N° P.23.1105.F
K. S.,
mère de l’enfant mineure Z. G.,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Maxime Dulieu, avocat au barreau de Liège-Huy.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 27 juin 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre de la jeunesse.
La demanderesse invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Devant la cour d’appel, la demanderesse a soutenu que seules les juridictions luxembourgeoises étaient compétentes pour connaître du litige, relatif à la protection de la jeunesse.
Le moyen est pris de la violation de l’article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (ci-après Convention de La Haye).
Le moyen reproche au juge d’appel de s’être dit compétent en vertu du règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (ci-après règlement Bruxelles IIter). Selon la demanderesse, ledit règlement concerne les règles de procédure civile familiale et, partant, est étranger au cas d’espèce. Elle soutient que le litige relève du champ d’application de la Convention de La Haye, dont l’article 5 désigne comme facteur d’attribution de compétence la résidence habituelle de l’enfant.
Le moyen soutient encore que, eu égard à la situation de l’enfant, il y a lieu de considérer que celle-ci a sa résidence habituelle au Grand-Duché de Luxembourg et que la circonstance retenue par l’arrêt attaqué pour justifier la compétence de la cour d’appel, à savoir l’intervention précédente des juridictions belges, est inapte à déterminer la compétence internationale de ces dernières, tant au sens de la Convention de La Haye qu’au sens du règlement Bruxelles IIter.
L’article 1er du règlement Bruxelles IIter dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique aux matières civiles relatives : […]
b) à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.
2. Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment :
a) le droit de garde et le droit de visite […]
d) le placement d’un enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement ; […] ».
Le premier considérant dudit règlement expose que celui-ci constitue la refonte du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (ci-après Bruxelles IIbis). Le quatrième considérant précise que la notion de « matières civiles » doit être interprétée de manière autonome, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Selon cette juridiction, l’article 1er, paragraphe 1er, du règlement Bruxelles IIbis doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matières civiles », au sens de cette disposition, une décision qui ordonne la prise en charge immédiate et le placement d’un enfant en dehors de son foyer d’origine, lorsque, comme en l’espèce, cette décision a été adoptée dans le cadre des règles relatives à la protection de l’enfance.
En tant qu’il soutient que les règles précitées ne rentrent pas dans le champ d’application du règlement Bruxelles IIter, le moyen manque en droit.
Par ailleurs, en vertu de l’article 52 de la Convention de La Haye, celle-ci ne déroge pas aux instruments internationaux auxquels les Etats contractants sont parties et qui contiennent des dispositions sur les matières réglées par elle, et elle n’affecte pas la possibilité pour un ou plusieurs Etats contractants de conclure des accords qui contiennent, en ce qui concerne les enfants habituellement résidents dans l’un des Etats parties à de tels accords, des dispositions sur les matières réglées par la Convention.
Conformément à l’article 97, § 1er, du règlement Bruxelles IIter, dans les relations avec la Convention de La Haye, le règlement s’applique, sous réserve du paragraphe 2, lorsque l’enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d’un Etat membre.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque également en droit.
L’arrêt constate que l’enfant est hébergée chez sa mère au Grand-Duché de Luxembourg du vendredi au lundi, ainsi que le mercredi après-midi, qu’elle y est scolarisée et que l’essentiel de sa famille y réside. Il relève qu’il existe toutefois, en vertu des articles 12 et 13 du règlement Bruxelles IIter, une possibilité de transfert ou de prorogation de compétence vers la juridiction d’un Etat membre avec lequel l’enfant a un lien particulier. A cet égard, l’arrêt relève que, lorsque l’enfant ne se trouve pas chez sa mère, elle est hébergée chez son père en Belgique, que de nombreuses décisions qui la concernent ont été prononcées par le tribunal de la jeunesse de l’arrondissement du Luxembourg, que le juge-directeur du tribunal de la jeunesse et des tutelles du tribunal de Luxembourg a signalé par un courrier du 2 novembre 2022 ne pas souhaiter intervenir activement dans la situation de la mineure, aux motifs que les autorités judiciaires belges sont en charge de celle-ci et qu’il n’y a pas lieu de prendre une mesure qui serait en contrariété avec celles prises en Belgique.
