N° P.23.0056.F
1. V. A.,
2. V. B.,
3. V. R., société anonyme,
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Karim Itani, avocat au barreau de Mons, et Joost Huysmans, avocat au barreau d’Anvers,
contre
1. S. B., agissant tant en nom personnel qu’en qualité d’administrateur de la personne et des biens de son fils mineur B. S.,
2. W. R-A., agissant tant en nom personnel qu’en qualité d’administrateur de la personne et des biens de ses enfants mineurs M. H. et B. S.,
3. H. T.,
4. T. E.,
5. H. A.,
6. T. A.,
7. VILLE D’ATH, représentée par son collège communal,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 30 décembre 2022 par la cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq moyens dans un mémoire commun annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 17 mai 2023, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LES FAITS
Le département de la police et des contrôles (DPC) du Service public de Wallonie Agriculture, Ressources naturelles et Environnement a établi le 29 octobre 2014 un procès-verbal de constatation d’infractions relatif au non-respect des conditions d’exploitation du permis d’environnement du centre de tri de déchets de classe 2, exploité par la demanderesse.
Ce procès-verbal a été transmis au procureur du Roi le 31 octobre 2014.
En l’absence de poursuites du procureur du Roi, une amende administrative a été imposée à la demanderesse, par le fonctionnaire sanctionnateur, le 13 avril 2015.
La demanderesse a exercé un recours contre cette décision devant le tribunal de première instance du Hainaut, division Tournai, qui a statué par un jugement du 14 mai 2018, passé en force de chose jugée.
Le 20 mai 2015, les deuxième et quatrième défendeurs ont déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction. La septième défenderesse s’est constituée partie civile de la même manière le 6 mai 2016. Les demandeurs ont ensuite été renvoyés devant le tribunal correctionnel.
L’arrêt attaqué déclare les demandeurs coupables :
- d’avoir exploité un centre de tri de déchets de classe 2, sans respecter les conditions imposées par la députation permanente du Hainaut et le permis d’environnement délivré par la ville d’Ath (infraction à l’article D.151, § 1er, alinéa 4, du Code wallon de l’environnement) (prévention L),
- de ne pas avoir pris toutes les précautions nécessaires pour éviter, réduire les dangers, nuisances ou inconvénients de l’établissement, ou de ne pas y avoir remédié (prévention M),
- d’avoir abandonné, rejeté ou manipulé des déchets au mépris des dispositions légales ou réglementaires (prévention N),
- et, enfin, de ne pas avoir assuré la gestion des déchets produits ou détenus, conformément à l’article 6bis du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets (prévention O).
Devant la cour d’appel, les demandeurs ont fait valoir que l’action publique n’avait pas été valablement mise en œuvre à leur égard, ne l’ayant pas été par le ministère public ou par l’autorité administrative, conformément à l’article D.160 du Code wallon de l’environnement, tel qu’applicable à l’époque des faits.
L’arrêt attaqué rejette cette défense.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur l’action publique :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 142 de la Constitution et 26, § 1er, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, ainsi que des articles D.160 et D.162 du Code wallon de l’environnement du 27 mai 2004, tel qu’applicable avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2019 relatif à la délinquance environnementale.
Selon les demandeurs, la cour d’appel n’a pu, sans violer les articles 142 de la Constitution et 26, § 1er, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, se livrer à un contrôle de la conformité des articles D.160 et D.162 du Code wallon de l’environnement à l’article 11 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Ils soutiennent que seule la Cour constitutionnelle était habilitée à constater, le cas échéant, que le législateur régional était incompétent, dans le cadre de ses attributions, pour déroger aux règles de la procédure pénale, en l’occurrence en ne permettant pas à une partie civile de mettre en mouvement l’action publique du chef des infractions au code précité.
