N° P.21.0228.F
B. Y..,
défendeur à l’action en déchéance de la nationalité belge,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la famille.
Le demandeur invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Par un arrêt du 12 mai 2021, la Cour a interrogé la Cour constitutionnelle sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article 23, § 6, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge.
Cette disposition légale a été jugée inconstitutionnelle par un arrêt du 22 septembre 2022 de la juridiction interrogée.
Le 26 décembre 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé au greffe des conclusions auxquelles le demandeur a répondu par une note reçue le 16 janvier 2023.
A l’audience du 18 janvier 2023, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
L’article 23, § 6, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge étant contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, aucune des fins de non-recevoir du pourvoi ou des moyens, instituées par cette disposition légale, ne peut être opposée au demandeur. Il y a lieu dès lors d’examiner les six moyens invoqués.
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 23 du Code de la nationalité belge, 10 et 11 de la Constitution, 6 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14.1 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux d’une bonne administration, en particulier de celui relatif au respect du délai raisonnable.
Devant la cour d’appel, le demandeur a soutenu que, s’il n’était pas né d’un auteur belge, c’est parce que l’administration avait tardé à traiter la demande de naturalisation introduite par son père deux ans avant sa naissance. Il en déduisait qu’il était victime d’une discrimination du fait que les Belges nés d’un auteur belge au jour de leur naissance ne peuvent être déchus de leur nationalité, alors qu’il n’appartient pas à cette catégorie en raison seulement d’un dépassement du délai raisonnable. Le moyen allègue que l’arrêt aurait dû déclarer la demande de déchéance de nationalité irrecevable du fait de cette discrimination.
L’arrêt constate d’abord que le demandeur est devenu belge le 3 janvier 1997, par effet collectif, sur le fondement de l’article 12 du Code de la nationalité belge.
La cour d’appel a ensuite considéré qu’il ne ressortait pas des pièces déposées par le demandeur, qu’entre la demande de naturalisation introduite par son père le 26 février 1992 et sa naissance en 1994, un délai anormalement long ou déraisonnable se soit écoulé, compte tenu des investigations qui devaient être réalisées par le ministère public.
En tant qu’il critique l’appréciation en fait des juges d’appel ou exige pour son examen une vérification d’éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
Par la considération précitée, l’arrêt justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le demandeur fait valoir que la cour d’appel aurait dû se déclarer sans compétence pour connaître de l’action en déchéance de la nationalité poursuivie devant elle par le ministère public. Il soutient qu’en désignant la cour d’appel pour connaître de cette action en premier et dernier ressort, l’article 23, § 3, du Code de la nationalité le prive du droit à un double degré de juridiction.
Dans la mesure où il critique la faculté, laissée par le législateur au ministère public, de choisir entre la procédure par voie d’action devant une chambre civile de la cour d’appel, et la procédure par voie de réquisitions devant le juge correctionnel saisi de la poursuite pénale, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Affirmant que la deuxième des procédures susdites garantit l’appel en tout état de cause, contrairement à la première, le demandeur perd de vue que le ministère public peut, dans le cadre des articles 23/1 et 23/2 du Code de la nationalité, requérir la déchéance pour la première fois en degré d’appel.
Le double degré de juridiction ne constitue pas, en effet, un principe général du droit.
L’article 2.1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, invoqué par le demandeur, concerne le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale, de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Etant une sanction civile, la déchéance de nationalité ne tombe pas sous l’application de cet article.
Reposant sur l’affirmation du contraire, le moyen manque en droit.
Compte tenu de la réponse donnée au moyen, le demandeur suggère de poser à la Cour constitutionnelle les deux mêmes questions que celles proposées à la cour d’appel et écartées par celle-ci.
La première question se fonde sur l’affirmation que l’appel est garanti dans le cadre de la procédure par voie de réquisition, ce que l’arrêt attaqué dit, à bon droit, ne pas être le cas.
La deuxième question procède de l’affirmation que le ministère public ne présente pas de garantie d’indépendance suffisante pour faire le choix de l’une ou de l’autre des deux procédures existantes. L’auteur de la question ne soutient pas qu’il existerait en la matière des directives ministérielles contraignantes susceptibles d’amoindrir l’indépendance du ministère public garantie par l’article 151, § 1er, de la Constitution. L’objet de la question n’est donc pas la loi mais l’application, supposée partiale, que le ministère public pourrait en faire.
Reposant tantôt sur une prémisse juridique inexacte, tantôt sur une hypothèse, les questions ne sont pas préjudicielles et ne doivent dès lors pas être posées.
Sur le troisième moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt considère qu’il n’est pas anormal qu’à la date de la naissance de Y.B., la demande de naturalisation introduite par son père un peu moins de deux ans plus tôt, n’ait pas encore débouché sur une décision. L’arrêt s’en explique en se référant aux investigations que l’instruction d’une telle demande nécessite.
Selon le moyen, cette énonciation méconnaît les droits de la défense parce que les investigations évoquées n’ont pas fait l’objet d’un débat.
