N° P.23.0953.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR DE CASSATION,
demandeur en annulation, sur la base de l’article 441 du Code d’instruction criminelle, des jugements rendus respectivement le 3 mai 2022, sous le numéro 2022/599, par le tribunal de police de Liège, division Huy, et le 13 mai 2022, sous le numéro 2022/136, par le tribunal correctionnel de Liège, division Huy,
en cause
C. C.,
prévenu.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par un réquisitoire reçu au greffe de la Cour le 10 juillet 2023, le demandeur dénonce, comme contraires à la loi, deux jugements dont il sollicite l’annulation dans les termes suivants :
« À la deuxième chambre de la Cour de cassation,
Le procureur général soussigné a l'honneur d'exposer que, par lettre reçue le 31 mars 2023, réf. EX PI 15, le procureur général près la cour d’appel de Liège lui a demandé de dénoncer à la Cour, conformément à l'article 441 du Code d'instruction criminelle,
1. le jugement n° 2022/599 rendu le 3 mai 2022 par le tribunal de police de Liège, division de Huy, qui condamne C. C., du chef de diverses infractions commises le 10 mars 2019, notamment à une peine principale de travail de 250 heures et, en cas d’inexécution de cette peine dans le délai légal, à un emprisonnement subsidiaire d’un an, et
2. le jugement n° 2022/136 rendu le 13 mai 2022 par le tribunal correctionnel de Liège, division de Huy, qui condamne le même prévenu, du chef de diverses infractions commises le 18 décembre 2016, notamment à des peines principales de travail de 75 et 150 heures et, en cas d’inexécution de ces peines dans le délai légal, respectivement à des amendes subsidiaires de 200 euros, portée à 1200 euros, et 500 euros, portée à 3000 euros.
Or, ledit C. C. a précédemment été condamné,
- par arrêts nos P985 et P986 rendus le 29 octobre 2021 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, du chef de faits commis de 2016 à 2018, respectivement notamment à des peines principales de travail de 50 et 65 heures et, en cas d’inexécution de ces peines dans le délai légal, à des peines d’emprisonnement subsidiaire de douze mois et un an, et,
- par jugement n° 2021/408 rendu le 3 décembre 2021 par le tribunal correctionnel de Liège, division de Huy, du chef d’infractions commises le 11 mai 2015, notamment à une peine principale de travail de 150 heures et, en cas d’inexécution de cette peine dans le délai légal, à un emprisonnement subsidiaire de six mois.
Ces cinq décisions sont passées en force de chose jugée.
Toutes les peines de travail qu’elles infligent, excédant 45 heures, sont des peines correctionnelles .
« Il ressort de l'article 60 du Code pénal qu'en cas de concours de plusieurs délits, la peine cumulée ne peut excéder trois cents heures de peine de travail » .
« Il y a concours matériel d'infractions au sens dudit article lorsque, par des actes successifs, le délinquant se rend coupable de plusieurs infractions sans avoir été condamné définitivement pour l'une d'elles au moment où il a perpétré les autres. L'article 60 s'applique non seulement lorsque les infractions concurrentes sont déférées simultanément aux juges mais aussi lorsqu'elles le sont successivement, soit au même tribunal soit à des tribunaux distincts » .
Dès lors, compte tenu des peines de travail d’un total de 265 heures déjà infligées par les deux arrêts rendus le 29 octobre 2021 et le jugement rendu le 3 décembre 2021, le tribunal de police de Liège, division de Huy, ne pouvait légalement infliger ensuite, le 3 mai 2022, une peine de travail excédant la durée de 35 heures pour des faits commis antérieurement à ces trois décisions, et le tribunal correctionnel de Liège, division de Huy, ne pouvait infliger une peine de travail le 13 mai 2022.
En vertu de l’article 441 du Code d’instruction criminelle, le procureur général près la Cour dénonce à la chambre qui connaît des pourvois en matière criminelle, correctionnelle ou de police les actes judiciaires, arrêts ou jugements contraires à la loi à la demande d’un procureur général près la cour d’appel ou du ministre compétent pour la Justice.
