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08/02/2023 | BELGIQUE | N°P.21.0730.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 février 2023, P.21.0730.F


N° P.21.0730.F
1. DIGISEC MEDIA LIMITED, société de droit maltais,
2. V. S.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation,
contre
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Franklin Roosevelt, 50,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCEDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 28 avril 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen et la demanderesse

en invoque deux, dans un mémoire commun annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le c...

N° P.21.0730.F
1. DIGISEC MEDIA LIMITED, société de droit maltais,
2. V. S.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation,
contre
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Franklin Roosevelt, 50,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCEDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 28 avril 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen et la demanderesse en invoque deux, dans un mémoire commun annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur l’action publique exercée à charge des demandeurs :
Sur le premier moyen, commun aux demandeurs :
1. L’arrêt déclare les demandeurs coupables d’avoir tenté d’embaucher ou d’entraîner des personnes majeures à des fins de prostitution (préventions A.1 et A.2) et d’avoir fait la publicité de la prostitution d’autrui (prévention B).
2. Pris de la violation des articles 380, §§ 1er et 2, et 380ter, spécialement § 2, du Code pénal, le moyen soutient que la définition de la prostitution est évolutive et tributaire de la perception des mœurs par la conscience collective en un lieu et une époque donnés, et que, à cet égard, la perception subjective de l’observateur, qui ne saurait constituer une preuve en droit pénal, n’entre pas en ligne de compte. Il s’ensuit que les motifs de l’arrêt, qui énoncent « il s’agit de la photo d’une jeune femme qui enlève ou remet la bretelle de son soutien-gorge, rouge, couleur qui n’a sans doute pas été choisie au hasard » et « la publicité renvoie directement au site RichMeetBeautiful […], lequel est très explicite sur les ‘avantages’ que le/la ‘sugarbaby’ peut obtenir en s’inscrivant sur le site », sont des considérations subjectives, voire personnelles, qui ne permettent en aucun cas de juger que la preuve des infractions mises à charge des demandeurs serait rapportée.
Le moyen fait également valoir que la recherche d’un « avantage », d’ailleurs non autrement précisé, est inhérente à toute possibilité de rencontre par l’intermédiaire d’un site de rencontres et n’est pas caractéristique de la prostitution. En outre, selon les demandeurs, rien ne permettait à la cour d’appel d’affirmer que la participation à des dîners dans des restaurants étoilés, cocktails et autres évènements exclusifs était la contrepartie de services d’ordre sexuel.
3. Les demandeurs ne sont pas poursuivis, sous la prévention B, en raison de l’infraction visée au deuxième paragraphe de l’article 380ter du Code pénal, mais de celle prévue au troisième paragraphe de cet article.
En tant qu’il invoque l’article 380ter du Code pénal sans indiquer en quoi l’arrêt violerait spécialement son deuxième paragraphe, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
4. La notion de prostitution visée par les dispositions précitées n’est pas une notion évolutive, tributaire de la perception des mœurs en un lieu et un temps donnés.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
5. Outre les motifs critiqués, la cour d’appel a considéré, par référence aux faits exposés aux pages 5 et 6 du jugement entrepris, et par adoption des motifs énoncés aux pages 8 et 9 de cette décision, que
- les 25 et 26 septembre 2017, un véhicule publicitaire a circulé dans le quartier du campus de l’Université libre de Bruxelles ; ce véhicule tirait une remorque munie d’une affiche montrant le buste d’une jeune femme en soutien-gorge rouge et qui tient la bretelle de celui-ci sur le bord de l’épaule ;
- l’affiche comporte, sur une face, le texte « Hey les étudiantes ! Améliorez votre style de vie. Sortez avec un sugardaddy » ; l’autre côté reprend un texte similaire en néerlandais ;
- le dispositif mentionne les références du site internet « RichMeetBeautiful.be, site de rencontre n° 1 en Belgique pour sugarbabies et sugardaddies » ;
- le site se présente sur la page d’accueil comme « un réseau de rencontre en ligne pour hommes et femmes adultes de plus de 18 ans, à la recherche d’une relation mutuellement avantageuse […]. Le secret d’une relation réussie réside dans la capacité des deux parties à satisfaire mutuellement les besoins émotionnels et les désirs relationnels de l’un et l’autre. On ne vit qu’une fois ! » ;
- le site contient les mentions suivantes, jugées explicites quant aux gains financiers à obtenir : « profitez d’une liberté financière », « l’argent n’est pas un problème, ils savent se montrer généreux lorsqu’il s’agit de soutenir une sugarbaby » ; « [elle] est une belle jeune femme qui vaut son pesant d’or ; elle cherche à [le] satisfaire en étant disponible pour lui et en adoucissant son temps libre tout en gagnant de l’argent de poche » ;
