N° P.23.0945.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE LIEGE,
demandeur en cassation,
contre
1. D. O.,
père de l’enfant de moins de douze ans T. N. D.,
2. Q. S.,
mère de l’enfant de moins de douze ans T. N. D.,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi, limité aux dispositions statuant sur l’action publique, est dirigé contre un arrêt rendu le 5 juin 2023 par la cour d’appel de Liège, chambre de la jeunesse.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L’avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LES FAITS ET LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE
1. Les parents de l’enfant T. N. ne vivent plus ensemble depuis 2016. Le service de l’Aide à la jeunesse a été saisi en mai 2022, dans un contexte de plaintes réciproques des parents auprès de SOS Enfants, le père affirmant que l’enfant a été victime de maltraitance par sa mère et celle-ci accusant le père de s’être montré violent à l’égard de l’enfant.
Par un jugement du 8 novembre 2022, le tribunal de la famille a décidé que l’enfant devait être hébergée à titre principal par sa mère, et, à titre secondaire, par son père.
En décembre 2022, l’équipe SOS Enfants a réalisé un bilan psychosocial qui conclut, notamment, à l’existence « d’une situation d’aliénation familiale maternelle déjà bien ancrée ». Le juge de la jeunesse a alors ordonné, en janvier 2023, l’hébergement provisoire de l’enfant hors de son milieu maternel. T. N. a été placée chez son père et, en l’absence d’évolution fondamentale, le juge de la jeunesse a renouvelé cette mesure le 10 février 2023. Les ordonnances du juge de la jeunesse prévoyaient également des rencontres encadrées mère-fille.
2. Le tribunal de la jeunesse a été saisi par le procureur du Roi d’une demande fondée notamment sur l’article 51 du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse.
Par un jugement rendu le 21 mars 2023, le tribunal a décidé, en application de l’article 51, alinéa 1er, 1° et 2°, du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, que « [l’enfant] sera hébergée temporairement hors de son milieu maternel de vie en vue de son éducation ou de son traitement » et que « les cités seront soumis à des directives ou à un accompagnement d’ordre psychologique, social ou éducatif ».
A l’appui de cette décision, le tribunal de la jeunesse a considéré que l’hébergement de l’enfant hors de son milieu de vie maternel restait nécessaire, dès lors qu’il permet à l’enfant d’échapper au conflit de loyauté dans lequel sa mère le place, de se centrer sur elle-même et ses propres besoins, et de s’épanouir.
3. L’arrêt attaqué confirme le jugement précité du 21 mars 2023 « sous l’émendation que la mesure d’hébergement temporaire de [l’enfant] hors de son milieu de vie maternel en vue de son éducation ou de son traitement est annulée ».
Se prononçant également sur les demandes civiles connexes, formées par les défendeurs, de régler les modalités de l’exercice de l’autorité parentale en application de l’article 7 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, l’arrêt « rappelle qu’il appartient aux père et mère d’exercer conjointement l’autorité parentale sur [l’enfant] », « dit [qu’elle] sera domiciliée chez son père », « confie [au père] l’hébergement principal de l’enfant jusqu’à ce que les juridictions de la famille statuent dans le même sens, ou, le cas échéant, en décident autrement » et « dit qu’il n’est pas opportun que la cour [d’appel] statue sur les modalités de l’exercice du droit d’hébergement de la mère à l’égard de l’enfant, un travail portant sur la relation mère/fille étant actuellement confié au directeur de la protection de la jeunesse ».
III. LA DÉCISION DE LA COUR
4. Le moyen soutient que, en annulant la mesure d’hébergement temporaire hors du milieu de vie maternel de l’enfant aux motifs que « l’hébergement hors du milieu de vie d’un enfant en vue de son éducation ou de son traitement doit s’entendre comme un hébergement hors de son milieu familial (ses parents ou sa famille au sens plus élargi) ou du milieu dans lequel il vit, s’il ne vit déjà plus dans sa famille » et que « l’article 51 du décret ne permet pas aux juridictions de la jeunesse de prononcer une mesure d’hébergement temporaire hors du milieu de vie de tel ou tel parent », l’arrêt viole l’article 51, alinéa 1er, 2°, du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse.
Le demandeur fait valoir que le législateur a remplacé, dans le décret précité, et notamment à l’article 51, alinéa 1er, 2°, la notion de « milieu familial de vie », utilisée à l’article 38, § 3, 2°, du décret abrogé du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à la jeunesse, par celle de « milieu de vie », et que, ainsi, le législateur a clairement exprimé la volonté de permettre au tribunal de la jeunesse d’ordonner l’hébergement en dehors du milieu de vie de l’un des parents. Selon le moyen, cette intention est confirmée par l’auteur du projet de décret qui, suivant le point de vue exprimé par le ministère public dans l’avis qu’il avait donné sur l’avant-projet, a précisé dans l’exposé des motifs que le tribunal de la jeunesse pouvait confier l’enfant à l’autre parent sur la base de l’article 51, alinéa 1er, 2°.