Mais les juges d’appel n’ont pas décidé que les articles D.160 et D.162 du Code wallon de l’environnement méconnaissaient l’article 11 de la loi spéciale de réformes institutionnelles au motif qu’ils auraient introduit une dérogation aux dispositions de la procédure pénale qui, en règle, permettent aux personnes qui se disent lésées par une infraction de mettre en mouvement l’action publique en se constituant partie civile entre les mains du juge d’instruction.
Ils ont décidé, ce qui est différent, que les dispositions de ce code se bornaient à permettre à l’administration d’exercer des poursuites administratives en l’absence de décision du procureur du Roi d’entamer des poursuites pénales. Par ailleurs, ils ont estimé que cette prérogative, conférée par le législateur régional à l’administration, n’avait pas apporté de dérogation au droit de la victime d’une infraction environnementale de se constituer partie civile entre les mains d’un juge d’instruction, pareille compétence de déroger aux règles de la procédure pénale n’appartenant pas à l’autorité décrétale.
Procédant d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Et il n’y a pas lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle proposée, laquelle repose sur la prémisse erronée que, selon les juges d’appel ou le code précité, l’autorité régionale aurait entendu déroger à l’article 63 du Code d’instruction criminelle.
Quant à la seconde branche :
Les demandeurs soutiennent que les poursuites pénales reposant sur les préventions L, M, N et O n’auraient pu être déclarées recevables qu’en cas de mise en œuvre de l’action publique par le ministère public, dans les soixante jours de la réception du procès-verbal initial du 29 octobre 2014 constatant les infractions qui y sont visées.
Ils font valoir que l’action publique est éteinte, en partant de la prémisse que le procès-verbal précité concernait aussi les faits visés à ces préventions, et que le ministère public a décidé de ne pas exercer de poursuites à leur égard.
Les demandeurs reprochent enfin aux juges d’appel d’avoir considéré que l’extinction de l’action publique ne serait acquise que si les faits dont ils étaient saisis s’identifiaient à ceux qui avaient fait l’objet des poursuites administratives.
L’arrêt constate, d’une part, que les faits visés aux préventions L, M, N et O ne sont pas les mêmes que ceux visés audit procès-verbal et, d’autre part, qu’aucun procès-verbal n’a été dressé à propos de ces quatre préventions.
Procédant d’une lecture incomplète de l’arrêt, le moyen manque à cet égard en fait.
Il ne suit pas des articles D.160 et D.162 du Code wallon de l’environnement que la recevabilité de l’action publique serait subordonnée à l’envoi au procureur du Roi d’un procès-verbal constatant une infraction audit code.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, par la considération que les faits dont ils étaient saisis étaient étrangers à ceux qui avaient donné lieu aux poursuites administratives et à la sanction administrative infligée aux demandeurs, les juges d’appel se sont bornés à constater que l’action publique exercée à charge de ces derniers ne violait pas la règle non bis in idem.
A cet égard, le moyen manque également en fait.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 149 de la Constitution.
Devant les juges d’appel, les deux premiers demandeurs ont soutenu que l’enquête pénale avait été menée à charge. Ils ont fait valoir que l’agent verbalisateur avait, par le passé déjà, dressé de nombreux procès-verbaux à leur charge et qu’il leur avait infligé des amendes administratives qui avaient ensuite, sur leurs recours, été annulées. Ils ont rapporté l’existence de propos tendancieux à leur égard dans le chef des fonctionnaires de l’inspection de l’environnement.
Les deux premiers demandeurs ont également reproché au juge d’instruction de ne pas avoir fait vérifier les faits par un expert indépendant et de ne pas avoir fait entendre le deuxième demandeur par le fonctionnaire délégué, audition que ce magistrat avait pourtant ordonnée et à laquelle le fonctionnaire s’était soustrait, au motif que le prévenu souhaitait se faire assister d’un avocat. Enfin, ces demandeurs ont reproché aux fonctionnaires des commentaires révélant leur partialité.
Le moyen soutient que l’arrêt ne rejette cette défense que par des considérations générales.
