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01/12/2023 | BELGIQUE | N°C.22.0432.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 décembre 2023, C.22.0432.F


N° C.22.0432.F
N. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
B. R.,
défenderesse en cassation,
en présence de
O. G.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la cour d’appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.

L’avocat général Thierry Werquin a conclu
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libell...

N° C.22.0432.F
N. B.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
B. R.,
défenderesse en cassation,
en présence de
O. G.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la cour d’appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 2 (anciennement numéroté 6), 1096, dans sa version applicable avant son abrogation par la loi du 19 janvier 2022, 1108, 1183, 1338, 1339, 2044, 2045 et 2052 de l’ancien Code civil ;
- article 1287 du Code judiciaire, tant dans sa version issue de la loi du 14 mai 1981 et antérieure à sa modification par la loi du 30 juin 1994 que, en tant que de besoin, dans ses versions postérieures ;
- en tant que de besoin, article 4.240 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Réformant le jugement entrepris, l’arrêt déclare l’appel principal de la défenderesse fondé, dit que la révocation de la donation du 3 septembre 1986, faite par la demanderesse le 14 février 2018, est nulle et condamne celle-ci à rembourser à celle-là les loyers qu’elle a perçus à partir du 10 janvier 2018 jusqu’à concurrence de soixante mille euros à titre provisionnel, par les motifs qu’il formule aux pages 9 à 11, tenus ici pour intégralement reproduits :
« Nullité de la révocation de l’acte de donation du 3 septembre 1986
En vertu de l’article 1096 de l’ancien Code civil, toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables ;
La révocabilité ad nutum des donations est considérée comme une règle d’ordre public (F. Tainmont, ‘La révocation des donations entre époux’, Revue de planification patrimoniale belge et internationale, 2015, 94) ;
Toutefois, la cour [d’appel] partage le raisonnement des auteurs mentionnés ci-après selon lesquels la révocabilité ad nutum des donations entre époux perd son caractère d'ordre public avec la dissolution du mariage ;
‘Partant du constat que la ratio legis de la règle contenue à l'article 1096 du Code civil semble actuellement peu pertinente, même en cas de donations en cours de mariage - les pressions, chantages, aveuglements d'un époux envers l'autre sont-ils à ce point prégnants qu'il faille prendre des dispositions dérogatoires au droit commun et, dans l'affirmative, en quoi ces éléments sont-ils davantage présents au sein d'un couple marié qu'entre cohabitants légaux ou de fait, voire entre tous autres donateur et donataire -, a fortiori semble-t-il raisonnable de considérer que la révocabilité ad nutum des donations perd son caractère d'ordre public avec la dissolution du mariage’ (F. Tainmont, op. cit., 95) ;
‘Qu'en est-il des époux qui divorcent par consentement mutuel ? Si les époux sont convenus de maintenir les donations après le divorce, le donateur peut aussi s'engager, dans la foulée, à ne pas révoquer les donations une fois que le divorce sera effectif, le tout dans les conventions préalables.
Certes, au moment où la renonciation à la révocation est négociée et obtenue, l'époux donateur n'est pas encore divorcé et risque d'être encore sous l'influence de son conjoint, de sorte qu'on pourrait soutenir que son besoin de protection, qui se traduirait par une interdiction de renoncer, à ce moment, au droit de révocation, est encore présent.
Techniquement, il nous semble toutefois qu'aucun problème ne se pose dans la mesure où la renonciation ne sera effective qu'une fois que le divorce sera intervenu.
Le fait que la renonciation soit négociée à un moment où le mariage est encore en cours n'est pas un obstacle. Dans le cadre de l'appréciation de ce qu'il est prêt à abandonner et de ce qu'il souhaite obtenir, l'époux donataire ne doit pas supputer le risque de révocation de la donation qui lui a été consentie et les conséquences qui en découleraient sur sa situation financière si son ex-époux venait à exercer son droit de révocation. La possibilité de clicher définitivement les relations patrimoniales au moment de la signature des conventions est beaucoup plus saine que de laisser planer la menace de révocation sur l'époux donataire.
Et le besoin de protection de l'époux donateur ? En faisons-nous fi ?
Certes, il n'est pas exclu que la renonciation au droit de révocation soit obtenue à la suite d'un certain « encouragement » de la part de son conjoint mais, en échange, celui-ci acceptera probablement de renoncer à l'une ou l'autre de ses prétentions. C'est là, précisément, l'objet d'un accord transactionnel : des concessions réciproques’ (ibidem, 96).
