N° P.22.0257.F
I. B.H.E.K. A., née à Tanger (Maroc) en 1946,
ayant pour conseil Maître Cédric Vergauwen, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Émile Claus, 4, où il est fait élection de domicile,
II. E.J. J., né à Ait Omar (Maroc) le 3 août 1969, domicilié à Saint-Josse-ten-Noode, rue Potagère, 165/4,
ayant pour conseils Maîtres Pierre Monville et Mona Giacometti, avocats au barreau de Bruxelles,
prévenus,
demandeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont respectivement dirigés contre les arrêts rendus le 26 janvier 2022, sous les numéros 374 et 375 du répertoire, par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, et la demanderesse en invoque deux, dans un mémoire reçu au greffe de la Cour le 11 avril 2022.
Le 27 janvier 2023, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé au greffe des conclusions, auxquelles le demandeur a répliqué par une note remise le 14 février 2023.
À l’audience du 15 février 2023, le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi d’A. B. H. E. K. :
En application de l’article 429, alinéas 1er et 2, du Code d’instruction criminelle, le demandeur en cassation ne peut indiquer ses moyens que dans un mémoire remis au greffe de la Cour, quinze jours au plus tard avant l'audience. Il ne peut toutefois produire de mémoires ou de pièces autres que les désistements, les actes de reprise d'instance, les actes qui révèlent que le pourvoi est devenu sans objet et les notes visées à l'article 1107 du Code judiciaire, après les deux mois qui suivent la déclaration de pourvoi en cassation.
Le mémoire de la demanderesse, qui a formé son pourvoi le 8 février 2022, a été reçu au greffe de la Cour le 11 avril 2022.
Remis au greffe plus de deux mois après la déclaration de pourvoi, le mémoire est irrecevable.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi de J. E.J. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 1138, 2°, du Code judiciaire, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense. Le demandeur reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions, aux termes desquelles il faisait valoir que le ministère public avait violé le secret de l’information en accordant l’accès complet au dossier répressif à une personne qualifiée à tort d’expert judiciaire, alors qu’il s’agissait d’un conseil technique de l’accusation, et dans la mesure où ce dernier avait outrepassé la mission qui lui avait été confiée, en participant à d’autres devoirs que ceux en vue de la réalisation desquels il avait été requis.
Contrairement à ce que soutient le moyen, l’arrêt ne se borne pas à énoncer, pour écarter cette défense, que « toutes les personnes qui prêtent leur concours professionnel à l’information sont tenues au secret professionnel ».
Après avoir considéré que la qualification d’expertise judiciaire donnée erronément à la mission de l’expert-comptable V. n’avait procédé d’aucune déloyauté et n’avait pas altéré les constatations contenues dans le rapport ensuite établi, qui avait valeur de simple renseignement, les juges d’appel ont indiqué que le procureur du Roi était habilité à désigner un expert fiscal ou comptable et à lui soumettre l’ensemble du dossier répressif. Ils ont précisé que le ministère public pouvait charger ce conseil technique d’analyser et de commenter le dossier répressif dans son ensemble, ainsi que les pièces qu’il contient, afin de donner un avis susceptible de justifier les réquisitions à prendre. Ils en ont déduit qu’il n’était pas exact de soutenir que ce conseil technique ne pouvait être invité à donner qu’un avis ponctuel. Les juges d’appel ont encore précisé que les devoirs auxquels le conseil technique avait en l’espèce participé, y compris en prenant des initiatives, relevaient de l’exercice de sa mission, à l’exception d’un interrogatoire, que l’arrêt écarte.
Ainsi, les juges d’appel ont répondu, en leur opposant une appréciation contraire, aux conclusions du demandeur, qui faisaient valoir que l’accès au dossier répressif accordé au conseil technique du procureur du Roi aurait dû être limité et que l’expert-comptable V. avait outrepassé la mission qui lui avait été confiée, de sorte que le secret de l’information avait été méconnu.
Partant, les juges d’appel ont régulièrement motivé leur décision.
Le moyen manque en fait.
Sur l’ensemble du deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 1138, 4°, du Code judiciaire et 8.1, 2° et 3°, 8.17 et 8.18 du Code civil, ainsi que de la violation de la foi due aux actes.
Le moyen reproche d’abord aux juges d’appel d’avoir violé la foi due au jugement entrepris, du 26 avril 2018, en prétendant y trouver, respectivement, des motifs justifiant la décision que la procédure relative à l’intervention d’un conseil technique était régulière, une précision apportée à la prévention de faux et une motivation quant à l’intervention fictive des personnes désignées en qualité d’administrateur de deux sociétés gérées en fait par le demandeur. Ensuite, selon le moyen, en tant qu’il confirme le jugement entrepris en visant de prétendues décisions de condamnation y reprises, l’arrêt viole également la foi due audit jugement du 26 avril 2018, qui se bornait à recevoir une opposition et à la déclarer non avenue. En outre, eu égard à ces références au « jugement entrepris », alors que l’appel ne visait pas celui du 7 décembre 2017, rendu par défaut, le moyen accuse l’arrêt de se contredire.
