N° C.20.0429.F
ROYAL FOOTBALL CLUB SERAING, société anonyme, dont le siège est établi à Seraing, rue de la Boverie, 253, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0461.276.867,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
1. FÉDÉRATION INTERNATIONALE DE FOOTBALL ASSOCIATION, association de droit suisse, dont le siège est établi à Zurich (Suisse), FIFA-Strasse, 20,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
2. UNION EUROPÉENNE DES SOCIÉTÉS DE FOOTBALL ASSOCIATION, association de droit suisse, dont le siège est établi à Nyon (Suisse), route de Genève, 46,
représentée par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
3. UNION ROYALE BELGE DES SOCIÉTÉS DE FOOTBALL ASSOCIATION, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Houba de Strooper, 145, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0403.543.160,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
défenderesses en cassation,
en présence de
DOYEN SPORTS INVESTMENT LIMITED, société de droit maltais, dont le siège est établi à Sliema (Malte), Midas Court, Flat 4, 55 Triq Pace, faisant élection de domicile chez Maître Martin Hissel, avocat au barreau d’Eupen, dont le cabinet est établi à Eupen, Aachener Strasse, 33,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 12 décembre 2019 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 25 juillet 2023, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport et l’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Faits et antécédents de la procédure
Tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause et les antécédents de la procédure peuvent être ainsi résumés :
La première défenderesse est une association sans but lucratif de droit suisse qui regroupe les associations nationales responsables de l’organisation et du contrôle du football dans leurs pays respectifs.
Selon ses statuts, elle dispose d’un pouvoir réglementaire qui lui permet d’édicter des règles qui s’imposent tant à ses membres que, directement ou par l’intermédiaire desdites associations, aux clubs de football de chaque pays et aux joueurs enregistrés dans ces clubs.
La deuxième défenderesse est une association sans but lucratif de droit suisse qui regroupe les associations nationales prédécrites du continent européen.
La troisième défenderesse est une association de fait belge qui gère les deux premières divisions du football professionnel et le football amateur en Belgique, conjointement avec d’autres associations.
Ses membres effectifs sont notamment les clubs de football ; elle est l’association nationale belge membre des deux premières défenderesses, tenue de respecter et faire respecter par les clubs belges les statuts, règlements et décisions de celles-ci.
La demanderesse est une association sans but lucratif de droit belge qui dirige un club de football affilié à la troisième défenderesse.
La partie appelée en déclaration d’arrêt commun est une société privée de droit maltais qui concentre son activité de nature commerciale sur l’assistance financière aux clubs de football en Europe.
La première défenderesse a établi un règlement du statut et du transfert des joueurs dont l’article 18bis, modifié au mois de décembre 2014, dispose qu’aucun club ne peut signer de contrat permettant aux clubs adverses, et vice versa, ou à une quelconque autre partie ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes ; il ajoute que la commission de discipline de la première défenderesse peut imposer des sanctions aux clubs ne respectant pas ces obligations.
L’article 18ter du même règlement prévoit, depuis le 1er janvier 2015, l’interdiction, à partir du 1er mai 2015, pour un club ou un joueur de signer un accord avec un tiers permettant à celui-ci de prétendre à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d’un joueur d’un club vers un autre club, ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur. Le même article précise que la durée de tout accord soumis à cette interdiction et signé entre le 1er janvier 2015 et le 30 avril 2015 ne peut excéder un an à partir de la date effective.
Le 30 janvier 2015, la demanderesse conclut un accord avec la partie appelée en déclaration d’arrêt commun dont le terme contractuel est fixé au 1er juillet 2018, qui organise la conclusion de futures conventions spécifiques de financement pour tout joueur de la demanderesse qui serait choisi de commun accord par les deux parties et règle le transfert des droits économiques de trois joueurs nommément désignés ; selon cet accord, la partie appelée en déclaration d’arrêt commun devient propriétaire de 30 p.c. « de la valeur financière dérivant des droits fédératifs » de ces joueurs, la demanderesse s’interdisant de céder à un tiers sa part dans les droits économiques de ces derniers « de manière indépendante et autonome ».
Le 3 avril 2015, la partie appelée en déclaration d’arrêt commun et l’association sans but lucratif RFC sérésien citent les trois défenderesses devant le tribunal de commerce francophone de Bruxelles ; le 8 juillet 2015, la demanderesse intervient volontairement à la procédure.
Cette dernière demande au tribunal de constater l’illégalité, au regard du droit de l’Union européenne, et plus particulièrement du droit à la libre circulation des capitaux, du droit à la libre prestation de services, du droit à la libre circulation des travailleurs et du droit de la concurrence, d’une interdiction totale des pratiques exclues par les articles 18bis et 18ter précités (dites third party ownership ou third party investment), de déclarer la nullité de tout règlement contenant une telle interdiction totale, d’interdire à la troisième défenderesse de poursuivre à sa charge la procédure en cours ayant pour objet le retrait de points pris lors de matchs auxquels ont participé certains joueurs, de faire injonction à la deuxième défenderesse de modifier son « règlement sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier » de manière à le rendre compatible avec la pratique des third party ownership ou third party investment, en ce sens que le recours par un club à un tel financement ne constitue pas un motif de rejet de la licence à délivrer par cette défenderesse, de faire injonction à la première défenderesse, si elle décide de réguler la pratique des third party ownership ou third party investment de manière proportionnée, de ne pas imposer aux opérateurs des obligations de transparence qui ne seraient pas également imposées aux propriétaires ou actionnaires des clubs de football et de lui verser, en application de l’article 1382 de l’ancien Code civil belge, aux termes duquel tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, la somme provisionnelle de 500 000 euros à titre de réparation des dommages qu’elle aurait subis suite à l’application des articles 18bis et 18ter précités.
Le 7 juillet 2015, la demanderesse et la partie appelée en déclaration d’arrêt commun concluent un accord, similaire à l’accord du 30 janvier 2015, de cession de 25 p.c. des droits économiques d’un nouveau joueur, nommément désigné.
Le 4 septembre 2015, la commission de discipline de la première défenderesse déclare la demanderesse coupable de la violation des articles 18bis et 18ter précités pour avoir conclu lesdits accords ; elle lui interdit d’enregistrer des joueurs pendant quatre périodes d’enregistrement et la condamne à payer une amende de 150 000 francs suisses.
Le 7 janvier 2016, la commission de recours de la première défenderesse rejette l’appel de la demanderesse contre cette décision.
Par jugement du 17 novembre 2016, le tribunal de commerce francophone de Bruxelles se déclare sans juridiction pour connaître des demandes de la demanderesse.
Le 19 décembre 2016, la demanderesse interjette appel de cette décision.
Par une sentence du 9 mars 2017, le tribunal arbitral pour le sport suisse, saisi, conformément à une clause d’arbitrage inscrite dans les statuts de la première défenderesse, d’un recours de la demanderesse contre la décision du 7 janvier 2016, après avoir décidé que le droit applicable est constitué des règlements de la première défenderesse, du droit suisse et du droit de l’Union européenne, conclut à la légalité des articles 18bis et 18ter précités, réduit à trois périodes l’interdiction d’enregistrer des joueurs et maintient l’amende.
Le 20 février 2018, le Tribunal fédéral suisse rejette la demande d’annulation de cette sentence formée par la demanderesse.
L’arrêt attaqué, statuant sur l’appel de la demanderesse contre le jugement du 17 novembre 2016 précité, dit non fondées les demandes de la demanderesse.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente trois moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 19.1 du Traité sur l’Union européenne, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 18, 45, 56, 63, 101, 102, 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 15, 16 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, faite à Nice le 7 décembre 2000, devenue obligatoire par la ratification du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 1er, 2.1, 4 et 5 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne ;
- principe d’effectivité du droit de l’Union européenne ;
- principe de la primauté du droit de l’Union européenne sur les dispositions nationales, découlant notamment des articles 4 du Traité sur l’Union européenne et 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
- articles 23 à 28 et 1713, § 9, du Code judiciaire ;
- articles 22 à 27 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé ;
- articles 1383, 1383 et 1384 du Code civil ;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué dit non fondée la demande de la demanderesse dirigée contre la [première défenderesse] et [la deuxième défenderesse], l’en déboute et la condamne aux dépens de chacune de ces parties, liquidés pour chacune d’elles à 20 400 euros, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement par les motifs suivants :
« A. Les parties
11. La [première défenderesse] dirige le football mondial grâce à une structure pyramidale construite sur des bases statutaires. C’est une association sans but lucratif de droit privé suisse qui regroupe les associations nationales responsables de l’organisation et du contrôle du football dans leur pays et territoire respectifs. Selon ses statuts, la [première défenderesse] jouit d’un pouvoir réglementaire (mais également d’un pouvoir disciplinaire étendu), qui lui permet d’édicter des règles qui s’imposent à ses membres mais également, directement ou par l’intermédiaire desdites associations, aux clubs de football de chaque pays et aux joueurs enregistrés auprès d’eux. Ces règles doivent avoir pour objectif de promouvoir l’intégrité, l’éthique et l’esprit sportif, d’empêcher que des méthodes et pratiques telles que la corruption, le dopage ou la manipulation de matchs ne mettent en danger leur intégrité et celles des compétitions, des joueurs officiels et des clubs ou ne donnent lieu à des abus.
12. [La deuxième défenderesse] est une association sans but lucratif de droit suisse qui regroupe les associations nationales du continent européen. Selon ses statuts, elle a notamment pour but de promouvoir le football en Europe dans un esprit de ‘fair-play’, de surveiller et contrôler le développement du football en Europe sous toutes ses formes, de préparer et d’organiser des compétitions internationales en fixant les critères à respecter pour y participer, ‘d’empêcher que des méthodes ou pratiques ne mettent en danger la régularité des matchs ou des compétitions ou ne donnent lieu à des abus dans le football’ et ‘cherche à atteindre ses buts en prenant toutes les mesures qu’elle estime appropriées, telles que corps de règles, accords, conventions, décisions ou programmes’ (article 2 de ses statuts).
[La deuxième défenderesse] a édicté un règlement sur l’octroi de
la licence dont doit disposer tout club pour participer aux compétitions interclubs qu’elle organise, à savoir la ‘Ligue des champions’ et l’‘Europa League’.
En 2012, [elle] ajoute au règlement sur l’octroi de la licence une partie relative au ‘fair-play financier’ (articles 57 à 63) qui organise la règle de l’équilibre financier exigé des clubs qualifiés pour une compétition interclubs de [la deuxième défenderesse], sous réserve des exemptions prévues (clubs dont les recettes et les dépenses sont inférieures à cinq millions d’euros).
13. [La troisième défenderesse] est une association de fait belge reconnue comme organisme d’utilité publique par des arrêtés royaux des 4 janvier 1922 et 18 août 1932. Elle gère les deux premières divisions du football professionnel et le football amateur en Belgique, conjointement avec l’ACFF et la VFV. Ses membres effectifs sont les clubs de football et de futsa[l]. Elle est, en sa qualité d’association nationale belge, membre de la [première défenderesse] et de [la deuxième défenderesse] et reconnue comme seule fédération représentant le football belge. [La troisième défenderesse] et ses organes sont tenus envers [les deux autres défenderesses], sous réserve des principes généraux du droit, des dispositions d’ordre public et des législations nationales, régionales et communautaires en la matière, de respecter les statuts, les règlements et les décisions de [celles-ci] et de les faire respecter par les clubs belges. En outre, ses statuts lui confèrent un pouvoir réglementaire, exécutif, ‘sportif’, disciplinaire et juridictionnel à l’égard des clubs belges […].
15. Doyen Sports est une société privée de droit maltais créée en 2011 qui concentre son activité de nature commerciale sur l’assistance financière aux clubs de football en Europe. Selon l’article 3 de ses statuts, elle a pour objet social :
‘- l’achat et la vente de joueurs de football (que ce soit par le biais de leurs droits de représentation économique ou autrement), d’entraîneurs et de managers ;
- la représentation de joueurs de football, entraîneurs et managers dans tous les aspects de leur carrière de football, y compris les activités associées commerciales et hors du terrain (y compris, si nécessaire, par le biais d’agents agréés) ;
- le transfert de joueurs de football, entraîneurs et managers entre les différents clubs de football ;
- la représentation de clubs de football ;
- tirer profit de ou jouer un rôle actif dans la gestion quotidienne de clubs de football, à condition de respecter le règlement de la [première défenderesse] et tout autre règlement pertinent national ou international ;
- accorder des prêts à des clubs de football, et
- exercer les activités complémentaires à celles énoncées ci-dessus ou qui peuvent être nécessaires ou souhaitables pour réaliser les objets susmentionnés et, lorsque le contexte le permet, le présent article doit être interprété comme habilitant la société à exercer son pouvoir sans restriction territoriale partout dans le monde’.
16. [La demanderesse] est une association sans but lucratif de droit belge qui dirige le club de football de Seraing, affilié à la [troisième défenderesse]. [Elle] expose que :
- durant la saison 2013-2014, [ce club] évoluait en première provinciale de la région liégeoise et a été repris par de nouveaux dirigeants ‘avec l’ambition de ramener le club - le plus rapidement possible - au sein de l’élite belge, voire internationale (division 1 et coupes d’Europe)’ ;
- après le rachat du matricule du club de Boussu-Dour (division 2), il commence la saison 2014-2015 en division 2 (nationale) ;
- il ‘évolue pour l’instant toujours en division 1 amateur, soit l’antichambre du football professionnel qu’il ambitionne légitimement de retrouver au plus vite, ce qui implique de pouvoir se renforcer sportivement et financièrement’.
