N° C.22.0403.F
1. COMMUNE DE SCHAERBEEK, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, en l’hôtel communal, place Colignon, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0207.367.687,
2. COMMUNE DE LINKEBEEK, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Linkebeek, place Communale, 2, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0207.484.384,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
HOLDING COMMUNAL, société anonyme en liquidation, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue des Arts, 56, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0203.211.040,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 12 avril 2022
par la cour d’appel de Bruxelles.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les faits de la cause et les antécédents de la procédure
Tels qu’ils ressortent de l’arrêt et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause et les antécédents de la procédure peuvent être résumés comme suit :
Le litige a trait à l’augmentation de capital décidée le 30 septembre 2009 par l’assemblée générale de la société anonyme Holding Communal, défenderesse, à laquelle la commune de Schaerbeek et la commune de Linkebeek, demanderesses, ont souscrit.
La défenderesse a été initialement constituée le 24 novembre 1860, sous la dénomination Crédit communal de Belgique, pour le financement des investissements des pouvoirs locaux ; les actionnaires en sont les communes et les provinces qui se financent auprès d’elle.
Après une fusion en 1996 avec le Crédit local de France qui donne naissance à la société Groupe Dexia, la défenderesse est transformée en 1998 en une société holding sous sa dénomination actuelle et détient à ce titre une participation importante dans la société anonyme Dexia et dans la société anonyme Dexia Banque, actuellement Belfius Banque.
L’augmentation de capital litigieuse intervient dans le contexte de la crise financière à laquelle les banques sont confrontées en 2008, plus particulièrement ensuite de l’augmentation de capital de la société anonyme Dexia souscrite, en septembre 2008, pour faire face à cette crise, par les États belge, luxembourgeois et français ainsi que par les actionnaires de référence de la société anonyme Dexia, dont la défenderesse qui a participé à cette augmentation de capital à hauteur de 500 millions d’euros.
Afin de pouvoir libérer cette souscription et après l’échec, au cours de l’été 2009, des tentatives de la défenderesse d’obtenir un prêt, le conseil d’administration de cette dernière décide de faire appel aux actionnaires en proposant, d’une part, une augmentation de capital par apports en numéraire donnant lieu à l’émission d’actions « cumulativement privilégiées A », d’autre part, une augmentation de capital par apport en nature des actions Dexia détenues par la Fondation Holding Communal nouvellement constituée, rémunérée par l’émission d’actions privilégiées B, cette dernière opération n’étant pas contestée.
Des contacts sont noués dans ce cadre avec l’autorité belge qui est alors
la Commission bancaire, financière et des assurances et la défenderesse propose de scinder l’augmentation de capital en deux tranches.
Dans les différents rapports qui sont alors soumis aux actionnaires conformément au Code des sociétés, l’opération envisagée est justifiée par la nécessité de renforcer les fonds propres de la défenderesse, tout en maintenant sa structure de financement historique axée sur sa participation dans la société Dexia. Une réunion d’information est organisée en septembre 2009 au cours de laquelle des informations sont données aux actionnaires et le calendrier de l’opération est adapté pour permettre de tenir compte du processus décisionnel propre aux communes et provinces impliquant l’intervention des autorités de tutelle.
Lors de l’assemblée générale du 30 septembre 2009, les actionnaires approuvent les deux augmentations de capital et décident, en ce qui concerne l’opération litigieuse d’augmentation par apports en numéraire, que la souscription s’effectuera en deux tours : au premier tour, peut souscrire tout actionnaire jusqu’à concurrence d’un montant égal à la part du capital qu’il détient et une première tranche de maximum 248 389 672,96 euros est réservée aux actionnaires qui souscrivent au moins pour 50 000 euros et une autre de maximum 1 599 324,16 euros est réservée aux actionnaires qui détiennent dans le capital une part inférieure à 50 000 euros ; le second tour est réservé aux actionnaires qui ont souscrit au premier tour pour un montant égal à leur participation initiale dans le capital. Les actions privilégiées A donnent droit pendant dix ans à un dividende privilégié de 5,32 euros brut par action, soit un rendement de 13 p.c., et elles doivent en principe être converties en actions ordinaires en 2019 pour autant que les dividendes privilégiés aient été versés.