De ces considérations, qui ne manquent pas de pertinence au regard des articles 12 et 13 du règlement Bruxelles IIter, le juge d’appel a pu déduire que, eu égard aux circonstances exceptionnelles qu’il constate, les juridictions belges sont les mieux placées pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il reproche à l’arrêt d’ordonner l’hébergement de l’enfant en dehors de son milieu de vie, sans avoir procédé à une mise en balance des intérêts en cause, et sans qu’il y ait eu un rapport médical ou psychologique permettant une appréciation factuelle de la situation de la demanderesse.
Il soutient également que le juge d’appel a sanctionné la demanderesse dans l’exercice des droits de la défense en justifiant la mesure par sa contestation de la compétence des juridictions belges.
L’article 8 de la Convention garantit notamment le droit au respect de la vie familiale. Il n’autorise l’ingérence de l’autorité publique dans ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’examen de la nécessité de l’ingérence implique de vérifier, au regard des données de fait de la cause prises dans leur ensemble, s’il existe des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier la mesure. Cet examen requiert une mise en balance entre les intérêts de l’enfant et de ses parents et, à cet égard, une importance particulière peut être accordée à celui de l’enfant qui, suivant sa nature et son caractère sérieux, peut l’emporter sur celui de ses parents.
A cette fin, le juge procède à une analyse concrète de la situation des personnes en cause sur la base d’éléments actualisés, sans qu’un rapport médical ou psychologique soit requis.
Par adoption des motifs du premier juge, l’arrêt relève en substance, sur la base d’une note de synthèse du service de la protection de la jeunesse du 21 mars 2023, que
- après une première phase durant laquelle la relation entre les parents s’était améliorée, il est apparu en mai 2022 que la communication s’est à nouveau dégradée, la demanderesse ayant découvert que le père avait renoué avec son ex-compagne ;
- ainsi, les échanges entre les parents sont essentiellement basés sur des mensonges et des menaces, les accords dégagés quant à un hébergement égalitaire n’ayant eu pour objet que d’éviter l’intervention des autorités judiciaires, au détriment du bien-être de leur enfant, de sa sécurité et de son équilibre psychoaffectif ;
- dans ce conflit, la demanderesse a fait prévaloir son intérêt personnel sur celui de sa fille en multipliant les incidents lors desquels elle dénigre la nouvelle relation amoureuse du père et se montre envahissante vis-à-vis du couple qu’elle met ainsi en péril ;
- dans ce règlement de comptes, la demanderesse, qui avait accepté la compétence des juridictions belges, s’est relancée dans une nouvelle croisade en se tournant vers les autorités grand-ducales, court-circuitant ainsi l’intervention du service belge en refusant toute collaboration, non seulement pour elle-même mais également pour sa fille qui avait interdiction de parler aux intervenants de ce service ;
- le père se montre ambivalent dans son attitude, indiquant tantôt sa volonté de se mobiliser en faveur de sa fille, et baissant tantôt les bras face aux démarches et procédures diligentées par la demanderesse ;
- celui-ci n’a pas mis en place des mesures en vue de la prise en charge d’un problème de consommation abusive d’alcool alors qu’il reconnait sa dépendance, mais il a néanmoins affirmé à l’audience, par la voie de son conseil, avoir entamé un traitement.
Par ces énonciations, qui ne censurent pas l’exercice des droits de la défense, l’arrêt décrit sur la base d’éléments actualisés les comportements par lesquels la demanderesse a rendu indispensable l’ingérence dans sa vie familiale afin de sauvegarder l’intérêt supérieur de sa fille.
Le juge d’appel a, de la sorte, contrôlé la proportionnalité de la mesure et légalement justifié sa décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante-quatre euros trente et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-cinq octobre deux mille vingt-trois par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.