N° P.23.0952.F
C. K. T.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Pierre Monville et Mona Giacometti, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 2 juin 2023 par la cour d’appel de Mons, chambre pénale sociale, statuant comme juridiction de renvoi ensuite d’un arrêt de la Cour du 9 février 2022.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 10 octobre 2023, l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé des conclusions auxquelles le demandeur a répondu par une note remise au greffe le 15 novembre 2023, conformément à l’article 1107, alinéa 2, du Code judiciaire.
A l’audience du 29 novembre 2023, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LES FAITS
Par un jugement du 13 septembre 2019, le demandeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions, notamment l’absence de déclaration immédiate à l’emploi de travailleurs salariés (préventions K.1 à K.21), le non-paiement des rémunérations de ces derniers (préventions M.1 à M.21) et l’absence de déclaration justificative à l’Office national de la sécurité sociale du montant des cotisations dues en raison de l’occupation de ces travailleurs (préventions N.1 à N.52).
Le demandeur a été condamné à un emprisonnement de trente mois et à une amende de soixante mille euros.
A la suite du dépôt d’un réquisitoire écrit par le ministère public, daté du 14 février 2017, il a également été condamné à la confiscation par équivalent des montants correspondant aux avantages patrimoniaux directement tirés des infractions susvisées, soit une somme totale de 3.578.644,99 euros.
Par un arrêt prononcé le 8 juin 2021, la cour d’appel a notamment confirmé la décision sur la culpabilité du demandeur du chef des préventions précitées, ainsi que sa condamnation à la confiscation. Elle a réduit la peine d’emprisonnement correctionnel prononcée par le premier juge en la ramenant à dix mois et a assorti celle-ci, ainsi que l’amende de soixante mille euros, d’un sursis simple pendant trois ans.
Par un arrêt du 9 février 2022, la Cour a cassé cette décision en tant qu’elle condamne le demandeur à des peines et au paiement de la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et a renvoyé la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
L’arrêt attaqué confirme les peines d’emprisonnement et d’amende ainsi que la mesure de sursis ordonnées par la cour d’appel de Bruxelles.
Il ordonne la confiscation obligatoire par équivalent de 760.000 euros sur le fondement des articles 42, 1°, 433terdecies et 433novies du Code pénal (préventions C et D), et la confiscation facultative par équivalent de 1.500.000 euros, sur le fondement des article 42, 3°, 43bis et 43quater du Code pénal (préventions K, M et N), sous la déduction d’une somme de 137.096,88 euros saisie dans le patrimoine du demandeur. Il attribue 1.417.317,15 euros de la somme confisquée à l’ONSS et condamne enfin le demandeur à une restitution de 760.635,97 euros en application de l’article 236 du Code pénal social.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 195, alinéa 2, et 211 du Code d’instruction criminelle, 1138, 4°, du Code judiciaire, 236 du Code pénal social, et 23, § 1er, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.
Les griefs de motivation et de légalité concernent la seule mesure de restitution d’office ordonnée par les juges d’appel, sur le fondement de l’article 236 du Code pénal social.
En tant qu’il vise les articles 211 du Code d’instruction criminelle, 1138, 4°, du Code judiciaire, et 23, § 1er, de la loi du 27 juin 1969, le moyen est irrecevable à défaut de précision.
Quant à la première branche :
L’article 236, alinéa 1er, du Code pénal social dispose que lorsque les tiers lésés ne se sont pas constitués partie civile, le juge qui prononce la peine prévue aux articles 171/4, 218, 219, 220, 223, § 1er , alinéa 1er, 1°, et 234, § 1er, 3°, ou qui constate la culpabilité pour une infraction à ces dispositions, condamne d'office le débiteur des cotisations impayées ou partiellement payées à s’acquitter des arriérés de cotisations, des majorations de cotisations et des intérêts de retard.
Le demandeur reproche à l’arrêt de ne pas justifier légalement sa décision de le condamner à la restitution d’office, à défaut de constater qu’il a la qualité, requise par l’article 236 précité, de débiteur des cotisations impayées, c’est-à-dire d’employeur au sens de l’article 23, § 1er, de la loi du 27 juin 1969.
En vertu de l’article 16, 3°, du Code pénal social, les personnes qui exercent l’autorité sur les travailleurs ont la qualité d’employeurs.
Sous la prévention N, le demandeur a été cité à comparaître et a été condamné de manière définitive par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 8 juin 2021 du chef de non-déclaration à l’ONSS de plusieurs travailleurs salariés.
L’arrêt du 8 juin 2021 a rejeté la cause d’excuse visée à l’ancien article 5, alinéa 2, du Code pénal, au motif que le demandeur avait agi sciemment et volontairement de sorte que les préventions lui étaient imputables. La cour d’appel a, à cette occasion, relevé que le demandeur n’avait pas agi pour le compte des différentes sociétés derrière lesquelles il se retranchait.
La cour d’appel a aussi reconnu le demandeur coupable de faux en écritures et d’usage de faux, ceux-ci étant relatifs à des actes de sociétés par l’intermédiaire desquelles il exerçait ses activités professionnelles.
