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17/01/2023 | BELGIQUE | N°P.22.1444.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 janvier 2023, P.22.1444.F


N° P.22.1444.F
D. A. L.
étranger,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Patrick Huget, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d’Etat à l'Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Cathy Piront, avocat au barreau de Liège-Huy, et Stamatina Arkoulis, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 octobre 2022 par la cour d’appel

de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque huit moyens dans un mémoir...

N° P.22.1444.F
D. A. L.
étranger,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Patrick Huget, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d’Etat à l'Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Cathy Piront, avocat au barreau de Liège-Huy, et Stamatina Arkoulis, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 octobre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque huit moyens dans un mémoire reçu au greffe le 9 novembre 2022.
Le 2 décembre 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions auxquelles le demandeur a répondu par une note remise le 10 janvier 2023.
A l’audience du 17 janvier 2023, le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.

II. LES FAITS
En séjour illégal sur le territoire du Royaume, le demandeur a été intercepté le 19 septembre 2022 par les services de police, a fait l’objet d’une mesure d’éloignement avec interdiction de séjour d’une durée de trois ans et s’est vu notifier une décision de maintien dans le centre fermé de Merksplas.
Le 20 septembre 2022, le demandeur a fait une déclaration de départ volontaire.
Un vol a été organisé pour le 25 septembre 2022 via Istanbul mais le départ a dû être annulé.
Le demandeur a été rapatrié dans son pays d’origine le 30 octobre 2022.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
1. Il y a lieu de déterminer si le recours de l’étranger, qu’il s’agisse de la requête, de l’appel ou du pourvoi, conserve son objet lorsque l’intéressé a été rapatrié au moment où la juridiction doit statuer. Dans l’affirmative, le contrôle de légalité imparti aux juridictions d’instruction a pour objet un titre qui n’existe plus mais a existé. Dans la négative, lesdites juridictions sont dispensées du contrôle, sans préjudice des autres voies de droit ouvertes à l’étranger pour obtenir la réparation du dommage éventuellement subi.
2. L’article 71 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, donne compétence à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation pour connaître du recours formé par l’étranger contre la mesure privative de liberté dont il fait l’objet.
Le contrôle judiciaire prévu par ladite loi vise le titre actif, c’est-à-dire le titre originaire toujours en vigueur au moment où la juridiction d’instruction en vérifie la légalité, mais aussi le nouveau titre, substitué à l’ancien, et à la faveur duquel l’étranger demeure privé de liberté.
3. Par ailleurs, l’article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant le tribunal afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
La sanction de l’illégalité étant une libération qui doit intervenir à bref délai, il se comprend que l’article 5.4 vise le recours de l’étranger toujours détenu au moment où la juridiction d’instruction est appelée à statuer sur son recours. En effet, s’il a été rapatrié entretemps, il n’est plus possible d’ordonner son élargissement. En revanche, l’illégalité de son arrestation lui ouvre, après sa mise en liberté ou son rapatriement, le droit à réparation garanti par l’article 5.5 de la Convention.
En d’autres termes, le bref délai requis par la Convention coïncide avec la période de privation de liberté : ce que l’article 5.4 prohibe, c’est l’impossibilité pour l’étranger, alors qu’il est administrativement détenu, de faire contrôler les titres en vertu desquels il est retenu.
4. L’article 5.4 précité est dès lors violé au cas où un étranger a fait successivement l’objet de plusieurs décisions privatives de liberté sans que le contrôle juridictionnel ait pu être clôturé par une décision définitive en raison de la survenance, pendant la procédure de contrôle du titre de privation de liberté en vigueur, d’un nouveau titre autonome remplaçant le précédent.
Par contre, l’article 71 de la loi du 15 décembre 1980 ne viole pas l’article 5.4 de la Convention lorsque, comme en l’espèce, l’événement qui survient pendant la procédure de contrôle n’est pas un nouveau titre autonome remplaçant le précédent mais, au contraire, le rapatriement de l’étranger qui en fut l’objet.
5. Le lien nécessaire entre l’exigence d’un contrôle « à bref délai » de la légalité d’une privation de liberté et l’existence d’un titre actif de la rétention à contrôler ressort également de l’article 15.2 de la directive Retour. En vertu de cette disposition, il appartient aux Etats membres de prévoir qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la privation de liberté ait lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, ou d’accorder à l’étranger le droit d’engager une procédure aux mêmes fins. L’article 15.2 ajoute que l’étranger est immédiatement remis en liberté si ce contrôle, requis à bref délai, débouche sur un constat d’illégalité de la rétention.
Dans sa note en réponse aux conclusions du ministère public, le demandeur sollicite que la Cour de justice de l’Union européenne soit interrogée, à titre préjudiciel, sur la compatibilité de l’article 71 de la loi du 15 décembre 1980 avec, notamment, l’article 15.2, précité, de la directive Retour.
Mais les dispositions de droit communautaire visées par la demande de renvoi préjudiciel sont étrangères à la désignation, par le droit national, du juge compétent pour statuer sur l’illégalité imputée à une privation de liberté ayant pris fin.
Il n’y a dès lors pas lieu de poser la question sollicitée.
6. Entre le 19 septembre 2022, date de son interception, et le 30 octobre 2022, date de son rapatriement, le demandeur a pu soumettre le contrôle de la légalité de sa rétention aux juridictions d’instruction de première instance et d’appel.
Sans doute la Cour n’a-t-elle pas pu connaître du pourvoi pendant la durée du titre actif, conformément à l’exigence du bref délai tel que défini ci-dessus.
Mais cette circonstance n’a pas pour effet de restituer au pourvoi son objet puisque l’examen des moyens de cassation du demandeur après son rapatriement ne remédie pas au fait que cet examen n’a pas eu lieu avant celui-ci.
Le pourvoi est dès lors devenu sans objet.
Il n’y a pas lieu d’avoir égard aux moyens invoqués dans le mémoire du demandeur, étrangers à la circonstance que le pourvoi n’a plus d’objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation en audience publique et plénière, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Beatrijs Deconinck, premier président, président, le chevalier Jean de Codt, président, Filip Van Volsem, Françoise Roggen, Peter Hoet, Antoine Lievens, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-trois par Beatrijs Deconinck, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.1444.F
Date de la décision : 17/01/2023
Type d'affaire : Droit administratif - Droit pénal - Droit international public - Droit européen - Autres

