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26/04/2023 | BELGIQUE | N°P.22.1641.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 26 avril 2023, P.22.1641.F


N° P.22.1641.F
M. B. G.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thomas Grulois, avocat au barreau de Liège-Huy, et Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 novembre 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 22 mars 2023, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général Damien Va

ndermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
En tant qu’il est dirigé contre les décis...

N° P.22.1641.F
M. B. G.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thomas Grulois, avocat au barreau de Liège-Huy, et Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 novembre 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 22 mars 2023, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
En tant qu’il est dirigé contre les décisions qui acquittent le demandeur du surplus des préventions D.1 et D.2 et de l’ensemble des préventions B, D.3 et D.4, le pourvoi est irrecevable à défaut d’intérêt.
Sur le premier moyen :
L’arrêt déclare le demandeur coupable, notamment de faux et d’usage de faux en écritures, pour avoir adressé, au nouvel avocat d’un ancien client, un courrier électronique dans lequel il a présenté un compte bancaire comme étant celui de cet ancien client, alors qu’il est le titulaire de ce compte et qu’il l’a mentionné afin de s’approprier frauduleusement une partie des fonds revenant à l’ancien client.
Pris de la violation de l’article 193 du Code pénal, le moyen soutient que la cour d’appel ne pouvait pas considérer légalement que ce courriel s’imposait à la confiance publique puisque, ainsi que le demandeur le faisait valoir dans ses conclusions, le destinataire de cet écrit était l’avocat du bénéficiaire de la somme d’argent et que cet avocat pouvait facilement, voire devait, vérifier si le numéro de compte mentionné appartenait bien à son client.
Un écrit protégé par la loi est celui pouvant faire preuve dans une certaine mesure, c’est-à-dire qui s’impose à la confiance publique, de sorte que l’autorité ou les particuliers qui en prennent connaissance ou auxquels il est présenté peuvent être convaincus de la réalité de l’acte ou du fait juridique constaté par cet écrit, ou sont en droit de lui accorder foi.
Une lettre ou une communication écrite, le cas échéant envoyée par la voie électronique, peut constituer un faux en écritures lorsque, dans la vie sociale et compte tenu des circonstances dans lesquelles cet écrit a été établi et utilisé, son destinataire peut raisonnablement accorder foi à l’affirmation qu’elle contient sans devoir en vérifier la réalité ou la sincérité.
L’arrêt relève que le demandeur a été avocat durant quatorze ans et qu’il a ensuite été nommé juge au tribunal de première instance du Hainaut.
Les juges d’appel ont ensuite constaté que le courriel litigieux, argué de faux à charge du demandeur, formulait comme suit sa demande, adressée au nouvel avocat de son ancien client, de procéder au versement d’une somme d’argent revenant à ce dernier sur un compte bancaire appartenant au demandeur mais frauduleusement présenté comme celui de l’ancien client : « Son numéro de compte pour verser les fonds qui lui reviennent …... C’est la banque de la Poste. Peux-tu faire le virement encore aujourd’hui ? Comme ça il voit que ça avance ».
L’arrêt considère que le mail litigieux est un écrit qui est de nature à produire des effets juridiques, puisqu’il s’agissait de déterminer le titulaire et le numéro de compte sur lequel le versement d’argent, dans le cadre d’une liquidation d’héritage, devait être effectué au profit de l’ancien client du demandeur et d’autoriser le nouveau conseil de ce client à retenir une provision d’honoraires en sa faveur.
En ayant jugé, sur le fondement de ces considérations, que le courrier électronique précité était susceptible de s’imposer à la confiance publique et de faire preuve des énonciations qu’il contient, nonobstant la circonstance qu’il pouvait être de nature à entraîner des vérifications, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.
Partant, l'arrêt justifie légalement sa décision de dire que l’acte visé à la prévention A.2 est un écrit protégé au sens de l’article 193 du Code pénal.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen, en tant qu’il est dirigé contre la décision qui statue sur les préventions D.1 et D.2 limitées d’escroquerie :