‘Quoique la loi ne l'impose pas expressément, il faut insister tout particulièrement pour que les époux règlent le sort des avantages matrimoniaux, institutions contractuelles ou donations entre époux dans des conventions préalables.
Il est en effet malsain qu'à défaut d'avoir pris des dispositions claires à ce sujet, un ex-époux puisse prétendre à des droits quelconques dans la succession de son ex-conjoint décédé, parfois longtemps après le divorce.
Devant la difficulté de savoir si les époux décidés à divorcer ont pris des dispositions à cause de mort au profit l'un de l'autre, le notaire avisé inclura systématiquement dans ses actes de conventions préalables une clause […].
Il n'est pas indispensable - même si cela est souhaitable - que la renonciation ou la révocation soit faite en termes exprès. Seule compte la volonté des parties, à condition toutefois qu'elle soit suffisamment exprimée dans l'acte, fût-ce tacitement’ (G. Mahieu, Rép. not., t. I, livr. 6, n°s 178 et 179) ;
En l'espèce, par des conventions préalables au divorce par consentement mutuel conclues les 5 et 9 février 1987, [la demanderesse] et [son ex-mari] ont réglé transactionnellement leurs droits respectifs. Il est ainsi stipulé, en page 6 desdites conventions, que, pour fournir ses droits [à l’ex-mari de la demanderesse], il lui est attribué ‘l'ensemble des biens et valeurs repris tant passivement qu'activement à l'inventaire dressé’ le 23 janvier 1987, soit une valeur nette estimée à 34 238 318 francs ;
Ledit inventaire dressé le 23 janvier 1987 mentionne, en page 12 : ‘[l’ex-mari de la demanderesse] déclare en outre être plein propriétaire de divers biens situés à …, anciennement …, formant le château … et comprenant les bâtiments d'habitation et de ferme, avec dépendances et partie de parc et terrains, cadastrés ou l'ayant été section C n° …/D, …/E, …/B, …/A, …/H, …/A, …A, …/K pour deux hectares quatre ares cinquante-cinq centiares, évalués en totalité à dix millions de francs (10 000 000 francs)’ ;
Les conventions préalables au divorce par consentement mutuel, entérinées par le jugement du 17 mars 1988 qui a prononcé le divorce des parties, précisent enfin, en page 6, que ‘les comparants acceptent leur lot tel qu'il vient d'être constitué, [qu’] ils prendront les biens, objets et valeurs qui leur sont attribués dans l'état où ils se trouvent’ et qu’‘au moyen de ce qui précède, les époux déclarent que la situation patrimoniale issue de leur mariage est bien entièrement liquidée et partagée et qu'ils n'ont plus de ce chef aucune réclamation ni revendication à exercer l'un envers l'autre pour quelque cause que ce soit’ ;
Sur la base de ces éléments et en vertu du principe de la convention-loi consacré par l'article 1134 de l'ancien Code civil, les parties ont entendu, tacitement, au moment de leur divorce, maintenir définitivement les effets de la donation du 3 septembre 1986 dans le cadre de l'équilibre financier ayant présidé à la rédaction de leur accord transactionnel ;
[L’ex-mari de la demanderesse] a d'ailleurs occupé l'immeuble concerné par la donation litigieuse depuis le divorce des parties jusqu'à son décès ;
L'ensemble de ces considérations a pour conséquence une renonciation tacite par [la demanderesse] à une révocation de la donation du 3 septembre 1986 au moment de la rédaction des conventions préalables au divorce par consentement mutuel, de sorte que la répartition des biens entre les ex-époux, telle qu'elle figure dans les conventions préalables au divorce par consentement mutuel, ne pouvait plus être remise en cause après que le jugement du 17 mars 1988 ayant prononcé le divorce des parties eut acquis force de chose jugée ;
L'appel de [la défenderesse contre le jugement entrepris], en ce qu'il dit que la révocation de la donation du 3 septembre 1986, par acte de [la demanderesse] du 10 janvier 2018 signifié [à elle-même ainsi qu’à la partie appelée en déclaration d’arrêt commun] le 14 février 2018, est nulle et non avenue et que tous les effets de la donation du 3 septembre 1986 sont maintenus, sera déclaré fondé ».
