N° C.22.0412.F
1. J. T., et
2. M. L.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
C@RLITO’S WAY, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Forest, rue Pierre Decoster, 96, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0472.821.253,
défenderesse en cassation,
en présence de
1. BELOFT, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Anderlecht, rue des Vétérinaires, 45, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0871.966.454, représentée par son liquidateur,
2. ALLIANZ BENELUX, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard du Roi Albert II, 32, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.258.197,
3. SOCIÉTÉ D’ARCHITECTES URBAN PLATFORM, société coopérative, dont le siège est établi à Ixelles, rue du Mail, 13/15, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0473.364.354,
4. J.-F. P.,
5. ASSURANCES DU NOTARIAT – VERZEKERINGEN VAN HET NOTARIAAT, société coopérative, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de la Montagne, 34, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.249.982,
parties appelées en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 7 avril 2022 par
la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 7 novembre 2023, le premier président a renvoyé
la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport.
L’avocat général Hugo Mormont a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Le juge est tenu d’examiner la nature juridique des faits invoqués par les parties et, quelle que soit la qualification que celles-ci leur ont donnée, peut suppléer d’office aux motifs invoqués devant lui dès lors qu’il n’élève aucune contestation dont les parties ont exclu l’existence, qu’il se fonde uniquement sur des faits régulièrement soumis à son appréciation et qu’il ne modifie pas l’objet de la demande.
Le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n’est pas méconnu lorsque le juge fonde sa décision sur des éléments dont les parties pouvaient s’attendre, au vu du déroulement des débats, qu’il les inclue dans son jugement et qu’elles ont dès lors pu contredire.
Après avoir relevé que, « dans le compromis [de vente à la défenderesse, les demandeurs] sont repris au même titre que la [première partie appelée en déclaration d’arrêt commun] sous la mention unique ‘le vendeur’ », l’arrêt non attaqué du 14 octobre 2021 constate, au point 43, que « l’annexe au compromis [...] précise qu’au cours du délai de garantie qui s’écoule entre la réception provisoire et la réception définitive, le vendeur est tenu aux mises au point signalées lors de la réception provisoire et à remédier à ses frais et risques à tous les désordres qui surviendraient ou seraient constatés à l’usage pour autant qu’il en ait été informé par écrit avant la date d’expiration de la période de garantie ».
Ayant relevé, aux points 44 et 45, qu’« un des enjeux essentiels du litige consiste à déterminer si les [demandeurs], qui n’étaient propriétaires jusqu’à concurrence d’un pourcent du terrain sur lequel a été construit l’immeuble litigieux, doivent être tenus à la totalité du dommage de la [défenderesse], de deux tiers de ce dommage [...] ou d’un pourcent de celui-ci » et le « caractère succinct des développements juridiques consacrés par les parties à cette question », il rappelle que « les obligations caractérisées par une pluralité de sujets, dites obligations plurales, sont de quatre types : les obligations conjointes, les obligations solidaires, les obligations indivisibles et les obligations in solidum ».
Il observe, au point 48, que « l’article 1217 [de l’ancien Code civil] dispose que l’obligation ‘est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle’ », qu’« il s’agit de l’indivisibilité naturelle, par opposition à l’indivisibilité conventionnelle visée par l’article 1218 du même code », et que « H. De Page expose que l’indivisibilité, lorsqu’elle se fonde sur la nature de l’objet, ‘ne subsiste pas au-delà de cet objet’, de sorte que la substitution à une obligation de faire ‘indivisible comme telle’ d’une obligation au paiement d’une somme d’argent en cas d’inexécution a pour effet que cette dernière obligation est divisible ».
Il ajoute, au point 49, que, « lorsqu’un même dommage a été causé par les fautes concurrentes de plusieurs personnes, elles sont responsables in solidum à l’égard de la personne lésée, de sorte que chacune de celles-ci est tenue à la réparation intégrale du dommage de la victime qui n’a pas commis de faute » et que « ce principe est applicable à tout fait générateur de responsabilité, qu’il s’agisse d’une responsabilité pour ou sans faute, contractuelle ou extracontractuelle ».
Il relève, au point 52, que la défenderesse « n’explique pas [...] en quoi les conditions de la responsabilité in solidum des [demandeurs], qui lui permettrait [...] d’exiger également la totalité de son dommage à chaque codébiteur, seraient réunies ».
Il expose encore, au point 53, que « la notion d’obligation indivisible permet au créancier confronté à une pluralité de débiteurs d’exiger de chacun d’eux l’intégralité de sa créance, ce qui constitue le même effet que celui qui est postulé par la [défenderesse] lorsqu’elle invoque la solidarité entre la [première partie appelée en déclaration d’arrêt commun] et les [demandeurs] » et qu’« il conviendra par conséquent d’entendre les parties sur ce point également, compte tenu des principes rappelés [par ledit arrêt] mais également des demandes formées par [la défenderesse], selon qu’elles concernent des obligations d’effectuer des travaux ou de lui payer un certain montant ».