Le demandeur soutient qu’en fondant la condamnation pour escroqueries sur le constat qu’il n’apporte pas la preuve écrite que son client avait consenti à ce que les sommes concernées soient directement affectées au paiement d’honoraires, l’arrêt l’oblige à prouver son innocence.
Ne viole pas la présomption d’innocence, le juge qui constate que le prévenu n’établit pas la réalité d’un fait invoqué pour sa défense.
En tant qu’il revient à soutenir le contraire, le moyen manque en droit.
Les juges d’appel ont d’abord considéré que le règlement de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) du 16 janvier 2006 sur le maniement de fonds de clients ou de tiers, publié au Moniteur belge le 8 février 2006 et applicable à l’époque des faits, imposait, en son article 4, de ne pas transférer des fonds reçus sur le compte de tiers d’un avocat vers un compte honoraires ou à son profit, sans en aviser simultanément le client par écrit, et que l’article 5 de ce règlement disposait que l’avocat veille à transférer à qui de droit les fonds enregistrés sur son compte de tiers dans les plus brefs délais.
En ce qui concerne les sommes d’argent faisant l’objet des préventions précitées, l’arrêt constate que le demandeur a gardé la deuxième par devers lui sur ses comptes et qu’il l’a utilisée à des fins personnelles, tandis que la première a également été maintenue sur le compte de tiers du demandeur, puis versée en partie sur un compte personnel, ce qui a eu pour effet de combler un solde négatif et de permettre différents paiements domestiques.
Contrairement à ce que le moyen affirme, il ne ressort pas de ces motifs ni d’aucune autre énonciation de l’arrêt que la cour d’appel se soit fondée sur l’absence de production d’un écrit attestant l’accord des clients du demandeur quant au paiement de ses honoraires par le biais de prélèvements sur les sommes versées sur son compte de tiers.
Il en ressort seulement, d’une part, que les juges d’appel ont constaté que le demandeur, en violation des règles énoncées dans le règlement de l’OBFG, s’était abstenu de transférer dans de brefs délais, à ses clients, les sommes versées sur son compte de tiers et avait conservé celles-ci ou, suivant le cas, les avait affectées à des fins personnelles et, d’autre part, que ses allégations, suivant lesquelles cette rétention ou ces dépenses correspondaient à des prélèvements d’honoraires dus, n’étaient pas crédibles en raison du constat qu’aucun état d’honoraires n’avait été dressé.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Quant à la seconde branche :
Le demandeur fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions dans lesquelles il contestait la prévention C d’abus de confiance, en soutenant que l’écoulement du temps depuis la cessation de son métier d’avocat ne lui permettait pas de reconstituer ses échanges de correspondance avec son ancien client B. S. et d’apporter des démentis aux accusations dont il était l’objet.
L’arrêt énonce que s’il appartient à la partie poursuivante de démontrer l’existence de l’infraction, le principe général du droit suivant lequel le doute doit profiter au prévenu n’interdit pas au juge du fond de considérer que les pièces susceptibles de prouver le crime ou le délit figurent au dossier, que ces pièces ont conservé leur valeur probante malgré l’écoulement du temps et que le prévenu ne démontre pas que le retard accusé par l’instruction ou l’information aurait causé leur déperdition.
Les juges d’appel ont ensuite repris la chronologie des faits, à savoir, la période durant laquelle ils auraient été commis (entre le 1er août 2013 et le 3 avril 2018), la mise en demeure adressée au demandeur par B. S. le 28 mai 2019, la plainte de ce dernier intervenue le 26 février 2020, celle de l’avocat R. pour P. P. déposée le 25 octobre 2019, et les auditions du demandeur, qui ont été effectuées les 29 décembre 2020 et 25 janvier 2021. La cour d’appel en a déduit que le demandeur ne pouvait se prévaloir d’une violation de ses droits de défense déduite de l’écoulement du temps.
Par l’ensemble de ces considérations, les juges d’appel ont indiqué en quoi les éléments de preuve à charge avaient conservé leur valeur probante malgré l’écoulement du temps.
