N° P.23.0908.F
LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en règlement de juges,
en cause de
A. A., déclarant être né à Tripoli (Lybie) le 23 mars 2004, sans domicile ni résidence connue en Belgique,
personne poursuivie.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Dans une requête annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme, le demandeur sollicite de régler de juges ensuite d’un arrêt rendu le 17 février 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse, et d’un arrêt rendu le 3 octobre 2022 par la même cour d’appel, chambre correctionnelle.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
1. Le 29 novembre 2021 et le 28 décembre 2021, le parquet de Bruxelles a saisi le tribunal de la jeunesse, en application de l’article 36, 4°, de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, de réquisitions à l'égard d’A. A., poursuivi du chef de faits qualifiés infraction commis avant l'âge de 18 ans accomplis.
2. Par l’arrêt du 17 février 2022, la chambre de la jeunesse de la cour d’appel de Bruxelles a jugé que, à la date des faits, le jeune était âgé de plus de 18 ans. En conséquence, cette juridiction s’est déclarée incompétente et a renvoyé la cause au ministère public aux fins de poursuites devant la juridiction compétente s’il y a lieu.
Le procureur du Roi a ensuite convoqué le prévenu à comparaître devant le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles. Par un jugement du 25 mars 2022, le tribunal a jugé que le prévenu était mineur d’âge à la date des faits et que, par conséquent, il était incompétent pour en connaître.
Par l’arrêt du 3 octobre 2022, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bruxelles a confirmé cette décision.
3. Les deux arrêts portent sur les mêmes faits. A. A. est suspecté d’avoir commis des faits de vol, tentative de vol et rébellion, entre le 3 juin 2021 et le 27 décembre 2021. Le premier fait a été commis le 4 juin 2021, le dernier le 26 décembre 2021.
Il ressort des pièces de la procédure que les arrêts sont passés en force de chose jugée.
La contrariété entre ces décisions engendre un conflit de juridiction qui entrave le cours de la justice, de sorte qu’il y a lieu de régler de juges.
4. A. A. a déclaré être né le 23 mars 2004, soit moins de 18 ans avant les faits mis à sa charge. Trois expertises ont été réalisées afin de vérifier son âge :
- le rapport du médecin établi sur la base d’une radiographie de la main et du poignet gauche, réalisée le 17 juin 2021 au service d’imagerie médicale du CHU-Brugmann, énonce que, selon la méthode de l’atlas de Greulich et Pyle, l’âge osseux de la personne examinée correspond à 19 ans (déviation standard d’un an et intervalle de confiance de 2 ans) ; par un courrier électronique du 4 février 2022, adressé en réponse à une question du ministère public quant à l’interprétation de ce résultat, le chef du service a précisé que la déviation standard était de plus ou moins un an et l’intervalle de confiance de plus ou moins 2,5 %, de sorte que, selon l’auteur du courriel, il y a 2,5 % de chances que l’intéressé n’ait pas 18 ans, ce qui est généralement constaté dans le cadre d’une maladie métabolique ; le courriel ajoute que, à la revue des clichés, la personne examinée a manifestement un squelette adulte ;
- le 27 décembre 2021, à l’occasion de nouveaux faits que le prévenu aurait commis la veille, il a été procédé à un examen radiologique du poignet gauche à l’hôpital Erasme ; le rapport conclut que, selon la même méthode que celle suivie pour l’examen précédent, la personne examinée présente un âge osseux de 18 ans ; le rapport précise : « À noter les limites du système liées à la variabilité individuelle et à l’absence de classification par ethnie. Marge d’erreur d’environ un an » ;
- une troisième expertise, comportant des radiographies de la main et du poignet, de la dentition et de la clavicule, a été effectuée le 14 février 2022 à l’hôpital militaire Reine Astrid, à la demande du service des Tutelles du Service public fédéral Justice : selon le rapport du radiologue établi le 15 février 2022, la radiographie du poignet indique un âge osseux qui peut être estimé à au moins 18 ans selon la méthode précitée ; la conclusion du rapport précise que ce résultat va dans le sens d’une personne qui possède un squelette mature ; pour la radiographie de la dentition, le rapport énonce qu’elle permet de constater un stade d’évolution d’au moins 20,62 ans avec une déviation standard de 1,5 an ; s’agissant de la radiographie de la clavicule, le rapport mentionne qu’elle révèle un développement correspondant, selon la classification de Schmeling, à un âge moyen de 26,7 ans avec une déviation standard de 2,3 ans ; la conclusion du rapport énonce que l’analyse de ces données indique que, le 14 février 2022, l’intéressé avait un âge supérieur à 18 ans avec un âge minimum de 24,4 ans.
5. La troisième expertise est plus étendue que les deux autres puisqu’elle ne se borne pas à énoncer l’âge correspondant au développement de la main et du poignet, mais prend également en considération l’âge révélé par la croissance de deux autres parties du corps de la personne examinée, en l’occurrence la dentition et la clavicule.
Les conclusions de cette expertise sont également plus précises étant donné que, pour chacun des trois éléments corporels examinés, elles indiquent un âge minimum, ce qui n’est pas le cas des expertises des 17 juin 2021 et 27 décembre 2021.
L’énonciation, à la fin du rapport du troisième examen, que l’analyse des données mentionnées indique que, à cette date, le prévenu avait un âge supérieur à 18 ans et que son âge minimum était alors de 24,4 ans, ne laisse subsister aucun doute quant au fait que, durant l’entièreté de la période délictueuse précitée, A. A. était majeur.
6. L’arrêt du 3 octobre 2022 décide à tort qu’il n’est pas établi que la personne suspectée était âgée d’au moins 18 ans au moment des faits.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Réglant de juges,
Annule l’arrêt rendu le 3 octobre 2022 par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bruxelles et le jugement rendu le 25 mars 2022 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge des décisions annulées ;
Laisse les frais à charge de l'État ;
Renvoie la cause au tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, autrement composé.
Lesdits frais taxés jusqu’ores à zéro euro.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, Bart Wylleman, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Sven Mosselmans, conseillers, et prononcé en audience publique du seize août deux mille vingt-trois par Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, en présence de Bart De Smet, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.