle du ministre de l'Intérieur, la Belgique n'a pas fait choix de deux autorités pour un même secteur, alors qu'elle devait en désigner une seule, à peine de contrevenir à l'article 9 du règlement qu'on vient de citer ; qu'elle demande donc au tribunal d'interroger la Cour de justice sur la régularité, pour le royaume, d'un tel choix ;
Attendu qu'il n'est pas nécessaire d'interroger la Cour quant à ce ; que le règlement ne tend pas à imposer aux États membres de concentrer dans les mains d'une seule autorité tout ce qui concerne la sécurité des aéroports, mais tend à obtenir une coordination des efforts déployés dans ce domaine et dans la mise à exécution du droit supranational ; que la mise en œuvre des normes de base, pour citer l'article 9, se fera forcément dans le respect de la législation nationale, applicable à des secteurs qui vont bien au-delà de la seule question aéroportuaire ; que, pour prendre un exemple, le régime de travail des employés d'un aéroport sera soumis à toutes les règles du droit social, lesquelles ne relèvent pas — en Belgique en tout cas — de la direction générale qu'on a dite ; que ce régime sera soumis aux instances de contrôle spécifiques du droit social en général, de sorte que le personnel de gardiennage est susceptible d'être contrôlé par des services aussi différents que l'inspection sociale, l'inspection du travail et la direction générale de la sécurité privée ;
Que ce que le règlement attend des États membres est que chacun désigne un organe qui s'assurera de la coordination de toutes les mesures nécessaires à la sécurité d'un aéroport, mais qui, pour autant, n'ira pas jusqu'à se charger de veiller au respect de toutes les lois en la matière ; que le législateur a réglementé les services de gardiennage privé et a mis en place des procédures de contrôle propres au département qui délivre les agréments, mais que rien ne l'obligeait à prévoir des règles différenciées pour les aéroports ni à donner compétence à l'organe de coordination visé par le règlement européen pour en assurer la surveillance ; que cet organe, la direction générale du transport aérien, doit s'assurer que les mesures de sécurité imposées par l'Union européenne sont effectivement en vigueur dans les aéroports du royaume, mais qu'il ne lui revient pas de veiller au respect, par les services qui travaillent sur le terrain, des législations dont ceux-ci relèvent ;
Que, s'il en était ainsi, la chose serait singulièrement compliquée, car à côté des agents privés se trouvent des policiers et des douaniers, et l'on imagine assez difficilement que la direction générale du transport aérien s'y intéresse aussi, sous prétexte qu'ils travaillent dans un aéroport ;
b) Au fond
Attendu qu'il convient à présent d'examiner les différents moyens de contestation proprement dits ; […]
[2°] [3°] La qualité d'entreprise de gardiennage
Attendu qu'est alors posée la question de la qualité d'entreprise de gardiennage de [la demanderesse], notamment parce qu'elle offrirait des services de gardiennage à des sociétés tierces, actives sur le site de l'aéroport ;
Que tout ce débat, assez long, est vain, dès lors qu'il est constant que du personnel de la société a participé à des contrôles de passagers […] et avait pour mission de s'assurer de la correcte exécution des missions en rapport avec la sécurité […] ; que, pour agir de la sorte, un agrément était requis, dont [la demanderesse] ne disposait pas ; que son objet social, tel qu'on le lit dans ses statuts, porte en son article 4 qu'elle existe pour ‘réaliser toutes opérations en vue d'assurer les tâches de sûreté’ au sens du décret wallon, ce qui est assez révélateur de ce qu'on attend d'elle ; qu'on n'aperçoit pas en quoi elle échapperait à la loi du 2 octobre 2017, qui elle-même a remplacé la loi du 10 avril 1990, dont les exigences n'étaient pas différentes ;
Qu'on a dit plus haut qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre le droit européen et le droit belge, dans la mesure où plusieurs services sont susceptibles de s'intéresser à la sécurité des aéroports ; que si, comme le laisse entendre [la demanderesse], un agrément devait être exigé d'elle et que, pour une raison donnée, le ministre de l'Intérieur le lui retirait, il appartiendrait à la direction générale du transport aérien de faire en sorte que la Belgique se soumît au plus vite à ses obligations internationales en trouvant une alternative à la société exclue des pistes ».
