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08/03/2023 | BELGIQUE | N°P.22.0318.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 mars 2023, P.22.0318.F


N° P.22.0318.F
A. F.,
défenderesse à l’action en déchéance de la nationalité belge,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre deux arrêts rendus les 21 janvier 2021 et 3 février 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la famille.
La demanderesse invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe

les 13 juin 2022 et 13 février 2023.
A l’audience du 22 juin 2022, le conseiller Françoise Rogg...

N° P.22.0318.F
A. F.,
défenderesse à l’action en déchéance de la nationalité belge,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre deux arrêts rendus les 21 janvier 2021 et 3 février 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la famille.
La demanderesse invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe les 13 juin 2022 et 13 février 2023.
A l’audience du 22 juin 2022, le conseiller Françoise Roggen a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.

Par son arrêt du même jour, la Cour a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question préjudicielle qu’elle lui a adressée dans la cause portant le numéro P.21.0228.F du rôle général.
Le 22 septembre 2022, la Cour constitutionnelle a répondu à ladite question.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
De l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 septembre 2022, il ressort que l’article 23, § 6, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Aucune des fins de non-recevoir du pourvoi ou des moyens, instituées par cette disposition légale, ne peut donc être opposée à la demanderesse.
Le premier moyen ne critique pas les arrêts dont pourvoi mais se borne à postuler que la Cour constitutionnelle soit interrogée sur la conformité, aux articles 10 et 11 précités, de l’article 23, § 6, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge.
La Cour constitutionnelle ayant, comme dit ci-dessus, statué sur cette question, le premier moyen n’a plus d’objet.
Il reste à statuer sur les cinq autres moyens.
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt du 21 janvier 2021 :
Sur le deuxième moyen :
La demanderesse soutient qu’avant de recevoir l’action en déchéance de la nationalité belge intentée contre elle par le ministère public en application de l’article 23 du Code de la nationalité belge, la cour d’appel aurait dû renvoyer la cause, à titre préjudiciel, devant la Cour constitutionnelle, pour lui permettre de statuer sur l’éventuelle discrimination résultant du fait que la demanderesse aurait pu bénéficier de la prescription décennale visée à l’article 23/1 dudit code, si elle avait fait l’objet de la procédure prévue par cette disposition.
En vertu de l’article 26, § 2, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le renvoi préjudiciel n’est pas obligatoire lorsque cette Cour a déjà statué sur une question ayant le même objet.
Se référant à l’arrêt du 7 février 2018 de la Cour constitutionnelle, l’arrêt attaqué relève que, selon cette juridiction, la coexistence des procédures prévues aux articles 23, d’une part, et 23/1, § 1er, 1°, d’autre part, du Code de la nationalité belge, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que, dans le premier cas, aucun délai depuis l’acquisition de la nationalité belge n’est stipulé alors que, dans le second, les faits ayant justifié une condamnation pénale doivent avoir été commis dans les dix ans de cette acquisition.
L’absence de discrimination tient notamment au fait que les personnes qui ne peuvent pas faire l’objet de la procédure par voie de réquisition devant le juge correctionnel au motif que les infractions ont été commises plus de dix ans après l’obtention de la nationalité belge, peuvent néanmoins faire l’objet de la procédure par voie d’action devant une chambre civile de la cour d’appel si ces infractions révèlent, dans le chef de leur auteur, un manquement grave à ses obligations de citoyen belge.
Les juges d’appel ont, ainsi, légalement justifié leur refus d’interroger à nouveau la Cour constitutionnelle sur ce point.
Et la Cour elle-même est dispensée, par identité de motif, de l’obligation d’ordonner le renvoi préjudiciel sollicité par la demanderesse.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
La demanderesse soutient qu’en refusant de décliner sa compétence au bénéfice du tribunal de première instance, la cour d’appel a violé les articles 23 et 23/1 du Code de la nationalité belge, 10, 11 et 13 de la Constitution, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 604 du Code judiciaire.
Dans la mesure où il critique la faculté, laissée par le législateur au ministère public, de choisir entre la procédure par voie d’action devant une chambre civile de la cour d’appel, et la procédure par voie de réquisitions devant le juge correctionnel saisi de la poursuite pénale, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Affirmant que la deuxième des procédures susdites garantit l’appel en tout état de cause, contrairement à la première, le demandeur perd de vue que le ministère public peut, dans le cadre des articles 23/1 et 23/2 du Code de la nationalité belge, requérir la déchéance pour la première fois en degré d’appel.
Le double degré de juridiction ne constitue pas, en effet, un principe général du droit.
Compte tenu de la réponse donnée au moyen, la demanderesse suggère de poser à la Cour constitutionnelle les deux mêmes questions que celles proposées à la cour d’appel et écartées par celle-ci.
La première question se fonde sur l’affirmation que l’appel est garanti dans le cadre de la procédure par voie de réquisition, ce qui n’est pas le cas.
La deuxième question procède de l’affirmation que le ministère public ne présente pas de garantie d’indépendance suffisante pour faire le choix de l’une ou de l’autre des deux procédures existantes. L’auteur de la question ne soutient pas qu’il existerait en la matière des directives ministérielles contraignantes susceptibles d’amoindrir l’indépendance du ministère public garantie par l’article 151, § 1er, de la Constitution. L’objet de la question n’est donc pas la loi mais l’application, supposée partiale, que le ministère public pourrait en faire.
Reposant tantôt sur une prémisse juridique inexacte, tantôt sur une hypothèse, les questions ne sont pas préjudicielles et ne doivent dès lors pas être posées.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 23, § 1er, alinéa 2, du Code de la nationalité belge, 5 de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, 8.4 du Code civil, 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il invoque également une méconnaissance du respect de la foi due aux conclusions de la demanderesse.
Celle-ci fait valoir que la cour d’appel n’a pas légalement décidé qu’elle jouissait de la nationalité marocaine en manière telle que la déchéance de la nationalité belge ne saurait la rendre apatride.
Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse, la demanderesse s’est bornée à soutenir que, si elle est née au Maroc de parents marocains, elle ne dispose plus de documents d’identité délivrés par cet Etat, de sorte que le ministère public n’établit pas qu’elle en aurait effectivement la nationalité.
L’arrêt relève que la demanderesse admet avoir conservé sa nationalité d’origine puisqu’elle indique qu’elle pourrait, en cas de déchéance de sa nationalité belge, être expulsée vers le Maroc, pays où elle est née de parents marocains.
L’arrêt ajoute que la demanderesse n’explique pas pour quel motif la nationalité reçue à sa naissance lui aurait été retirée.
Ces motifs ne violent aucune des dispositions visées au moyen et ne sauraient méconnaître le respect de la foi due aux conclusions, l’énonciation critiquée, suivant laquelle la demanderesse admet avoir conservé la nationalité marocaine, n’étant pas étayée d’une référence à cet écrit de procédure.
Le moyen ne peut être accueilli.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt du 3 février 2022 :
Sur le cinquième moyen :
Prononcée dans les cas et selon les formes prévus par la loi, et notamment sous la condition qu’elle ne crée pas d’apatridie, la déchéance de nationalité ne constitue pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
Dans la mesure où il repose sur l’affirmation que la demanderesse ne jouit d’aucune autre nationalité que celle dont elle pourrait être privée, alors que l’arrêt relève qu’elle est et reste marocaine, le moyen manque en fait.
La demanderesse dénonce le caractère arbitraire de la déchéance encourue. Mais elle ne déduit cette critique que de l’affirmation suivant laquelle le ministère public n’est pas une autorité indépendante et impartiale en manière telle que ses choix procéduraux seraient viciés.
Réitérant ainsi la critique vainement formulée sous le troisième moyen, le grief est irrecevable.
Sur le sixième moyen :
En tant qu’il reproche au ministère public de ne pas avoir vérifié la proportionnalité de la mesure réclamée envers la demanderesse, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Selon l’arrêt, la demanderesse a prêté la main à des activités terroristes, en servant la cause d’un islamisme radical, violent, incompatible avec les valeurs, droits et libertés qui constituent le socle de la société démocratique belge.
Les juges du fond, à qui incombait le contrôle de la proportionnalité de la mesure, ont pu considérer que l’intérêt de la demanderesse à se voir maintenir dans la communauté nationale devait céder le pas à l’intérêt de celle-ci à l’en voir écartée.
La cour d’appel a, ainsi, régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du huit mars deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.0318.F
Date de la décision : 08/03/2023
Type d'affaire : Autres - Droit constitutionnel - Droit administratif