B. Les règles litigieuses
18. Le ‘règlement du statut et du transfert des joueurs’ de la [première défenderesse] (ci-après le règlement) établit des règles universelles et contraignantes concernant le statut des joueurs et leur qualification pour participer au football organisé. Certaines dispositions du règlement sont directement contraignantes au niveau national et doivent être incluses sans modification dans le règlement des associations nationales. D’autres doivent être intégrées par chaque association dans son propre règlement.
19. Jusqu’en 2014, l’article 18bis (‘influence d’une tierce partie sur des clubs’) du règlement prévoit :
‘1. Aucun club ne peut signer de contrat permettant à une quelconque autre partie ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes.
2. La commission de discipline de la [première défenderesse] peut imposer des sanctions aux clubs ne respectant pas les obligations stipulées dans le présent article’.
20. Le 26 septembre 2014, un communiqué de presse de la [première défenderesse] annonce qu’‘afin de protéger l’intégrité du football et des joueurs, le comité exécutif a pris une décision de principe selon laquelle la propriété des droits économiques des joueurs par des tiers sera interdite et une période transitoire sera aménagée’.
Une lettre circulaire n° 1464 de la [première défenderesse] à ses membres, du 22 décembre 2014 (ci-après la circulaire 1464), informe les associations nationales (et donc [la troisième défenderesse]) que, dans le prolongement de la décision de principe des 25 et 26 septembre 2014, le comité exécutif de la [première défenderesse] a approuvé, lors de sa séance des 18 et 19 décembre 2014, ‘des nouvelles dispositions à inclure dans le règlement du statut et du transfert des joueurs concernant la propriété des droits économiques des joueurs par des tiers et l’influence de tierces parties sur les clubs’, avec la précision qu’elles entreront en vigueur le 1er janvier 2015 et qu’elles doivent être incluses dans la liste des dispositions contraignantes au niveau national.
21. Depuis le 1er janvier 2015, l’article 18ter (‘Propriété des droits économiques des joueurs par des tiers’) du règlement dispose :
‘1. Aucun club ou joueur ne peut signer d’accord avec un tiers permettant à celui-ci de pouvoir prétendre, en partie ou en intégralité, à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d’un joueur d’un club vers un autre club, ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur.
2. L’interdiction énoncée à l’alinéa 1er entre en vigueur le 1er mai 2015.
3. Les accords couverts par l’alinéa 1er antérieurs au 1er mai 2015 peuvent rester valables jusqu’à leur expiration contractuelle. Cependant, leur durée ne peut être prolongée.
4. La durée de tout accord couvert par l’alinéa 1er signé entre le 1er janvier 2015 et le 30 avril 2015 ne peut excéder un an à partir de la date effective.
5. D’ici à la fin du mois d’avril 2015, tous les accords existants couverts par l’alinéa 1er doivent être entrés dans TMS. Tous les clubs ayant signé des accords de ce type doivent les soumettre - dans leur intégralité et en incluant tout amendement ou annexe - dans TMS, en spécifiant les informations relatives au tiers concerné, le nom complet du joueur ainsi que la durée de l’accord.
6. La commission de discipline de la [première défenderesse] peut imposer des sanctions disciplinaires aux clubs ou joueurs ne respectant pas les obligations contenues dans la présente annexe’.
Ainsi, en vertu de l’article 18ter, (i) la conclusion de nouveaux accords contraires à cette disposition est totalement interdite à partir du 1er mai 2015 ; (ii) des contrats peuvent encore être conclus et entrer en vigueur entre le 1er janvier et le 30 avril 2015 mais ils ne demeurent valables que pour une année à partir de leur signature ; (iii) les contrats conclus et entrés en vigueur avant le 1er janvier 2015 demeurent d’application jusqu’à la date de leur expiration contractuelle mais ne peuvent être prolongés au-delà.
L’article 18bis (‘Influence d’une tierce partie sur des clubs’) du règlement est également modifié en décembre 2014 et devient :
‘1. Aucun club ne peut signer de contrat permettant au(x) club(s) adverse(s), et vice versa, ou à une quelconque autre partie ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes.
2. La commission de discipline de la [première défenderesse] peut imposer des sanctions aux clubs ne respectant pas les obligations stipulées dans le présent article’.
Le tiers est ‘toute partie autre que les deux clubs transférant un joueur de l’un vers l’autre, ou tout club avec lequel le joueur a été enregistré’ (règlement, définitions, point 14).
C. Les accords [entre] Doyen Sports et la [demanderesse]
22. Le 30 janvier 2015, Doyen Sports conclut un accord de coopération avec [la demanderesse] dont le terme contractuel est fixé au 1er juillet 2018.
Cet accord organise la conclusion de futures conventions spécifiques de financement pour tout joueur [de la demanderesse] qui serait choisi de commun accord par les deux parties.
En outre, il règle d’ores et déjà le transfert des droits économiques de trois joueurs nommément désignés contre le paiement par Doyen Sports [à la demanderesse] de 300 000 euros en trois échéances, la dernière en février 2016.
Doyen Sports devient ainsi propriétaire de 30 p.c. ‘de la valeur financière dérivant des droits fédératifs’ de ces trois joueurs, ‘y inclus notamment’ (i) toute somme payée lors d’un transfert ou d’un prêt, (ii) tout paiement fait à l’un de ces joueurs en lieu et place d’un prix de transfert si le joueur signe un nouvel engagement avec [la demanderesse] à l’expiration de son contrat d’emploi, (iii) toute compensation ou paiement [à la demanderesse] qui proviendrait de la rupture du contrat d’emploi d’un des joueurs, (iv) toute valeur provenant de la cession ou de l’exploitation des droits d’image des joueurs, (v) toute valeur qui leur serait attribuée et qui interviendrait dans l’évaluation de leur prix de transfert. [La demanderesse] donne à Doyen Sports une autorisation non exclusive et mondiale de promouvoir leur transfert et s’interdit de céder à un tiers sa part dans les droits économiques des trois joueurs ‘de manière indépendante et autonome’.
23. Le 7 juillet 2015, Doyen Sports et [la demanderesse] concluent un accord similaire de cession de 25 p.c. des droits économiques d’un nouveau joueur, nommément désigné, moyennant paiement de 50 000 euros [à la demanderesse].
D. Les sanctions disciplinaires de la [première défenderesse]
24. En juillet 2015, la [première défenderesse] entame une procédure disciplinaire contre [la demanderesse] pour violation des articles 18bis et 18ter du règlement suite à la conclusion des accords avec Doyen Sports en janvier et juillet 2015.
25. Le 4 septembre 2015, la commission de discipline déclare [la demanderesse] coupable de la violation de ces articles pour avoir conclu des contrats qui permettent à une tierce partie d’acquérir, dans le cadre de travail ou de transfert des joueurs, la capacité d’influer sur l’indépendance et la politique du club. Elle lui interdit d’enregistrer des joueurs, tant au niveau national qu’international, pendant quatre périodes d’enregistrement suivant la notification de la décision, complètes et consécutives, et la condamne à payer une amende de 150 000 francs suisses.
26. Le 30 novembre 2015, [la demanderesse] interjette appel de cette décision, notifiée le 17 septembre 2015, devant la commission de recours de la [première défenderesse].
Le 4 décembre 2015, le président de la commission de recours, sur requête du 3 décembre 2015 [de la demanderesse], suspend l’exécution de la décision du 4 septembre 2015 jusqu’à ce que la commission de recours ait statué.
Le 7 janvier 2016, la commission de recours de la [première défenderesse] rejette l’appel [de la demanderesse] contre la décision du 4 septembre 2015.
27. Le 9 mars 2016, [la demanderesse] interjette appel de la décision du 7 janvier 2016, notifiée le 22 février 2016, devant le tribunal arbitral du sport.
Le 17 mars 2016, [elle] demande la suspension de cette décision jusqu’à la notification de la sentence par le tribunal arbitral du sport, ce qu’[elle] obtient le 12 avril 2016.
28. Selon le dispositif du mémoire déposé dans le cadre de la procédure disciplinaire, [la demanderesse] demande au tribunal arbitral du sport de :
- à titre principal : juger que les sanctions sont illicites en raison de l’illégalité des articles 18bis et 18ter du règlement ;
- complémentairement : confirmer qu’en tout état de cause l’interdiction d’enregistrement ne court qu’au premier jour de la période de transfert visée par l’interdiction ;
- à titre infiniment subsidiaire : juger que les sanctions sont gravement disproportionnées et y substituer une sanction satisfaisant le principe de proportionnalité.
Les moyens d’illégalité invoqués par [la demanderesse] devant le tribunal arbitral du sport sont notamment les moyens n° 1 à n° 6, n° 8 et n° 9 invoqués devant la cour [d’appel].
29. La [première défenderesse] demande au tribunal arbitral du sport de rejeter le recours et de confirmer la décision de la commission de recours.
30. Dans une sentence du 9 mars 2017, le tribunal arbitral du sport :
- constate que sa compétence n’est pas contestée et que l’appel [de la demanderesse] est recevable,
- décide que le droit applicable est constitué :
• des règlements de la [première défenderesse] et du droit suisse, y compris la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
• du droit de l’Union européenne, notamment les dispositions des traités en matière de liberté de circulation et de concurrence, et cela au titre de dispositions impératives du droit étranger au sens de l’article 19 de la loi fédérale [suisse] sur le droit international privé du 18 décembre 1987 ;
- examine la légalité des articles 18bis et 18ter du règlement au regard du droit de l’Union européenne, des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des règles de droit suisse relatives à la concurrence, et conclut que les illégalités invoquées ne sont pas démontrées par [la demanderesse] ;
- dit que la décision de la commission de recours de la [première défenderesse], fondée sur les articles 18bis et 18ter du règlement, est licite, [la demanderesse] ‘n’ayant par ailleurs invoqué aucun moyen dirigé uniquement contre cette décision, à l’exception de ceux qui sont relatifs à la proportionnalité de la sanction et des modalités d’application’ ;
- examine la proportionnalité des sanctions imposées par la commission de recours de la [première défenderesse] et ramène l’interdiction d’enregistrer des joueurs, tant au niveau national qu’international, à trois périodes d’enregistrement complètes et consécutives, suivant la notification de la sentence, tenant compte de ce que les infractions ont été commises au cours de la période transitoire ;
- maintient la condamnation au paiement d’une amende de 150 000 francs suisses dans les 30 jours suivant la notification de la sentence.
31. Le 15 mai 2017, [la demanderesse] introduit une requête en suspension et en annulation de la sentence du 9 mars 2017 devant le Tribunal fédéral suisse.
Le Tribunal fédéral suisse rejette (i) la demande de suspension le 7 août 2017, (ii) le recours en annulation le 20 février 2018.
[La demanderesse] expose qu’[elle] a formé un recours contre cet arrêt ‘auprès de la Cour européenne des droits de l’homme’.
32. Le 20 juillet 2018, [la demanderesse] demande à la [première défenderesse] ‘de bien vouloir suspendre l’interdiction d’enregistrement en ce qui concerne les enfants de 5 à 18 ans, jusqu’à ce que la justice étatique ait rendu son verdict’.
Le 6 août 2018, la [première défenderesse] rejette cette demande en faisant état de la décision définitive du Tribunal fédéral suisse confirmant la sentence du [tribunal arbitral du sport] qui a reconnu la validité de l’interdiction de la pratique dite third party ownership ou third party investment et des sanctions disciplinaires, et de ce que (i) ‘plusieurs juridictions belges ont également reconnu la légalité aussi bien de l’étendue que de la portée des sanctions’ et (ii) ‘le fait que la cour d’appel […] doive rendre sa décision sur les mesures préalables demandées sur le pied de l’article 19.3 du Code judiciaire belge n’est à présent pas pertinent’ […].
IV. Les demandes formées devant la cour [d’appel]
46. Aux termes du dispositif des conclusions du 29 octobre 2018, [de la demanderesse] et des intervenants volontaires […] :
‘Les demandes formulées au fond sont actuellement les suivantes :
À titre principal
Adresser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
Question 1
Les interdictions totales des third party ownership [ou] third party investment (notamment celles qui sont promulguées dans la circulaire […] 1464 et résultant de l’application des nouveaux articles 18ter ou 18bis) sont-elles compatibles avec la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?
Question 2
Complémentairement, ces mêmes interdictions totales des third party ownership [ou] third party investment sont-elles compatibles avec la libre circulation des travailleurs, garantie par l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou la libre prestation de services, garantie par l’article 56 et consolidée par les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ?
Question 3
Complémentairement, la circonstance que l’interdiction édictée par la [première défenderesse] interdit certains investissements et exclut du « marché des droits économiques dérivant des droits fédératifs des joueurs » ou encore du « marché des transferts » (donc, d’un marché propre au secteur du football et portant sur la cession de créances futures) tous les « tiers », y compris les joueurs eux-mêmes, mais permet à tous les anciens clubs d’un joueur de faire le commerce de tels « droits économiques » amène-t-elle à considérer que cette interdiction constitue un abus d’exclusion (article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ou une restriction par objet (article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ? À défaut, s’agit-il d’une restriction par effet ? La réponse à cette question est-elle influencée par la circonstance que la [première défenderesse] n’a pas mis en place, au niveau mondial, des mesures réglementaires destinées à garantir la transparence et la probité des propriétaires de clubs ?
