N° P.21.1425.F
1. G. C.,
2. S.. D.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Marko Obradovic, avocat au barreau du Brabant wallon.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un jugement rendu le 28 octobre 2021 par le tribunal correctionnel du Brabant wallon, statuant en degré d’appel.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 6 juin 2023, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 21 juin 2023, le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le tribunal correctionnel a condamné la demanderesse pour avoir sciemment confié un véhicule à moteur à une personne non munie du permis de conduire exigé pour la conduite du véhicule, et pour avoir mis ou maintenu celui-ci sur la voie publique alors que, soumis au contrôle technique, il n’était pas pourvu d’un certificat de visite en cours de validité. Le demandeur a été condamné pour avoir conduit ledit véhicule sur la voie publique en dépit d’une déchéance du droit de conduire et sans être titulaire d’un permis de conduire, ainsi que pour non-respect de l’obligation de porter la ceinture de sécurité.
Le jugement relate les faits comme suit : « Le 7 août 2019, un agent de police circulant dans le cadre d’un transfert rue du Fief Grognon à Nivelles indique qu’au carrefour formé par cette rue et l’avenue Général Jacques, il reconnaît le [demandeur], bien connu de ses services, qui conduit le véhicule de sa compagne, laquelle est présente dans le véhicule comme passagère, à l’avant. Le verbalisant mentionne également que le [demandeur] ne porte pas de ceinture de sécurité et que le contrôle technique du véhicule est expiré. Le procès-verbal dressé mentionne la plaque d’immatriculation du véhicule et le type de véhicule ».
2. Le moyen invoque la violation de l’article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière.
Il soutient que le tribunal ne pouvait pas attribuer, à la mention du procès-verbal selon laquelle l’agent verbalisateur a reconnu le demandeur comme étant le conducteur du véhicule, la force probante particulière que cet article prévoit.
Les demandeurs font valoir que la loi n’accorde foi jusqu’à preuve du contraire qu’aux seules constatations matérielles de l’agent qualifié au moment de l’infraction ou immédiatement après sa commission, et non aux déductions qu’il tire de ses constatations ou aux informations obtenues en dehors de celles-ci. Selon le moyen, la reconnaissance visuelle d’un individu par l’agent verbalisateur n’est pas une telle constatation, mais « une déduction qu’[il] tire de ses constatations en s’appuyant sur le souvenir qu’il a de la personne en dehors de ce qu’il constate ».
3. L'article 62, alinéa 1er, de la loi relative à la police de la circulation routière dispose que les agents de l'autorité désignés par le Roi pour surveiller l'application de cette loi et de ses arrêtés d’exécution constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire.
Cette valeur probante particulière vaut pour les constatations personnelles de l’agent verbalisateur, c’est-à-dire pour ce que l’agent voit, entend et constate personnellement au moment de l’infraction ou immédiatement après sa commission, quant aux éléments matériels de l’infraction et aux circonstances y afférentes. Elle ne s’applique pas aux constatations ultérieures, ni aux informations que le verbalisateur a recueillies en dehors de cette première constatation ou aux éléments fournis ultérieurement.
La mention consignée dans le procès-verbal de l’agent qualifié, selon laquelle ce dernier a reconnu un usager de la route pendant qu’il commettait l’infraction à la réglementation routière, est une constatation personnelle de cet agent, faite au moment de l’infraction ou immédiatement après sa commission, et portant sur les éléments matériels de l’infraction et sur les circonstances y afférentes.
En ayant accordé foi jusqu’à preuve du contraire à la mention du procès-verbal selon laquelle l’agent verbalisateur a reconnu le demandeur pendant qu’il conduisait le véhicule de sa compagne, les juges d’appel n’ont pas violé l’article 62, alinéa 1er, de la loi relative à la police de la circulation routière.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
4. Le moyen invoque également la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que la méconnaissance du principe général du droit relatif à la charge de la preuve en matière répressive.
Les demandeurs font valoir que la reconnaissance visuelle d’un suspect est un mode de preuve éminemment subjectif dont la fiabilité dépend de nombreuses variables humaines et situationnelles. Ils soutiennent que la personne poursuivie doit pouvoir contester la fiabilité de la reconnaissance visuelle qu’on lui oppose et que le juge doit être en mesure d’en apprécier librement la valeur en fonction des circonstances concrètes de la cause.
5. En tant qu’il soutient que la reconnaissance visuelle d’une personne par un agent qualifié est moins fiable que les autres constatations visuelles auxquelles l’article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière attribue une force probante particulière, le moyen exige une appréciation des éléments de fait de la cause qui n’est pas au pouvoir de la Cour.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
6. Contrairement à ce que le moyen soutient, les juges d’appel n’ont pas rejeté la défense des demandeurs selon laquelle le demandeur n’était pas le conducteur de la voiture de la demanderesse, pour le seul motif qu’il a été reconnu par l’agent qualifié et que cette constatation possède une valeur probante spéciale.
Après avoir énoncé ce motif, le tribunal a examiné concrètement la contestation des demandeurs. D’abord, en ayant relevé que, dans le formulaire de réponse au procès-verbal envoyé aux contrevenants, la demanderesse s’était contentée d’écrire qu’elle était la conductrice principale du véhicule et que le demandeur avait indiqué qu’il était possible, sans certitude, que le parrain de sa fille ait conduit la voiture. Ensuite, en ayant constaté que ce n’est qu’un an après les faits qu’un tiers, dont le jugement précise que le tribunal ignore s’il est le parrain évoqué dans le formulaire de réponse, affirmera avoir conduit le véhicule le jour des faits. Enfin, en ayant jugé que, au regard du nombre important de contradictions dans les déclarations des demandeurs et du tiers, et aussi compte tenu du caractère tardif de la déposition de ce dernier, les éléments invoqués n’étaient pas de nature à ébranler la force probante particulière du procès-verbal rédigé par l’agent verbalisateur.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Sur le second moyen :
7. Les demandeurs exposent qu’ils ont coché, dans leurs formulaires de griefs joints aux déclarations d’appel, la rubrique « procédure » et qu’ils y ont fait valoir que « le jugement viole les droits de la défense et l’article 149 de la Constitution en ce qu’il n’est pas motivé et ne répond pas aux conclusions du prévenu ».
Pris de la violation de l’article 204 du Code d’instruction criminelle, le moyen critique la décision du tribunal qui ne s’estime « pas valablement saisi de ce grief » parce que les demandeurs n’en ont tiré aucune conséquence juridique à l’audience ou dans leurs conclusions, et que, par conséquent, le grief est dénué de précision. Les demandeurs font valoir que, contrairement à ce que le jugement affirme, le grief invoqué identifie clairement ce qui est reproché au premier juge et constitue donc bien un grief précis. En outre, le juge ne peut déduire l’imprécision d’un grief d’appel de la circonstance que l’appelant n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles celui-ci est élevé.
8. Le moyen repose sur l’affirmation qu’une critique de régularité ou de légalité adressée au jugement entrepris constitue un grief au sens de l’article 204 du Code d’instruction criminelle.
Mais cette disposition légale ne vise, sous l’appellation « griefs », que l’indication spécifique d’une décision déterminée du jugement entrepris, dont l’appelant demande la réformation.
En soutenant que le premier juge n’a pas répondu à des conclusions ou a méconnu les droits de la défense, l’appelant n’indique pas le dispositif qu’il entend déférer aux juges d’appel.
L’objet de la réformation sollicitée ne s’identifie pas à la critique développée au soutien de celle-ci.
Confondant l’une avec l’autre, le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
9. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingts euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.