Il énonce enfin, au point 54, que, « à titre subsidiaire, la [défenderesse] considère qu’il faut ‘appliquer les règles du Code civil en vertu desquelles, si chacun des codébiteurs est tenu de sa part de la dette, à défaut d’une ventilation spécifique convenue avec le créancier, la division se fait par parts viriles’ » et que « cette solution pourrait se justifier en vertu du régime qui s’applique aux obligations conjointes [...] mais [qu’]il résulte des développements [du même arrêt] que les principes applicables à la divisibilité de ces obligations ne font pas l’unanimité doctrinale ».
Il rouvre les débats « afin de permettre aux parties [...] de s’expliquer sur les points visés aux paragraphes 43, 52, 53 et 54 ».
En retenant la responsabilité in solidum des demandeurs et de la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun aux motifs que la « clause [précitée] constitu[e] manifestement une obligation indivisible par nature [qui] permet[...] au créancier confronté à une pluralité de débiteurs d’exiger de chacun d’eux l’intégralité de sa créance », que « [les demandeurs] se sont, tout comme [la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun], abstenus d’exécuter leur obligation telle qu’elle est prévue par la clause précitée », que « cette abstention est fautive » et que « ces fautes concurrentes ont causé le même dommage Ã
la [défenderesse] », l’arrêt attaqué ne méconnaît pas les principes généraux et ne viole pas la disposition légale visés au moyen, en cette branche.
Celui-ci ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Lorsqu’un dommage trouve sa cause dans les fautes concurrentes de plusieurs personnes et que, sans la faute de l’une de celles-ci, les fautes commises par chacune des autres personnes n’auraient pas suffi à causer le dommage, chacune de ces personnes est tenue envers la victime, les fautes fussent-elles commises dans l’exécution d’obligations contractuelles, de réparer le dommage entier.
Tel est le cas du dommage résultant de l’inexécution fautive d’une obligation contractuelle indivisible.
L’arrêt attaqué, qui considère que les demandeurs et la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun se sont indivisiblement engagés envers
la défenderesse, par une clause du contrat qui les lie, « aux mises au point signalées lors de la réception provisoire et à remédier à leurs frais et risques à tous les désordres qui surviendraient ou seraient constatés à l’usage [au cours du délai de garantie qui s’écoule entre la réception provisoire et la réception définitive] », qu’ils « se sont abstenus d’exécuter leur obligation telle qu’elle est prévue par
la clause précitée » et que « cette abstention est fautive » pour chacune de ces trois parties, justifie légalement sa décision que « le principe de la condamnation
in solidum peut être retenu » pour la réparation du dommage subi par la défenderesse en raison de cette inexécution.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Dans leurs conclusions, les demandeurs, qui soutenaient qu’ils n’étaient pas intervenus dans l’exécution des travaux et n’avaient agi que comme organes de la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun, faisaient valoir que leur responsabilité in solidum ne pourrait être retenue dès lors que « l’on n’a identifié ni la faute spécifique qu’ils auraient commise en leur qualité ni le lien causal avec le dommage ».
L’arrêt attaqué énonce que « le dommage dont [la défenderesse] pourrait demander la réparation a été circonscrit par la cour [d’appel] dans son arrêt du
14 octobre 2021 et vise, pour l’essentiel, des griefs qui ont été dénoncés dans
le rapport [du conseiller technique de la défenderesse] du 19 décembre 2011 » sur les manquements et malfaçons commis dans les travaux de transformation et de construction de l’appartement exécutés par la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun et que la cour d’appel a relevé dans l’arrêt du
14 octobre 2021 « l’existence d’une clause dans l’annexe du compromis [de vente] qui précise qu’au cours du délai de garantie qui s’écoule entre la réception provisoire et la réception définitive, les vendeurs sont tenus aux mises au point signalées lors de la réception provisoire et à remédier à leurs frais et risques à tous les désordres qui surviendraient ou seraient constatés à l’usage pour autant qu’ils en aient été informés par écrit avant la date d’expiration de la période de garantie ».
En considérant que les demandeurs et la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun se sont « abstenus d’exécuter leur obligation telle qu’elle est prévue par la clause précitée », que « cette abstention est fautive » et qu’« il n’est pas contesté que les fautes concurrentes [de ces trois parties] ont causé le même dommage à la [défenderesse] », l’arrêt attaqué, qui retient comme cause du dommage une faute différente de celle envisagée par les conclusions
des demandeurs, répond, sans donner de celles-ci une interprétation inconciliable avec leurs termes, à ces conclusions.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la quatrième branche :
Il n’est pas contradictoire d’énoncer, d’une part, que, la cour d’appel ayant « l’obligation de soulever d’office [le moyen de droit] que la notion d’obligation indivisible permet au créancier confronté à une pluralité de débiteurs d’exiger de chacun d’eux l’intégralité de sa créance », la responsabilité des demandeurs est recherchée par l’arrêt « sur la base de la clause contractuelle par laquelle
les vendeurs se sont [indivisiblement] engagés, durant la période de garantie qui s’écoule entre les réceptions provisoire et définitive, à prendre en charge les mises au point signalées lors de la réception provisoire et à remédier à leurs frais et risques à tous les désordres qui surviendraient ou seraient constatés à l’usage », d’autre part, que la défenderesse ne se réfère pas à cette clause dans
ses conclusions.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Et le rejet du pourvoi prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent huit euros quarante-sept centimes envers les parties demanderesses, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-trois par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.