Question 4
Dès lors que, selon [la deuxième défenderesse], une généralisation (au niveau mondial ou à tout le moins européen) d’une interdiction totale des third party ownership [ou] third party investment est indispensable afin de garantir l’effectivité de « l’obligation d’équilibre financier » prévue par l’article 57 du règlement [de celle-ci] « sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier » et dès lors que cette « obligation d’équilibre financier » implique elle aussi une restriction de la liberté d’investissement, cette restriction édictée par [la deuxième défenderesse] est-elle compatible avec l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et - si elle est compatible - cette « obligation d’équilibre financier » peut-elle justifier l’interdiction totale du third party ownership ?
Alternativement, faut-il considérer que l’obligation d’équilibre financier du règlement sur le fair-play financier et l’interdiction totale du third party ownership ne forment en réalité qu’un accord global, limitant les investissements, auquel sont parties [les deux premières défenderesses] (et leurs membres), la légalité éventuelle de cet accord global (et de cette entrave globale) par rapport aux articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne susmentionnés devant alors faire l’objet d’une appréciation d’ensemble ?
Question 5
Au regard des articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne susmentionnés et de l’arrêt Piau, la [première défenderesse] (ainsi que ses confédérations et ses fédérations membres) dispose-t-elle d’une quelconque légitimité pour interdire ou réguler une activité (en l’espèce d’investissement) menée par des « tiers », c’est-à-dire par des entités qu’elle ne contrôle pas statutairement ? À cet égard, la circonstance que cette même activité peut être librement exercée par ses membres ultimes, les clubs, est-elle pertinente ?
Question 6
Quel test de proportionnalité convient-il d’appliquer à des fédérations sportives lorsqu’il s’agit d’apprécier l’éventuelle légitimité d’entraves et de restrictions à des libertés fondamentales par leurs statuts et règlements ?
Questions 7
- Le tribunal arbitral du sport peut-il être considéré comme étant un véritable tribunal arbitral (qu’il siège en procédure ordinaire ou d’appel), impartial et indépendant, et donc comme un tribunal au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? Notamment, doit-on considérer que le tribunal arbitral du sport satisfait à l’exigence, posée par l’article 47 de ladite charte, qu’un tribunal soit « établi ‘préalablement par la loi’ » ?
- À supposer même que le tribunal arbitral du sport soit véritablement un tribunal arbitral, l’arbitrage forcé imposé à tous les acteurs du secteur sportif (et donc à toutes les entreprises et ressortissants de l’Union européenne concernés), même pour des faits et règlements en relation avec le territoire de l’Union européenne, viole-t-il l’ordre public de l’Union européenne (libertés de circulation, droit de la concurrence, article 47 de la charte [précitée], etc.), dès lors que cette imposition d’un arbitrage en Suisse a pour effet, ou même pour objet, d’amoindrir l’effectivité du droit de l’Union européenne, voire (au vu de l’article 190 de la loi fédérale sur le droit international privé suisse) d’empêcher purement et simplement toute sanction de sa violation, sachant par exemple que l’imposition d’un tel arbitrage empêche l’accès à un juge habilité à mettre en oeuvre l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?
- Dès lors que [la cour d’appel] jugerait que le tribunal arbitral du sport n’est pas indépendant de la [première défenderesse] et de ses membres, au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, faut-il considérer que, lorsqu’il contribue à l’effectivité de dispositions réglementaires de la [première défenderesse] (ou de ses membres) violant une liberté de circulation ou le droit de la concurrence, le tribunal arbitral du sport est coauteur de ladite violation et donc, notamment, partie à l’accord contraire à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?
Question 8
- Des sanctions disciplinaires contenues dans une sentence du tribunal arbitral du sport résultant d’un tel arbitrage et affectant un droit garanti par le droit de l’Union peuvent-elles être mises en œuvre dans un État membre par les fédérations sportives concernées sans que celles-ci procèdent à l’exequatur de ladite sentence, ce qui, de nouveau, empêche tout contrôle de sa conformité à l’ordre public du droit de l’Union ?
- Dès lors que des sanctions disciplinaires infligées par la [première défenderesse] et confirmées par le tribunal arbitral du sport ont pour objet de sanctionner le non-respect d’une règle de [la première défenderesse] (l’interdiction totale du third party ownership) violant certaines libertés fondamentales de l’Union européenne, ces sanctions disciplinaires constituent-elles également des violations (secondaires) de ces mêmes libertés, dans la mesure où elles contribuent à l’efficacité de la violation primaire ?
- Dès lors que ces sanctions ont notamment consisté à interdire l’engagement de joueurs ressortissants des États membres de l’Union européenne (et plus généralement d’enregistrer tout joueur, même s’agissant d’enfants), au lieu de se limiter à frapper les dirigeants du club, faut-il considérer qu’il y a là violation du principe de proportionnalité ?
- Plus généralement, les sanctions disciplinaires prononcées en l’espèce par le tribunal arbitral du sport violent-elles le principe de proportionnalité tel qu’il est rappelé dans l’arrêt Meca-Medina [de la Cour de justice de l’Union européenne] ?
- Ces mêmes sanctions, dès lors qu’elles frappent notamment des tiers, y compris des enfants, violent-elles le principe de personnalité des peines, considéré en tant que principe général du droit de l’Union ?
À la lumière de l’arrêt qui sera rendu par la Cour de justice de l’Union européenne :
- constater l’illégalité sur la base du droit de l’Union européenne d’une interdiction totale du third party ownership (et en particulier l’illégalité de la circulaire 1464), déclarer la nullité de tout règlement contenant une telle interdiction totale (dont la circulaire 1464) sur la base des articles 63, 45, 56, 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
- faire interdiction à [la deuxième défenderesse] d’adopter quelque mesure que ce soit (notamment dans le cadre du fair-play financier et tirant motif du prétendu lien de nécessité qui existerait entre l’effectivité du fair-play financier et l’interdiction totale du third party investment) qui, en substance, équivaudrait aux dispositions visées à la circulaire 1464 (par exemple, comme l’évoque [la deuxième défenderesse] elle-même : interdire de participation à ses compétitions les joueurs « third party investment ») et donc entraverait de manière injustifiée la liberté des third party ownership ou third party investment ;
- faire injonction à [la deuxième défenderesse] de modifier, dans le mois de la signification du jugement à intervenir, son règlement « sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier » de manière à le rendre compatible avec la pratique des third party ownership ou third party investment, en ce sens que le recours par un club au financement « third party ownership ou third party investment » (tel qu’il serait éventuellement régulé de manière proportionnée par la [première défenderesse] à l’avenir) ne constitue pas un motif de rejet de la licence [de la deuxième défenderesse] ni de violation de « l’exigence d’équilibre financier », ce sous peine d’une astreinte de 500 000 euros par jour de retard dans l’exécution ;
- une fois l’interdiction totale des third party ownership ou third party investment déclarée illégale, faire injonction à la [première défenderesse], si elle décide de réguler la pratique du third party ownership ou third party investment de manière proportionnée, de ne pas imposer aux opérateurs « third party ownership ou third party investment » des obligations de transparence qui ne seraient pas - dans le même temps - imposées aux propriétaires ou actionnaires des clubs de football ;
- ensuite, condamner solidairement, in solidum ou l’une à défaut de l’autre les [défenderesses et un tiers] à verser [à la demanderesse], à titre de réparation de ses divers préjudices, un montant d’un euro à titre provisionnel et, pour le surplus, réserver à statuer quant à l’évaluation du dommage subi ;
- réserver à statuer quant aux dépens ;
À titre subsidiaire :
- constater l’illégalité sur la base du droit de l’Union européenne d’une interdiction totale du third party ownership (et en particulier l’illégalité de la circulaire 1464), déclarer la nullité de tout règlement contenant une telle interdiction totale (dont la circulaire 1464) sur la base des articles 63, 45, 56, 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
- faire interdiction à [la deuxième défenderesse] d’adopter quelque mesure que ce soit (notamment dans le cadre du fair-play financier et tirant motif du prétendu lien de nécessité qui existerait entre l’effectivité du fair-play financier et l’interdiction totale du third party investment) qui, en substance, équivaudrait aux dispositions visées à la circulaire 1464 (par exemple, comme l’évoque [la deuxième défenderesse] elle-même : interdire de participation à ses compétitions les joueurs « third party investment ») et donc entraverait de manière injustifiée la liberté des third party ownership ou third party investment ;
- faire injonction à [la deuxième défenderesse] de modifier, dans le mois de la signification du jugement à intervenir, son règlement « sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier » de manière à le rendre compatible avec la pratique des third party ownership ou third party investment en ce sens que le recours par un club au financement « third party ownership ou third party investment » (tel qu’il serait éventuellement régulé de manière proportionnée par la [première défenderesse] à l’avenir) ne constitue pas un motif de rejet de la licence [délivrée par la deuxième défenderesse] ni de violation de « l’exigence d’équilibre financier », ce sous peine d’une astreinte de 500 000 euros par jour de retard dans l’exécution ;
- une fois l’interdiction totale des third party ownership ou third party investment déclarée illégale, faire injonction à la [première défenderesse], si elle décide de réguler la pratique des third party ownership ou third party investment de manière proportionnée, de ne pas imposer aux opérateurs « third party ownership ou third party investment » des obligations de transparence qui ne seraient pas - dans le même temps - imposées aux propriétaires ou actionnaires des clubs de football ;
- ensuite, condamner solidairement, in solidum ou l’une à défaut de l’autre les [défenderesses et un tiers] à verser [à la demanderesse], à titre de réparation de ses divers préjudices, un montant d’un euro à titre provisionnel et, pour le surplus, réserver à statuer quant à l’évolution du dommage subi ;
- réserver à statuer quant aux dépens ;
À titre infiniment subsidiaire :
Limiter les dépens éventuellement accordés aux [défenderesses et à un tiers] au montant de base prévu pour les litiges non évaluables en argent.
Selon le dispositif de leurs conclusions du 6 juin 2019, Doyen Sports, [la demanderesse] et les intervenants volontaires […] demandent à la cour [d’appel] de « dire pour droit que tant Doyen Sports que [la demanderesse] sont recevables à agir ; allouer [à ces parties] le bénéfice de leurs dernières conclusions de synthèse au fond »’.
V. Discussion - Décision de la cour d’appel
V.1. Les moyens des parties - Vue d’ensemble
5.1. [La demanderesse] et les intervenants volontaires […] invoquent treize moyens à l’appui de leurs demandes :
1) la violation du droit à la libre circulation des capitaux ;
2) la violation du droit à la libre prestation de services ;
3) la violation du droit à la libre circulation des travailleurs ;
4) la violation de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
5) la violation de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
6) la violation du droit de propriété tel qu’il est garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
7) l’illégalité de la règle [de la deuxième défenderesse] sur le ‘fair-play financier’ au regard du droit de l’Union européenne (articles 63, 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ;
8) l’illégalité des sanctions au regard ‘des libertés fondamentales de l’Union européenne’ ;
9) l’illégalité des sanctions au regard du principe de proportionnalité ;
10) l’illégalité des sanctions au regard du principe de personnalité des peines ;
11) ‘le tribunal arbitral du sport ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité prévues par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’ ;
12) ‘l’imposition de cet arbitrage forcé renforce l’efficacité des violations des libertés fondamentales de l’Union européenne et, plus largement, a privé [ces parties] des droits de l’Union européenne qui leur sont garantis’ ;
13) l’absence d’exequatur de la sentence du 9 mars 2017 du tribunal arbitral du sport […].
À titre subsidiaire, la [première défenderesse] conteste tous les moyens invoqués par [la demanderesse] et les intervenants volontaires […] et fait valoir entre autres que (i) l’effet positif de la chose jugée s’attachant à la sentence du 9 mars 2017 du tribunal arbitral du sport fait obstacle à la remise en cause de la légalité de l’interdiction du third party ownership dans le cadre de la présente procédure et (ii) la cour [d’appel] doit faire sienne la motivation retenue dans son arrêt de référé du 10 mars 2016 pour conclure à l’absence d’apparence d’illégalité de l’interdiction du third party ownership, car cette motivation demeure ‘pleinement concluante pour la solution au fond’ […].
V.4. Quant à la demande [de la demanderesse]
68. Il convient de rappeler à ce stade de l’examen de la cause que [la demanderesse] recherche la responsabilité [des trois défenderesses] sur la base des articles 1382 et suivants du Code civil.