L'arrêt considère, en substance, que l'article 1096 de l'ancien Code civil, consacrant le principe de la révocabilité ad nutum des donations entre époux, revêt un caractère d'ordre public. Il estime cependant que le risque d'abus d'influence sur la volonté du donateur disparaît avec le divorce et que l'article 1096 de l'ancien Code civil perd sa raison d'être ainsi que son caractère d'ordre public avec la dissolution du mariage des époux. Il décide ainsi que la demanderesse a pu renoncer tacitement à la révocabilité ad nutum de la donation du 3 septembre 1986, qu'elle avait consentie à [son ex-mari], en maintenant cette donation lors de la conclusion des conventions préalables au divorce par consentement mutuel des 5 et 9 février 1987.
Griefs
Première branche
1. D'une part, l'article 1108 de l'ancien Code civil prévoit que le consentement de la partie qui s'oblige est une condition essentielle de la validité d'une convention. D'autre part, l'article 1183 de ce code impose au créancier de restituer la chose qu'il a reçue lorsque l'événement prévu par la condition résolutoire se réalise.
Par ailleurs, l'article 2 du même code (article 6 renuméroté) interdit aux parties de déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes meurs.
Enfin, l'article 1096 dudit code, dans sa version applicable avant son abrogation par la loi du 19 janvier 2022, qui trouve sa raison d'être dans la protection du consentement du donateur (article 1108 de l'ancien Code civil) et dans l'obligation du donataire de restituer la chose qu'il a reçue lorsque son époux ou son ex-époux le requiert (article 1183 de l'ancien Code civil), prescrit que « toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables » et que « ces donations ne seront point révoquées par la survenance d'enfants ».
2. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la révocabilité ad nutum des donations faites entre époux est un principe d'ordre public, fondé sur la volonté de protéger le consentement du donateur lorsque la donation a été faite en dehors d'un contrat de mariage ou par un avenant à celui-ci, en sorte que de telles donations sont toujours révocables ad nutum tant avant qu'après le mariage. En revanche, il ne résulte nullement de ces dispositions que le principe de la révocabilité ad nutum des donations faites entre époux, en dehors d'un contrat de mariage ou par un acte modificatif de celui-ci, ne serait d'ordre public que pendant le mariage, au motif que le but d'intérêt général justifiant ce caractère, à savoir la protection de la volonté de l'époux donataire, disparaîtrait avec le divorce.
3. Dans ses conclusions, la demanderesse faisait valoir que « toutes les formes de donation sont soumises à la règle de la révocabilité ad nutum lorsqu'elles sont faites entre époux » et que « la révocabilité ad nutum des donations entre époux est majoritairement considérée comme étant une norme d'ordre public ». Elle déduisait du caractère d'ordre public de l'article 1096 de l'ancien Code civil que « la révocation d'une donation entre époux peut intervenir même postérieurement au divorce des parties ».
4. En l'espèce, après avoir rappelé la prescription de l'article 1096 de l'ancien Code civil, l'arrêt se borne à considérer que « la révocabilité ad nutum des donations est considérée comme une règle d'ordre public » ; que, « toutefois, la cour [d’appel] partage le raisonnement des auteurs mentionnés ci-après selon lesquels la révocabilité ad nutum des donations entre époux perd son caractère d'ordre public avec la dissolution du mariage : ‘partant du constat que la ratio legis […] de la règle contenue à l'article 1096 du Code civil semble actuellement peu pertinente même en cas de donations en cours de mariage - les pressions, chantages, aveuglements d'un époux envers l'autre sont-ils à ce point prégnants qu'il faille prendre des dispositions dérogatoires au droit commun et dans l'affirmative, en quoi ces éléments sont-ils davantage présents au sein d'un couple marié qu'entre cohabitants légaux ou de fait, voire entre tous autres donateur et donataire -, a fortiori semble-t-il raisonnable de considérer que la révocabilité ad nutum des donations perd son caractère d'ordre public avec la dissolution du mariage’ ».
5. En considérant que l'article 1096 de l'ancien Code civil, consacrant le principe de la révocabilité ad nutum des donations faites entre époux, perd son caractère d'ordre public après la survenance de leur divorce, au motif, comme l'admettent certains auteurs, que le but d'intérêt général justifiant ce caractère disparaît avec le divorce des époux, l'arrêt ne justifie légalement ni sa décision que la demanderesse a valablement pu renoncer tacitement à la révocation ad nutum de la donation faite à son ex-époux en la maintenant dans les conventions préalables au divorce ni celle de la condamner au paiement de soixante mille euros à titre provisionnel pour le remboursement des loyers qu'elle a perçus depuis le 10 janvier 2018 (violation de l'article 1096 de l'ancien Code civil dans sa version applicable avant son abrogation par la loi du 19 janvier 2022, de l'article 2 (article 6 renuméroté) de l'ancien Code civil et, en tant que besoin, des articles 1108 et 1183 de l'ancien Code civil et de l'article 4.240 du Code civil).
