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11/05/2023 | BELGIQUE | N°C.21.0112.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mai 2023, C.21.0112.F


N° C.21.0112.F
C. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
1. AMAZON EUROPE CORE, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 38,
2. AMAZON EU, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 38,
3. AMAZON SERVICES EUROPE, sociÃ

©té de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg...

N° C.21.0112.F
C. L.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
1. AMAZON EUROPE CORE, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 38,
2. AMAZON EU, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 38,
3. AMAZON SERVICES EUROPE, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 38,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 25 juin 2020 et l’arrêt rectificatif rendu le 4 décembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 26 avril 2023, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente quatre moyens.
III. La décision de la Cour
Sur l’ensemble des moyens en tant qu’ils sont dirigés contre l’arrêt attaqué rectificatif du 4 décembre 2020 :
L’arrêt attaqué rectificatif du 4 décembre 2020 porte sur les modalités de la condamnation à une astreinte assortissant la condamnation de la deuxième défenderesse de cesser de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque du demandeur.
Dans la mesure où aucun d’eux n’élève un grief contre cet arrêt, les moyens sont irrecevables.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l’article 10, paragraphe 2, a), de la directive 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, le titulaire de la marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe lorsque le signe est identique à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.
Conformément à l’article 10, paragraphe 3, de cette directive, si les conditions ainsi énoncées sont réunies, il peut être interdit d’utiliser le signe dans la publicité.
L’article 2.20, § 2, a), et § 3, e), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) transpose les dispositions précitées.
Dans l’arrêt C-148/21 et C-184/21 rendu le 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, interrogée sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, similaire à l’article 10, paragraphe 2, a), précité de la directive, examine la question de savoir si « l’exploitant d’un site internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe » (considérant 23).
La Cour de justice rappelle d’abord, d’une part, que, si la notion de « faire usage » n’est pas définie dans les instruments communautaires, « selon son sens habituel, l’expression ‘faire usage’ implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage » (considérant 27), d’autre part, que l’usage d’un signe par un tiers « implique, à tout le moins, que ce dernier fasse un usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale, une personne [pouvant] ainsi permettre à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire elle-même un usage desdits signes » (considérant 29), et que « le simple fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même usage dudit signe, même s’il agit dans son propre intérêt économique » (considérant 31).
Elle précise que la communication commerciale d’une entreprise s’entend de « toute forme de communication destinée aux tiers, visant à promouvoir son activité, ses biens ou ses services, ou à indiquer l’exercice d’une telle activité », en sorte que « l’utilisation d’un signe dans la propre communication commerciale d’une telle entreprise suppose ainsi que ce signe apparaisse, aux yeux des tiers, comme faisant partie intégrante de celle-ci et, partant, comme relevant de l’activité de cette entreprise » (considérant 39).
Elle en déduit qu’« afin de déterminer si une annonce, publiée sur un site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne par un vendeur tiers actif sur cette dernière, utilisant un signe identique à une marque d’autrui peut être considérée comme faisant partie de la communication commerciale de l’exploitant dudit site internet, il y a lieu de vérifier si cette annonce est susceptible d’établir un lien entre les services offerts par cet exploitant et le signe en question, au motif qu’un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif pourrait croire que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, le produit pour lequel il est fait usage du signe en question » (considérant 48).
Elle considère que, « dans le cadre de cette appréciation globale des circonstances de l’espèce, revêtent une importance particulière notamment le mode de présentation des annonces, tant individuellement que dans leur ensemble, sur le site internet en question ainsi que la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant de celui-ci » (considérant 49).
S’agissant du mode de présentation des annonces, la Cour de justice relève que « la circonstance que l’exploitant d’un site internet de vente en ligne intégrant une place de marché en ligne recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site internet, affichant en même temps ses propres annonces et celles des vendeurs tiers et faisant apparaître son propre logo de distributeur renommé tant sur son site internet que sur l’ensemble de ces annonces, y inclus celles qui sont relatives à des produits offerts par des vendeurs tiers, est susceptible de rendre difficile une telle distinction claire et ainsi de donner à l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, également les produits offerts à la vente par ces vendeurs tiers, partant, lorsque ces produits sont revêtus d’un signe identique à une marque d’autrui, une telle présentation uniforme est susceptible de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ce signe et les services fournis par ce même exploitant » (considérant 51) et qu’« en particulier, lorsque l’exploitant d’un site internet de vente en ligne associe aux différentes offres, provenant de lui-même ou d’un tiers, sans distinction en fonction de leur origine, une mention du type ‘les meilleures ventes’, ‘les plus demandés’ ou ‘les plus offerts’, aux fins notamment de promouvoir certaines de ces offres, une telle présentation est susceptible de renforcer auprès de l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que les produits ainsi promus sont commercialisés par cet exploitant en son nom et pour son propre compte » (considérant 52).
