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11/01/2023 | BELGIQUE | N°P.22.1275.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 janvier 2023, P.22.1275.F


N° P.22.1275.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
HERPAIN ENTREPRISE, société anonyme,
prévenue,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Philippe Binnemans et Dimitri de Béco, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle siégeant dans les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire.
Le pourvoi est limité

aux dispositions acquittant la défenderesse du chef d’infractions à la loi du 4 août 1996 relative ...

N° P.22.1275.F
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
HERPAIN ENTREPRISE, société anonyme,
prévenue,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Philippe Binnemans et Dimitri de Béco, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle siégeant dans les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire.
Le pourvoi est limité aux dispositions acquittant la défenderesse du chef d’infractions à la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, ainsi qu’aux articles 418 et 419 du Code pénal.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LES FAITS
La défenderesse s’est vu poursuivre en qualité de maître d’œuvre chargé de l’exécution d’un ouvrage consistant dans la rénovation d’un immeuble de bureaux. Le 9 janvier 2015, un ouvrier occupé sur ce chantier s’est tué en tombant du huitième étage du bâtiment, après avoir mis le pied sur une planche qui, placée en surplomb d’une trémie technique, a cédé sous son poids.
Il est reproché à la défenderesse de ne pas avoir veillé à l’adoption de mesures de protection collective par priorité sur des mesures de protection individuelle, notamment pour éviter des chutes lors de travaux temporaires réalisés en hauteur (prévention A), d’avoir laissé des travailleurs exécuter leurs prestations au-dessus d’une trémie profonde de huit étages, alors que celle-ci, recouverte d’une structure provisoire de capacité portante insuffisante, constituait un poste de travail instable (prévention B), et d’homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution (prévention E).
Par un jugement rendu le 5 novembre 2018, le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles a dit les préventions établies, condamné la défenderesse à une peine d’amende et réservé d’office les éventuels intérêts civils.
Sur l’appel notamment de la prévenue, l’arrêt relève que
- la société Herpain avait conclu un contrat de sous-traitance avec l’entreprise JMC Constructions, laquelle a sous-traité à son tour les travaux à une firme de droit portugais, employeur de l’ouvrier tué ;
- il n’est pas démontré que la prévenue aurait exercé une quelconque autorité sur cet ouvrier le jour de l’accident ;
- le contrat de sous-traitance conclu par la défenderesse avec l’entreprise JMC Constructions met expressément à charge de celle-ci toutes les mesures de sécurité relatives aux travailleurs et aux tiers, ainsi que l’obligation de faire respecter ces mesures par ses sous-traitants.
La cour d’appel en a déduit qu’il n’était pas établi que la prévenue ait manqué, en sa qualité de maître d’œuvre, aux obligations légales en matière de sécurité visées aux préventions. Elle a, dès lors, acquitté la défenderesse.
C’est l’arrêt attaqué.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
Le moyen est pris, notamment, de la violation des articles 5, 23, 24 et 29 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, et 132 du Code pénal social.
Il est reproché à l’arrêt de considérer que la défenderesse a pu s’exonérer de sa responsabilité pénale en déléguant, par contrat, au sous-traitant JMC Constructions, la sécurité sur le chantier pendant l’intervention litigieuse.
Le transfert de la responsabilité pénale n’est admissible que lorsqu’il est autorisé, fût-ce implicitement, par le législateur ou l’autorité réglementaire, à charge pour le délégant de prouver la délégation opérée sur la tête du tiers qu’il prétend tenu de remplir certaines obligations à sa décharge.
N’étant pas une convention d’exonération de la responsabilité pénale, la délégation de pouvoirs ne met pas, à charge du délégataire, la responsabilité des infractions commises par le délégant.
En vertu de l’article 132, 5°, du Code pénal social, le maître d’œuvre chargé de l’exécution doit veiller à faire respecter les mesures de sécurité et de santé sur le chantier, et à les faire respecter par les sous-traitants, entrepreneurs et indépendants qui interviennent sur celui-ci.
L’article 25 de la loi du 4 août 1996 dispose que le maître d’œuvre chargé de l’exécution est tenu de faire respecter, par tous les sous-traitants associés à la réalisation de l’ouvrage, les mesures arrêtées par le Roi en matière de santé et de sécurité des travailleurs et dont la mise en œuvre incombe aux entrepreneurs concernés par la réalisation de l’ouvrage.
En vue de l’application, notamment, de l’article 25 précité, le maître d’œuvre chargé de l’exécution doit, conformément à l’article 29, écarter le sous-traitant dont il peut savoir qu’il ne respecte pas les obligations imposées par la loi et ses arrêtés d’exécution. L’article 29 impose également au maître d’œuvre, en cas de carence de la part du sous-traitant, de prendre lui-même les mesures nécessaires après avoir mis ce dernier en demeure.
Il résulte de ces dispositions que la loi punit le fait, pour le maître d’œuvre, de méconnaître par sa faute personnelle les dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail.
La délégation ne saurait abolir la responsabilité pénale encourue par le maître d’œuvre au titre de manquements à des obligations que la loi a entendu mettre personnellement à sa charge.
Décidant le contraire, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
Le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, en tant qu’il acquitte la défenderesse des préventions A, B et E ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les frais pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.1275.F
Date de la décision : 11/01/2023
Type d'affaire : Droit pénal - Droit du travail - Droit de la sécurité sociale

Analyses

Le transfert de la responsabilité pénale n'est admissible que lorsqu'il est autorisé, fût-ce implicitement, par le législateur ou l'autorité réglementaire, à charge pour le délégant de prouver la délégation opérée sur la tête du tiers qu'il prétend tenu de remplir certaines obligations à sa décharge; n'étant pas une convention d'exonération de la responsabilité pénale, la délégation de pouvoirs ne met pas à charge du délégataire la responsabilité des infractions commises par le délégant (1). (1) Voir Cass. 5 mai 2021, RG P.21.0042.F, Pas. 2021, n° 327, avec note M.N.B.

INFRACTION - IMPUTABILITE - Personnes morales

Il résulte des articles 132, 5°, du Code pénal social et 25 et 29 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail que la loi punit le fait, pour le maître d'œuvre, de méconnaître par sa faute personnelle les dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail; la délégation de pouvoirs au sous-traitant ne saurait abolir la responsabilité pénale encourue par le maître d'œuvre au titre de manquements à des obligations que la loi a entendu mettre personnellement à sa charge.

TRAVAIL - PROTECTION DU TRAVAIL - ACCIDENT DU TRAVAIL - RESPONSABILITE - Travailleur. Employeur - INFRACTION - IMPUTABILITE - Divers - INFRACTION - IMPUTABILITE - Personnes morales [notice4]


Références :

[notice4]

L. du 6 juin 2010 - 06-06-2010 - Art. 132, 5° - 06 / No pub 2010009589 ;

L. du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail - 04-08-1996 - Art. 25 et 29 - 00 / No pub 1996012650


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-01-11;p.22.1275.f ?

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