Griefs
1. Le droit de l’Union européenne prime sur toutes les normes nationales, à tout le moins lorsque les normes de droit de l’Union européenne concernées ont effet direct. Ainsi, en vertu de ce principe de primauté du droit de l’Union européenne, si une législation nationale (ou certaines de ses dispositions) est contraire à la réglementation européenne, elle doit être écartée par le juge.
2. Conformément au principe général de droit de préemption du droit de l’Union européenne, en cas de compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne, les États membres ne sont autorisés à exercer leur compétence que pour autant que l’Union européenne n’ait pas exercé la sienne.
3. Le règlement 300/2008 instaure des règles et normes de base communes en matière de sûreté de l’aviation ainsi que des mécanismes pour en contrôler l’application, avec l'objectif de protéger l’aviation civile. Ce règlement a effet direct en droit belge.
4. L’article 4 du règlement 300/2008 prévoit, sous l’intitulé « Normes de base communes », que :
1. « Les normes de base communes de protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle-ci figurent en annexe. Il y a lieu d’insérer dans l’annexe les normes de base communes supplémentaires non prévues au moment de l’entrée en vigueur du présent règlement, conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité.
2. Les mesures de portée générale visant à modifier les éléments non essentiels des normes de base communes visées au paragraphe 1er en les complétant sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 19, paragraphe 3. Ces mesures de portée générale concernent : a) les méthodes d’inspection/filtrage autorisées ; b) les catégories d’articles qui peuvent être prohibés ; c) pour ce qui est du contrôle des accès, les motifs justifiant l’autorisation d’accès au côté piste et aux zones de sûreté à accès réglementé ; d) les méthodes autorisées pour le contrôle des véhicules, les vérifications de sûreté d’un aéronef et les fouilles de sûreté d’un aéronef ; e) les critères de reconnaissance de l’équivalence des normes de sûreté des pays tiers ; f) les conditions dans lesquelles le fret et le courrier doivent être inspectés/filtrés ou soumis à d’autres contrôles de sûreté, ainsi que le processus d’habilitation ou de nomination d’agents habilités, de chargeurs connus ou de clients en compte ; g) les conditions dans lesquelles le courrier d’un transporteur aérien et le matériel d’un transporteur aérien sont inspectés/filtrés ou soumis à d’autres contrôles de sûreté ; h) les conditions dans lesquelles les approvisionnements de bord et les fournitures destinées aux aéroports sont inspectés/filtrés ou soumis à d’autres contrôles de sûreté, ainsi que le processus d’habilitation ou de nomination de fournisseurs habilités ou de fournisseurs connus ; i) les critères de définition des parties critiques des zones de sûreté à accès réglementé ; j) les critères de recrutement du personnel et les méthodes de formation ; k) les conditions dans lesquelles des procédures spéciales de sûreté ou des exemptions de contrôle de sûreté peuvent s’appliquer, et l) toute mesure de portée générale ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels des normes de base communes visées au paragraphe 1er en les complétant et non prévue au moment de l’entrée en vigueur du présent règlement. Pour des raisons d’urgence impérieuses, la commission peut avoir recours à la procédure d’urgence visée à l’article 19, paragraphe 4.
