N° P.22.1318.F
1. G. Ch.,
2. P. P.,
3. V. R. C.,
4. P. E.,
personnes préjudiciées,
demanderesses en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Dimitri de Béco et Dries Paternot, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
N. Fr,
inculpé,
défendeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Pierre Monville, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 28 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Les demanderesses invoquent un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
1. L’arrêt dit irrecevable l’appel que les demanderesses ont formé contre l’ordonnance de la chambre du conseil déclarant n’y avoir lieu à poursuivre le défendeur. Cette décision est fondée sur la constatation que les demanderesses n’ont pas la qualité de partie civile, requise par l’article 135, § 1er, du Code d’instruction criminelle.
2. Les demanderesses soutiennent ne pas avoir été informées, lors de leur audition par la police, qu’elles pouvaient se déclarer personnes lésées, alors que, en vertu des articles 3bis, alinéa 2, et 5bis, § 1er/1, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, elles auraient dû l’être.
Dès lors qu’elles n’ont pas fait une déclaration de personne lésée, le greffier de la chambre du conseil n’a pas averti les demanderesses de la date de l’audience à laquelle cette juridiction réglerait la procédure en application de l’article 127, §§ 2 et 4, du Code d’instruction criminelle, et, en l’absence de pareille information, elles n’ont pas eu la possibilité de faire valoir leurs arguments devant la chambre du conseil après s’être constituées parties civiles.
Selon les demanderesses, la chambre des mises en accusation devait, ainsi qu’elles l’avaient sollicité, interroger à titre préjudiciel la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de l’article 127, § 2, du Code d’instruction criminelle, avec les principes d’égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles soutiennent qu’il n’est pas raisonnablement justifié que l’article 127, § 2, n’impose pas au greffier de la chambre du conseil d’avertir les victimes qui ne se sont pas constituées parties civiles ou n’ont pas fait une déclaration de personne lésée, de la date de l’audience à laquelle est fixé le règlement de la procédure, alors que, au stade du jugement de la cause par le tribunal correctionnel, l’article 182, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle oblige le procureur du Roi à communiquer « aux victimes connues » les lieu, jour et heure de la comparution.
En conséquence, les demanderesses sollicitent de la Cour qu’elle pose, à titre préjudiciel, la question suivante à la Cour constitutionnelle :
« L’article 127, § 2, du Code d’instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’il ne prévoit la convocation au règlement de la procédure, outre du ministère public et de l’inculpé, que des seules parties civiles constituées et de celui/celle qui a fait une déclaration de personne lésée, alors que l’article 182 du Code d’instruction criminelle prévoit la convocation de toutes les victimes connues, sans que celles-ci ne doivent s’être déclarées personnes lésées, lorsque la cause est portée devant le tribunal correctionnel suite à une ordonnance de renvoi, une citation directe, une convocation par procès-verbal conformément à l’article 216quater, ou encore en cas de convocation aux fins de comparution immédiate conformément à l’article 216quinquies ? ».
3. Il ressort du mémoire des demanderesses, et de la question préjudicielle proposée, que celles-ci soutiennent en substance que, en ayant déclaré leur appel irrecevable en vertu d’une disposition légale qui viole les articles 10 et 11 de la Constitution, la chambre des mises en accusation a méconnu leur droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
4. Sans être critiqué par le moyen, l’arrêt considère que, lors de leur audition par la police, les demanderesses « ont bénéficié des informations écrites suffisantes pour leur permettre d’agir au mieux de leur intérêt et d’acquérir l’une des deux qualités leur permettant d’être informées de l’évolution procédurale de l’instruction menée par le juge d’instruction », qu’elles « paraissent avoir perçu adéquatement les subtilités procédurales et le rôle endossé par chaque acteur judiciaire, écrivant notamment un courrier commun adressé au juge d’instruction le 24 mars 2021 », et que, « aussi malheureuses et frustrantes puissent être à l’estime des [demanderesses] les exigences légales et leurs conséquences procédurales qu’elles considèrent “injustes”, en étant de la sorte évincées de la procédure au stade du règlement de la procédure, seule leur méconnaissance de la loi, voire leur négligence, les y a exposées ».
5. Il ressort de ces motifs que la chambre des mises en accusation a jugé que l’absence de convocation des demanderesses à l’audience de la chambre du conseil n’avait pas constitué pour elles une situation de force majeure justifiant la recevabilité de leur appel formé contre une ordonnance de non-lieu.
La force majeure, qu’il appartient au juge du fond d’apprécier en fait, ne peut résulter que d’une circonstance indépendante de la volonté de la personne qui l’invoque. Il faut que cette personne n’ait pu ni prévoir ni conjurer cette circonstance. L’ignorance du droit ne constitue pas un cas de force majeure.
6. Par les motifs précités, sans violer le droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6.1 de la Convention, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision que l’appel des demanderesses était irrecevable.
A supposer que l’article 127, § 2, du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition légale ne prévoit pas que le greffier doit avertir la victime qui ne s’est pas constituée partie civile ou n’a pas fait une déclaration de personne lésée, de la date de l’audience à laquelle la chambre du conseil réglera la procédure, un tel constat demeurerait sans incidence sur la décision de la chambre des mises en accusation que l’irrecevabilité de l’appel des demanderesses n’est pas la conséquence d’une circonstance qu’elles n’ont pu ni prévoir ni conjurer.
Il n’y a pas lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle proposée et le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacune des demanderesses aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.