La cour d’appel de Bruxelles a par ailleurs, au 73ème feuillet de l’arrêt précité, caractérisé le comportement infractionnel du demandeur en soulignant qu’il agissait en violation flagrante de dispositions légales sanctionnées pénalement afin de couvrir le travail au noir dans le cadre d’un système organisé par lui et à son bénéfice.
Cette décision est, en ce qui concerne la culpabilité du demandeur, passée en force de chose jugée. Elle condamne le demandeur non en sa qualité de préposé ou de mandataire des restaurants précités mais en sa qualité d’employeur de fait du personnel qui y était affecté.
L’arrêt attaqué du 2 juin 2023 énonce que le demandeur a fait l’objet de poursuites du chef de plusieurs infractions de droit pénal social en lien avec les activités qu’il a exercées dans des restaurants chinois dont il était le gestionnaire par l’intermédiaire de diverses sociétés qui ne furent pas poursuivies. Il précise ensuite que si le demandeur se retranche actuellement derrière ces trois sociétés, le jugement entrepris rappelle cependant qu’il était le patron incontesté de l’ensemble du système frauduleux mis en place.
En raison du caractère limité de la saisine de la cour d’appel à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, les juges d’appel n’avaient pas à motiver plus amplement leur décision de condamner le demandeur, en sa qualité de débiteur des cotisations, à la restitution visée à l’article 236 du Code pénal social.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le demandeur soutient que la restitution d’office à laquelle il a été condamné est illégale au motif qu’elle ne respecte pas les conditions de l’article 236, alinéa 2, du Code pénal social.
Cet article dispose que lorsque les tiers lésés ne se sont pas constitués partie civile, le juge qui prononce la peine prévue à l'article é, § 1er, 3°, ou qui constate la culpabilité pour une infraction à cette disposition, condamne d'office le prévenu à restituer les sommes perçues indûment, augmentées des intérêts de retard.
La restitution d’office critiquée a toutefois été ordonnée à la suite des conclusions de synthèse du ministère public, prises sur le fondement de l’article 236, alinéa 1er, du Code pénal social, et de la condamnation du demandeur du chef de la prévention N d’infraction à l’actuel article 223, § 1er, 1°, du Code pénal social. Celle-ci vise le fait de ne pas avoir, sciemment et volontairement, fait parvenir à l’ONSS les déclarations justificatives du montant de cotisations dues suite à l’occupation de travailleurs salariés, au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre de leur occupation.
Il en résulte que, contrairement à ce que le moyen allègue, la cour d’appel ne devait pas, pour justifier la restitution d’office visée par le ministère public, prononcer la peine prévue par l’article é, § 1er, 3°, du Code pénal social, ou constater la culpabilité du prévenu pour une infraction visée à cet article.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 14 et 149 de la Constitution, 2, alinéa 2, du Code pénal et 195, alinéa 2, et 211 du Code d’instruction criminelle.
En tant qu’il vise l’article 14 de la Constitution, le moyen est irrecevable à défaut de précision.
Le moyen soutient que la restitution visée à l’article 236, alinéa 1er, du Code pénal social ne pouvait, sans violer le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, être infligée au demandeur.
Le demandeur fait valoir que la période infractionnelle de la prévention N sur la base de laquelle la restitution d’office a été ordonnée, a pris fin le 31 juillet 2012 et que l’infraction visée à l’article 223, § 1er, alinéa 1er, du Code pénal social qui justifie ladite restitution par application de l’article 236, alinéa 1er, de ce code n’ a été insérée dans cette disposition que par l’article 54 de la loi du 29 février 2016, entré en vigueur le 1er mai 2016.
Mais la restitution d’office fondée sur l’article 236 précité est une mesure de nature civile. Elle n’est donc pas soumise au principe de la non-rétroactivité de la peine, visé à l’article 2, alinéa 2, du Code pénal.
La circonstance qu’elle ressortit à l’action publique, étant une conséquence de la décision de condamnation rendue sur cette action, et celle qu’elle doit être prononcée d’office en font un mode de réparation spécial qui ne modifie toutefois pas sa nature.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 195, alinéa 2, et 211 du Code d’instruction criminelle et 1138, 4°, du Code judiciaire.
Le moyen est tiré d’un grief de contradiction.
Dès lors que la saisine de la cour d’appel, limitée à la peine, ne l’autorisait pas à statuer au civil, le demandeur en déduit que l’arrêt ne pouvait sans se contredire considérer d’une part, que la restitution, de nature civile, reste soumise au régime de l’action civile résultant d’une infraction pénale et, d’autre part, que dès lors qu’elle doit être prononcée d’office, sa problématique entre dans la saisine de la cour d’appel.
Aucune contradiction ne résulte des deux extraits précités de l’arrêt que le demandeur oppose l’un à l’autre dès lors que la cour d’appel a pris soin de préciser que la restitution d’office est une forme spéciale de réparation qui, ordonnée dans l’intérêt général, constitue ainsi un complément hybride de la peine.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, n’indiquant pas en quoi la motivation de la restitution d’office serait ambigüe, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf novembre deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.