La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2023 | BELGIQUE | N°P.23.0058.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 février 2023, P.23.0058.F


N° P.23.0058.F
S. B.
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Patrick Huget, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE

LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen, en substance, est pris de la violation du droit à un procè...

N° P.23.0058.F
S. B.
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Patrick Huget, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen, en substance, est pris de la violation du droit à un procès équitable au motif que l’administration a entendu le demandeur, préalablement à la mesure de privation de liberté en vue de son éloignement, sans qu’il soit assisté par son conseil.
Quant à la première branche :
En tant qu’il invoque la violation des articles 2 et 11 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, le moyen, qui n’allègue pas que le demandeur ait été soumis à un traitement prohibé, est obscur et partant, irrecevable.
L’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’impose pas d’obligations aux Etats membres mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union.
Cette disposition ne peut, dès lors, fonder le droit allégué de l’étranger d’être entendu, en présence de son conseil, par l’autorité administrative d’un Etat membre avant la décision de maintien pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Le demandeur invoque ensuite la violation des articles 5, 13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 13 et 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
Mais, il ressort de l’arrêt du 11 décembre 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne (C-249/13) que le droit d’être entendu dans toute procédure, tel qu’il s’applique dans le cadre de la directive Retour et, notamment, de l’article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux Etats membres de prendre en charge l’assistance d’un avocat dans le cadre de l’aide juridique gratuite, ce qui implique que la présence de l’avocat lors de l’audition n’est pas obligatoire.
Soutenant le contraire, dans cette mesure, le moyen manque également en droit.
Et en tant qu’il invoque la violation de l’article 47bis, § 6, 9°, du Code d’instruction criminelle et la méconnaissance du droit à un procès équitable de la personne suspectée d’une infraction, et arrêtée de ce chef, alors que le demandeur n’a pas été interrogé en application de cette disposition légale et que l’arrêt attaqué est étranger à la privation de liberté du demandeur en raison du fait qu’il aurait commis une infraction, le moyen manque également en droit.
Quant à la seconde branche :
Le demandeur fait valoir que, la situation d’un étranger privé de liberté ne présentant pas de différence fondamentale avec celle d’une personne détenue à la suite d’une inculpation ou d’une condamnation pénale, l’absence, au détriment du premier, d’assistance d’un avocat lors de son audition préalable à la privation de liberté crée une discrimination à son égard et l’empêche de faire valoir utilement des arguments aptes à susciter une décision moins coercitive.
Critiquant la législation applicable et non l’arrêt attaqué, le moyen est irrecevable.
Le demandeur sollicite que la Cour de justice de l’Union européenne soit interrogée, à titre préjudiciel, sur la compatibilité des articles 71 et suivants de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, avec les articles 13 et 15 de la directive Retour, dans la mesure où la loi précitée ne prévoit pas l’assistance obligatoire d’un avocat en faveur de l’étranger lors de l’audition par l’administration, préalable à la privation de liberté, alors qu’un tel droit est reconnu en faveur du détenu de droit commun.
Mais les articles 13 et 15 de la directive Retour sont relatifs, d’une part, à la procédure et aux garanties entourant le recours, notamment au pouvoir judiciaire, contre les décisions de retour et, le cas échéant, d’interdiction d’entrée et d’éloignement, et, d’autre part, au contrôle juridictionnel et périodique des mesures de rétention prises en vue de l’exécution de ces décisions.
Partant, ces dispositions ne réglant pas les modalités qui doivent entourer la procédure préalable à la décision de placer l’étranger en rétention, la question proposée, qui n’est pas utile à la solution du litige, ne doit pas être posée.
Pour le même motif, il n’y a pas davantage lieu d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à propos de la compatibilité de la loi avec les articles 21 et 24 de la Charte, dès lors que le demandeur n’allègue pas subir l’une des formes de discrimination prohibées par le paragraphe 1er de l’article 21 et qu’il ne prétend pas être un enfant au sens de l’article 24.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 72, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980.
Le demandeur reproche à l’arrêt de considérer que le dossier mis à sa disposition préalablement à l’audience de la chambre du conseil, ne doit pas comprendre le dossier judiciaire et plus particulièrement le procès-verbal d’interception constatant l’infraction de séjour illégal.
Le dossier visé par l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 est le dossier administratif se rapportant à la mesure privative de liberté prise par l’administration à l’encontre de l’étranger, seule mesure que la juridiction d’instruction est apte à contrôler. La procédure devant cette juridiction ne concerne dès lors pas, en principe, le dossier judiciaire ouvert à charge du demandeur du chef de séjour illégal. Il n’en irait autrement que dans la mesure où l’examen de pièces de ce dossier serait utile en vue de permettre aux juridictions d’instruction de statuer sur la légalité de la mesure privative de liberté.
En tant qu’il revient à soutenir que le contenu du dossier judiciaire devrait toujours être soumis aux juridictions d'instruction saisies sur la base de la loi du 15 décembre 1980, le moyen manque en droit.
A propos de l’absence du procès-verbal de police relatant l’arrestation du demandeur, les juges d’appel ont énoncé que ce dernier n’avait élevé aucun grief quant à la légalité de cette interpellation et que la mesure n’était pas motivée par les éléments relatés au procès-verbal susvisé.
Partant, ils ont légalement justifié leur décision que l’absence de procès-verbal ne causait aucun grief au demandeur.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de septante-sept euros soixante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze février deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.23.0058.F
Date de la décision : 15/02/2023
Type d'affaire : Droit administratif - Droit européen - Autres - Droit pénal