Tous les actionnaires de la défenderesse acceptent de souscrire aux deux augmentations de capital. La première demanderesse souscrit pour 8 161 689,60 euros lors du premier tour et pour 1 359 011,84 euros lors du second et sa souscription est financée par un emprunt de 8 161 698 euros qu’elle contracte auprès de la société Dexia Banque ; la seconde demanderesse souscrit jusqu’à concurrence de 53 575,68 euros à chacun des deux tours.
Le 7 décembre 2011, l’assemblée générale extraordinaire de la défenderesse décide la dissolution et la mise en liquidation de cette société. Aucun boni de liquidation ne pouvant être distribué, les actionnaires perdent l’intégralité de leurs souscriptions, tant celles qu’ils ont consenties avant l’augmentation de capital que celles souscrites le 30 septembre 2009 et libérées.
Les demanderesses introduisent une action contre la défenderesse en demandant l’annulation de leur souscription à l’augmentation de capital litigieuse pour violation de la loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à
la négociation sur des marchés réglementés, en l’absence de publication d’un prospectus préalablement à l’invitation des actionnaires à souscrire aux augmentations de capital.
Le jugement entrepris considère que la loi, suivant en cela la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, ne régit l’offre des valeurs mobilières que pour autant qu’elles soient négociables sur le marché des capitaux et conclut que les actions de la défenderesse ne constituent pas des valeurs mobilières négociables sur le marché des capitaux.
L’arrêt confirme cette décision.
III. Le moyen de cassation
Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 3, § 1er, et 4, § 1er, de la loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés, dans la version de ces dispositions applicable avant la loi du 17 juillet 2013 modifiant, en vue de transposer les directives 2010/73/UE et 2010/78/UE, la loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés, la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, la loi du 1er avril 2007 relative aux offres publiques d’acquisition,
la loi du 2 mai 2007 relative à la publicité des participations importantes dans des émetteurs dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé et portant dispositions diverses et la loi du 3 août 2012 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d’investissements, et portant dispositions diverses ;
- articles 5, § 1er, 17 (avant leur abrogation par la loi du 11 juillet 2018 relative aux offres au public d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés) et 20 (avant sa modification par la loi du 17 juillet 2013 précitée) de la loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt « reçoit l’appel principal et le dit non fondé, reçoit l’appel incident et le dit partiellement fondé, condamne la [première demanderesse] à une indemnité de procédure de 16 500 euros envers [la défenderesse] et la [seconde demanderesse] à une indemnité de procédure de 5 500 euros pour chaque instance. Leur délaisse à chacune leurs propres dépens pour l’instance ».
L’arrêt se fonde sur l’ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et, en particulier, sur les motifs selon lesquels :
« III.1. Sur la demande en annulation
14. Sous le titre IV, ‘Le prospectus’, chapitre 1er, ‘Obligation de publier un prospectus’, les articles 17 et 20 de la loi du 16 juin 2006, dite ‘Loi Prospectus’, qui transpose notamment la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ‘concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE’, prévoient que toute offre publique d’instruments de placement effectuée sur le territoire belge et toute admission d’instruments de placement à la négociation sur un marché réglementé belge ‘requièrent la publication préalable d’un prospectus par l’émetteur, l’offreur ou la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé, selon le cas’.
Les articles 3 et 4 du titre II, ‘Définitions’, de la ‘Loi Prospectus’ définissent ce qu’il y a lieu d’entendre par ‘offre publique’ et ‘instruments de placement’.
En règle :
Article 3, § 1er. Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par ‘offre publique’ une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les instruments de placement à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces instruments de placement, et qui est faite par la personne qui est en mesure d’émettre ou de céder les instruments de placement ou pour son compte ;
Article 4, § 1er. Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par ‘instruments de placement’ :
1° les valeurs mobilières ;
2° les instruments du marché monétaire ;
3° les droits portant directement ou indirectement sur des biens meubles ou immeubles, organisés en association, indivision ou groupement, de droit ou de fait, ne conférant pas aux titulaires de ces droits la jouissance privative de ces biens dont la gestion, organisée collectivement, est confiée à une ou plusieurs personnes agissant à titre professionnel ;
4° les contrats financiers à terme (‘futures’), y compris ceux dont
le règlement s’effectue en espèces ;
5° les contrats à terme sur taux d’intérêt (‘forward rate agreements’) ;
6° les contrats d’échange (‘swaps’) sur taux d’intérêt ou devises et
les contrats d’échange sur des flux liés à des actions ou à des indices d’actions (‘equity swaps’) ;
7° les contrats d’options sur devises et sur taux d’intérêt et tous les autres contrats d’options visant à acquérir ou à céder, notamment par voie de souscription ou d’échange, des instruments de placement visés au présent article, y compris les contrats d’option dont le règlement s’effectue en espèces ;
8° les contrats dérivés sur métaux précieux et matières premières ;
9° les contrats représentatifs de droits sur des instruments de placement autres que les valeurs mobilières ;
10° tous les autres instruments permettant d’effectuer un investissement
de type financier, quels que soient les actifs sous-jacents.