Seconde branche
1. D’une part, l’article 1096 de l’ancien Code civil, qui consacre la révocabilité ad nutum des donations entre époux, est d’ordre public. Il tend à la protection de l’époux donateur contre un abus d’influence de son conjoint.
D'autre part, les parties peuvent transiger sur les droits dont elles disposent et qui peuvent ainsi faire l'objet de concessions réciproques (articles 2044, 2045 et 2052 de l'ancien Code civil). Pareille transaction ne peut dès lors valablement porter renonciation à un droit d'ordre public et la nullité absolue résultant de la renonciation à un tel droit ne peut être confirmée a posteriori par les parties à l'acte juridique qui y est relatif (articles 2 - article 6 renuméroté -, 1338 et 1339 de l'ancien Code civil).
2. Enfin, l'article 1287 du Code judiciaire, dans sa version issue de la loi du 14 mai 1981, tel qu'il était applicable à la procédure en divorce par consentement mutuel de la demanderesse et de son ex-mari, prévoyait que
« Les époux déterminés à opérer le divorce par consentement mutuel sont tenus de faire préalablement par notaire inventaire et estimation de tous leurs biens meubles et immeubles, et de régler leurs droits respectifs, sur lesquels il leur sera néanmoins libre de transiger.
Ils doivent constater dans le même acte leurs conventions au sujet de l'exercice des droits prévus aux articles 745bis et 915bis du Code civil pour le cas où l'un d'eux décéderait avant la transcription du jugement ou de l'arrêt admettant le divorce.
Ces conventions sont sans effet si la procédure est abandonnée.
Un extrait littéral de l'acte qui constate ces conventions doit être transcrit, dans la mesure où il se rapporte à des immeubles, au bureau des hypothèques dans le ressort duquel les biens sont situés, de la manière et dans les délais prévus à l'article 2 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, modifié par la loi du 10 octobre 1913 ».
L'article 1287 du Code judiciaire reprend largement ces principes dans ses versions postérieures.
3. Il résulte du rapprochement de ces dispositions que les époux ne peuvent renoncer, unilatéralement ou conventionnellement, qu'à un droit dont ils disposent au moment de la conclusion d'une convention préalable à leur divorce par consentement mutuel.
En revanche, la combinaison de ces dispositions n'implique pas que le donateur puisse renoncer à son droit d'ordre public de révoquer ad nutum les donations faites à son époux dans une convention conclue avant son divorce, sachant que le donateur peut toujours être sous l'influence de son conjoint et que son droit de révocation ad nutum conserve ainsi son caractère d'ordre public à ce moment.
De surcroît, il ne résulte pas de ces dispositions que le donateur pourrait renoncer à son droit d'ordre public de révoquer ad nutum les donations faites à son époux aux motifs que cette renonciation deviendrait effective après le divorce des époux ou que le donateur aurait la faculté de confirmer sa renonciation après le divorce.
4. Dans ses conclusions, après avoir rappelé que la révocabilité ad nutum des donations entre époux ressortissait à l'ordre public, la demanderesse faisait clairement valoir que « toute clause tendant à renoncer au droit de révocation ou visant à le restreindre dans le chef du donateur est ainsi absolument nulle ». La demanderesse déduisait de cette nullité absolue que, « dans l'hypothèse du présent litige, le donataire n'entendant pas remettre au donateur l'objet donné malgré la révocation, il y avait lieu pour la [demanderesse] de postuler du [premier juge] de forcer le donataire à rétrocéder le bien objet de la donation révoquée ».