[La demanderesse] soutient que :
- [elles] violent le droit de l’Union européenne en l’empêchant de conclure des conventions ‘third party investment ou third party ownership’ ;
- cette violation du droit de l’Union européenne la prive d’un moyen de financement ou de développement ;
- les sanctions disciplinaires ont eu des conséquences préjudiciables, notamment :
• ‘l’impossibilité de renforcer le noyau de son équipe première par le recrutement de nouveaux joueurs, [...] ce qui a inévitablement entravé la progression sportive de l’équipe qui végète toujours en D1 amateur’ alors que ses nouveaux dirigeants avaient pour objectif de ‘retrouver ou plus vite l’élite du football belge et faire partie des 24 clubs professionnels du pays (division 1A ou division 1B)’ ;
• ‘la sanction frappant jusqu’aux enfants de plus de cinq ans a eu des conséquences néfastes considérables sur les équipes de jeunes en tant que telles et sur le développement de l’école des jeunes, le club ayant été empêché pendant trois périodes consécutives d’enregistrer de nouveaux jeunes ou de prolonger l’enregistrement de jeunes déjà au club, ce qui a eu pour effet la désinscription et le forfait d’une dizaine d’équipes dans divers championnats, le tout n’étant évidemment pas sans incidences financières puisqu’il y a eu un manque à gagner sur les cotisations d’affiliation versées par les nouveaux arrivants ainsi que sur les droits d’entrée perçus lors des matchs disputés au club, outre certaines amendes infligées au club lorsqu’il a décidé de faire jouer certains jeunes malgré l’interdiction - inique - infligée’ ;
• [les] frais et honoraires des défenseurs du club ;
• [la] sanction financière de 150 000 francs suisses ;
• [un] ‘préjudice moral et réputationnel’ […].
V.4.2. Quant au fond
75. Il appartient [à la demanderesse], demandeur en responsabilité civile, de prouver la faute [des défenderesses], le dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage tel qu’il s’est réalisé concrètement (articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).
Si ces éléments sont démontrés, la victime a droit à la réparation intégrale de son dommage, ce qui implique qu’elle doit être replacée dans la situation dans laquelle elle serait restée si la faute dont elle se plaint n’avait pas été commise (sur les principes concernant le dommage, voir notamment P.A. Foriers et E. de Duve, ‘Aspects du dommage réparable et des dommages et intérêts’, in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Larcier, Conférence du Jeune Barreau, 2016, pp. 321 et suivantes ; N. Estienne, ‘Le dommage réparable : quelques questions d’actualité’, in Trois conditions pour une responsabilité civile. Sept regards, Anthemis, 2016, pp. 51-80).
76. [La demanderesse] demande à la cour [d’appel] de constater l’illégalité des articles 18bis et 18ter du règlement car ils violeraient le droit de l’Union européenne et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce qui entraîne, selon elle, la responsabilité de la [première défenderesse].
En ce qui concerne la [première défenderesse]
77. La question de la légalité des articles 18bis et 18ter du règlement au regard du droit ayant été débattue par [la demanderesse] et la [première défenderesse] dans le cadre de la procédure disciplinaire arbitrale, [cette dernière] oppose l’effet positif de la chose jugée s’attachant à la sentence du 9 mars 2017 du tribunal arbitral du sport.
Selon la [première défenderesse], [la demanderesse] ne peut plus remettre en cause la licéité de l’interdiction totale de la pratique du third party investment ou third party ownership.
A. Les moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 - En bref
78. [La demanderesse] soutient que les articles 18bis et 18ter du règlement violent plusieurs dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens ont trait à la violation de libertés fondamentales. Les quatrième et cinquième moyens concernent le droit de la concurrence. Le sixième moyen est relatif au droit de propriété tel qu’il est garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le huitième moyen concerne la légalité des sanctions disciplinaires.
Premier moyen
79. [La demanderesse] invoque la violation de l’article 63.1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose : ‘Dans le cadre des dispositions du présent chapitre (les capitaux et les paiements), toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites’.
Il fait valoir qu’‘il est patent que l’interdiction du third party ownership est de nature à entraver la libre circulation des capitaux étant donné que - à titre d’exemple - elle empêchera un third party ownership belge d’investir dans un club espagnol ou portugais ou - comme en l’espèce - un third party ownership maltais d’investir dans un club belge’.
Deuxième moyen
80. [La demanderesse] invoque la violation de l’article 56, alinéa 1er, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui dispose : ‘Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation’, et de l’article 1-6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dispose : ‘La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales’.
Elle expose que ‘l’effet de déflation généré par l’interdiction du third party ownership sur les coûts « joueurs » (salaires, sommes de transferts, nombre de transferts ou renouvellement de contrats existants, etc.) entraînera une diminution du volume des services et du niveau de rémunération que les agents de joueurs seront en mesure de prester et d’obtenir. De plus, l’action des third party ownership ou third party investment eux-mêmes - dans bien des cas - sera constitutive d’une prestation de services au sens du droit de l’Union européenne et - par ailleurs - engendrera des prestations de services financiers transnationaux (transferts bancaires, etc.)’.
Troisième moyen
81. [La demanderesse] invoque la violation de l’article 45, alinéas 1er et 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose : ‘La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail’, et la violation de l’article 15, alinéas 1er et 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dispose : ‘Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout État membre’.
Selon [la demanderesse], ‘il n’est pas contestable que l’interdiction du third party ownership limitera les opportunités dont disposent certains citoyens européens (les joueurs de football professionnel dont le transfert international aurait été rendu possible par un apport « third party ownership ») de quitter leur État membre d’origine en vue de trouver un emploi dans un club établi dans un autre État membre. En effet, dès lors que les défenderesses affirment que le third party ownership « nuit à la stabilité contractuelle », il leur faut bien admettre que - corrélativement - le third party ownership ou third party investment est susceptible de favoriser la libre circulation et donc que l’interdiction du third party ownership empêchera de multiples joueurs d’exercer leur droit à la libre circulation’.
82. [La demanderesse] soutient, en ce qui concerne les entraves aux libertés de circulation des capitaux, des services et des travailleurs, que si, en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ‘certaines entraves aux libertés fondamentales sont acceptables si elles sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et strictement proportionnées à la réalisation de l’objectif noble ainsi poursuivi’, les entraves résultant de l’interdiction de la pratique des third party ownership ou third party investment ‘ne peuvent en aucun cas, pour des raisons identiques à celles qui seront examinées dans le cadre de l’analyse de l’interdiction du third party ownership au regard de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne […], être considérées comme étant justifiées (« inhérentes » et « proportionnées ») par une « raison impérieuse d’intérêt général » et que, « plus fondamentalement », dès lors qu’il est avéré que la finalité (« l’objet ») de la circulaire 1464 est de nature purement économique (monopoliser un marché donné au profit des clubs) et que les objectifs nobles mis en avant par [les défenderesses] ne sont qu’un leurre, il n’y a même pas lieu d’examiner ici les justifications mises en avant par [ces dernières]’, mais [la demanderesse] fait cet examen à titre subsidiaire.
En ce qui concerne la charge de la preuve de l’éventuelle justification de l’entrave aux libertés de circulation, [elle] fait valoir qu’elle incombe aux États membres et a fortiori aux organisations privées.
Quatrième moyen
83. [La demanderesse] invoque la violation de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose : ‘Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables ;
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ;
c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats’.
[La demanderesse] fait valoir que l’analyse de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 16 janvier 2005, Piau, T-193/02, est transposable en l’espèce et que, ‘dès lors que la [première défenderesse] s’est arrogé le pouvoir exclusif de réguler le marché des transferts (et ensuite d’étendre son activité régulatrice à des tiers présents sur ce marché, en l’espèce les third party ownership ou third party investment), il est incontestable qu’elle détient une position dominante sur ce marché, même si elle n’y est pas un acteur direct.
Le fait que la [première défenderesse] se soit arrogé ce pouvoir exclusif de régulation internationale relève de l’évidence à la lecture de son règlement sur le statut et le transfert des joueurs, dont - à titre d’exemple - l’article 1.7 dispose : « Le présent règlement établit des règles universelles et contraignantes concernant le statut des joueurs et leur qualification pour participer au football organisé, ainsi que leur transfert entre des clubs appartenant à différentes associations »’.
Elle soutient que ‘[l’abus] consiste à exclure, purement et simplement et de manière absolue, tous les opérateurs actuels et potentiels qui ne sont pas des clubs, qualifiés par la [première défenderesse] de « third party ownership » (y compris les joueurs eux-mêmes), du marché concerné afin de réserver ce juteux marché à ses membres ultimes, les clubs’.
Cinquième moyen
84. [La demanderesse] invoque la violation de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose : ‘Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ;
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ;
c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ;
d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;
e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats’.
[La demanderesse] soutient qu’‘à supposer que l’on considère que le contenu de la circulaire 1464 est non pas le fait (l’abus) d’une position dominante collective mais un accord (entre les membres de la [première défenderesse], dont [la troisième défenderesse], avec la participation des représentants des confédérations formant la [première défenderesse], dont [la deuxième défenderesse]), ou une décision d’une association (la [première défenderesse]) d’entreprises (les confédérations, les fédérations nationales et - in fine - les clubs qui les composent) ou encore à tout le moins une pratique concertée, alors ce qui est qualifié d’abus d’exclusion sous l’angle de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit être considéré comme étant une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101.1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Alternativement, il s’agit d’une restriction par effet’.
85. [Elle] expose au préalable qu’il n’est pas nécessaire de définir le marché concerné en ce qui concerne la restriction par objet. [La demanderesse] définit ce marché, pour établir la restriction par effet, comme suit : ‘En synthèse, si l’on se place sous l’angle des clubs, le marché primaire concerné est le marché des matchs de football qui sont joués, tant au niveau national qu’au niveau européen, dans le cadre de compétitions organisées et, en aval, le marché des divers droits que ces clubs peuvent commercialiser en rapport avec ces matchs (ticketing, sponsoring, merchandising, droits audiovisuels, etc.). De manière à exister et à rencontrer le succès sur ce marché, les clubs de football doivent, à titre de prérequis, se faire concurrence sur le marché des services des joueurs professionnels, lesdits joueurs étant considérés (pour les besoins de l’analyse concurrentielle) comme la « matière première », le « facteur de production » indispensable afin de permettre aux clubs de produire leur produit final, c’est-à-dire des matchs de football professionnel. Au sens de l’article 101.1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les services professionnels des joueurs doivent être considérés comme constituant une « source d’approvisionnement » pour l’obtention de laquelle les clubs de football se font concurrence’.
[La demanderesse] allègue que les articles 18bis et 18ter du règlement génèrent les restrictions de concurrence suivantes :
- les restrictions à la liberté d’investissement limitent la liberté de financement des clubs et ‘frappent le processus concurrentiel en son cœur : les clubs se voient restreints dans la définition de leur politique de recrutement’ ;
- ‘en raison de ces restrictions de concurrence sur le marché des services des joueurs, des restrictions de concurrence naissent sur le marché primaire évoqué ci-dessus, à savoir celui des matchs de football faisant partie de compétitions organisées. Certains clubs - parce qu’ils auront été entravés dans leur recrutement - par exemple ne se qualifieront pas pour l’UEFA champions league ou pour l’Europa league (ce qui induira une ossification de la structure de marché existant) ou seront moins performants (et donc moins rentables) dans leurs compétitions nationales’ ;
- ‘les dispositions réglementaires de la circulaire 1464 (et autres dispositions dénoncées interdisant les third party ownership ou third party investment) ont pour objet de réserver à certains des opérateurs présents sur le marché (à savoir le club employeur d’un joueur donné, le club désireux d’acheter ledit joueur, ainsi que tous les clubs auprès desquels le joueur a été - à un moment donné - enregistré par le passé) le commerce portant sur les « droits économiques » relatifs audit joueur. Corrélativement, ces dispositions excluent donc tous les autres opérateurs, qualifiés de « tiers » (ces « tiers » […] pouvant aussi bien être une banque publique, un fonds tel que Doyen Sports ou encore le joueur lui-même). Selon ces dispositions, les clubs qui enfreindraient cette interdiction et commerceraient néanmoins avec des « tiers » se verront infliger diverses sanctions disciplinaires, par la [première défenderesse] et par ses membres, il ne fait donc pas de doute que la « monopolisation » du marché au profit de certains opérateurs et - corrélativement - l’exclusion de tous les autres opérateurs seront particulièrement effectives’ ;
- ‘partant, ce sont bien évidemment les consommateurs du produit « football » qui souffriront de recevoir un produit de moindre qualité. Ce sera tout particulièrement le cas de tous les supporters (consommateurs) des clubs de « moindre taille » […], qui souffriront d’une « moindre compétitivité » […] et qui donc offriront nécessairement à leurs clients finaux un produit (le spectacle sportif) de moindre qualité (produit que le consommateur payera pourtant plus cher puisque - face à l’interdiction de recourir au third party ownership - certains clubs seront contraints d’augmenter le prix des billets, l’interdiction du third party ownership générant alors une restriction sur les prix’.
86. [La demanderesse] allègue que les objectifs légitimes avancés par la [première défenderesse] est un leurre, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de s’interroger sur la question de la proportionnalité de l’interdiction totale de la pratique des third party ownership ou third party investment, mais [elle] le fait néanmoins, à titre subsidiaire.
[Elle] considère qu’[elle] rapporte la preuve de l’infraction aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne conformément à l’article 2 du Règlement L/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du traité qui dispose : ‘Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101 et 102] du traité, la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1er, ou de l’article [102] du traité incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue’, et que la [première défenderesse], qui doit prouver que l’interdiction totale de la pratique des third party ownership ou third party investment est justifiée et proportionnée à la réalisation de ses objectifs légitimes, ne rapporte pas cette preuve.