En renvoyant aux motifs du premier juge, les juges d’appel ne se sont pas référés au seul jugement frappé d’appel.
À cet égard, le moyen manque en fait.
Par ailleurs, c’est par l’effet d’une erreur matérielle, apparaissant à l’évidence des pièces de la procédure et qu’il appartient à la Cour de rectifier, que l’arrêt, en renvoyant en réalité à certaines pages du jugement rendu par défaut le 7 décembre 2017 et au dispositif de ce dernier, prétend se référer au « jugement entrepris ».
Ainsi, l’arrêt ne viole pas la foi due au jugement du 26 avril 2018 et il n’est pas empreint des contradictions dont le moyen l’accuse.
Dans cette mesure, le moyen manque également en fait.
Enfin, le demandeur fait grief aux juges d’appel d’avoir indiqué qu’il aurait lui-même, par voie de conclusions, éclairé le premier juge au sujet de la portée exacte de l’intervention du conseil technique du parquet, alors que le tribunal n’a pu prendre en considération lesdites conclusions, eu égard au défaut du demandeur, tandis que, sur l’opposition de ce dernier, les débats furent limités à la recevabilité et au caractère avenu de l’opposition.
Ce grief n’identifie pas une pièce dont les juges d’appel auraient méconnu la teneur.
À cet égard, imprécis, le moyen est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 28bis, § 3, alinéa 2, 43 et 44 du Code d’instruction criminelle.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche aux juges d’appel de ne pas avoir répondu aux conclusions du demandeur, qui faisaient valoir que la circonstance que le conseil technique du ministère public lui avait été présenté faussement comme un expert impartial et indépendant avait méconnu le droit à un procès équitable, tandis que le demandeur y avait également soutenu que le procureur du Roi avait ainsi agi de manière déloyale.
D’une part, aux pages 16 et 17 de l’arrêt, les juges d’appel ont exclu que le ministère public ait agi de manière déloyale. Au paragraphe 9 de l’arrêt, ils ont en outre estimé que la qualification d’expertise judiciaire, donnée au rapport établi par le conseil technique du ministère public, avait procédé d’une erreur et, au paragraphe 15 de leur décision, ils ont énoncé qu’à la lumière de la cause envisagée dans son ensemble, le demandeur n’avait pas subi d’atteinte irrémédiable au droit à bénéficier d’un procès équitable. D’autre part, à la page 17 du jugement du 7 décembre 2017, auquel l’arrêt renvoie, le tribunal a exposé les motifs pour lesquels il a considéré que le flou ayant entouré la qualité de l’expert-comptable V. n’avait pas porté atteinte au droit des prévenus à un procès équitable.
Ainsi, les juges d’appel ont régulièrement motivé leur décision que l’erreur dans la qualification de la mission de l’expert-comptable V. n’était pas de nature à porter une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable et ne révélait pas de manquement au devoir de loyauté du ministère public.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le demandeur soutient que l’arrêt, en ce qu’il admet que le conseil technique de l’accusation peut accomplir les mêmes actes que l’expert désigné par un juge, méconnaît la différence fondamentale existant entre ces deux interventions. Il ajoute qu’en ignorant cette distinction, les juges d’appel ont méconnu l’impact négatif que la confusion entretenue dans les titres de l’expert-comptable V. a eu sur le droit à un procès équitable.
À l’instar de l’expertise judiciaire, l’avis du conseil technique du ministère public est un élément d’appréciation soumis au juge. Cette appréciation est libre. La qualité de l’autorité judiciaire ayant demandé l’expertise ou l’avis n’oblige pas le juge à octroyer davantage de crédit à l’une plutôt qu’à l’autre.
Et il ne ressort d’aucune disposition, notamment celles visées au moyen, qu’en dehors des cas prévus par la loi, le conseil technique requis par le ministère public ne pourrait accomplir les actes dont la réalisation peut être demandée par le juge à l’expert judiciaire.
À cet égard, le moyen manque en droit.
Enfin, en tant qu’il revient à critiquer l’appréciation en fait, par les juges d’appel, des conséquences de l’erreur commise dans la qualification de la mission du conseil technique du procureur du Roi, le moyen, qui exige une vérification d’éléments de fait, est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent nonante-sept euros soixante centimes dont I) sur le pourvoi d’A. B. H. E. K. : cent trente-sept euros vingt-cinq centimes dus et II) sur le pourvoi de J. E.J. : cent soixante euros trente-cinq centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze février deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.