3. Les mesures détaillées de mise en œuvre des normes de base communes visées au paragraphe 1er et les mesures de portée générale visées au paragraphe 2 sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation visée à l’article 19, paragraphe 2. Ces mesures concernent en particulier : a) les exigences et les procédures en matière d’inspection/filtrage ; b) la liste des articles prohibés ; c) les exigences et les procédures en matière de contrôle des accès ; d) les exigences et les procédures concernant le contrôle des véhicules, les vérifications de sûreté d’un aéronef et les fouilles de sûreté d’un aéronef ; e) les décisions visant à reconnaître l’équivalence des normes de sûreté appliquées dans un pays tiers ; f) pour ce qui est du fret et du courrier, les procédures d’habilitation et de nomination des agents habilités, des chargeurs connus et des clients en compte, ainsi que les obligations auxquelles lesdits agents, chargeurs et clients sont soumis ; g) les exigences et les procédures en matière de contrôle de sûreté du courrier d’un transporteur aérien et du matériel d’un transporteur aérien ; h) pour ce qui est des approvisionnements de bord et des fournitures destinées aux aéroports, les procédures d’habilitation ou de nomination des fournisseurs habilités et des fournisseurs connus, ainsi que les obligations auxquelles ces fournisseurs sont soumis ; i) la définition des parties critiques des zones de sûreté à accès réglementé ; j) les exigences en matière de recrutement et de formation du personnel ; k) les procédures spéciales de sûreté ou les exemptions de contrôle de sûreté ; l) les spécifications techniques et les procédures d’approbation et d’utilisation des équipements de sûreté, et m) les exigences et les procédures touchant aux passagers susceptibles de causer des troubles.
4. La Commission fixe, en modifiant le présent règlement par une décision conformément à la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 19, paragraphe 3, les critères permettant aux États membres de déroger aux normes de base communes visées au paragraphe 1er et d’adopter d’autres mesures de sûreté procurant un niveau de protection adéquat sur la base d’une évaluation locale des risques. Ces mesures sont justifiées par des raisons liées à la taille de l’aéronef ou à la nature, l’échelle ou la fréquence de l’exploitation ou d’autres activités pertinentes. Pour des raisons d’urgence impérieuses, la commission peut avoir recours à la procédure d’urgence visée à l’article 19, paragraphe 4. Les États membres informent la Commission de ces mesures.
5. Les États membres veillent à l’application sur leur territoire des normes de base communes visées au paragraphe 1er. Lorsqu’un État membre a des raisons d’estimer que le niveau de sûreté de l’aviation a été compromis par un manquement à la sûreté, il veille à ce que des mesures adéquates soient rapidement prises pour remédier à ce manquement et assurer la continuité de la sûreté de l’aviation civile ».
5. Sous l’intitulé « Autorité compétente », l’article 9 du règlement 300/2008 dispose que :
« Lorsque, dans un même État membre, deux organismes ou plus sont chargés de la sûreté de l’aviation civile, l’État membre en question désigne une seule autorité (ci-après ‘l’autorité compétente’) comme responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 ».
6. Le règlement 300/2008 est complété par le règlement d'exécution 2015/1998 de la Commission du 5 novembre 2015 qui fixe des mesures détaillées pour la mise en œuvre de ces normes de base communes, entre autres concernant le recrutement, la formation et les actes de contrôle qui peuvent être posés par des agents opérationnels.
7. Le règlement 300/2008 est applicable (i) à tous les aéroports situés sur le territoire d’un État membre, (ii) à tous les exploitants qui fournissent des biens et des services aux aéroports visés, et (iii) à toutes les entités appliquant des normes de sûreté de l’aviation qui opèrent dans des locaux situés à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments de l’aéroport.
Le règlement 300/2008 est donc applicable à l’aéroport de Liège-Bierset et à la demanderesse. Les règles édictées par le règlement 300/2008 et son règlement d'exécution 2015/1998 encadrent ainsi l'exécution des missions de sûreté aéroportuaire confiées à la demanderesse en vertu du décret wallon du 23 juin 1994 relatif à la création et à l'exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne.
8. En vertu des principes généraux de primauté et de préemption du droit de l’Union, dès lors qu'une réglementation a déjà été adoptée par l'Union européenne sur un sujet particulier, les États membres ne peuvent donc plus adopter de mesures qui seraient incompatibles avec la réglementation européenne préexistante.