L’article 5 définit les valeurs mobilières visées sous le 1° de l’article 4,
§ 1er, parmi les instruments de placement : § 1er. Pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par ‘valeurs mobilières’ toutes les catégories d’instruments de placement négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que : 1° les actions de sociétés et autres instruments de placement équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités, y compris les instruments de placement émis par des organismes de placement collectif revêtant la forme contractuelle ou de trust, en représentation des droits des participants sur les actifs de ces organismes, ainsi que les certificats représentatifs d’actions ; 2° les obligations et les autres titres de créance ou d’emprunt, y compris les certificats représentatifs de tels titres et les certificats immobiliers ; 3° toute autre valeur donnant le droit d’acquérir ou de vendre de telles valeurs ou donnant lieu à un règlement en espèces, dont le montant est fixé par référence à des valeurs mobilières, à une monnaie, à un taux d’intérêt ou rendement, aux matières premières ou à d’autres indices ou mesures.
15. Les [demanderesses] invoquent la nullité de leurs souscriptions pour violation de l’obligation de publier un prospectus, préalablement à l’invitation des actionnaires à souscrire aux augmentations de capital litigieuses. Cette publication n’ayant pas eu lieu, leurs souscriptions à l’augmentation de capital litigieuse doivent, selon elles, être tenues pour nulles de nullité absolue.
[La défenderesse] conteste l’application de la ‘Loi Prospectus’. Elle ajoute que la ‘Loi Prospectus’ ne prévoit pas la sanction de nullité en cas de manquement à l’obligation de publier un prospectus, que le caractère d’ordre public de la loi ne constitue pas une cause de nullité absolue de l’engagement de souscription pris par les [demanderesses], dès lors que l’objet et la cause de leurs souscriptions ne sont ni illicites ni impossibles et que l’article 6 du Code civil ne s’applique pas.
16. Le premier juge a décidé que la ‘Loi Prospectus’ n’était pas applicable dans le présent litige au motif que les augmentations de capital n’ont pas donné lieu à l’émission de ‘valeurs mobilières’ au sens de la ‘Loi Prospectus’, puisque les actions émises n’étaient pas négociables sur le marché des capitaux. Il ajoute que ces valeurs mobilières non négociables ne rentraient pas dans la catégorie résiduaire prévue à l’article 4, § 1er, 10°, de la ‘Loi Prospectus’.
17. Selon les [demanderesses], ‘ce raisonnement est en effet vicié : si elles ne sont pas négociables, les actions de la [défenderesse] ne sont pas des « valeurs mobilières » au sens de la loi et elles n’entrent pas dans la catégorie des « valeurs mobilières » protégées par celle-ci, mais dans la catégorie résiduaire de « tous les autres instruments » prévue à l’article 4, § 1er, 10°, de la loi. En décider autrement serait contraire à la volonté du législateur d’étendre le plus largement possible la protection des investisseurs par la publication obligatoire d’un prospectus à tous les types d’instruments de placement’ […].
18. Ainsi que le constate le premier juge, les actions émises en contrepartie des apports en numéraire à l’augmentation de capital litigieuse étaient des valeurs mobilières non négociables sur le marché des capitaux : elles ne pouvaient être détenues que par des entités communales et provinciales et leur cession était sujette à un agrément du conseil d’administration (...).
19. Certes, parmi les ‘instruments de placement’, figurent, selon
l’article 4, § 1er, 10°, ‘tous les autres instruments permettant d’effectuer un investissement de type financier, quels que soient les actifs sous-jacents’.
Toutefois, l’interprétation des [demanderesses], selon laquelle les actions litigieuses entreraient dans cette catégorie, est incompatible avec les termes de l’article 5 qui n’admet dans la définition des instruments de placement de valeurs mobilières que les actions négociables sur le marché de capitaux.
Si l’intention du législateur avait été d’inclure dans les instruments de placement toutes les actions, y compris les actions non négociables, il n’aurait pas prévu à l’article 5 que seules les actions négociables constituent des valeurs mobilières et donc des instruments de placement au sens de la ‘Loi Prospectus’.
