N° C.19.0558.F
FEDERALE REAL ESTATE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de l’Étuve, 12, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.353.120,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre-président, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Ducale, 7-9,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
N° C.21.0109.F
RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre-président, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Ducale, 7-9,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Patricia Vanlersberghe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Colonies, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
FEDERALE REAL ESTATE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de l’Étuve, 12, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.353.120,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
en présence de
L. S.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation inscrit au rôle général sous le numéro C.19.0558.F est dirigé contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2019 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le pourvoi en cassation inscrit au rôle général sous le numéro C.21.0109.F est dirigé contre l’arrêt rendu le 23 octobre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.19.0558.F, la demanderesse présente deux moyens dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.21.0109.F, la demanderesse présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
III. La décision de la Cour
Les pourvois, dirigés contre des arrêts rendus successivement dans la même cause, sont liés entre eux par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les juger par un même arrêt.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.19.0558.F :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt non attaqué du 27 juillet 2018 constate que certaines parcelles litigieuses ont été successivement visées par un arrêté de classement du
22 septembre 1994 du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’arrêté du 3 mai 2001 du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale adoptant le plan régional d’affectation du sol, un arrêté du 15 janvier 2004 par lequel ce gouvernement retire l’arrêté du 22 septembre 1994 et entame une procédure de classement puis un arrêté de classement du 9 mars 2006 de ce gouvernement.
En ce qui concerne ces parcelles, l’arrêt attaqué considère que, s’il faut comprendre que la demande de la demanderesse ne porte pas sur l’indemnisation des conséquences du classement opéré par l’arrêté du 22 septembre 1994 mais « uniquement sur l’indemnisation des conséquences de [l’arrêté du 3 mai] 2001 et du classement [initié par l’arrêté du 15 janvier] 2004 », cette demande n’est pas fondée parce que, en 2001, ces parcelles étaient déjà non constructibles, les effets de l’arrêté du 22 septembre 1994 devant être considérés comme maintenus entre 1994 et 2004, « [de sorte que] les actes incriminés de 2001, 2004 et 2006 n’ont pu causer aucun préjudice à [la demanderesse] pour ces parcelles ».
Il considère que, s’il faut, à l’inverse, interpréter cette demande comme visant également les conséquences du classement par l’arrêté du
22 septembre 1994, elle est prescrite.
L’arrêt attaqué n’était dès lors pas tenu de répondre aux conclusions de la demanderesse faisant valoir que les arrêtés du 3 mai 2001, du 15 janvier 2004 et du 9 mars 2006 limitaient d’une manière excessive et disproportionnée son droit de propriété, que sa décision privait de pertinence.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt attaqué, qui relève que le préjudice dont la demanderesse poursuit la réparation consiste dans l’impossibilité de construire sur les parcelles dont elle est propriétaire, constate que, « en 2001, les parcelles visées par l’arrêté de classement [du 22 septembre] 1994 étaient déjà non constructibles » et que, « dans les faits, l’existence de cet arrêté de classement empêchait la réalisation du projet de lotissement envisagé sur les parcelles concernées », pour en déduire que « les actes incriminés [du 3 mai] 2001, [du 15 janvier] 2004 et [du 9 mars] 2006 n’ont pu causer aucun préjudice [à la demanderesse] pour ces parcelles ».
Ce faisant, l’arrêt apprécie in concreto si ces trois derniers arrêtés ont fait peser sur la demanderesse une charge disproportionnée et excessive.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur l’affirmation contraire, manque en fait.
Quant à la troisième branche :
Contrairement à ce que suppose le moyen, en cette branche, l’arrêt attaqué ne considère pas que la demande de la demanderesse relative aux parcelles qui ont été frappées pour la première fois d’une interdiction de bâtir en vertu de l’arrêté de classement du 22 septembre 1994 était fondée sur l’article 81 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
Conformément à l’article 16 de la Constitution et à l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité.
Il ne s’ensuit pas que, lorsqu’une mesure de l’autorité restreignant le droit de propriété constitue une violation de ces dispositions, cette violation est constitutive d’une faute qui perdure aussi longtemps que le comportement fautif de l’autorité n’a pas cessé.
Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
Le droit que reconnaît un arrêt de la Cour ne procède pas de cet arrêt.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.21.0109.F :
Sur la procédure :
L’expert judiciaire désigné par les arrêts de la cour d’appel des 18 janvier 2019 et 28 juin 2019 n’est pas partie à la procédure entre la demanderesse et la défenderesse.