Sixième moyen
87. [La demanderesse] ‘[signale] que les règles de la [première défenderesse] querellées violent également le droit de propriété tel qu’il est garanti par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’ et se borne à citer à l’appui de cette affirmation l’extrait suivant d’un article de M. M. : ‘[...] sans le secours d’une base légale étatique, sans une finalité d’utilité publique, dont elle serait bien en peine de justifier, et sans une juste indemnisation, la [première défenderesse] ne saurait restreindre le droit de propriété des clubs et des joueurs comme elle le fait avec l’article 78ter de son règlement. C’est contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, c’est contraire au droit français des biens, c’est contraire au droit de propriété tel qu’il est garanti dans la grande majorité des États’.
Huitième moyen
88. [La demanderesse] invoque l’illégalité des sanctions disciplinaires au regard du droit de l’Union européenne dans les termes suivants : ‘l’interdiction totale du third party ownership viole les articles 63, 45, 56, 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une fois cette violation primaire avérée, il conviendra de juger que toute sanction fondée sur une règle violant lesdites libertés de l’Union européenne viole elle-même ces libertés, notamment en ce qu’elle a pour objet ou pour effet de renforcer l’efficacité des violations primaires’.
B. Les moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 - Appréciation de la cour [d’appel]
89. [La demanderesse] ne discute pas les effets juridiques de la sentence du 9 mars 2017 du tribunal arbitral du sport, rendue dans la procédure disciplinaire opposant la [première défenderesse à la demanderesse], ci-après ‘la sentence’.
En substance, ainsi qu’il résulte implicitement mais certainement des moyens qu’[elle] invoque, [la demanderesse] estime que la [première défenderesse] ne peut pas se prévaloir de la sentence car elle serait illégale, aux motifs que (i) la clause d’arbitrage est illégale, ‘ce que la cour [d’appel] a dit dans l’arrêt du 29 août 2018’, et (ii) le tribunal arbitral du sport n’est pas une juridiction arbitrale indépendante et impartiale (voir infra les moyens n° 9 à n° 13).
90. Aux termes de l’article 1713, § 9, du Code judiciaire, ‘la sentence a, dans les relations entre les parties, les mêmes effets qu’une décision d’un tribunal’.
En vertu des articles 24 et 28 du Code judiciaire, toute décision définitive a, dès son prononcé, autorité de chose jugée (article 24) et toute décision passe en force de chose jugée dès qu’elle n’est plus susceptible d’opposition ou d’appel, sauf les exceptions prévues par la loi et sans préjudice des effets des recours extraordinaires (article 28).
Il résulte de ces dispositions légales qu’une sentence arbitrale a l’autorité de la chose jugée dès la date à laquelle elle est rendue sans qu’une procédure d’exequatur doive être préalablement diligentée, sous réserve d’une réformation en appel devant d’autres arbitres ou d’une annulation par le juge étatique (voir à ce sujet G. Keutgen et G.-A. Dal, ‘Titre 8 - L’autorité de la chose jugée de la sentence’ in L’arbitrage en droit belge et international, tome 1 : Le droit belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 509-510 ; G. de Leval, ‘Chapitre 1 - L’arbitrage’, in Droit judiciaire, tome 2, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 1414).
91. En l’espèce, la sentence est définitive et est passée en force de chose jugée suite au rejet par le Tribunal fédéral suisse le 20 février 2018 du recours en annulation [de la demanderesse].
Or, la sentence tranche la question litigieuse de la compatibilité des articles 18bis et 18ter du règlement avec le droit de l’Union européenne, posée dans des termes identiques devant la cour [d’appel] dans le cadre de l’action en responsabilité civile.
Par conséquent, dans le lien d’instance avec la [première défenderesse], les moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 [de la demanderesse] sont irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée de la sentence.
C. Les moyens n° 9 à n° 13 - En bref
92. Les moyens n° 9 à n° 13 [de la demanderesse] ont trait à la légalité (i) des sanctions disciplinaires qui lui ont été infligées par la [première défenderesse] et (ii) de la sentence au regard du droit de l’Union européenne.
[La demanderesse] fait valoir que :
- ‘À supposer que la règle litigieuse de la [première défenderesse] soit conforme aux libertés de l’Union européenne susmentionnées, quod non :
- les sanctions disciplinaires prononcées - qui ont notamment empêché le club de recruter des joueurs d’autres États membres (particulièrement auprès du FC Metz) - n’en devraient pas moins être jugées illégales pour violation du principe de proportionnalité’ (neuvième moyen) ;
- ‘concernant les tiers (enfants et parents, joueurs adultes), au-delà de la problématique de la proportionnalité, il y a violation manifeste du principe de personnalité des peines, ce dont [la demanderesse] peut se prévaloir pour établir l’illégalité de la sanction’ (dixième moyen) ;
- ‘en l’espèce et notamment dans le cadre du volet disciplinaire du présent dossier, l’imposition de recourir au tribunal arbitral du sport, d’abord, et les vices structurels affectant le tribunal arbitral du sport, ensuite, ont violé divers droits subjectifs et libertés fondamentales du club, [...], ce dont il est fondé à demander réparation’ ; [elle] considère que ‘le tribunal arbitral du sport ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité prévues par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’ (onzième moyen) et que l’imposition de cet arbitrage forcé renforce l’efficacité des violations des libertés fondamentales [de l’Union européenne] et, plus largement, (l’)a privée [...] des droits de l’Union européenne qui (lui) sont garantis (douzième moyen) ;
‘Dès lors que (ses) libertés de l’Union européenne sont affectées, la sentence ne devrait pas pouvoir être mise en œuvre sans exequatur préalable devant une juridiction au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et toute règle de droit que pourraient invoquer en ce sens les [défenderesses et un tiers] à l’appui de leur thèse serait par conséquent elle-même contraire à l’article 47 de la même charte’ (treizième moyen).
D. Les moyens n° 9 à n° 13 - Appréciation de la cour [d’appel]
93. [La demanderesse] conteste vainement la validité (i) des sanctions disciplinaires prononcées par le tribunal arbitral du sport et (ii) de la sentence.
94. Tout d’abord, dans l’arrêt interlocutoire du 29 août 2018, la cour [d’appel] statue sur l’exception d’arbitrage opposée par la [première défenderesse] pour soustraire l’action en responsabilité civile introduite contre elle à la juridiction du juge étatique belge.
La décision de la cour [d’appel] n’a pas pour effet d’invalider ipso facto la procédure disciplinaire arbitrale et, par répercussion, la sentence.
Par ailleurs, la cour [d’appel] constate que [la demanderesse] a confirmé, après la naissance de son litige avec la [première défenderesse], la compétence du tribunal arbitral du sport, ainsi qu’il résulte du texte même de la sentence : ‘57. La compétence du tribunal arbitral du sport n’est contestée par aucune des parties et a été confirmée par la signature de l’ordonnance de procédure’.
Par conséquent, le moyen d’illégalité des sanctions disciplinaires déduit du caractère forcé de l’arbitrage n’est pas fondé (moyen n° 12).
95. Ensuite, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, un tribunal arbitral n’est pas une juridiction au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et ne peut donc pas lui poser de questions préjudicielles (voir à ce sujet P. de Bournonville, ‘Arbitrage’, Rép. not., tome XIII, La procédure notariale, livre 6, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 116-117 et les références citées ; G. Keutgen et G.-A. Dal, op. cit., pp. 420-424 et les références citées ; D. Bosco et C. Prieto, Droit européen de la concurrence - Ententes et abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 1477-1478 ; C. Naômé, ‘Section 2 -La notion de juridiction au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne’ in Le renvoi préjudiciel en droit européen, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 94-105).
L’impossibilité pour un tribunal arbitral, belge ou étranger, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, qui trouve son origine dans l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tel qu’il est interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, n’a pas en soi pour effet d’invalider les décisions de ce tribunal au regard de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
96. Devant le Tribunal fédéral suisse, [la demanderesse] a contesté la qualité de juridiction impartiale et indépendante du tribunal arbitral du sport et la validité de la sentence, notamment au regard du principe de proportionnalité (moyens n° 11 et n° 9 invoqués devant la cour [d’appel]).
Dans un arrêt du 20 février 2018 motivé de manière circonstanciée, le Tribunal fédéral suisse a confirmé sa jurisprudence antérieure et jugé que le tribunal arbitral du sport est un véritable tribunal arbitral indépendant et impartial, et qu’il n’avait aucune raison de revenir sur une jurisprudence fermement établie.
Le Tribunal fédéral suisse a rejeté les moyens [de la demanderesse], identiques à ceux qui sont invoqués devant la cour [d’appel] dans le cadre de l’action en responsabilité civile formée contre la [première défenderesse], relatifs à l’indépendance structurelle et financière du tribunal arbitral du sport par rapport aux fédérations sportives en général et la [première défenderesse] en particulier et au principe de proportionnalité des sanctions.
97. En vertu de l’article 22 § 1er, du Code de droit international privé belge, tout jugement étranger est reconnu de plein droit en Belgique sans aucune procédure. Cette reconnaissance a pour effet d’admettre en Belgique l’autorité de la chose jugée de la décision étrangère.
L’effet positif de la chose jugée s’attachant à l’arrêt du 20 février 2018 du Tribunal fédéral suisse fait obstacle à ce que la qualité de juridiction indépendante et impartiale du tribunal arbitral du sport et la validité de la sentence, notamment au regard du principe de proportionnalité, puissent être remises en cause par [la demanderesse] devant la cour [d’appel].
98. Enfin, l’exequatur concerne uniquement l’exécution forcée de la décision, c’est-à-dire son exécution par la contrainte.
Une sentence arbitrale en général et la sentence en particulier n’est pas invalidée par le seul fait qu’elle n’a pas fait l’objet d’un exequatur.
Par ailleurs, le fait que la sentence puisse être mise en æuvre sans recourir à la contrainte n’implique pas en soi une violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au droit d’accès à un tribunal et au droit à un recours effectif.
Par conséquent, le moyen d’illégalité des sanctions déduit de l’absence d’exequatur de la sentence n’est pas fondé (moyen n° 13).
99. Les sanctions disciplinaires sont imposées par le tribunal arbitral du sport en application des articles 18bis et 18ter du règlement [à la demanderesse] et non aux tiers qui restent libres de pratiquer le football.
Ces sanctions ne sont donc pas illégales au regard du principe de la personnalité des peines (moyen n° 10) […].
102. Il résulte de ce qui précède que les moyens [de la demanderesse] déduits de la violation par la [première défenderesse] du droit de l’Union européenne et des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont irrecevables ou non fondés.
Les fautes alléguées imputées à la [première défenderesse] ne sont dès lors pas établies.
Par conséquent, la demande de dommages et intérêts [de la demanderesse] n’est pas fondée en tant qu’elle est dirigée contre la [première défenderesse].
En ce qui concerne [la troisième défenderesse]
113. Par identité avec les motifs exposés plus haut lors de l’examen de la demande [de la demanderesse] dirigée contre la [première défenderesse], les moyens d’illégalité de la sentence ou des sanctions disciplinaires, déduits de l’arrêt interlocutoire du 29 août 2018, du caractère forcé de l’arbitrage, de l’impossibilité pour un tribunal arbitral de saisir la Cour de justice de l’Union européenne et de l’absence d’exequatur ne sont pas fondés (moyens n° 10, n° 12 et n° 13) ».
Griefs
Première branche
Dans ses conclusions déposées devant la cour d’appel, la demanderesse faisait valoir que l’arbitrage forcé au tribunal arbitral du sport qui lui est imposé unilatéralement renforce les violations des libertés fondamentales de l’Union européenne et plus largement la prive des droits européens qui lui sont garantis ; que, dans l’affaire AT.40208, International Skating Union’s Eligibility Rules, la Commission européenne a décidé, concernant les clauses d’arbitrage en faveur du tribunal arbitral du sport imposées par les statuts de la fédération internationale de patinage, que « (57) les règles concernant l’arbitrage d’appel sont prévues à l’article 25 de la Constitution de [cette fédération] et stipulent que ‘les décisions du tribunal arbitral du sport sont définitives et contraignantes, la compétence du tribunal civil étant exclue’. (58) En ce qui concerne l’article 25 (6), la Commission note qu’un recours est disponible dans certaines circonstances en application du droit suisse (note de bas de page 112 : ‘articles 190-191 de la loi fédérale suisse sur le droit international privé’) […]. Les règles relatives à l’arbitrage d’appel renforcent les restrictions de concurrence […]. La Commission est d’avis que les règles d’arbitrage d’appel renforcent les restrictions de la concurrence qui sont causées par les règles d’éligibilité […]. Combinées avec les règles d’éligibilité, les règles d’arbitrage d’appel renforcent la restriction de leur liberté commerciale et l’exclusion
des concurrents potentiels de [la fédération internationale de patinage] ».
Elle faisait également valoir que, par un arrêt du 6 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne « vient […] de réaffirmer la subordination de l’institution d’arbitrage à un véritable contrôle juridictionnel, dès l’instant où des dispositions fondamentales du droit de l’Union sont en jeu », pour en déduire qu’« en substance, un État membre viole son obligation de garantir la pleine efficacité du droit de l’Union et l’autonomie de ce même droit lorsqu’il consent à se soumettre à certains types d’arbitrage », que, « même lorsqu’il s’agit d’un ‘arbitrage commercial’, résultant de ‘l’autonomie de la volonté des parties’, il est indispensable qu’il existe un contrôle juridictionnel avec possibilité de poser des questions préjudicielles permettant de garantir le respect de l’ordre public de l’Union européenne […]. Tout autant (si pas plus) qu’un arbitrage imposé par deux États membres dans le cadre d’un traité bilatéral, l’imposition par les statuts de la [première défenderesse] de recourir à ‘l’arbitrage’ du tribunal arbitral du sport empêche la ‘pleine efficacité du droit de l’Union’ et ‘porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union’, notamment en empêchant que des questions préjudicielles soient adressées à la Cour de justice de l’Union européenne ».
