N° S.17.0054.F
M. M. M.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 mars 2017 par la cour du travail de Liège.
Par arrêt du 13 décembre 2021, la Cour a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait répondu à la question préjudicielle libellée dans le dispositif de l’arrêt.
La Cour de justice de l’Union européenne a répondu à cette question par l’arrêt C-825/21 du 20 octobre 2022.
Le 27 mars 2023, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général
Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen que reproduit l’arrêt précité
du 13 décembre 2021.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
L’article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale limite à l’octroi de l’aide médicale urgente la mission du centre public d’action sociale à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L’alinéa 4 dispose qu’un étranger qui s’est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel séjourne illégalement dans le royaume lorsque la demande d’asile a été rejetée et qu’un ordre de quitter le territoire lui a été notifié.
En vertu de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, l'étranger séjournant en Belgique qui souffre d'une maladie telle qu'elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu'il n'existe aucun traitement adéquat dans son pays d'origine ou dans le pays où il séjourne peut, sous certaines conditions, demander l'autorisation de séjourner dans le royaume.
Conformément à l’article 7, § 2, de l’arrêté royal du 17 mai 2007 fixant les modalités d’exécution de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, applicable au litige, sauf si cette demande est déclarée irrecevable, l'étranger qui l’introduit est inscrit au registre des étrangers et mis en possession d'une attestation d'immatriculation de modèle A.
Suivant l’article 6, paragraphe 1er, de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, en règle, les États membres prennent une décision de retour à l'encontre de tout ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.
En vertu du paragraphe 4, à tout moment, les États membres peuvent décider d'accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et, dans ce cas, si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d'une autre autorisation conférant un droit de séjour.
En son arrêt C-825/21 du 20 octobre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que cet article 6, paragraphe 4, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre selon laquelle, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de cette disposition, en raison du caractère recevable de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de ce ressortissant à la suite du rejet de sa demande de protection internationale.
La délivrance de l’attestation d’immatriculation prévue par l’article 7, § 2, de l’arrêté royal du 17 mai 2007 indique que les demandeurs sont autorisés à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire. Elle implique dès lors, en règle, le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire antérieur, avec lequel elle est incompatible.
L’arrêt attaqué constate qu’un ordre de quitter le territoire a été délivré à la demanderesse en octobre 2014 après le rejet de sa demande d’asile ; qu’une attestation d’immatriculation lui a ensuite été délivrée conformément à l’article 7, § 2, de l’arrêté royal du 17 mai 2007 lorsque la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales qu’elle avait formée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 a été déclarée recevable ; que l’attestation d’immatriculation a cessé de lui être octroyée le 20 avril 2016 lorsque cette demande de séjour a été rejetée ; que le défendeur lui a octroyé l’aide sociale depuis la délivrance de l’attestation d’immatriculation jusqu’à son retrait et que la demanderesse conteste le refus de l’aide sociale du 1er mai au 2 novembre 2016.
Il considère que « l’ordre de quitter le territoire [...] adopté [avant la demande d’autorisation de séjour fondée par la demanderesse sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980] [...] [a vu] ses effets suspendus […] à partir de la décision disant cette demande recevable [et de la délivrance] des attestations d’immatriculation jusqu’[à] la décision [disant cette demande non fondée] », mais que cet ordre de quitter le territoire a subsisté et a repris ses effets « lorsque les attestations d’immatriculation [ont cessé] d’être accordées », de sorte qu’elle est en séjour illégal au regard de sa demande d’asile, comme prévu à l’article 57, § 2, alinéa 4, de la loi du 8 juillet 1976.
En statuant ainsi, l’arrêt attaqué viole cette dernière disposition.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il fixe la période litigieuse du
1er mai au 2 novembre 2016 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Vu l’article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens.
Renvoi la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de six cent deux euros quatre-vingt-cinq centimes en débet envers la partie demanderesse et à la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du douze juin deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.