9. La sûreté de l'aviation civile constitue une telle compétence partagée. Les États membres ne peuvent donc pas adopter de mesures qui seraient incompatibles avec la réglementation européenne en la matière.
10. Certes, le règlement 300/2008 permet aux États membres de fixer des mesures plus strictes que celles qu'il prévoit. L'article 6 de ce règlement énonce ainsi que :
« 1. Les États membres peuvent appliquer des mesures plus strictes que les normes de base communes visées à l’article 4. Dans ce cas, ils agissent sur la base d’une évaluation des risques et conformément au droit communautaire. Ces mesures sont pertinentes, objectives, non discriminatoires et proportionnées aux risques auxquels elles répondent.
2. Les États membres informent la commission de ces mesures dès que possible après leur mise en œuvre. Dès réception de cette information, la commission la transmet aux autres États membres ».
Mais, s'il n'est pas interdit aux États membres de prendre toutes mesures au niveau national pour encadrer les activités liées à la sûreté aéroportuaire, de telles mesures ne sont autorisées que pour autant qu’elles ne soient pas contradictoires avec les dispositions du règlement 300/2008 et son règlement d'exécution 2015/1998 et si ces mesures – pour autant qu'elles soient plus strictes – sont pertinentes, objectives, non discriminatoires et proportionnées, ce que le jugement attaqué ne retient ni ne constate. Cette exception est donc sans pertinence en l’espèce.
11. Conformément à l'article 9 du règlement 300/2008, chaque État membre doit désigner une seule autorité chargée du contrôle de la mise en œuvre des normes de sûreté aéroportuaire.
En ce qui concerne l'autorité de contrôle compétente, le considérant 10 du règlement 300/2008 énonce que :
« Même si, dans un même État membre, deux organismes ou plus peuvent être chargés de la sûreté de l’aviation, il convient que chaque État membre désigne une seule autorité responsable de la coordination et du suivi de la mise en œuvre des normes de sûreté ».
Dans les travaux préparatoires du règlement 300/2008, il est indiqué qu’« une seule autorité par État membre devrait être chargée de coordonner et surveiller la mise en œuvre des exigences en matière de la sûreté aérienne ».
12. En Belgique, l’autorité chargée du contrôle de la mise en œuvre des normes de sûreté aéroportuaire est la direction générale transport aérien (« D.G.T.A. ») du service public fédéral Mobilité et Transports, ainsi que le constate du reste le jugement attaqué.
13. Par corollaire, le service public fédéral Intérieur n'est pas compétent pour contrôler les activités de sûreté aéroportuaire exercées par la demanderesse ni pour lui infliger des sanctions en matière de sûreté aéroportuaire (comme le défendeur l’a fait en l’espèce).
14. La loi du 2 octobre 2017 réglementant la sécurité privée et particulière vise quant à elle à réglementer l'accès à la profession de gardiennage. Elle s'applique aux entreprises de gardiennage, c’est-à-dire aux entreprises qui exercent des activités de gardiennage ou se font connaître comme telles.
L'article 14 de la loi du 2 octobre 2017 dispose que « cette loi est d'application dans l'exercice des activités visées dans la présente section ou des compétences déterminées dans la présente loi, même si une réglementation européenne ou une législation particulière prévoit l'obligation d'offrir, d'exercer ou d'organiser de telles activités ». S’il est interprété comme permettant à l’État belge de déroger au système d’autorité responsable unique tel qu’il résulte de l’article 9 du règlement 300/2008, il ne peut recevoir application et doit être écarté, compte tenu des principes de primauté et de préemption du droit de l’Union européenne.
15. En l’espèce, en se fondant sur la loi du 2 octobre 2017, le défendeur a infligé une amende à la demanderesse dont le recours a été rejeté par le jugement attaqué.
16. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué qui donne ainsi effet à la loi du 2 octobre 2017 en violation du règlement 300/2008 et des principes de primauté et de préemption du droit de l'Union européenne, n'est pas légalement justifié.