- l’avantage attendu par le « sugardaddy » est résumé comme suit : « en plus de l’expérience de luxe, [il la] soutient en [lui] offrant de généreux cadeaux ou de l’argent ; en retour, [elle] doit comprendre qu’il faut être agréable, belle et un élément relaxant dans [sa] vie » ;
- une des versions néerlandaises des affiches fait explicitement référence « au fait de ne pas avoir à contracter d’emprunt pour financer ses études en sortant avec un ‘sugardaddy’ » .
Il ressort de ces énonciations que les motifs critiqués, lus conjointement avec celles-ci, ne sont pas l’expression, comme le moyen l’affirme, de considérations purement subjectives ou personnelles des juges d’appel, dénuées de valeur probante, mais qu’ils forment, avec lesdites énonciations, un ensemble d’éléments objectifs que la cour d’appel a pu juger aptes à prouver les infractions reprochées aux demandeurs.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
6. Contrairement à ce que le moyen allègue, l’arrêt précise, dans les énonciations susdites, que le site internet indique explicitement que les avantages liés aux rencontres envisagées sont de nature pécuniaire.
A ce propos, l’arrêt n’énonce pas que la contrepartie des services d’ordre sexuel réside, comme le moyen l’affirme, dans la participation à des évènements de type dîner au restaurant, cocktails et expositions.
Il se borne à considérer, par adoption des motifs figurant à la page 9 du jugement entrepris, qu’une affiche montrant le buste d’une jeune femme en soutien-gorge, tenant la bretelle de celui-ci sur le bord de l’épaule, ne correspond pas à la tenue adéquate pour participer à de tels évènements, mais est une référence directe au caractère sexuel des relations envisagées.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
7. En ayant déduit, des éléments précités et des motifs que le moyen critique, pris dans leur ensemble, que « tant les contenus du site internet […] que [les] affiches publicitaires vantant les services de ce site entraînent des jeunes gens à se prostituer », les juges d’appel ont légalement justifié leur décision.
A cet égard également, le moyen ne peut être accueilli.
8. Invoquant aussi la méconnaissance du principe général du droit relatif à la charge de la preuve en matière répressive, le moyen fait encore valoir que, en considérant qu’« à aucun moment, [le demandeur], qui soutient que le premier juge n’a retenu que sa première lecture subjective en voyant la photo couplée au texte, n’a été en mesure d’exprimer comment cette photo couplée avec le texte en question pourrait recevoir une ou plusieurs autres lectures », la décision attaquée impose aux demandeurs de prouver leur innocence.
A la page 25 de ses conclusions déposées au greffe de la cour d’appel le 12 mai 2020, le demandeur a soutenu qu’il n’était pas démontré, « par le simple rapprochement d’une photo et d’un texte susceptible de multiples interprétations », qu’il avait eu l’intention de favoriser la prostitution.
Par le motif critiqué, la cour d’appel n’a pas renversé la charge de la preuve, mais s’est bornée à indiquer pourquoi elle rejetait la défense du demandeur, en l’occurrence parce que ce dernier n’expliquait pas comment la combinaison de la photographie et du texte litigieux était susceptible, comme il le prétendait, de faire l’objet de plusieurs interprétations.
Dans cette mesure également, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen, propre à la demanderesse :
9. Le moyen invoque la violation des articles 149 de la Constitution et 5, 380, §§ 1er et 2, et 380ter, spécialement § 2, du Code pénal. Selon la demanderesse, l’arrêt ne répond pas à ses conclusions qui démontrent que les droits de propriété intellectuelle du site ne sont pas détenus par elle mais par une autre société et que celle-ci en a concédé la licence d’exploitation à une deuxième société. Dès lors qu’il n’apparaît ni des pièces du dossier ni des constatations de l’arrêt que la demanderesse est propriétaire ou exploitante du site internet litigieux, l’arrêt, d’après le moyen, ne justifie pas légalement sa décision que les préventions A et B lui seraient imputables en tant que personne morale et que, en engageant les deux chauffeurs du convoi publicitaire, elle aurait participé à la commission de l’infraction et, ainsi, apporté une aide indispensable à la diffusion de l’affiche.
10. En tant qu’il invoque l’article 380ter du Code pénal, sans indiquer en quoi l’arrêt violerait spécialement le deuxième paragraphe de cette disposition, le moyen est imprécis et, partant, irrecevable.
11. Dans la mesure où, invoquant les pièces du dossier ou les constatations de l’arrêt, il critique l’appréciation en fait des juges d’appel ou exige pour son examen une vérification d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
12. L’article 380, §§ 1er, 1°, et 2, du Code pénal, tel qu’il était applicable aux faits de la cause avant son abrogation par l’article 117 de la loi du 21 mars 2022 modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, punit toute personne qui, pour satisfaire les passions d’autrui, tente d’embaucher, entraîner, détourner ou retenir, en vue de la débauche ou de la prostitution, même de son consentement, une personne majeure.
