N° P.22.1631.F
I. S. M.,
partie civile et prévenu,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, et ayant pour conseils Maîtres Gwennaëlle Battistelli, avocat au barreau de Mons, et Peter Callebaut, avocat au barreau de Termonde,
contre
1. ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, poursuites et diligences du conseiller général de l’administration du contentieux des douanes et accises de Mons,
partie poursuivante et civilement responsable,
2. B. D.,
3. S. B.
prévenus et parties civiles,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65/11, où il est fait élection de domicile,
II. ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, mieux qualifié ci-dessus,
partie poursuivante,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation,
contre
S. M., mieux qualifié ci-dessus,
prévenu et partie civile,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 2 novembre 2022 par la cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
A l’appui du premier pourvoi, le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de M. S., prévenu :
1. En tant que pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l’action publique :
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le demandeur reproche aux juges d’appel, d’une part, d’avoir écarté, en raison de leurs contradictions, les deux déclarations du témoin Sébastien Drossart et, d’autre part, d’avoir refusé de l’entendre sous serment à l’audience.
D’une part, aucune disposition, notamment celle visée au moyen, n’interdit au juge de refuser d’avoir égard aux déclarations d’un témoin lorsqu’il considère qu’elles sont dépourvues de fiabilité.
Ainsi, lorsque la loi n’établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie souverainement en fait la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa conviction et que les parties ont pu librement contredire.
D’autre part, en vertu de l’article 6.3.d, de la Convention, toute personne accusée d’une infraction a le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.
Ce droit n’est pas absolu, le juge pouvant accepter ou refuser une telle demande selon qu’elle apparaisse ou non utile à la manifestation de la vérité et dans le respect de l’équité du procès.
Lorsqu’une audition de témoin est demandée par voie de conclusions, le juge, s’il n’y fait pas droit, doit y répondre et motiver son refus.
Au terme d’une appréciation gisant en fait, les juges d’appel ont estimé que les déclarations successives du témoin précité étaient totalement contradictoires et que « l’une ou l’autre [versions] ne présentent pas le degré de fiabilité nécessaire pour fonder, même en combinaison avec d’autres éléments, une culpabilité ».
Ensuite, en réponse aux conclusions du demandeur qui, de manière subsidiaire, postulait l’audition par la cour d’appel de ce témoin, l’arrêt énonce qu’au vu de la versatilité de l’intéressé, il semble vain d’espérer en obtenir des déclarations fiables, fût-ce sous serment. Il ajoute que, l’intéressé pouvant être amené à avouer qu’il avait menti dans certaines déclarations, une audition sous serment ne peut se concevoir car elle l’exposerait à des poursuites. Enfin, l’arrêt considère que le dossier contient d’autres éléments aptes à éclairer les juges d’appel, de sorte que ce témoignage paraît inutile.
Partant, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision de ne pas avoir égard aux dires de ce témoin et de ne pas l’interroger à l’audience.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et en tant qu’il critique cette appréciation en fait de la fiabilité des témoignages recueillis et de l’utilité de faire procéder à une nouvelle audition, le moyen est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
Pris de la violation de l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et du droit de propriété, le moyen reproche à l’arrêt d’ordonner la confiscation spéciale des deux camions appartenant au demandeur, ce qui, selon lui, « constitue une sanction et mesure disproportionnée, contraire à la jurisprudence belge et communautaire, par rapport aux faits et infractions retenues à [sa] charge ».
En tant qu’il invoque la méconnaissance de la jurisprudence, le moyen est irrecevable.
Le moyen n’indique pas pour quel motif la confiscation prononcée à charge du demandeur méconnaîtrait l’interdiction, énoncée à l’article 7 de la Convention, de prononcer une condamnation pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction, et d’infliger aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
À cet égard également, le moyen, imprécis, est irrecevable.
La cour d’appel a prononcé la confiscation des camions précités en application des articles 42, 1°, et 43 du Code pénal parce qu’ils ont servi à commettre l’infraction d’utilisation illégale de gasoil de chauffage visée à la prévention A de la cause 3.
En vertu de l’article 43, alinéa 1er, du Code pénal, la confiscation des choses qui ont servi à commettre le crime ou le délit sera ordonnée, sauf lorsqu’elle a pour effet de soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde.
Ecartant la défense du demandeur, l’arrêt énonce à la page 29 que « la confiscation des camions […] n’est pas déraisonnablement lourde au regard de :
- l’enrichissement recherché par le [demandeur] ;
- son implication personnelle dans les faits, celui-ci ayant, en toute connaissance de cause, équipé ses camions de dispositifs lui permettant d’éluder le paiement de taxes ;
- la poursuite par [le demandeur] de son activité professionnelle, malgré la saisie des deux camions ;
- la nécessité de l’empêcher de réitérer semblables infractions, les camions confisqués étant, d’une part, toujours équipés du dispositif frauduleux et [le demandeur] disposant, d’autre part, d’autres camions ».
Par ces considérations, les juges d’appel ont régulièrement motivé et légalement justifié leur décision que la confiscation des deux camions du demandeur n’a pas pour effet de le soumettre à une peine déraisonnablement lourde.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, critiquant cette appréciation en fait des juges d’appel, le moyen est, dans cette mesure, irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Pris de la violation de l’obligation de motivation des décisions judiciaires, le moyen reproche aux juges d’appel de s’être contredits, d’une part, en ordonnant la confiscation des camions lui appartenant et, d’autre part, en admettant l’indemnisation du préjudice causé par les deuxième et troisième défendeurs, qui avaient endommagé l’un de ces véhicules.
La propriété de la chose confisquée n’étant acquise à l’Etat qu’à dater du moment où la décision de confiscation acquiert force de chose jugée, il n’est pas contradictoire, d’une part, de décider que le prévenu a pu subir un préjudice en raison du dommage causé à la chose dont il était toujours propriétaire au moment des faits et, d’autre part, d’ordonner la confiscation de cette chose.
À cet égard, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, en tant qu’il invoque la violation de l’article 420 de la loi-programme du 27 décembre 2004 qui, selon le demandeur, « accorde à une société forestière [l’autorisation] de rouler au gasoil rouge entre les bois et le siège de l’entreprise », le moyen exige, pour son appréciation, une vérification d’éléments de fait, qui n’est pas au pouvoir de la Cour.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées contre le demandeur par les deuxième et troisième défendeurs :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.
B. Sur le pourvoi de M. S., partie civile :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions qui, rendues sur l’action civile exercée par le demandeur contre les deuxième et troisième défendeurs, statuent sur
a. le principe de la responsabilité :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.
b. l’étendue du dommage :
L’arrêt déclare établis les faits mis à charge des deuxième et troisième défendeurs du chef de la prévention II de la cause 1, soit la mise hors d’usage, à dessein de nuire, du camion Scania.
Il les condamne solidairement à payer au demandeur un euro provisionnel et réserve à statuer sur le surplus de la demande.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Le pourvoi est irrecevable.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée par le demandeur contre l’Etat belge :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.
C. Sur le pourvoi de l’Etat belge :
Il n’apparaît pas des pièces de la procédure que le pourvoi ait été signifié à la partie contre laquelle il est dirigé.
Le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent trente et un euros trente-neuf centimes dont I) sur le pourvoi de M. S. : cent dix-sept euros quarante-cinq centimes dus et II) sur le pourvoi de l’Etat belge : septante-huit euros nonante-cinq centimes dus et trente-cinq euros payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.