En effet, une seule autorité (compétente) devant être nommée dans chaque État membre, la compétence donnée au défendeur et les décisions prises par lui sur cette base constituent en soi une violation du droit de l’Union européenne.
En outre, l’affirmation du jugement attaqué selon laquelle « la mise en œuvre des normes de base […] se fera forcément dans le respect de la législation nationale » est manifestement en contravention avec le principe général de primauté du droit de l'Union européenne (violation de ce principe et du règlement 300/2008, tels qu’ils sont visés en tête du moyen), en méconnaissance de la hiérarchie des normes.
De même, le jugement attaqué, qui considère que « rien n'obligeait le législateur (fédéral) à prévoir des règles différenciées pour les aéroports, ni à donner compétence à l'organe de coordination visé par le règlement européen (soit la D.G.T.A.) pour en assurer la surveillance », affirme un principe qui est également manifestement contraire au règlement 300/2008, duquel il découle que toutes les mesures communes touchant à la sûreté aéroportuaire doivent être coordonnées et leur respect doit être surveillé par une seule autorité, à savoir la D.G.T.A. en Belgique. Il n’y a en effet pas lieu, comme l’a fait à tort le jugement attaqué, de distinguer les modalités respectives des activités de coordination et de surveillance en la matière, alors que la surveillance doit, au même titre que la coordination, être dévolue à une autorité unique (la D.G.T.A. en Belgique).
Le jugement attaqué n’a donc pu, sans violer les principes généraux et le règlement 300/2008 visés au moyen, faire application des dispositions de la loi du 2 octobre 2017, en particulier celles qui sont visées au moyen, pour considérer que la demanderesse exerçait des activités de gardiennage sans autorisation et ainsi rejeter son recours contre la décision du défendeur de lui infliger une amende à ce titre.
Il est du reste sans importance que la loi du 2 octobre 2017 soit d’ordre public, dès lors qu’eu égard aux principes généraux précités, l'application des articles 4 et 9 du règlement 300/2008 prévaut.
17. À tout le moins, il s’impose de poser les deux questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union européenne :
1. L'article 4 du règlement (CE) n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) n° 2320/2002 permet-il à un État membre d'imposer aux entités visées à l'article 2, paragraphe 1er, c), du règlement l'obligation d'acquérir une autorisation préalable pour exercer leurs activités de gardiennage, lorsque l'octroi, le renouvellement et le retrait de celle-ci sont soumis à l'appréciation discrétionnaire du ministre de l'Intérieur de cet État membre, de manière telle que ces entités pourraient se trouver dans l'impossibilité, au titre de cette obligation imposée par l'État membre, de garantir le respect du règlement (CE) n° 300/2008 ?
2. L'article 9 du règlement (CE) n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) n° 2320/2002 permet-il à un État membre de désigner une autorité qui serait (i) distincte de l'autorité désignée en vertu de cet article 9 et qui (ii) aurait également une compétence de contrôle et de sanction en ce qui concerne la sûreté de l'aviation civile, de manière à entraver la compétence de l'autorité désignée en vertu du règlement européen ?
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen :
L’article 4 du règlement (CE) n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) n° 2320/2002 détermine, au paragraphe 1er, les normes de base communes de protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite mettant en péril la sûreté de celle-ci et, au paragraphe 2, les mesures de portée générale complétant ces normes de base communes.
Le règlement d’exécution (UE) 2015/1998 de la Commission du 5 novembre 2015 fixant les mesures détaillées pour la mise en œuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile détermine ces mesures détaillées, dont celles ayant trait au contrôle des passagers et des bagages en cabine ainsi qu’à l’agrément des agents habilités.