Analyses

En vertu de l'article 26, § 2, alinéa 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le renvoi préjudiciel n'est pas obligatoire lorsque cette Cour a déjà statué sur une question ayant le même objet (1). (1) Voir les concl. du MP.

QUESTION PREJUDICIELLE - COUR CONSTITUTIONNELLE [notice1]

La Cour constitutionnelle a jugé que la coexistence des procédures de déchéance de la nationalité belge prévues aux articles 23, d'une part, et 23/1, § 1er, 1°, d'autre part, du Code de la nationalité belge, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que, dans le premier cas, aucun délai depuis l'acquisition de la nationalité belge n'est stipulé alors que, dans le second, les faits ayant justifié une condamnation pénale doivent avoir été commis dans les dix ans de cette acquisition; l'absence de discrimination tient notamment au fait que les personnes qui ne peuvent pas faire l'objet de la procédure par voie de réquisition devant le juge correctionnel au motif que les infractions ont été commises plus de dix ans après l'obtention de la nationalité belge, peuvent néanmoins faire l'objet de la procédure par voie d'action devant une chambre civile de la cour d'appel si ces infractions révèlent, dans le chef de leur auteur, un manquement grave à ses obligations de citoyen belge (1). (1) Voir les concl. du MP.

NATIONALITE - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 10 - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 11 [notice3]

Chargée de contrôler la proportionnalité de la mesure, la cour d'appel qui a constaté que la défenderesse à l'action en déchéance de la nationalité belge a prêté la main à des activités terroristes, en servant la cause d'un islamisme radical, violent, incompatible avec les valeurs, droits et libertés qui constituent le socle de la société démocratique belge, peut considérer que l'intérêt de ladite défenderesse à se voir maintenir dans la communauté nationale doit céder le pas à l'intérêt de cette dernière à l'en voir écartée (1). (1) Voir les concl. du MP.

NATIONALITE [notice6]


Références :

[notice1]

Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage - 06-01-1989 - Art. 26, § 2, al. 2, 2° - 30 / No pub 1989021001

[notice3]

Code de la nationalité belge - 28-06-1984 - Art. 23, 23/1 et 23/2 - 35 / No pub 1984900065 ;

Code de la nationalité belge - 28-06-1984 - Art. 23, 23/1, 23/2 - 35 / No pub 1984900065

[notice6]

Code de la nationalité belge - 28-06-1984 - Art. 23 - 35 / No pub 1984900065


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-03-08;p.22.0318.f ?

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