Ils n’ont toutefois pas rencontré la défense relative à la déperdition des preuves à décharge résultant de l’impossibilité dans laquelle le demandeur disait s’être trouvé de produire les courriers échangés en 2013 et en 2014 avec son ancien client, puis avec le nouvel avocat de ce dernier, dès lors que l’enquête s’est ouverte six années après les derniers faits, et qu’il n’avait été entendu pour la première fois qu’en 2020, soit cinq ans après avoir clôturé son cabinet d’avocat.
Le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’avoir égard à la seconde branche du troisième moyen ni au surplus du deuxième moyen, inaptes à entraîner une cassation sans renvoi.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation de l’article 149 de la Constitution, le moyen reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions du demandeur, dans lesquelles il se défendait d’avoir commis les escroqueries au préjudice de P.P. (préventions D.1 à D.4).
Le demandeur soutient en substance avoir apporté, dans ses conclusions d’appel, la preuve que P. P. était en contact direct avec le notaire chargé de la liquidation de l’héritage. Il y a fait valoir que les échanges de courrier entre le notaire et P. P.ne permettaient pas d’admettre qu’il aurait, en renseignant son propre numéro de compte bancaire au lieu de celui de P. P. dans un courriel adressé au nouvel avocat de ce dernier, agi à l’insu de son ancien client.
L’obligation de motiver les jugements et arrêts et de répondre aux conclusions des parties est une règle de forme, étrangère à la valeur et à l’exhaustivité des motifs.
Le juge ne doit répondre aux conclusions d’une partie que dans la mesure où elles contiennent des moyens, c’est-à-dire l’énonciation d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Il n’est, dans ce cadre, pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
L’arrêt écarte la défense du demandeur en énonçant que l’analyse de son compte de tiers révèle de nombreux paiements de la vie quotidienne. Selon l’arrêt, entre la date du virement de Maître M., de 18.500 euros, et celle du virement du demandeur, de 12.500 euros, vers le compte de l’épouse de P.P., le compte du demandeur n’enregistre pratiquement que des opérations de débit liées à la vie courante, à deux exceptions près pour un montant total de 270 euros.
Les juges d’appel ont ensuite constaté que le compte personnel du demandeur « a connu une situation financière difficile au cours des années 2016 à 2018 puisque […] son solde était presque toujours négatif » et qu’il était débité de paiements faits à des organismes de crédit et à des huissiers de justice.
L’arrêt réfute enfin l’explication du demandeur selon laquelle la rétention d’argent de P.P.a été faite à titre de prélèvements d’honoraires, et se réfère à cet égard aux règles de l’OBFG, qui interdisent tout mouvement financier du compte de tiers sur le compte propre d’un avocat, sans que le client en soit simultanément averti par écrit.
De ces considérations, l’arrêt conclut qu’en fournissant un numéro de compte qu’il a faussement attribué à P. P., le demandeur s’est, pour une partie des sommes versées, fait remettre des fonds qu’il s’est appropriés à l’insu de ce client.
Le moyen se borne donc, au titre de l’article 149 de la Constitution, à contester la valeur démonstrative d’un élément de fait opposé par les juges d’appel à un autre élément de même nature invoqué par le demandeur.
Pareille contestation ne défère pas à la Cour un défaut de motivation au sens de la disposition constitutionnelle au visa de laquelle le moyen prétend.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est, sauf l’illégalité à censurer ci-après, conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la prévention C et qu’il condamne le demandeur à des peines et au paiement de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à la moitié des frais et réserve l’autre moitié pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Lesdits frais taxés à la somme de trois cent trente et un euros trente-huit centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-six avril deux mille vingt-trois par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.1641.F
Date de la décision : 26/04/2023
Type d'affaire : Droit pénal

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-04-26;p.22.1641.f ?

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