En vertu de l’article 10, paragraphe 1er, du règlement, chaque État membre élabore, applique et maintient un programme national de sûreté de l’aviation civile, qui définit les responsabilités en matière de mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4 et décrit les mesures demandées à cet effet aux exploitants et aux entités et, en vertu de l’article 11, paragraphe 1er, chaque État membre élabore, applique et maintient un programme national de contrôle de la qualité permettant de contrôler la qualité de la sûreté de l’aviation civile afin de veiller au respect tant du règlement que de son programme national de sûreté de l’aviation civile.
Les entités visées par l’article 2, paragraphe 1er, c), du règlement sont celles qui appliquent des normes de sûreté de l’aviation, qui opèrent dans les locaux situés à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments de l’aéroport et qui fournissent des biens ou des services aux aéroports ou à travers ceux-ci ; conformément à l’article 14, paragraphe 1er, ces entités, tenues d’appliquer des normes de sûreté de l’aviation civile, en vertu du programme national de sûreté de l’aviation civile visé à l’article 10, élaborent, appliquent et maintiennent un programme de sûreté.
L’article 9 prévoit que, lorsque, dans un même État membre, deux organismes ou plus sont chargés de la sûreté de l’aviation civile, l’État membre en question désigne une seule autorité comme responsable de la coordination et de la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4.
Le jugement attaqué énonce qu’« en Belgique, une autorité fut ainsi désignée pour se charger de cette mission de surveillance et de coordination, qui est, au sein du service public fédéral Mobilité et Transport, la direction générale du transport aérien ».
Il relève que la demanderesse « se demande si, en soumettant les services de sécurité d’un aéroport au contrôle du ministre de l’Intérieur, la Belgique n’a pas fait choix de deux autorités pour un même secteur, alors qu’elle devrait en désigner une seule ».
Il considère que « le règlement ne tend pas à imposer aux États membres de concentrer dans les mains d’une seule autorité tout ce qui concerne la sécurité des aéroports, mais tend à obtenir une coordination des efforts déployés dans ce domaine et dans la mise à exécution du droit supranational », qu’ainsi, ce « règlement attend des États membres […] que chacun désigne un organe qui s’assurera de la coordination de toutes les mesures nécessaires à la sécurité d’un aéroport, mais qui, pour autant, n’ira pas jusqu’à se charger de veiller au respect de toutes les lois en la matière ». Il en déduit que, si « le législateur a réglementé les services de gardiennage privé et a mis en place des procédures de contrôle propres au département qui délivre les agréments », soit en l’espèce le ministère de l’Intérieur, « rien ne l’obligeait à prévoir des règles différenciées pour les aéroports ni à donner compétence à l’organe de coordination visé par le règlement européen pour en assurer la surveillance » et que, dès lors, « cet organe, la direction générale du transport aérien, doit s’assurer que les mesures de sécurité imposées par l’Union européenne sont effectivement en vigueur dans les aéroports du royaume, mais qu’il ne lui revient pas de veiller au respect, par les services qui travaillent sur le terrain, des législations dont ceux-ci relèvent ». Le jugement attaqué souligne encore que, dans le cas contraire, « la chose serait singulièrement compliquée, car, à côté des agents privés, se trouvent des policiers et des douaniers, et l’on imagine assez difficilement que la direction générale du transport aérien s’y intéresse aussi, sous prétexte qu’ils travaillent dans un aéroport ».
Dès lors qu’est soulevée une question d’interprétation de l’article 9 du règlement précité, il y a lieu de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle libellée au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait répondu à la question préjudicielle suivante :
L’article 9 du règlement (CE) n° 300/2008 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2008 relatif à l’instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile et abrogeant le règlement (CE) n° 2320/2002 doit-il être interprété en ce sens que l’autorité compétente désignée en vertu de cette disposition n’assure la surveillance de la mise en œuvre des normes de base communes visées à l’article 4, à l’exclusion de toute autre autorité, que lorsque ces normes résultent d’une réglementation spécifique à la sûreté de l’aviation civile ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du premier décembre deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.22.0488.F
Date de la décision : 01/12/2023
Type d'affaire : Droit européen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-12-01;c.22.0488.f ?

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