L’interprétation de la loi doit respecter les termes et le sens de chaque disposition et rechercher une interprétation qui concilie les dispositions entre elles ; retenir l’interprétation suggérée par les [demanderesses] reviendrait à priver de sens l’article 5 de la ‘Loi Prospectus’ en ce qu’il ne vise que les actions négociables ».
L’arrêt en déduit que, « de ce fait, [les titres émis par la défenderesse] n’étaient pas des valeurs mobilières au sens de l’article 4, § 1er, 1°, lu avec l’article 5, § 1er, de la ‘Loi Prospectus’ » et, par voie de conséquence, que le jugement est donc confirmé [...] en ce qu’il rejette la demande de nullité ».
Griefs
1. L’article 20 de la Loi Prospectus consacre l’obligation préalable de publication d’un prospectus « par l’émetteur, l’offreur ou la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé, selon le cas », pour « toute opération visée au présent chapitre ».
L’article 17 de la même loi précise que cette obligation s’applique « à toute offre publique d’instruments de placement effectuée sur le territoire belge et à toute admission d’instruments de placement à la négociation sur un marché réglementé belge ».
L’offre publique d’instrument de placement est définie de la manière suivante par les articles 3, § 1er, 4, § 1er, et 5, § 1er, de la Loi Prospectus :
- « pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par offre publique une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les instruments de placement à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces instruments de placement, et qui est faite par la personne qui est en mesure d’émettre ou de céder les instruments de placement ou pour son compte »
(article 3, § 1er) ;
- « pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par instruments de placement : 1° les valeurs mobilières (...) ; 10° tous les autres instruments permettant d’effectuer un investissement de type financier, quels que soient les actifs sous-jacents » (article 4, § 1er) ;
- « pour l’application de la présente loi, il y a lieu d’entendre par valeurs mobilières toutes les catégories d’instruments de placement négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que 1° les actions de sociétés et autres instruments de placement équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités, y compris les instruments de placement émis par des organismes de placement collectif revêtant la forme contractuelle ou de trust, en représentation des droits des participants sur les actifs de ces organismes, ainsi que les certificats représentatifs d’actions » (article 5, § 1er).
Il découle de la lecture combinée de ces dispositions légales que les valeurs mobilières dont l’offre à des personnes doit donner lieu à la publication préalable d’un prospectus recouvrent, sans restriction, « les actions de sociétés ». Les « personnes » à qui l’offre est communiquée n’y sont pas définies. Il n’y est pas précisé que ces personnes ne puissent présenter des qualités communes, ni qu’elles ne puissent être déjà actionnaires. Ces dispositions légales n’exigent nullement, pour leur application, que la cession de ces actions de sociétés soit libre de toute condition.
En conséquence, que leur cessibilité fasse, ou non, l’objet de restrictions, telle la nécessité d’un agrément du conseil d’administration, ou que
les « personnes » concernées appartiennent ou non à une catégorie spécifique, telles des entités communales et provinciales, demeurent sans incidence sur l’application des dispositions légales précitées.
L’existence de ces caractéristiques ne permet pas d’écarter la faculté de négocier les actions de la société sur les marchés des capitaux, ni, partant, de les exclure, sur cette seule base, du champ d’application des dispositions légales visées au moyen.
2. Après avoir constaté que :
- « le 14 octobre 1998, la société anonyme Groupe Dexia est transformée en holding sous la dénomination société anonyme Holding communal, [la défenderesse]. Son capital est détenu par les provinces, les communes belges et des établissements publics qui ne peuvent céder leurs actions qu’avec l’agrément du conseil d’administration » ;
- « le 30 juillet 2009, [la défenderesse rencontre] deux directeurs de
la Commission bancaire, financière et des assurances chargés du contrôle opérationnel des sociétés cotées et de la surveillance des marchés financiers, pour discuter avec eux de l’application de la loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement [...] ; à la suite de cette réunion, le conseil de [la défenderesse] établit un mémorandum dans lequel il fait valoir que [...]