Lorsque la Cour annule une décision en application de l’article 441 du Code d’instruction criminelle, l’annulation de la décision profite au prévenu sans pouvoir lui nuire .
« Lorsqu’en violation de l’article 60 du Code pénal, le tribunal a prononcé des peines de travail dont le total excède trois cents heures, la Cour, saisie par un réquisitoire de son procureur général pris en application de l'article 441 du Code d'instruction criminelle, annule le jugement dénoncé en tant qu'il décide que la peine de travail réprimant les seconds faits excède le taux autorisé et en tant qu'il prévoit une peine subsidiaire » .
Partant, il y a lieu de prononcer l'annulation
1. du premier jugement dénoncé, n° 2022/599, par retranchement en tant qu'il prononce une peine de travail excédant la durée de 35 heures et avec renvoi en ce qu'il prévoit une peine subsidiaire d’un an d'emprisonnement en cas d'inexécution de celle-ci, et,
2. sans renvoi, du second jugement dénoncé, n° 2022/136, en ce qu’il inflige des peines de travail et, en cas d’inexécution de celles-ci dans le délai légal, des peines subsidiaires.
Par ces motifs,
Le procureur général soussigné requiert qu'il plaise à la Cour,
- annuler le jugement dénoncé n° 2022/599 rendu le 3 mai 2022 en ce qu'il prononce une peine de travail excédant la durée de 35 heures et prévoit une peine subsidiaire d’un an d'emprisonnement en cas d'inexécution de celle-ci ;
- renvoyer cette cause à un autre tribunal afin qu'il détermine la peine subsidiaire qui sera applicable en cas de non-exécution de la peine de travail ramenée à 35 heures ;
- annuler le jugement dénoncé n° 2022/136 rendu le 13 mai 2022 en ce qu’il inflige des peines de travail et, en cas d’inexécution de celles-ci dans le délai légal, des peines subsidiaires ;
- ordonner que mention de son arrêt sera faite en marge des deux décisions partiellement annulées. »
Bruxelles, le 7 juillet 2023.
Pour le Procureur général,
l'avocat général
(s) Michel Nolet de Brauwere ».
Le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
L’article 60 du Code pénal prévoit qu’en cas de concours de plusieurs délits, les peines seront cumulées sans qu’elles puissent néanmoins excéder le double du maximum de la peine la plus forte, la peine de travail ne pouvant en aucun cas excéder trois cents heures.
Compte tenu des peines de travail d’un total de 265 heures déjà prononcées par les décisions passées en force de chose jugée, visées dans le réquisitoire du demandeur, soit les deux arrêts rendus le 29 octobre 2021 et le jugement rendu le 3 décembre 2021, le tribunal de police de Liège, division Huy, ne pouvait légalement infliger ensuite, le 3 mai 2022, une peine de travail excédant la durée de 35 heures pour des faits commis antérieurement à ces trois décisions, et le tribunal correctionnel de Liège, division Huy, ne pouvait infliger des peines de travail le 13 mai 2022.
Il convient dès lors de faire droit à la demande.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Vu l’article 441 du Code d’instruction criminelle,
Annule le jugement dénoncé rendu le 3 mai 2022, sous le numéro 2022/599, par le tribunal de police de Liège, division Huy, en tant qu’il prononce une peine de travail excédant la durée de 35 heures et prévoit une peine subsidiaire d’un an d’emprisonnement en cas d’inexécution de celle-ci ;
Renvoie la cause, limitée à la détermination de la peine subsidiaire applicable en cas de non-exécution de la peine de travail, au tribunal de police de Liège, autrement composé ;
Annule le jugement dénoncé rendu le 13 mai 2022, sous le numéro 2022/136, par le tribunal correctionnel de Liège, division Huy, en tant qu’il prononce des peines de travail et, en cas d’inexécution de celles-ci dans le délai légal, des peines subsidiaires ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi de cette cause ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge des deux jugements partiellement annulés.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.