N° S.22.0044.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales, direction générale des expertises juridiques de la commission des artistes, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
N. L.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 mars 2022 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 15 mai 2023, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l’article 1erbis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, cette loi est applicable aux personnes qui, ne pouvant être liées par un contrat de travail entraînant l’application de la loi conformément à son article 1er parce qu'un ou plusieurs des éléments essentiels à l'existence dudit contrat sont inexistants, fournissent des prestations ou produisent des œuvres de nature artistique contre paiement d'une rémunération et pour le compte d'un donneur d'ordre, personne physique ou morale ; dans ce cas, le donneur d'ordre est assimilé à l'employeur. L’alinéa 2 définit la fourniture de prestations ou la production d'œuvres de nature artistique comme étant la création, l'exécution ou l'interprétation d'œuvres artistiques dans certains secteurs.
L’article 17sexies, §§ 2 et 3, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, qui met en œuvre l’habilitation confiée au Roi par l’article 1erbis, § 3, alinéa 2, de cette loi, soustrait à son application la personne qui fournit des prestations artistiques ou produit des œuvres artistiques et à laquelle sont octroyées des indemnités forfaitaires de défraiement limitées en montant et en nombre de jours d’octroi, ainsi que le donneur d’ordre qui fait appel à cette personne, à la condition que cette dernière soit en possession d’une carte d’artiste.
L’article 172, § 1er, de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 institue une commission artistes au sein du service public fédéral de la Sécurité sociale, composée de fonctionnaires de l’Office national de sécurité sociale, de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants et de l’Office national de l’emploi ainsi que de représentants des organisations syndicales au niveau interprofessionnel, des organisations patronales et du secteur artistique.
Suivant l’article 1erbis, § 1er, alinéa 3, de la loi du 27 juin 1969, la commission artistes évalue, sur la base de la définition précitée et d’une méthodologie déterminée dans son règlement d’ordre intérieur confirmé par un arrêté royal délibéré en conseil des ministres, si l’intéressé fournit des prestations ou produit des œuvres de nature artistique au sens de cet article.
Conformément à l’article 17 du règlement d’ordre intérieur approuvé par l’arrêté royal du 29 février 2016, la commission artistes détermine, sur la base de critères objectifs et pertinents et conformément à la définition précitée, ce qu’il y a lieu d’entendre par prestations ou œuvres de nature artistique, toute demande fait l’objet d’un examen de l’activité artistique et la commission peut également tenir compte des informations suivantes : examiner jusqu’à quel point une activité (création, production, prestation) a subi l’influence d’apport d’ordre artistique notamment sur le plan technique, technologique ou organisationnel, se laisser inspirer par la législation sur les droits d’auteur et les droits voisins, tenir compte des formes, techniques ou technologiques, matériaux, utilisés afin de réaliser une création ou une prestation artistique.
L’article 172, § 2, 4° et 5°, de la loi-programme charge la commission artistes de délivrer le visa d’artiste attestant le caractère artistique des prestations ou œuvres, ou, en cas d’application de l’article 17sexies de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, la carte d’artiste.
Lorsque la commission artistes refuse cette carte à un assuré social au motif qu’il ne fournit pas de prestations et ne produit pas d’œuvres artistiques, et que ce dernier conteste cette décision administrative, une contestation naît entre le demandeur et l’assuré social sur l’application du régime de sécurité sociale résultant de l’article 17sexies de l’arrêté royal.
Il relève de la compétence du tribunal du travail de statuer sur cette contestation, dès lors qu’en vertu de l’article 580, 19°, du Code judiciaire, celui-ci connaît des recours contre les décisions prises en application de l’article 1erbis de la loi du 27 juin 1969 par la commission artistes.
Le tribunal du travail exerce un contrôle de pleine juridiction sur la décision prise par cette commission ; à condition de respecter les droits de la défense et de rester dans le cadre de l’instance, tel qu’il est déterminé par les parties, tout ce qui relève du pouvoir d’appréciation de la commission tombe sous le contrôle du tribunal du travail, sauf lorsqu’une disposition particulière confère explicitement à la commission le pouvoir discrétionnaire de prendre une décision, auquel cas le juge ne peut la priver de son pouvoir d’appréciation et se substituer à elle.
Dès lors qu’en ce qui concerne l’application du régime de sécurité sociale résultant de l’article 17sexies de l’arrêté royal, aucune disposition légale ne confère un tel pouvoir discrétionnaire à la commission artistes, l’arrêt ne viole ni les dispositions précitées ni le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs en condamnant le demandeur à délivrer à la défenderesse la carte d’artiste que la commission lui avait refusée.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Pour décider que l’activité de modèle vivant telle que la défenderesse l’exerce constitue une activité artistique au sens de l’article 1erbis, § 1er, de la loi du 27 juin 1969, l’arrêt énonce ne pas apercevoir la pertinence de « la référence à l’article XI.174 du Code de droit économique, selon [lequel] ni l’auteur, ni le propriétaire d’un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d’un portrait n’a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l’assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayant droits pendant vingt ans à partir de son décès [...], cette disposition légale consacrant le droit à l’image d’une personne représentée, de manière générale, sans nullement exclure que cette même personne ait pu accomplir, dans le cadre de sa représentation, une œuvre artistique au sens de la loi ».
Par ces énonciations, l’arrêt ne refuse pas de tenir compte de cette disposition légale mais considère qu’elle ne contribue pas à déterminer si l’activité de modèle de la défenderesse est de nature artistique dès lors que les droits qu’elle confère à la personne représentée n’excluent pas qu’une activité de modèle ait cette nature.
Fondé sur une interprétation inexacte de l’arrêt, le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent nonante-six euros vingt-sept centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du douze juin deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.