5. En l'espèce, l'arrêt rappelle d'abord qu'une partie de la doctrine estime, en cas de divorce par consentement mutuel, que, « si les époux sont convenus de maintenir les donations après le divorce, le donateur peut aussi s'engager, dans la foulée, à ne pas révoquer les donations une fois que le divorce sera effectif, le tout dans les conventions préalables », que, « certes, au moment où la renonciation à la révocation est négociée et obtenue, l'époux donateur n'est pas encore divorcé et risque d'être encore sous l'influence de son conjoint, de sorte qu'on pourrait soutenir que son besoin de protection, qui se traduirait par une interdiction de renoncer, à ce moment, au droit de révocation, est encore présent », que, « techniquement, il nous semble toutefois qu'aucun problème ne se pose dans la mesure où la renonciation ne sera effective qu'une fois que le divorce sera intervenu », que « le fait que la renonciation soit négociée à un moment où le mariage est encore en cours n'est pas un obstacle, [que], dans le cadre de l'appréciation de ce qu'il est prêt à abandonner et de ce qu'il souhaite obtenir, l'époux donataire ne doit pas supputer le risque de révocation de la donation qui lui a été consentie et les conséquences qui en découleraient sur sa situation financière si son ex-époux venait à exercer son droit de révocation, et que la possibilité de clicher définitivement les relations patrimoniales au moment de la signature des conventions est beaucoup plus saine que de laisser planer la menace de révocation sur l'époux donataire ».
Au départ de cette opinion doctrinale, l'arrêt considère ensuite que, « en l'espèce, par des conventions préalables au divorce par consentement mutuel conclues les 5 et 9 février 1987, [la demanderesse et son ex-mari] ont réglé transactionnellement leurs droits respectifs ; qu’il est ainsi stipulé, en page 6 desdites conventions, que, pour fournir […] ses droits [à l’ex-mari de la demanderesse], il lui est attribué ‘l'ensemble des biens et valeurs repris tant passivement qu'activement à l'inventaire dressé’ le 23 janvier 1987, soit une valeur nette estimée à 34.238.318 francs », que, « sur la base de ces éléments et en vertu du principe de la convention-loi consacré par l'article 1134 de l'ancien Code civil, les parties ont entendu, tacitement, au moment de leur divorce, maintenir définitivement les effets de la donation du 3 septembre 1986 dans le cadre de l'équilibre financier ayant présidé à la rédaction de leur accord transactionnel », et que « [l’ex-mari de la demanderesse] a d'ailleurs occupé l'immeuble concerné par la donation litigieuse depuis le divorce des parties jusqu'à son décès ».
Il conclut alors que « l'ensemble de ces considérations a pour conséquence une renonciation tacite par [la demanderesse] à une révocation de la donation du 3 septembre 1986 au moment de la rédaction des conventions préalables au divorce par consentement mutuel, de sorte que la répartition des biens entre les ex-époux, telle qu'elle figure dans les conventions préalables au divorce par consentement mutuel, ne pouvait plus être remise en cause après que le jugement du 17 mars 1988 ayant prononcé le divorce des parties eut acquis force de chose jugée ».
6. Après avoir constaté que la demanderesse et son ex-mari avaient entendu maintenir la donation du 3 septembre 1986 dans leurs conventions préalables à leur divorce par consentement mutuel et que ce dernier avait occupé les immeubles donnés après leur divorce, l'arrêt n’a pu légalement considérer que la demanderesse avait tacitement renoncé à son droit de résiliation ad nutum au moment de la rédaction des conventions des 5 et 9 février 1987, alors que le divorce des époux n'était pas prononcé et qu'elle ne disposait en toute hypothèse pas de la faculté de transiger sur ce droit d'ordre public (violation des articles 2 - article 6 renuméroté – et 1096 de l'ancien Code civil, dans sa version applicable avant son abrogation par la loi du 19 janvier 2022, 1287 du Code judiciaire, tant dans sa version issue de la loi du 14 mai 1981 applicable au divorce par consentement mutuel de la demanderesse et de son ex-mari que dans ses versions postérieures à cette procédure et, en tant que besoin, de l'ensemble des autres dispositions légales reprises au moyen).
Partant, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision de condamner la demanderesse au paiement de soixante mille euros à titre provisionnel pour le remboursement des loyers qu’elle a perçus depuis le 10 janvier 2018 (violation de l’ensemble des dispositions légales reprises au moyen).
III. La décision de la Cour
Quant aux deux branches réunies :
N’est d’ordre public que la règle de droit qui touche aux intérêts essentiels de l’État ou de la collectivité, ou qui fixe dans le droit privé les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société.
L’article 1096, alinéa 1er, de l’ancien Code civil, qui, en disposant que toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables, protège les intérêts privés de l’époux donateur, n’est pas d’ordre public.
Le moyen, qui, en chacune de ses branches, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Et le rejet du pourvoi prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille quarante-cinq euros quatre-vingts centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du premier décembre deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.22.0432.F
Date de la décision : 01/12/2023
Type d'affaire : Droit civil

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-12-01;c.22.0432.f ?

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