Le juge ne doit répondre aux conclusions d’une partie que dans la mesure où elles contiennent des moyens, c’est-à-dire l’énonciation d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Il n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Aux pages 28 et 29 de l’arrêt, les juges d’appel ont indiqué que la circonstance que les demandeurs aient dû financer des études de sol et d’eaux pour établir l’absence de pollution était irrelevante, dès lors qu’ils n’ont finalement pas été poursuivis de ce chef. Concernant le grief de partialité subjective, la cour d’appel a considéré que la démonstration par les demandeurs d’un parti pris faisait défaut et que les griefs concernaient essentiellement des faits dont elle n’était pas saisie. Concernant le reproche de défaut d’impartialité objective, les juges d’appel ont relevé que la recherche et la constatation des infractions avaient été confiées aux agents verbalisateurs tandis que les amendes avaient été infligées par une autorité différente, étant le fonctionnaire sanctionnateur.
Par ces considérations, exemptes de la généralité que le moyen leur impute, les juges d’appel ont répondu à la défense des demandeurs et ont régulièrement motivé leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution.
Il n’est pas contradictoire de considérer que l’élément moral des infractions imputées tant aux demandeurs, personnes physiques, qu’à la demanderesse, personne morale, est constitué d’une négligence de sorte que seules la force majeure ou l’erreur invincible, non établies en l’espèce, sont de nature à écarter leur responsabilité pénale, puis, d’écarter le bénéfice de la cause d’excuse de l’ancien article 5, alinéa 2, du Code pénal, au motif que les demandeurs ont agi sciemment et volontairement.
Une infraction règlementaire ou de négligence punissable par la seule réalisation du fait matériel non justifié peut en effet avoir été commise de manière délibérée et volontaire.
Le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 195, alinéa 1er, et 211 du Code d’instruction criminelle.
Il reproche à l’arrêt de mentionner uniquement, quant à la prévention O, les articles 6bis et 7, § 2, du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets, c’est-à-dire, selon les demandeurs, les éléments constitutifs de l’infraction, mais non les dispositions légales qui érigent les faits en infraction et celles qui édictent la peine.
Le juge répressif est tenu d’indiquer les dispositions légales dont il fait application et qui déterminent tant les éléments constitutifs de l’infraction que les peines.
L’indication des dispositions légales applicables peut toutefois résulter d’une référence faite, dans la décision d’appel, à leur mention dans un autre acte de procédure, sans que cette décision reproduise à nouveau ces articles.
L’arrêt attaqué se réfère dans son dispositif aux dispositions légales indiquées au jugement dont appel.
Outre les articles 6bis et 7, § 2, du décret relatif aux déchets, ce jugement mentionne, aux pages 10 et 25, l’article 51 de ce décret et, aux pages 9 et 10, l’article D.151, § 1er, alinéa 3, du Livre Ier du Code wallon de l’environnement.
L’article 51 précité dispose : « commet une infraction de deuxième catégorie au sens de la partie VIII du Livre Ier du Code de l'Environnement, celui qui : 6° […] contrevient à l'article 7, §§ 1er, 2 et 3 […] ».
En vertu de l’article D.151 précité, dans sa version applicable aux faits de la cause, les infractions de deuxième catégorie sont punies d'un emprisonnement de huit jours à trois ans et d'une amende d'au moins 100 euros et au maximum de 1.000.000 d’euros ou d'une de ces peines seulement.
Ainsi, contrairement à ce que le moyen soutient, l’arrêt indique les dispositions légales qui déterminent les éléments constitutifs de l’infraction visée à la prévention O et celles qui édictent la peine.
Le moyen manque en fait.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen est pris de la violation de la foi due aux actes et concerne la seule prévention L.
Il est fait grief à l’arrêt de se référer à une audition inexistante du second demandeur, prétendument datée du 26 mai 2015.
Pareil grief est étranger à la violation de la foi due aux actes.
Le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les défendeurs contre les demandeurs :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de cent septante-neuf euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du sept juin deux mille vingt-trois par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.