N° P.23.0844.F
LE PROCUREUR DU ROI DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
K. S.,
prévenu,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 30 mai 2023 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Il est reproché au défendeur d’avoir commis un délit de fuite et conduit un véhicule sans avoir réussi l’examen qui lui avait été imposé par une décision judiciaire afin d’être réintégré dans le droit de conduire.
Le jugement attaqué acquitte le défendeur de ces préventions au motif que, les constatations n’ayant pas été faites personnellement par les agents au moment de l’infraction ou immédiatement après celle-ci, le procès-verbal de constat est dépourvu de la force probante spéciale visée à l’article 62 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière. Le jugement en déduit que la présomption instaurée par l’article 67bis de la loi précitée n’est pas applicable et que le ministère public ne prouve pas que le défendeur conduisait le véhicule au moment des faits.
Le moyen est pris de la violation des articles 62 et 67bis de la loi relative à la police de la circulation routière.
Il reproche aux juges d’appel d’avoir refusé de faire application de l’article 67bis, alinéa 1er, de la loi qui instaure à charge du titulaire de l’immatriculation du véhicule une présomption d’imputabilité de l’infraction constatée. Selon le demandeur, dès lors que le délit de fuite ne donne généralement pas lieu à des constatations policières au sens de l’article 62 de la loi, l’absence d’envoi d’un procès-verbal tel que visé par cette disposition ne saurait avoir pour effet d’écarter la présomption établie par l’article 67bis. Le demandeur ajoute qu’il est en pratique le plus souvent impossible d’envoyer un tel procès-verbal au contrevenant, tandis que pareille communication serait de nature à compromettre l’enquête, en levant trop tôt le secret de l’information.
En vertu de l’article 62, alinéas 1er et 8, de la loi, les agents de l'autorité désignés par le Roi pour surveiller l'application de ladite loi et des arrêtés pris en exécution de celle-ci, constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire et une copie en est adressée aux contrevenants dans un délai de quatorze jours à compter de la date de la constatation des infractions.
L’article 67bis, alinéas 1er et 2, de la loi prévoit que, lorsqu’une infraction à cette loi et à ses arrêtés d’exécution est commise avec un véhicule à moteur, immatriculé au nom d’une personne physique et que le conducteur n’a pas été identifié au moment de la constatation de l’infraction, celle-ci est censée avoir été commise par le titulaire de la marque d’immatriculation du véhicule, étant entendu que cette présomption peut être renversée par tout moyen de droit.
La présomption de culpabilité du titulaire de la marque d’immatriculation attribuée au véhicule, visée par l’article 67bis de la loi, est compatible avec l’article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si cette présomption peut être renversée et à condition que la loi la confine dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense.
À défaut d’établissement d’un procès-verbal conforme à l’article 62 de la loi ou d’envoi de cet acte au contrevenant dans le délai légal, les constatations des agents sont dépourvues de la valeur probante spéciale prévue par cette disposition. Toutefois, les constatations réalisées valent à titre de simples renseignements, dont le juge apprécie souverainement la valeur probante.
L’absence d’envoi d’un tel procès-verbal et la difficulté accrue, qui en résulte, d’en ébranler la force probante font disparaître la présomption de culpabilité du titulaire de la marque d’immatriculation du véhicule, telle que prévue à l’article 67bis de la loi relative à la police de la circulation routière.
En effet, l’obligation d’établir le procès-verbal et de l’envoyer en temps utile au contrevenant a pour objectif de permettre à ce dernier de fournir la preuve contraire des constatations.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Il ressort du jugement que le 4 novembre 2018, un véhicule immatriculé au nom du défendeur a été filmé alors qu’il circulait de manière non réglementaire et brisait le rétroviseur gauche d’un véhicule en stationnement. Le jugement ajoute que l’identification du défendeur par la police, sur la base des images filmées, du numéro d’immatriculation du véhicule impliqué et du modèle de ce dernier, a eu lieu le 22 novembre suivant, que le défendeur a été interrogé à ce sujet le 13 mai 2019 et qu’il a déclaré ne pas se souvenir des faits, parce que cela faisait longtemps qu’il ne conduisait plus. Enfin, selon le tribunal, les constatations des policiers ne relèvent pas de celles qui bénéficient de la force probante spéciale prévue par l’article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière.
Partant, en l’absence d’envoi au défendeur, dans le délai légal, d’un procès-verbal de constat d’infraction revêtu d’une force probante spéciale, l’article 67bis, alinéa 1er, de la loi ne pouvait trouver application et il appartenait au demandeur de rapporter la preuve de la culpabilité du prévenu dans les faits constatés.
Ainsi, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de dix-neuf euros quatre-vingts centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.