En tant qu’il soutient que cette question n’a pas été abordée à l’audience, le moyen, mélangé de fait, est irrecevable.
Le juge ne méconnaît pas les droits de la défense lorsqu’il se fonde sur une donnée d’expérience commune, telle la durée possible d’une procédure administrative.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Dans la mesure où il est pris de la violation de l’article 8.4, alinéas 1 à 5, du nouveau Code civil, sans indiquer à laquelle de ces dispositions l’arrêt contrevient, ni de quelle manière, le moyen, imprécis, est irrecevable.
Le demandeur a déposé, devant la cour d’appel, des conclusions soutenant que « ni le dossier administratif de l’Office des étrangers ni le dossier relatif à l’acquisition de la nationalité belge ne sont versés au dossier, ce qui fait obstacle à une mise en état respectueuse des droits de la défense car des éléments importants de personnalité tant à charge qu’à décharge se trouvent dans ce dossier ». Le demandeur a sollicité de la cour d’appel qu’elle ordonne la production de « ces pièces [qui] sont entre les mains de l’Etat belge ».
Compte tenu de leur imprécision, ces allégations ont pu, aux yeux des juges du fond, être considérées comme étant inaptes à accréditer l’existence de présomptions graves, précises et concordantes de la détention, par un tiers, d’un document contenant la preuve d’un fait pertinent. La cour d’appel a pu, dès lors, légalement décider de ne pas faire usage de la faculté qu’elle avait d’en ordonner la production.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 5 de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, 8.4 du Code civil, 877 et suivants du Code judiciaire, et 23 du Code de la nationalité, ainsi que de la méconnaissance de la notion légale de présomption de fait.
Le demandeur soutient que la cour d’appel n’a pas légalement décidé qu’il jouissait de la nationalité marocaine et que la déchéance de la nationalité belge ne le rendrait dès lors pas apatride.
Dans les conclusions déposées à la cour d’appel, le demandeur s’est borné à soutenir que, sa nationalité algérienne n’étant pas établie, il y avait lieu de déclarer irrecevable l’action en déchéance de sa nationalité belge.
Sur la base d’éléments de fait et de droit soumis à la contradiction des parties, l’arrêt relève que Y. B. est né d’un père marocain, qu’en vertu de l’article 6 du Code de la nationalité marocaine, il s’est vu attribuer à la naissance la nationalité de son père, que ledit code ne prévoit pas la perte de la nationalité marocaine du fait d’en avoir acquis une autre, et qu’étant marocain de naissance, il ne peut pas, en vertu de l’article 22 du même code, être déchu de sa nationalité d’origine.
Ces motifs, qui excluent l’apatridie, ne violent pas les dispositions légales invoquées par le demandeur.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Prononcée dans les cas et selon les formes prévus par la loi, et notamment sous la condition qu’elle ne crée pas d’apatridie, la déchéance de nationalité ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
Dans la mesure où il repose sur l’affirmation que le demandeur ne jouit d’aucune autre nationalité que celle dont il pourrait être privé, alors que l’arrêt relève qu’il est et reste marocain, le moyen manque en fait.
Le demandeur dénonce le caractère arbitraire de la déchéance encourue. Mais il ne déduit cette critique que de l’affirmation suivant laquelle le ministère public n’est pas une autorité indépendante et impartiale en manière telle que ses choix procéduraux seraient viciés.
Réitérant ainsi la critique vainement formulée sous le deuxième moyen, le grief est irrecevable.
Sur le sixième moyen :
Dans la mesure où il reproche au ministère public de ne pas s’être livré au contrôle de proportionnalité qu’implique la prise d’une décision telle que la déchéance d’une nationalité, le moyen, étranger à l’arrêt attaqué, est irrecevable.
Selon l’arrêt, le demandeur a reconnu avoir commis quotidiennement, pendant plusieurs mois, des dizaines de vols destinés à financer les activités d’un groupe terroriste prônant la guerre sainte. L’arrêt relève que le demandeur a servi la cause d’un islamisme extrême, jugeant que la Belgique est un pays ennemi où il est dès lors légitime de s’emparer du bien d’autrui, témoignant d’un mépris affolant pour les personnes, faisant l’apologie d’un attentat meurtrier, adhérant à l’idéologie de l’Etat islamique de l’Irak et du Levant, affichant son rejet des libertés fondatrices de la démocratie occidentale, persistant à considérer qu’il n’est incarcéré qu’en raison de ses croyances et ne se remettant dès lors pas en question.
En considérant, pour ces motifs, que le demandeur a brisé lui-même les liens qui l’unissaient à la Belgique et à l’Union européenne, la cour d’appel a mis en balance l’intérêt du demandeur à son maintien dans la communauté nationale et l’intérêt de ses concitoyens à ce qu’il en soit exclu. L’arrêt contient donc, fût-il défavorable au demandeur, un contrôle de la proportionnalité de la déchéance par rapport aux manquements jugés très graves que cette mesure sanctionne.
Les juges d’appel ont, ainsi, régulièrement motivé et légalement justifié leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de six euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.