Analyses

L'article 71 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers donne compétence à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation pour connaître du recours formé par l'étranger contre la mesure privative de liberté dont il fait l'objet; le contrôle judiciaire prévu par ladite loi vise le titre actif, c'est-à-dire le titre originaire toujours en vigueur au moment où la juridiction d'instruction en vérifie la légalité, mais aussi le nouveau titre, substitué à l'ancien, et à la faveur duquel l'étranger demeure privé de liberté (1). (1) Voir les concl. du MP et Cass. 15 décembre 2022, RG P.22.1327.F, Pas. 2022, n° 830.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION [notice1]

Dès lors qu'en vertu de l'article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la sanction de l'illégalité est une libération qui doit intervenir à bref délai, il se comprend que cette disposition vise le recours de l'étranger toujours détenu au moment où la juridiction d'instruction est appelée à statuer sur son recours; en effet, s'il a été rapatrié entretemps, il n'est plus possible d'ordonner son élargissement mais l'illégalité de son arrestation lui ouvre, après sa mise en liberté, le droit à réparation garanti par l'article 5.5 de la Convention (1). (1) Voir les concl. du MP et Cass. 15 décembre 2022, RG P.22.1327.F, Pas. 2022, n° 830.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 4 - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 5 [notice3]

L'article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est violé au cas où un étranger a fait successivement l'objet de plusieurs décisions privatives de liberté sans que le contrôle juridictionnel ait pu être clôturé par une décision définitive en raison de la survenance, pendant la procédure de contrôle du titre de privation de liberté en vigueur, d'un nouveau titre autonome remplaçant le précédent (1). (1) Voir les concl. du MP et Cass. 15 décembre 2022, RG P.22.1327.F, Pas. 2022, n° 830.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 4 [notice7]

L'article 71 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ne viole pas l'article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales lorsque l'événement qui survient pendant la procédure de contrôle n'est pas un nouveau titre autonome remplaçant le précédent mais, au contraire, le rapatriement de l'étranger qui en fut l'objet (1). (1) Voir les concl. du MP et Cass. 15 décembre 2022, RG P.22.1327.F, Pas. 2022, n° 830.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 5 - Article 5, § 4 [notice10]

Le lien nécessaire entre l'exigence d'un contrôle « à bref délai » de la légalité d'une privation de liberté et l'existence d'un titre actif de la rétention à contrôler ressort notamment de l'article 9.3 de la directive Accueil; en vertu de cette disposition, il appartient aux Etats membres de prévoir qu'un contrôle juridictionnel accéléré du placement en rétention ait lieu le plus rapidement possible à compter du début de la privation de liberté, ou d'accorder à l'étranger le droit d'engager une procédure aux mêmes fins et l'article 9.3 ajoute que l'étranger est immédiatement remis en liberté si ce contrôle, requis à bref délai, débouche sur un constat d'illégalité de la rétention.

ETRANGERS - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Politique [notice13]

Le pourvoi dirigé contre un arrêt de la chambre des mises en accusation qui a statué sur le recours formé par l'étranger contre la mesure privative de liberté dont il fait l'objet devient sans objet lorsque ledit étranger a entre-temps été rapatrie (1). (1) Voir les concl. du MP et Cass. 15 décembre 2022, RG P.22.1327.F, Pas. 2022, n° 830.

ETRANGERS - POURVOI EN CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Décisions contre lesquelles on peut se pourvoir - Action publique - Défaut d'intérêt. Défaut d'objet [notice16]


Références :

[notice1]

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 5, § 4, et 5, § 5 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550

[notice7]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 5, § 4 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550

[notice10]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 5, § 4 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550

[notice13]

Directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissement des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) - 26-06-2013 - Art. 9, § 3 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550

[notice16]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 5, § 4 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 71 et 72 - 30 / No pub 1980121550


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-01-17;p.22.1444.f ?

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