Il s’ensuit, d’après le moyen, que la cour d’appel a fait une application inexacte de cette disposition et qu’elle a illégalement exclu la possibilité d’ordonner sur cette base l’hébergement de l’enfant en dehors de son milieu de vie maternel.
5. L’article 51, alinéa 1er, du décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse dispose :
« Après avoir constaté que la sante ou la sécurité d'un enfant est actuellement et gravement compromise et que les personnes concernées refusent ou négligent de mettre en œuvre l'aide volontaire, qui a du être préalablement envisagée par le conseiller, le tribunal de la jeunesse peut, le cas échéant de façon cumulative :
1° soumettre l'enfant, sa famille et ses familiers ou l'un d'eux a des directives ou a un accompagnement d'ordre psychologique, social ou éducatif ;
2° décider, dans des situations exceptionnelles, que l'enfant sera hébergé temporairement hors de son milieu de vie en vue de son éducation ou de son traitement ;
3° permettre a l'enfant, s'il a plus de seize ans, de se fixer dans une résidence autonome ou supervisée et de prendre inscription au registre de la population du lieu de cette résidence ».
6. L’intention prêtée par le moyen au législateur ne ressort pas du texte de l’article 51, alinéa 1er, 2°, du décret, puisque cette disposition n’énonce pas que le tribunal de la jeunesse est autorisé à limiter la mesure de l’hébergement temporaire hors du milieu de vie de l’enfant, à l’une ou l’autre des personnes qui composent ce milieu de vie, par exemple en décidant que l’enfant sera hébergé hors de son milieu de vie paternel ou hors de son milieu de vie maternel.
Cette intention ne ressort pas davantage des travaux préparatoires du décret.
L’exposé des motifs ne mentionne pas que le choix de la notion « milieu de vie », au lieu de « milieu familial de vie », procèderait de la volonté de permettre dorénavant au tribunal de la jeunesse de restreindre ladite mesure d’éloignement au père ou à la mère. Il énonce que l’expression milieu de vie « est utilisée afin de viser toutes les situations, en ce compris celles dans lesquelles l’enfant ou le jeune ne vit déjà plus au sein de sa famille ». A cet égard, l’exposé des motifs précise que « dans l’ensemble du décret, en fonction de la disposition dans laquelle ils figurent et de la situation concernée, ces termes viseront soit le milieu familial de l’enfant ou du jeune (ses parents ou sa famille au sens le plus large), soit le milieu dans lequel il vit » (Doc. parl., session 2016-2017, 467, n° 1, p. 33).
Ainsi que le moyen le souligne, l’exposé des motifs énonce également, concernant l’utilisation de l’expression « milieu de vie » au lieu de « milieu familial de vie », qu’« il ne s’agit pas de remettre en cause la compétence du tribunal de la famille pour organiser l’hébergement des enfants et pour les questions liées à l’autorité parentale », que, « comme le rappellent le Conseil communautaire et le ministère public dans leurs avis, l’ingérence de l’aide contrainte dans le domaine civil doit être strictement limitée aux situations de danger, un conflit parental ne constituant pas en soi une situation de danger au sens du décret », que, « de plus, cette ingérence doit être fondée sur le fait que l’absence de décision civile ou le caractère inapplicable de la décision civile contribue à mettre l’enfant en danger et être limitée dans le temps », et que « ce n’est donc que dans le respect de ces conditions que le tribunal de la jeunesse pourrait décider, sur la base de l’article 51, alinéa 1er, 2°, de confier l’enfant à l’autre parent » (Doc. parl., session 2016-2017, 467, n° 1, p. 47).
Par cette considération, l’auteur du projet de décret expose dans quels cas et à quelles conditions le tribunal de la jeunesse est autorisé, lorsqu’il décide de prendre une mesure de protection, de déterminer les modalités d’exercice de l’autorité parentale relevant en principe de la compétence du tribunal de la famille.
Contrairement à ce que le moyen soutient, l’extrait précité des travaux préparatoires ne permet pas de considérer que le législateur ait eu l’intention, alors que l’article 51, alinéa 1er, 2°, du décret ne le prévoit pas, d’autoriser le tribunal de la jeunesse à prononcer une mesure protectionnelle d’hébergement temporaire en dehors du milieu de vie paternel ou maternel de l’enfant.
Le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
7. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-deux euros nonante centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, Bart Wylleman, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Sven Mosselmans, conseillers, et prononcé en audience publique du seize août deux mille vingt-trois par Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, en présence de Bart De Smet, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.