les opérations d’augmentation du capital réservées aux seuls actionnaires d’une société ne sont pas soumises à l’exigence d’un prospectus ; à titre subsidiaire,
il soutient que l’opération peut bénéficier de l’exemption prévue par l’article 3,
§ 2, de la loi dans la mesure où la société comptait moins de 100 actionnaires appelés à souscrire pour un montant inférieur à 50 000 euros ; par lettre
du 19 août 2009, la Commission bancaire, financière et des assurances répond que, s’il est vrai que la communication visée à l’article 593, alinéa 3, du Code des sociétés relative à l’ouverture du droit préférentiel de souscription ne constitue pas en soi un appel public à l’épargne, il ne s’ensuit pas que toutes les communications aux actionnaires relatives à cette augmentation de capital soient exclues du champ d’application de la loi ; par lettre du 21 août 2009, [la défenderesse] répond que l’augmentation de capital sera scindée en deux tranches : une première tranche serait réservée aux actionnaires appelés à souscrire au moins 50 000 euros, une seconde aux 44 actionnaires appelés à souscrire moins de 50 000 euros, en sorte que la ‘Loi Prospectus’ ne sera pas d’application ; [la défenderesse], prise par l’urgence, ne dispose en effet pas du temps nécessaire pour publier un prospectus ; la Commission bancaire, financière et des assurances n’a plus formulé d’objections » ;
- « le conseil d’administration [de la défenderesse a] propos[é] aux actionnaires […] une augmentation de capital par apports en numéraire donnant lieu à l’émission d’actions ‘cumulativement privilégiées A’ » ;
- « les convocations sont adressées aux actionnaires, par lettre recommandée du 20 août 2009, auxquelles sont joints [divers rapports établis en vertu du Code des sociétés] » ;
- « complémentairement, [la défenderesse] adresse, le 20 août 2009, une note de synthèse à ses actionnaires et, en septembre, son conseil d’administration organise une réunion d’information au cours de laquelle il donne des informations sur le contexte général de crise des marchés financiers » ;
- « l’assemblée générale de [la défenderesse] réunie
le 30 septembre 2009 approuve les deux augmentations de capital que lui propose le conseil d’administration et décide en ce qui concerne l’augmentation par apports en numéraires, qui est l’opération litigieuse, que :
• elle donne lieu aux actions privilégiées A et doit être souscrite entre
le 12 et le 26 octobre 2009 ;
• la souscription s’effectue en deux tours : au premier tour peut souscrire tout actionnaire jusqu’à concurrence d’un montant égal à la part du capital qu’il détient et une première tranche de maximum 248 389 672,96 euros est réservée aux actionnaires qui souscrivent au moins pour 50 000 euros et une autre de maximum 1 599 324,16 euros est réservée aux actionnaires qui détiennent dans le capital une part inférieure à 50 000 euros ; le second tour est réservé aux actionnaires qui ont souscrit au premier pour un montant égal à leur participation initiale dans le capital ;
• les actions privilégiées A donnent droit pendant 10 ans à un dividende privilégié de 5,32 euros brut par action, soit un rendement de 13 p.c. ;
• ces actions doivent en principe être converties en actions ordinaires en 2019 pour autant que les dividendes privilégiés aient été versés » ;
- « tous les actionnaires de [la défenderesse] acceptent de souscrire aux deux augmentations de capital. La [première demanderesse], qui est l’actionnaire bruxellois le plus important de [la défenderesse], souscrit pour
8 161 689,60 euros lors du premier tour et pour 1 359 011,84 euros lors du second. Elle reçoit 232 439 actions privilégiées A (…). La [seconde demanderesse] souscrit à concurrence de 53 575,68 euros à chacun des deux tours ; elle reçoit en contrepartie 2 616 actions privilégiées A » ;
- « le 7 décembre 2011, l’assemblée générale extraordinaire de [la défenderesse] est contrainte de décider sa dissolution et sa mise en liquidation. Aucun boni de liquidation ne pouvant être distribué, les actionnaires perdent l’intégralité de leurs souscriptions, tant celles qu’ils ont consenties avant l’augmentation de capital que celles souscrites le 30 septembre 2009 et libérées »,
l’arrêt décide que « le jugement est [...] confirmé [...] en ce qu’il rejette la demande en nullité », aux motifs en substance, que :
- « les actions émises en contrepartie des apports en numéraire à l’augmentation de capital litigieuse étaient des valeurs mobilières non négociables sur le marché des capitaux », puisqu’« elles ne pouvaient être détenues que par des entités communales et provinciales et [que] leur cession était sujette à un agrément du conseil d’administration », ce qui empêche de les qualifier « de valeurs mobilières au sens de l’article 4, § 1er, 1°, lu avec
l’article 5, § 1er, de la ‘Loi Prospectus’ » ;
- « si l’intention du législateur avait été d’inclure dans les instruments de placement toutes les actions, y compris les actions non négociables, il n’aurait pas prévu à l’article 5 que seules les actions négociables constituent des valeurs mobilières et donc des instruments de placement au sens de la ‘Loi Prospectus’ (…). Retenir l’interprétation suggérée par les [demanderesses] reviendrait à priver de sens l’article 5 de la ‘Loi Prospectus’ en ce qu’il ne vise que les actions négociables ».