Analyses

L'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'impose pas d'obligations aux États membres mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l'Union ; cette disposition ne peut, dès lors, fonder le droit de l'étranger d'être entendu, en présence de son conseil, par l'autorité administrative d'un État membre avant la décision de maintien pendant le temps strictement nécessaire à l'exécution de l'ordre de quitter le territoire (1). (1) Cass. 16 mars 2016, RG P.16.0281.F, Pas. 2016, n° 185.

ETRANGERS - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Principes - AVOCAT [notice1]

Il ressort de l'arrêt du 11 décembre 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne (C-249/13) que le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres de prendre en charge l'assistance d'un avocat dans le cadre de l'aide juridique gratuite, ce qui implique que la présence de l'avocat lors de l'audition n'est pas obligatoire (1). (1) C.J.U.E., 11 décembre 2014, R.D.P.C., 2015, p. 822.

ETRANGERS - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Politique - AVOCAT [notice4]

Les articles 13 et 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sont relatifs, d'une part, à la procédure et aux garanties entourant le recours, notamment au pouvoir judiciaire, contre les décisions de retour et, le cas échéant, d'interdiction d'entrée et d'éloignement et, d'autre part, au contrôle juridictionnel et périodique des mesures de rétention prises en vue de l'exécution de ces décisions: partant, ces dispositions ne règlent pas les modalités qui doivent entourer la procédure préalable à la décision de placer l'étranger en rétention.

ETRANGERS - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Politique [notice7]

Le dossier visé par l'article 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers est le dossier administratif se rapportant à la mesure privative de liberté prise par l'administration à l'encontre de l'étranger, seule mesure que la juridiction d'instruction est apte à contrôler, et la procédure devant cette juridiction ne concerne dès lors pas, en principe, le dossier judiciaire ouvert à charge du demandeur du chef de séjour illégal ; il n'en irait autrement que dans la mesure où l'examen de pièces de ce dossier serait utile en vue de permettre aux juridictions d'instruction de statuer sur la légalité de la mesure privative de liberté.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION [notice9]


Références :

[notice1]

Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 12 décembre 2007 - 12-12-2007 - Art. 41 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 7, al. 3 - 30 / No pub 1980121550

[notice4]

Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour desressortissants de pays tiers en séjour irrégulier - 16-12-2008 - Art. 6

[notice7]

Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour desressortissants de pays tiers en séjour irrégulier - 16-12-2008 - Art. 13 et 15 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 7, al. 3 - 30 / No pub 1980121550

[notice9]

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 72 - 30 / No pub 1980121550


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-02-15;p.23.0058.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award