Il n’y a pas lieu de déclarer le présent arrêt commun à cet expert.
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l’article 81, § 1er, alinéa 1er, du Code bruxellois de l’aménagement du territoire, il y a lieu à indemnité lorsque l’interdiction de bâtir ou de lotir résultant d’un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l’usage auquel un bien est normalement destiné au jour précédant l’entrée en vigueur de ce plan dans la mesure où ses dispositions ont valeur réglementaire et force obligatoire.
L’alinéa 2 dispose que la diminution de valeur prise en considération pour l’indemnisation doit être estimée à la différence entre, d’une part, la valeur du bien au moment de l’acquisition, actualisée jusqu’au jour où naît le droit à l’indemnité, majorée des charges et des frais supportés avant l’entrée en vigueur du projet de plan ou du plan et, d’autre part, la valeur du bien au moment où naît le droit à l’indemnisation après l’entrée en vigueur du plan, et que seule la diminution de valeur résultant du plan peut être prise en considération pour l’indemnisation.
Aux termes de l’alinéa 4, le gouvernement arrête les modalités d’exécution de cet article, notamment en ce qui concerne la fixation des valeurs du bien ainsi que l’actualisation de celles-ci.
Les dispositions des alinéas 2 et 4 de l’article 81, § 1er, précité sont identiques à celles qu’énonçaient les alinéas 2 et 4 de l’article 37 de la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Pris au visa de l’article 37, alinéa 4, de cette loi, l’arrêté royal du 24 octobre 1978 portant exécution de l’article 37, alinéa 2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, qui n’a pas été abrogé par le gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale, est, conformément à l’article 331 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire, demeuré en vigueur dans cette région.
Suivant l’article 2, alinéa 1er, de cet arrêté royal, la valeur du bien au moment de l’acquisition est actualisée en la multipliant par l’indice des prix à la consommation du mois civil précédant celui de la fixation de l’indemnité et en divisant le chiffre ainsi obtenu par l’indice moyen des prix à la consommation de l’année de l’acquisition du bien par l’ayant droit à l’indemnité, converti le cas échéant sur la même base que l’indice visé en premier lieu, et le ministre qui a l’urbanisme dans ses attributions détermine, à partir des indices officiels, l’indice moyen à prendre en considération pour chaque année.
En prescrivant cette modalité d’exécution, l’article 2, alinéa 1er, dudit arrêté royal se conforme à la volonté exprimée par le législateur à l’article 81, § 1er, alinéa 2, du Code bruxellois de l’aménagement du territoire de retenir comme base de calcul de l’indemnisation la valeur d’acquisition actualisée du bien affecté par le plan régional d’affectation du sol, mais non les augmentations de la valeur de ce bien depuis l’acquisition.
En écartant son application pour décider que l’actualisation de la valeur d’acquisition des parcelles litigieuses qui ont été frappées pour la première fois d’une interdiction de bâtir suite à l’adoption du plan régional d’affectation du sol par l’arrêté du 3 mai 2001 précité doit être faite en leur appliquant le rapport entre le prix des terrains à bâtir au moment où est né le droit à l’indemnisation et leur prix au moment de l’acquisition, l’arrêt attaqué viole les articles 81, § 1er, alinéas 2 et 4, du Code bruxellois de l’aménagement du territoire et 2 de l’arrêté royal du 24 octobre 1978.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
La cassation de cette décision s’étend à la décision d’actualiser selon le même rapport la valeur d’acquisition des parcelles litigieuses qui ont été frappées pour la première fois d’une interdiction de bâtir en vertu de l’arrêté du
15 janvier 2004 précité, en raison du lien établi entre ces décisions par l’arrêt non attaqué du 22 mai 2020.
Et il n’y a pas lieu d’examiner la seconde branche du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.19.0558.F et C.21.0109.F ;
statuant sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.19.0558.F,
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens ;
statuant sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.21.0109.F,
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il décide que l’actualisation de la valeur des parcelles litigieuses doit s’opérer par référence à l’évolution du prix des terrains à bâtir et en tant qu’il précise que l’expert judiciaire doit exécuter sa mission en tenant compte de cette décision ;
Rejette la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Les dépens taxés, dans la cause C.19.0558.F, à la somme de cinq cent sept euros deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte,
Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt octobre deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.