Elle relève encore que les services « tels que ceux consistant notamment dans le traitement des questions des utilisateurs relatives à ces produits ou au stockage, à l’expédition et à la gestion des retours desdits produits, sont susceptibles également de donner l’impression, à un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif, que ces mêmes produits sont commercialisés par ledit exploitant en son nom et pour son propre compte, et ainsi de créer un lien, aux yeux de ces utilisateurs, entre ses services et les signes figurant sur ces produits et dans les annonces de ces vendeurs tiers » (considérant 53).
L’arrêt attaqué du 25 juin 2020 relève que le demandeur poursuit « l’interdiction de l’usage par [les défenderesses], dans la vie des affaires, d’un signe identique à sa marque Benelux pour des chaussures à talons hauts qui n’ont pas été mises sur le marché dans l’espace économique européen par lui ou avec son consentement », que la mise sur le marché des produits litigieux sans le consentement du titulaire de la marque n’est pas contestée, mais qu’est en cause l’imputabilité de cet usage dès lors que, selon le demandeur, celui-ci « se réaliserait par des publicités pour des chaussures à talons hauts vendues sur les sites internet amazon.fr et amazon.de […] par un vendeur tiers ».
Il considère que « la donnée objective [que] l’annonce de l’offre en vente est le fait du vendeur tiers, et non celui de l’exploitant de la plate-forme de commerce en ligne […], suffit à écarter un usage de ce dernier », que « la Cour de justice de l’Union européenne n’exige pas que, en outre, le public perçoive que l’annonce de la mise en vente émane du vendeur tiers et non de l’exploitant de la plate-forme de commerce en ligne, la perception du public n’[ayant] donc pas d’incidence lorsqu’il s’agit de déterminer la personne qui est l’auteur de l’usage infractionnel du signe dans [ce] contexte », et que « ce raisonnement vaut également alors même que le nom du vendeur tiers n’apparaît pas dans l’affichage de l’offre, […], le public [recevant] certes une information insuffisante au sujet dudit vendeur tiers, mais cette circonstance n’affecte pas la donnée objective que c’est ce vendeur tiers, l’auteur de l’offre en vente, et non l’exploitant du site, qui est et demeure l’annonceur et donc celui qui fait usage de la marque ».
Il déduit de ces énonciations que « l’usage de la marque dans une annonce d’offre en vente de produits contrefaisants émanant d’un vendeur tiers n’est pas imputable à l’exploitant de la place de marché en ligne, même si l’identité de ce dernier est visible, car il ne relève pas de la propre communication commerciale de celui-ci ».
En considérant que « l’usage du signe incriminé dans les publicités qui apparaissent sur les sites internet amazon.fr et amazon.de pour le compte d’un vendeur tiers, que son identité soit ou non mentionnée, est imputable audit vendeur tiers, et non [aux défenderesses] elles-mêmes, quand bien même le public aurait une autre perception, notamment que l’offre en vente émanerait de l’exploitant du site qui utiliserait la marque dans le cadre de sa propre communication commerciale », l’arrêt attaqué viole l’article 2.20, § 2, a), et § 3, e), précité.
Le moyen est fondé.
La cassation de la décision de l’arrêt attaqué du 25 juin 2020 de débouter le demandeur de sa demande portant sur l’usage par les défenderesses du signe litigieux dans les publicités apparaissant sur les sites internet amazon.fr et amazon.de pour des produits vendus par des vendeurs tiers, s’étend, eu égard au motif fondant cette décision, à celles statuant sur la demande relative à l’usage à l’occasion de l’expédition d’un produit vendu par un vendeur tiers ou par la deuxième défenderesse.
Et il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué du 25 juin 2020, sauf en tant qu’il :
- reçoit les appels ;
- constate qu’en faisant paraître, dans la publicité sur les sites internet amazon.fr et amazon.de, à l’occasion d’offres en vente émanant d’elle-même, des reproductions de chaussures à talons hauts présentant un signe identique à la marque de position ‘semelle rouge’ n’ayant pas été mises en circulation sur le marché dans l’espace économique européen avec le consentement du demandeur, la deuxième défenderesse porte atteinte aux droits de la marque Benelux
n° … du demandeur ;
- constate en outre qu’en détenant de telles chaussures, la deuxième défenderesse porte atteinte aux droits de la marque du demandeur ;
- interdit à la deuxième défenderesse de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque litigieuse sous peine d’une astreinte ;
Rejette le pourvoi en tant qu’il est dirigé contre l’arrêt rectificatif du 4 décembre 2020 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du onze mai deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.21.0112.F
Date de la décision : 11/05/2023
Type d'affaire : Droit de la propriété intellectuelle

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-05-11;c.21.0112.f ?

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