N° P.23.0977.F
A. M.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Mariana Boutuil et Harold Sax, avocats au barreau de Bruxelles,
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 juin 2023 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 30 octobre 2023, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 22 novembre 2023, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur du chef de vente et détention de stupéfiants (préventions A et B) :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur du chef de séjour illégal (prévention C) :
Le moyen est pris de la violation de l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que des articles 1, 6, 8, 15, 16 et 20 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
L’arrêt attaqué considère que l’interdiction de prononcer une peine privative de liberté du chef de séjour illégal, invoquée par le demandeur, ne s’applique pas lorsque le ressortissant d’un pays tiers a commis, outre ce délit, une ou plusieurs autres infractions.
Le demandeur fait valoir que, si un juge peut infliger une peine d’emprisonnement à un étranger pour séjour illégal, c’est moyennant le respect des deux conditions cumulatives suivantes : cet étranger a fait l’objet d’une procédure de retour assortie de mesures coercitives ; nonobstant cette procédure, il s’est maintenu sur le territoire sans justification.
D’un arrêt du 28 avril 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, il ressort que la directive Retour s’oppose à ce qu’un Etat membre puisse pallier l’échec d’une mesure coercitive adoptée afin d’éloigner l’étranger, par l’infliction d’une peine privative de liberté sanctionnant le seul fait, pour cet étranger, de se maintenir sur le territoire national après l’expiration du délai qui lui a été imparti pour le quitter.
De l’arrêt du 6 décembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, il résulte que les ressortissants de pays tiers ayant, outre le délit de séjour irrégulier, commis un ou plusieurs autres délits, peuvent le cas échéant, en vertu de l’article 2.2, b, de la directive Retour, être soustraits au champ d’application de celle-ci.
Aux termes de l’article 2.2, b, précité, les Etats membres peuvent décider de ne pas appliquer la directive aux ressortissants de pays tiers, faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national.
Cette possibilité de déroger à la directive n’a pas fait l’objet d’une transposition dans la législation applicable.
Il s’en déduit qu’un juge ne peut infliger une peine d’emprisonnement, du chef de séjour illégal, à un étranger qu’il condamne pour d’autres faits, que dans la mesure où ce dernier, soumis aux mesures coercitives visées par la directive Retour, a maintenu sa présence sur le territoire national sans l’invocation d’un motif justifié de non-retour.
N’ayant pas vérifié si les deux conditions précitées étaient réunies, les juges d’appel n’ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, en tant qu’il statue sur la peine encourue par le demandeur du chef de séjour illégal (prévention C) et en tant qu’il le condamne, sur ce fondement, à payer une contribution à la commission d’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violences ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à un tiers des frais de son pourvoi et réserve le surplus pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle, autrement composée.
Lesdits frais taxés à la somme de cent quatre-vingt-six euros dix-huit centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux novembre deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.