L’article 380ter, § 3, alinéa 1er, du même code, tel qu’il était applicable aux faits de la cause avant son abrogation par l’article 117 précité, punit quiconque fait connaître, par un moyen quelconque de publicité, même en dissimulant la nature de son offre ou de sa demande sous des artifices de langage, qu’il facilite la prostitution d’autrui.
En vertu de l’article 66 du Code pénal, seront punis comme auteurs du délit ceux qui l’auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution, et ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, le délit n'eût pu être commis.
Il ne résulte pas de ces dispositions légales que, lorsque les actes incriminés sont commis en recourant à un site internet de rencontres, seuls le propriétaire ou l’exploitant du site encourent la responsabilité pénale, à l’exclusion, par exemple, des personnes qui en auraient fait la publicité.
En tant qu’il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
13. Dans ses conclusions, la demanderesse a contesté l’imputabilité des infractions et a soutenu que sa présence au procès résultait d’une erreur sur sa personne, dès lors que ce n’est pas elle mais la société Digisec Nordic IPR Ltd. qui était détentrice des droits de propriété intellectuelle du site et que cette dernière avait concédé une licence d’exploitation à la société opérationnelle RichMeetBeautiful (Holding) Ltd.
En vertu de l’article 5, alinéa 1er, du Code pénal, toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte.
L’arrêt relève d’abord que les demandeurs avaient le même conseil en première instance, que, à aucun instant, la question d’une erreur sur la personne de la demanderesse n’a été soulevée à ce stade, et que, dans les conclusions prises devant le premier juge, il est fait référence à plusieurs reprises à la société Digisec Media comme étant celle qui a « lancé la campagne publicitaire destinée à faire connaître le site RichMeetBeautiful ». En outre, la décision attaquée relève que la requête d’appel, commune aux demandeurs et très détaillée, ne fait pas état de cette erreur.
La décision attaquée énonce ensuite que le procès-verbal initial indique, sous la rubrique « tentative d’identification des suspects », que « sur le site internet ‘Richmeetbeautiful.com’, nous apprenons que le nom de la société responsable du site est ‘Digisec Media Limited’ ». Selon la cour d’appel, c’est aussi le nom de la demanderesse qui apparaît sur les contrats des deux chauffeurs du véhicule tractant la remorque publicitaire et la demanderesse n’a pas soutenu que son identité aurait été usurpée.
L’arrêt considère enfin que, en engageant les chauffeurs du convoi publicitaire, la demanderesse a posé un acte de participation, puisque, de la sorte, elle a apporté une aide nécessaire à la diffusion de l’affiche qui incite à la prostitution.
En ayant déduit, de ces constatations, que la prétendue erreur sur la personne de la demanderesse était dénuée de vraisemblance et qu’il n’était pas crédible d’affirmer que son objet social avait été détourné pour organiser la tournée publicitaire, la cour d’appel a répondu aux conclusions de la demanderesse et a légalement justifié sa décision que les préventions A et B lui sont imputables.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
14. Pour le surplus, le moyen n’explique pas en quoi les juges d’appel auraient méconnu le principe selon lequel, en matière pénale, la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante.
A cet égard également, manquant de précision, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
15. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision rendue sur l’action civile :
16. Les demandeurs n’invoquent aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de cent vingt-sept euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du huit février deux mille vingt-trois par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.21.0730.F
Date de la décision : 08/02/2023
Type d'affaire : Droit pénal

Analyses

La notion de prostitution visée par les articles 380 et 380ter du Code pénal n'est pas une notion évolutive, tributaire de la perception des mœurs en un lieu et un temps donnés (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

DEBAUCHE ET PROSTITUTION [notice1]

Il ne résulte pas des articles 66, 380, §§ 1er, 1°, et 2, et 380ter, § 3, alinéa 1er, du Code pénal que, lorsque les actes d'avoir tenté d'embaucher ou d'entraîner autrui en vue de la prostitution et d'avoir fait la publicité de la prostitution d'autrui sont commis en recourant à un site internet de rencontres, seuls le propriétaire ou l'exploitant du site encourent la responsabilité pénale, à l'exclusion, par exemple, des personnes qui en auraient fait la publicité (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

DEBAUCHE ET PROSTITUTION - INFRACTION - PARTICIPATION [notice2]


Références :

[notice1]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 380 et 380ter - 01 / No pub 1867060850

[notice2]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 66, 380 et 380ter - 01 / No pub 1867060850


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-02-08;p.21.0730.f ?

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