Par aucune considération, l’arrêt attaqué ne rencontre ce moyen déduit de ce que l’arbitrage forcé au tribunal arbitral du sport, combiné avec le caractère extrêmement marginal du contrôle de légalité exercé par le Tribunal fédéral suisse en application des articles 190 et 191 précités, fait obstacle à une véritable application du droit de l’Union. Il n’est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l’article 149 de la Constitution).
Seconde branche
La réparation du dommage causé en Belgique par la violation de dispositions du droit de l’Union européenne, notamment celles qui sont relatives à la concurrence, se poursuit selon les règles de fond des articles 1382 et suivants du Code civil et du droit procédural national belge.
En vertu du principe inscrit à l’article 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les États membres - dont la Belgique - ne peuvent permettre qu’un différend relatif à l’application ou à l’interprétation des traités soit soumis à un mode de règlement autre que ceux qui sont prévus par ceux-ci (C.J.U.E., 6 mars 2018, Achmea, C-284/16, point 31). D’autre part, le droit de l’Union « se caractérise […] par la circonstance d’être issu d’une source autonome constituée par les traités, par sa primauté par rapport au droit des États membres ainsi que par l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes […]. Pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union » (C.J.U.E., 6 mars 2018, précité, points 33 et 35).
Conformément à l’article 19.1 du Traité sur l’Union européenne, il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de justice de l’Union européenne de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres, ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit européen. En particulier, la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (C.J.U.E., 6 mars 2018, précité, points 36 et 37).
En l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre judiciaire interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. « Elles ne doivent cependant pas être moins favorables que celles qui régissent des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre judiciaire communautaire (principe d’effectivité) » (C.J.U.E., 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, point 24).
Si, lorsque, par l’effet de la volonté des parties en cause, leur différend est tranché par une décision rendue par un tribunal arbitral, qui ne peut être considéré comme étant une « juridiction d’un des États membres » au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et n’est dès lors pas habilité à saisir la Cour de justice à titre préjudiciel, le contrôle exercé par les juridictions d’un État membre peut revêtir un caractère limité, c’est seulement « pourvu que les dispositions fondamentales du droit de l’Union puissent être examinées dans le cadre de ce contrôle et, le cas échéant, faire l’objet d’un renvoi préjudiciel » (C.J.U.E., 6 mars 2018, précité, points 54-55). Ce contrôle des dispositions fondamentales du droit de l’Union, et spécialement celles qui sont d’ordre public européen, est d’autant plus essentiel lorsque l’arbitrage est « forcé » par les statuts d’une association telle la [première défenderesse].
Les articles 23 à 28 du Code judiciaire et 22 à 29 du Code de droit international privé ne peuvent empêcher de remettre en cause devant les juridictions d’un État membre les points jugés, dans une autre procédure, par un tribunal arbitral sur une interprétation des règles d’ordre public communautaire relatives notamment à la libre circulation des travailleurs (articles 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), à la libre prestation des services (articles 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), à la libre circulation des capitaux (article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), au droit de la concurrence (articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), fût-elle incorrecte. Une application du principe de l’autorité de la chose jugée interdisant au juge belge de vérifier si la sentence arbitrale du tribunal arbitral du sport, telle qu’elle a été contrôlée par le Tribunal fédéral suisse, ne viole pas les dispositions fondamentales du droit de l’Union et, pour ce faire, de poser le cas échéant des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, entraînerait dans les matières précitées des obstacles à l’application effective des règles communautaires ne pouvant être justifiés par le principe de sécurité juridique, et doit donc être considérée comme contraire au principe d’effectivité du droit de l’Union (C.J.U.E., 3 septembre 2009, précité, points 30 et 31).
En outre, il résulte des articles 1er, 2.1, 4 et 5 de la directive 2014/104/UE visée au moyen que le droit européen garantit que puisse être effectivement exercé le droit de toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence (soit aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) de demander et obtenir réparation intégrale de ce préjudice et que, conformément au principe d’effectivité, les règles de fond et de procédure nationales doivent être appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou exagérément difficile l’exercice de ce droit.
De même, en vertu de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union sont violés a droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi.
Il s’ensuit que :
Après qu’il a été constaté
- (i) que la [première défenderesse] est une association de droit suisse qui « dirige le football mondial grâce à une structure pyramidale construite sur des bases statutaires », qu’elle « regroupe les associations nationales », que « selon ses statuts [elle] jouit d’un pouvoir réglementaire (mais également d’un pouvoir disciplinaire étendu) qui lui permet d’édicter des règles qui s’imposent à ses membres mais également, directement par l’intermédiaire desdites associations, aux clubs de football de chaque pays et aux joueurs enregistrés auprès d’eux » et que [la troisième défenderesse], l’association de droit belge qui gère les deux premières divisions du football professionnel et du football amateur en Belgique, est membre de la [première défenderesse] et est tenue de respecter et de faire respecter par les clubs belges les règlements et les décisions de la [première défenderesse] ;
- (ii) que la demanderesse est une association de droit belge qui dirige le club de football de Seraing, affiliée à [la troisième défenderesse] ;
- (iii) que la [première défenderesse] a adopté des règles interdisant totalement la pratique dite des « third party ownership » (TPO) ou « third party investment » (TPI) en édictant les articles 18bis et 18ter du règlement du statut et du transfert des joueurs (circulaire 1464 du 22 décembre 2014) dont la demanderesse soutient qu’il[s] viole[nt] les articles 45, 56, 63, 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
- (iv) que, suite à la conclusion des accords entre la demanderesse et la société Doyen Sports, la [première défenderesse] a entamé une procédure disciplinaire à l’encontre de la demanderesse et lui a imposé les sanctions d’interdiction d’enregistrement des joueurs pendant quatre périodes et de 150 000 francs suisses d’amende ;
- (v) que, statuant sur le recours formé par la demanderesse, le tribunal arbitral du sport a rendu une sentence confirmant lesdites sanctions et que le Tribunal fédéral suisse a rejeté le recours en annulation, en sorte que la sentence est devenue définitive ;
- (vi) que la demanderesse poursuit devant la cour d’appel, sur la base des articles 1382 et suivants du Code civil, la réparation des dommages qui lui ont été causés par l’application des articles 18bis et 18ter précités et les sanctions prononcées à son encontre,
l’arrêt attaqué, pour décider que les fautes alléguées imputées à la [première défenderesse] et à [la troisième défenderesse] ne sont pas établies, dit irrecevables ou non fondés les moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 et n° 9 à n° 13 de la demanderesse déduits de l’illégalité des articles 18bis et 18ter et de la sentence arbitrale au regard du droit de l’Union européenne et déboute la demanderesse de ses demandes, aux motifs que, « aux termes de l’article 1713, § 9, du Code judiciaire, ‘la sentence a, dans les relations entre les parties, les mêmes effets qu’une décision d’un tribunal’ ; (qu’)en vertu des articles 24 et 28 du Code judiciaire, toute décision définitive a, dès son prononcé, autorité de la chose jugée (article 24) et toute décision passe en force de chose jugée dès qu’elle n’est plus susceptible d’opposition ou d’appel, sauf les exceptions prévues par la loi et sans préjudice des effets des recours extraordinaires (article 28) ; (qu’)il résulte de ces dispositions légales qu’une sentence arbitrale a l’autorité de la chose jugée dès la date à laquelle elle est rendue sans qu’une procédure d’exequatur doive être préalablement diligentée, sous réserve d’une réformation en appel devant d’autres arbitres ou d’une annulation par le juge étatique […] ; qu’en l’espèce, la sentence est définitive et est passée en force de chose jugée suite au rejet par le Tribunal fédéral suisse le 20 février 2018 du recours en annulation [de la demanderesse] ; que la sentence tranche la question litigieuse de la compatibilité des articles 18bis et 18ter du règlement avec le droit de l’Union européenne, posée dans des termes identiques devant la cour [d’appel] dans le cadre de l’action en responsabilité civile ; que, par conséquent, dans le lien d’instance avec la [première défenderesse], les moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 [de la demanderesse] sont irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée de la sentence […] ; (que), par ailleurs, le fait que la sentence puisse être mise en œuvre sans recourir à la contrainte n’implique pas en soi une violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au droit d’accès à un tribunal et au droit à un recours effectif ; […] (qu’)il résulte de ce qui précède que les moyens [de la demanderesse] déduits de la violation par la [première défenderesse] du droit de l’Union européenne et des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont irrecevables ou non fondés » et que, par identité de motifs, les moyens d’illégalité de la sentence invoqués par la demanderesse dans le cadre de son action contre [la troisième défenderesse] ne sont pas fondés, sans examiner si la sentence respecte les dispositions fondamentales du droit de l’Union dont la demanderesse soutient qu’elles sont violées et dont elle peut demander la réparation du préjudice résultant de cette violation, viole toutes les dispositions visées au moyen, à l’exception de l’article 149 de la Constitution.
Deuxième moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 1er, § 1er, 2, 3, 4, 5 et 11.1 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne ;
- articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué déboute la demanderesse de sa demande en dommages et intérêts dirigée contre [la deuxième défenderesse], par tous ses motifs réputés intégralement reproduits et spécialement par les motifs suivants :
« [La demanderesse] ne démontre pas que les dommages allégués sont imputables à [la deuxième défenderesse] (moyens n° 1 à n° 6 et n° 8 à n° 13).
En effet, [la deuxième défenderesse] (i) n’est pas l’auteur des règles interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’ et (ii) est étrangère à la procédure disciplinaire menée contre [la demanderesse].
Le fait que [la deuxième défenderesse] ait participé, en tant que membre de la [première défenderesse], aux discussions et à l’élaboration des règles interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’ ou qu’elle ait, comme l’écrit [la demanderesse], ‘activement milité’ en faveur de cette interdiction est sans incidence sous l’angle de la responsabilité civile de [la deuxième défenderesse], d’autant que, compte tenu de son classement en 2015, la participation [de la demanderesse] aux matchs organisés par [la deuxième défenderesse] était purement hypothétique ».
Griefs
Première branche
Dans ses conclusions déposées devant la cour d’appel, pour établir que [la deuxième défenderesse] doit également être tenue à la réparation des dommages causés par les règles interdisant les accords « third party ownership » ou « third party investment », la demanderesse faisait valoir que, « selon [la deuxième défenderesse] et comme explicitement affirmé notamment par son secrétaire général de l’époque […], l’interdiction du third party ownership était notamment indispensable afin de garantir le ‘bon’ fonctionnement du ‘fair-play financier’ puisque le recours au third party ownership permettait de contourner l’obligation ‘d’équilibre financier’, le règlement de [la deuxième défenderesse] sur le fair-play financier interdit au propriétaire d’un club d’injecter ses propres fonds dans son club, interdiction qu’il peut contourner si le recours au third party ownership était resté autorisé ».
Dans l’article susmentionné, [le] secrétaire général de [la deuxième défenderesse] déclare notamment que « cette pratique est manifestement contraire à la philosophie économique et sportive du fair-play financier, qui consiste à garantir que les clubs vivent selon leurs moyens. Ces derniers ne devraient pas compter sur les investissements de tiers pour acquérir des joueurs s’ils n’ont pas les moyens de le faire eux-mêmes […] » ; que « l’aimable formule, à laquelle recourt volontiers [la deuxième défenderesse], ‘un club ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne’, doit en réalité et en termes économiques être traduite par ‘[la deuxième défenderesse] interdit à tout propriétaire de club de couvrir, par son propre investissement, les dépenses qualifiées par [la deuxième défenderesse] de déterminantes, au premier chef desquelles figurent les coûts « joueurs », puisque [la deuxième défenderesse] impose que ces dépenses soient couvertes uniquement par les rentrées qualifiées de déterminantes, dont sont précisément exclus les apports en fonds propres des propriétaires’ ». Elle en concluait que, par l’adoption de ces règles relatives au fair-play financier, [la deuxième défenderesse] a suscité, encouragé et permis l’adoption par la [première défenderesse] des règles « third party ownership », toutes illégales aussi, qui affectent (la demanderesse). Par application de la théorie de l’équivalence des conditions, [la deuxième défenderesse] doit dès lors être considérée comme ayant elle-même, à tout le moins indirectement, contribué aux divers dommages subis par la demanderesse et en conséquence répondre envers elle de leur réparation. Au vu de l’article 11.1 de la directive 2014/104, faisant de la sorte partie des « entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint », [la deuxième défenderesse] doit être considérée comme solidairement responsable du préjudice causé par ces infractions et de ce fait tenue d’indemniser ce préjudice dans son intégralité.
L’arrêt attaqué, qui se borne à examiner la responsabilité de [la deuxième défenderesse] au regard de l’application à la demanderesse des règles du fair-play financier, ne rencontre pas le moyen déduit de ce que [la deuxième défenderesse] a, par l’adoption de ces règles, suscité et permis l’interdiction des accords « third party ownership » ou « third party investment » et a ainsi contribué aux dommages causés par les infractions au droit de la concurrence et est de ce fait tenue d’indemniser celui-ci. Il n’est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l’article 149 de la Constitution).
Seconde branche
L’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’ordre public européen, interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.
L’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, également d’ordre public européen, interdit tout abus de position dominante.
Ces dispositions produisent des effets directs dans les relations entre particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (C.J.U.E., 14 mars 2010, Vantaan, C-724/17, point 24 ; 5 juin 2014, Kone, C-557/12, point 20). La pleine efficacité de ces dispositions et, en particulier, l’effet utile des interdictions qui y sont énoncées serait mise en cause si toute personne lésée ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (C.J.U.E., 14 mars 2010, précité, point 26). Ce droit à la réparation intégrale est confirmé par les articles 1er, 2, 3 et 4 de la directive 2014/104/UE.
L’article 1382 du Code civil, applicable lorsque des infractions aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne sont commises en Belgique, prévoit lui aussi la réparation intégrale du préjudice par la personne qui a par sa faute concouru à la réalisation dudit préjudice.
Les entités tenues de réparer le préjudice causé par une entente, un accord ou une décision, ou par une pratique interdite par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou par un abus de puissance dominante prohibé par l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont les entreprises, au sens de ces dispositions, qui ont participé à cette entente, à cette pratique ou à cet abus (principe d’effectivité du droit de l’Union, C.J.U.E., 14 mars 2010, précité, points 32 à 35).
Il s’ensuit que
Premier rameau
Pour l’application de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, toute décision d’une association d’associations d’entreprises engage ses membres, d’ailleurs tenus de la respecter et de la faire respecter, en sorte qu’ils sont, comme l’association d’associations d’entreprises au sein de laquelle la décision est prise, coauteurs de cette décision (T.U.E., 26 janvier 2005, Piau, T-193/02, point 75). Il n’est pas requis à cet effet que les membres de l’association aient effectivement participé à l’infraction, mais uniquement que l’association ait, en vertu de ses règles internes, la possibilité d’engager ses membres (C.J.U.E., 16 novembre 2000, Finnboard, C-2098/98P). En outre, pour l’application de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une entreprise peut être tenue pour responsable de l’infraction dans son ensemble, qu’elle soit elle-même active ou non sur le marché pertinent ; il suffit qu’elle contribue à la mise en œuvre de la décision « même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite » (T.U.E., 8 septembre 2000, Deltafina, T-29/05, considérants 48 à 58 ; C.J.U.E., Commission c. Verhuizingen Coppens, C-441/11P, points 73 à 75).
Il s’en déduit que l’arrêt attaqué, qui considère que le fait que « [la deuxième défenderesse] ait participé, en tant que membre de la [première défenderesse], aux discussions et à l’élaboration des règles interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’ ou qu’elle ait, comme l’écrit la demanderesse, ‘activement milité’ en faveur de cette interdiction » est sans incidence sous l’angle de la responsabilité civile de [la deuxième défenderesse] dès lors qu’elle « n’est pas l’auteur des règles interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’ », viole toutes les dispositions visées au moyen, à l’exception de l’article 149 de la Constitution.
Second rameau
Dans ses conclusions de synthèse déposées devant la cour d’appel, la demanderesse faisait valoir que les règles édictées par la [première défenderesse] interdisant les accords « third party ownership » ou « third party investment » peuvent être également considérées comme constitutives d’un abus de position dominante collective, au sens de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, auquel participent tant la [première défenderesse] que [la deuxième défenderesse] dans la mesure de son implication statutaire au sein de la [première défenderesse], dès lors que les fédérations nationales ou les fédérations regroupant les clubs se présentent comme une entité collective vis-à-vis des acteurs économiques et des consommateurs, en conséquence de la mise en application des règles adoptées par les associations internationales.
En vertu de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 11.1 de la directive 2014/104, une participation à un abus de position dominante collective, soit un « comportement conjoint », peut résulter de la « contribution passive » et même d’« une approbation tacite du comportement », sans qu’il soit requis que l’entreprise dispose d’un pouvoir de décision, d’intervention ou de sanction propre en ce qui concerne la mise en œuvre de l’abus de position dominante.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué, qui, pour exclure toute responsabilité de [la deuxième défenderesse] dans les dommages résultant de l’application de l’interdiction des third party ownership ou third party investment, considère que « le fait que [la deuxième défenderesse] ait participé, en tant que membre de la [première défenderesse], aux discussions et à l’élaboration des règles interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’ ou qu’elle ait, comme l’écrit la demanderesse, ‘activement milité’ en faveur de cette interdiction est sans incidence sous l’angle de la responsabilité civile de [la deuxième défenderesse] », n’est pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen, à l’exception des articles 149 de la Constitution et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
Avant de statuer sur la seconde branche du moyen, la demanderesse sollicite que soient posées à la Cour de justice de l’Union européenne, au titre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les questions préjudicielles suivantes :
- L’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’ordre public européen et engendrant des droits dans le chef des justiciables et, spécialement, le droit pour toute personne physique ou morale de demander réparation du préjudice que lui aurait causé un comportement susceptible de restreindre ou de fausser la concurrence, doit-il être interprété en ce sens que des associations d’entreprises, telles que [la deuxième défenderesse] et les fédérations nationales membres de [la deuxième défenderesse], sont des entités tenues de réparer le préjudice causé par une entente, un accord ou une décision d’associations d’entreprises pris au sein de la [première défenderesse], tels les articles 18bis et 18ter du règlement du statut et du transfert du joueur, à savoir les règles interdisant les accords « third party ownership » ou « third party investment », si ces articles devaient être considérés comme susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ?
- La réponse diffère-t-elle selon que les règles [de la première défenderesse] susmentionnées doivent être qualifiées d’accord plutôt que de décision d’une association d’associations d’entreprises ou selon que [la deuxième défenderesse] ou ses fédérations membres soient considérées comme simplement parties à l’entente, accord ou décision susmentionnés, mais ne soient pas intervenues dans leur mise en œuvre ou selon que ces règles aient ou non « pour objet » plutôt que « pour effet » de fausser le jeu de la concurrence ?
- Faut-il considérer que l’obligation d’équilibre financier du règlement sur le fair-play financier édicté par [la deuxième défenderesse] et l’interdiction totale du third party ownership édictée par le règlement du statut et du transfert de joueurs édicté par la [première défenderesse] ne forment en réalité qu’un accord global, limitant les investissements, auquel sont parties [la deuxième défenderesse] et la [première défenderesse] et leurs membres, la légalité éventuelle de cet accord global et de cette entrave globale par rapport aux articles 63, 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne devant alors faire l’objet d’une appréciation d’ensemble ?
Troisième moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- article 19.1 du Traité sur l’Union européenne, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 18, 45, 56, 63, 101, 102, 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 15, 16 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, faite à Nice le 7 décembre 2000, devenue obligatoire par la ratification du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ;
- articles 1er, 2.1, 4 et 5 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne ;
- principe d’effectivité du droit de l’Union européenne ;
- principe de la primauté du droit de l’Union européenne sur les dispositions nationales, découlant notamment des articles 4 du Traité sur l’Union européenne et 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
- articles 23 à 28, 870 et 1713, § 9, du Code judiciaire ;
- articles 1165, 1315, 1350, 3°, 1352, 1382 et 1383 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué déboute la demanderesse de son action contre [la troisième défenderesse], par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement par les motifs repris aux pages 47 à 52 de l’arrêt et spécialement par les motifs suivants :
« 109. Alors que la charge de la preuve lui incombe, en raison de la force probante qui s’attache à la chose jugée le 9 mars 2017 par le tribunal arbitral du sport à son égard, la demanderesse ne fait pas valoir devant la cour [d’appel] d’éléments ou de moyens convaincants de manière à remettre en cause la chose jugée par le tribunal arbitral du sport en ce qui concerne la légitimité des objectifs poursuivis par la [première défenderesse] et la proportionnalité de l’interdiction totale de la pratique des third party ownership ou third party investment pour atteindre ces objectifs.
En particulier, la demanderesse ne démontre pas que :
- les objectifs avancés par la [première défenderesse] seraient, comme elle l’affirme, ‘un leurre’ et que ‘la finalité (« l’objet ») de la circulaire 1464 est de nature purement économique (monopoliser un marché donné au profit des clubs)’ […] alors que, par ailleurs, il est établi que l’adoption par la [première défenderesse] des articles 18bis et 18ter du règlement a été précédée de rapports indépendants sur la problématique de la pratique des third party ownership ou third party investment, notamment le rapport de 2009 du GAFI […] et l’‘étude sur les aspects économiques et juridiques du transfert’ de 2013 rédigée à l’initiative de la Commission européenne ;
- l’interdiction totale de la pratique des third party ownership ou third party investment n’est pas proportionnée à la réalisation de ces objectifs : outre qu’il est permis de douter de l’indépendance du principal auteur cité par la demanderesse, puisqu’il a été son conseil dans la procédure disciplinaire devant le tribunal arbitral du sport […], les auteurs favorables à la régulation de la pratique plutôt que son interdiction pure et simple, cités par la demanderesse à l’appui de sa thèse (ses pièces 6, 70 et 73), ne disent rien de la praticabilité et de l’efficacité de la régulation qu’ils préconisent ou ne s’expriment à ce sujet qu’en termes très généraux.
Il n’est dès lors pas nécessaire pour la cour [d’appel] d’examiner si les restrictions aux libertés de circulation et au droit de la concurrence, alléguées par la demanderesse, sont établies.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de poser de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
110. En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral du sport et la proportionnalité des sanctions disciplinaires (moyens n° 11 et n° 9), la demanderesse n’invoque pas à l’appui de sa demande d’indemnisation dirigée contre [la troisième défenderesse] d’éléments ou de moyens convaincants de nature à remettre en cause la chose jugée par le Tribunal fédéral suisse alors que la charge de la preuve lui incombe, en raison de la force probante qui s’attache à la chose jugée par le Tribunal fédéral suisse à son égard sur ces questions ».
Griefs
La réparation du dommage causé en Belgique par la violation de dispositions du droit de l’Union européenne, notamment celles qui sont relatives à la concurrence, se poursuit selon les règles de fond des articles 1382 et suivants du Code civil et les règles de preuve et du droit procédural national belge.
En vertu du principe inscrit à l’article 344 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les États membres - dont la Belgique - ne peuvent permettre qu’un différend relatif à l’application ou à l’interprétation des traités soit soumis à un mode de règlement autre que ceux-ci (C.J.U.E., C-284/16, point 31). D’autre part, le droit de l’Union « se caractérise […] par la circonstance d’être issu d’une source autonome constituée par les traités, par sa primauté par rapport au droit des États membres ainsi que par l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes […]. Pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union » (C.J.U.E., C-284/16, points 33 et 35).
Conformément à l’article 19.1 du Traité sur l’Union européenne, « il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de justice de l’Union de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit européen. En particulier, la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (C.J.U.E., C-284/16, points 36 et 37).
Lorsqu’une restriction à la libre circulation des capitaux, garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, est établie, laquelle peut résulter d’une entente, d’un accord ou d’une décision prohibés par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il incombe à l’auteur de cette restriction d’établir qu’elle est justifiée par des objectifs légitimes et proportionnée à la réalisation de ces objectifs.
Si, en vertu des articles 23 à 28, 870 et 1713, § 9, du Code judiciaire, combinés avec les articles 1165, 1315, 1353, 3°, et 1352 du Code civil, une décision arbitrale ayant l’autorité de la chose jugée entre les parties a une force probante à l’égard des tiers qui n’étaient pas parties à la cause et peut être opposée par eux, la force probante découlant de ces dispositions ne peut empêcher l’effectivité des dispositions du droit de l’Union.
Il s’en déduit que ces dispositions ne peuvent entraîner qu’il incombe à la partie lésée par une restriction à la libre circulation des capitaux résultant d’une décision de la [première défenderesse] d’établir que cette restriction n’est pas justifiée par des objectifs légitimes ni proportionnée à ceux-ci, en raison de la force probante qui serait attachée à une décision du tribunal arbitral du sport dont l’annulation a été rejetée par le Tribunal fédéral suisse, c’est-à-dire une juridiction qui - contrairement aux juridictions belges - n’est pas tenue au renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une telle application de ces dispositions, qui entraînerait que la force probante attachée à la décision du tribunal arbitral du sport quant à la compatibilité des articles 18bis et 18ter du règlement édicté par la [première défenderesse] avec les libertés de circulation de capitaux (déclarées établies), les libertés de prestations de services et du travailleur et avec les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aurait pour conséquence que, devant les juridictions belges qui peuvent - et doivent – saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union, la preuve de l’absence d’objectif légitime de la mesure ou de proportionnalité de celle-ci avec l’objectif visé soit à la charge de la personne lésée par ces restrictions constituerait un obstacle considérable à l’application effective des règles de l’Union en la matière et doit donc être considérée comme contraire au principe d’effectivité du droit de l’Union.
L’arrêt attaqué, qui, pour débouter la demanderesse de sa demande contre [la troisième défenderesse], considère qu’en raison de la force probante qui s’attache à la chose jugée le 9 mars 2017 par le tribunal arbitral du sport, la demanderesse doit « rapporter la preuve contraire des faits et actes admis par le tribunal arbitral du sport dans la sentence et le Tribunal fédéral suisse dans l’arrêt du 20 février 2018 », soit que les restrictions résultant des articles 18bis et 18ter, établies en ce qui concerne la libre circulation des capitaux, et non établies pour les prestations de services et les travailleurs, « sont justifiées et adaptées à l’atteinte des objectifs légitimes poursuivis par ces mesures », qu’« en tout état de cause, tant au regard de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’au regard de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les objectifs légitimes poursuivis par la [première défenderesse] sont de nature à justifier les atteintes au droit de la concurrence, invoquées mais non établies par [la demanderesse] », et qui refuse de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles n° 1 à n° 7 reprises à l’arrêt, viole toutes les dispositions visées au moyen.
Avant de statuer sur ce moyen, la demanderesse demande que soient posées à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
- Le principe d’effectivité qui s’attache au droit de l’Union permet-il que des dispositions nationales tels les articles 23 à 28, 870, 1713, § 9, du Code judiciaire, combinés avec les articles 1165, 1315, 1350, 3°, et 1352 du Code civil, entraînent que la juridiction belge saisie d’une demande de réparation du préjudice causé par la violation de dispositions du droit de l’Union, notamment les articles 63, 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, n’examine pas s’il y a ou non des restrictions aux droits et libertés garantis ou une infraction aux règles relatives à la concurrence, en usant le cas échéant du renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne, au motif qu’en raison de la force probante attachée sur ces questions à une décision du tribunal arbitral du sport, il incombe à la partie lésée de rapporter la preuve contraire de l’absence d’objectifs légitimes et de proportionnalité de la mesure avec ceux-ci ?
- Lorsque sont déclarées établies les restrictions, par les articles 18bis et 18ter du règlement édicté par la [première défenderesse] interdisant les accords ‘third party ownership’ ou ‘third party investment’, à la libre circulation des capitaux telle qu’elle est garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, faut-il considérer que ces mêmes dispositions du règlement génèrent nécessairement une restriction au sens de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou un abus de position dominante au sens de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt répond au moyen que la demanderesse tirait du caractère forcé de l’arbitrage en constatant que « [la demanderesse] a confirmé, après la naissance de son litige avec la [première défenderesse], la compétence du [tribunal arbitral pour le sport], ainsi qu’il résulte du texte même de la sentence [de ce tribunal du 9 mars 2017 selon laquelle] ‘la compétence [dudit tribunal] n’est contestée par aucune des parties et a été confirmée par la signature de l’ordonnance de procédure’ » et en considérant que, « par conséquent, le moyen d’illégalité des sanctions disciplinaires déduit du caractère forcé de l’arbitrage n’est pas fondé ».
Il n’était pas tenu de répondre en outre à chacun des arguments de la demanderesse, qui ne constituaient aucun moyen distinct.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par les première et troisième défenderesses et déduite du défaut d’intérêt :
L’arrêt attaqué fonde sa décision de rejeter la demande de la demanderesse contre la première défenderesse, non sur la considération qu’elle ne rapporte pas la preuve de ses griefs déduits du droit de l’Union européenne, mais sur celle que l’autorité de la chose jugée de la sentence du 9 mars 2017 interdit à la cour d’appel de réexaminer la question de la compatibilité des articles 18bis et 18ter précités avec ce droit.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
Suivant l’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités ; les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.
L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose, au premier alinéa, que la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union, au deuxième alinéa, que lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question et, au troisième alinéa, que lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice.
Conformément à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal.
La directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne prévoit :
- à l’article 1er, alinéa 1er, que cette directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence commise par une entreprise ou une association d’entreprises puisse exercer effectivement son droit de demander la réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association ; elle établit des règles qui favorisent une concurrence non faussée sur le marché intérieur et qui suppriment les obstacles au bon fonctionnement de ce dernier, en garantissant une protection équivalente, dans toute l’Union, à toute personne ayant subi un tel préjudice ;
- à l’article 2, 1), que, aux fins de ladite directive, on entend par « infraction au droit de la concurrence », une infraction à l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou au droit national de la concurrence ;
- à l’article 4, que, conformément au principe d'effectivité, les États membres veillent à ce que toutes les règles et procédures nationales ayant trait à l’exercice du droit de demander des dommages et intérêts soient conçues et appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit, conféré par l’Union, à la réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence et que, conformément au principe d’équivalence, les règles et procédures nationales relatives aux actions en dommages et intérêts découlant d’infractions à l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne sont pas moins favorables aux parties prétendument lésées que celles qui régissent les actions similaires en dommages et intérêts découlant d’infractions au droit national.
Dans l’arrêt 102/81 du 23 mars 1982, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’il importe que le droit communautaire soit intégralement respecté sur le territoire de tous les États membres, les parties à un contrat n’étant donc pas libres d’y déroger, et attire l’attention sur le fait que, si un arbitrage conventionnel soulevait des questions de droit communautaire, les juridictions ordinaires pourraient être amenées à examiner ces questions, soit dans le cadre du concours qu’elles prêtent aux tribunaux arbitraux, notamment pour les assister dans certains actes de procédure ou pour interpréter le droit applicable, soit dans le cadre du contrôle de la sentence arbitrale, plus ou moins étendu selon le cas, qui leur revient en cas de saisine en appel, en opposition, pour exequatur ou par toute autre voie de recours ouverte par la législation nationale applicable.
Dans l’arrêt C-284/16 du 6 mars 2018, la Cour de justice expose que, pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union ; que, dans ce cadre, conformément à l’article 19 du Traité sur l’Union européenne, il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de justice de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit, et qu’en particulier, la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui, instaurant un dialogue de juge à juge, précisément entre ladite cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités.
Dans l’arrêt C-116/20 du 7 avril 2022, la même juridiction décide, d’une part, qu’en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause, le droit de l’Union n’imposant dès lors pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure interne conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit, d’autre part, que les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers ; qu’elles ne doivent cependant pas être moins favorables que celles qui régissent des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).
Après avoir constaté qu’« aux termes de l’article 1713, § 9, du Code judiciaire, ‘la sentence a, dans les relations entre les parties, les mêmes effets qu’une décision d’un tribunal’ » et qu’« en vertu des articles 24 et 28 du Code judiciaire, toute décision définitive a, dès son prononcé, autorité de la chose jugée […] et toute décision passe en force de chose jugée dès qu’elle n’est plus susceptible d’opposition ou d’appel, sauf les exceptions prévues par la loi et sans préjudice des effets des recours extraordinaires », l’arrêt attaqué considère qu’« il résulte de ces dispositions légales qu’une sentence arbitrale a l’autorité de la chose jugée dès la date à laquelle elle est rendue sans qu’une procédure d’exequatur doive être préalablement diligentée, sous réserve d’une réformation en appel devant d’autres arbitres ou d’une annulation par le juge étatique ».
Il énonce que « la sentence [arbitrale du 9 mars 2017] est définitive et est passée en force de chose jugée suite au rejet par le Tribunal fédéral suisse le 20 février 2018 du recours en annulation [de la demanderesse] », que « la sentence tranche la question litigieuse de la compatibilité des articles 18bis et 18ter du règlement [précité de la première défenderesse] avec le droit de l’Union européenne, posée dans des termes identiques devant la cour [d’appel] dans le cadre de l’action en responsabilité civile » dont elle est saisie, et que, « par conséquent, dans le lien d’instance avec la [première défenderesse], les moyens numérotés 1 à 6 et 8 [de la demanderesse, tirés de l’illégalité prétendue des articles 18bis et 18ter de ce règlement au regard de dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales], sont irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée de la sentence ».
Le moyen, en cette branche, fait grief à l’arrêt attaqué de s’abstenir d’examiner si la sentence du tribunal arbitral pour le sport du 9 mars 2017, à laquelle il reconnaît l’autorité de la chose jugée, respecte les dispositions fondamentales du droit de l’Union européenne dont la demanderesse allègue la violation en prétendant qu’il en est résulté un préjudice pour elle, bien que cette sentence n’ait pas fait l’objet d’un contrôle de conformité à ce droit permettant que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
L’examen du moyen, en cette branche, suppose l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne.
Il y a lieu, avant de statuer, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la première question libellée au dispositif du présent arrêt.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Par la considération que « le fait que [la deuxième défenderesse] ait […] activement milité en faveur de [l’]interdiction [des accords third party ownership ou third party investment] est sans incidence sous l’angle de [s]a responsabilité civile […], d’autant que, compte tenu de son classement en 2015, la participation [de la demanderesse] aux matchs organisés par [la deuxième défenderesse] était purement hypothétique », l’arrêt attaqué répond au moyen de la demanderesse que, par l’adoption des règles du fair-play financier, cette défenderesse a suscité et permis l’interdiction des accords third party ownership ou third party investment.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la seconde branche :
Quant aux deux rameaux réunis :
D’une part, l’arrêt attaqué constate que « [la première défenderesse] est une association sans but lucratif de droit privé suisse qui regroupe les associations nationales responsables de l’organisation et du contrôle du football dans leurs pays et territoires respectifs » et que « [la deuxième défenderesse] est une association sans but lucratif qui regroupe les associations nationales du continent européen ».
En conclusions, la demanderesse faisait valoir que la deuxième défenderesse est une confédération d’associations, elle-même membre de la première défenderesse, la deuxième défenderesse contestant cette dernière allégation.
En considérant, dans ce contexte, que « le fait que [la deuxième défenderesse] ait participé, en tant que membre de la [première défenderesse], aux discussions et à l’élaboration des règles interdisant les accords third party ownership ou third party investment […] est sans incidence sous l’angle de [s]a responsabilité civile », l’arrêt attaqué ne tient pas pour une réalité établie, mais envisage seulement l’hypothèse, que la deuxième défenderesse soit un membre de la première.
D’autre part, l’arrêt ne constate ni qu’il existe un accord, une association ou une pratique concertée entre la première et la deuxième défenderesse ni que les fédérations nationales ou les fédérations regroupant les clubs se présentent comme une entité collective vis-à-vis des acteurs économiques et des consommateurs.
Le moyen, dont l’examen, en cette branche, requiert des vérifications de fait excédant les pouvoirs de la Cour, est, comme le soutient la deuxième défenderesse, irrecevable.
Et le moyen, en cette branche, étant irrecevable pour un motif propre à la procédure en cassation, les questions préjudicielles proposées par la demanderesse ne doivent pas être posées à la Cour de justice de l’Union européenne.
Sur le troisième moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la première et la troisième défenderesse et déduite de l’imprécision :
Le moyen fait avec une suffisante précision grief à l’arrêt attaqué de violer les dispositions du droit de l’Union européenne indiquées en faisant peser sur la demanderesse la charge de la preuve de la compatibilité des articles 18bis et 18ter du règlement précité de la première défenderesse avec les libertés de circulation de capitaux, de prestation de services et du travailleur et avec les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en raison de la force probante qu’il attache à une sentence arbitrale n’ayant pu faire l’objet d’un contrôle par une juridiction susceptible de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la deuxième défenderesse et déduite de ce qu’il oblige la Cour à une appréciation de fait :
Le moyen n’oblige pas la Cour à apprécier en fait la valeur des moyens élevés par la demanderesse pour renverser la preuve tirée de la sentence arbitrale.
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la deuxième défenderesse et déduite de la nouveauté :
Le moyen invoquant la violation de l’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne, qui est d’ordre public, peut être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation.
La violation de cette disposition suffirait, si le moyen était fondé, à entraîner la cassation.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen :
L’arrêt attaqué rejette la demande de la demanderesse dirigée contre la troisième défenderesse aux motifs qu’« un jugement est opposable aux tiers en ce sens que son existence même, au sein de l’ordonnancement juridique, s’impose à tous », que « l’opposabilité du jugement aux tiers signifie que la force probante de ce qui a été jugé sur une question litigieuse ou un point litigieux peut être invoquée contre et par les tiers, sous réserve de la preuve contraire », que « cette règle vaut pour la sentence arbitrale » et que la demanderesse ne renverse pas la force probante de la sentence du tribunal arbitral pour le sport du 9 mars 2017.
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué de faire peser sur la demanderesse la charge de renverser la présomption tirée de ladite sentence que les restrictions résultant des articles 18bis et 18ter du règlement précité de la première défenderesse sont conformes aux dispositions fondamentales du droit de l’Union dont la demanderesse allègue la violation en prétendant qu’il en est résulté un préjudice pour elle, bien que cette sentence n’ait pas fait l’objet d’un contrôle de conformité au droit de l’Union européenne permettant que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
L’examen du moyen, en cette branche, suppose l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne.
Il y a lieu, avant de statuer, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la seconde question libellée au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait répondu aux questions suivantes :
1. L’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fait-il obstacle à l’application de dispositions de droit national telles que les articles 24 et 1710, § 9, du Code judiciaire belge, tendant à sanctionner le principe de l’autorité de la chose jugée, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union européenne a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ?
2. L’article 19, paragraphe 1er, du Traité sur l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fait-il obstacle à l’application d’une règle de droit national accordant à l’égard des tiers une force probante, sous réserve de la preuve contraire qu’il leur incombe de rapporter, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union européenne a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du huit septembre deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.