Or, au regard des dispositions légales visées au moyen, les actions des sociétés, quelles que soient les conditions et éventuelles modalités devant être respectées lors de leur cession, demeurent négociables sur les marchés des capitaux, même si cette négociation doit conduire à une opération conclue avec des entités communales et provinciales et si elle est soumise à l’agrément du conseil d’administration.
3. En conséquence, l’arrêt, qui, sur la base des seules constatations précitées, décide que les actions émises par la défenderesse ne sont pas des valeurs mobilières au sens des dispositions légales visées au moyen, n’est pas légalement justifié (violation de l’ensemble de ces dispositions légales).
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
Les considérations de l’arrêt sur lesquelles s’appuie la défenderesse fondent uniquement la décision de dire non fondée la demande subsidiaire des demanderesses en réparation du préjudice causé par les fautes imputées à
la défenderesse, et non celle de dire non fondée leur demande d’annuler leur souscription à l’augmentation de capital de la défenderesse et de condamner
celle-ci à leur rembourser les sommes versées en exécution de cette souscription.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
L’article 1er, paragraphe 1er, de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE, dispose qu’elle a pour objet l’harmonisation des exigences relatives à l’établissement, à l’approbation et à la diffusion du prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé situé ou opérant sur le territoire d’un État membre.
En vertu de l’article 2, paragraphe 1er, a), aux fins de la directive, on entend par valeurs mobilières, les valeurs mobilières telles qu’elles sont définies à l’article 1er, point 4, de la directive 93/22/CEE, à l’exception des instruments du marché monétaire tels qu’ils sont définis à l’article 1er, point 5, de la directive 93/22/CEE et dont l’échéance est inférieure à douze mois.
Conformément à l’article 69 de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et
la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant
la directive 93/22/CEE du Conseil, les références à des termes définis dans
la directive 93/22/CEE, ou à des articles de ladite directive, s’entendent comme faites aux termes équivalents définis dans la directive 2004/39/CE ou aux articles correspondants de la directive.
En vertu de l’article 4, paragraphe 1er, point 18, a), de la directive 2004/39/CE précitée, on entend par valeurs mobilières, les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions.
La loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés transpose en droit belge la directive 2003/71/CE précitée.
Conformément à l’article 4, § 1er, de cette loi, pour l’application de celle-ci, les valeurs mobilières constituent des instruments de placement.
En vertu de l’article 5, § 1er, 1), de la loi, pour l’application de celle-ci, il y a lieu d’entendre par valeurs mobilières toutes les catégories d’instruments de placement négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que les actions de sociétés et autres instruments de placements équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités, en ce compris les instruments de placement émis par des organismes de placement collectif, revêtant la forme contractuelle ou de trust, en représentation des droits des participants sur les actifs de ces organismes, ainsi que les certificats représentatifs d’actions.
L’arrêt relève que « le premier juge a décidé que la loi [du 16 juin 2006] n’était pas applicable dans le présent litige au motif que les augmentations de capital n’ont pas donné lieu à l’émission de ‘valeurs mobilières’ au sens de la loi, puisque les actions émises n’étaient pas négociables sur le marché des capitaux » et confirme que ces actions « n’étaient pas des valeurs mobilières au sens de l’article 4, § 1er, 1°, lu avec l’article 5, § 1er, de la loi [du 16 juin 2006] », dès lors que de telles actions « ne pouvaient être détenues que par des entités communales et provinciales et [que] leur cession était sujette à un agrément du conseil d’administration ».
Dès lors que l’examen du moyen suppose l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1er, a), de la directive 2003/71/CE, renvoyant lui-même à l’article 4, paragraphe 1er, point 18, de la directive 2004/39/CE, il y a lieu de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle libellée au dispositif
du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait répondu à la question préjudicielle suivante :
L’article 2, paragraphe 1er, a), de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE, renvoyant lui-même à l’article 4, paragraphe 1er, point 18, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, doit-il être interprété en ce sens que la notion de valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux englobe les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat