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05/01/2023 | BELGIQUE | N°C.18.0402.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 janvier 2023, C.18.0402.F


N° C.18.0402.F
1. D. A.,
2. C. B.,
3. J. F.,
4. A. R.-K.,
5. J. P.,
6. J. M. S.,
7. F. T.,
8. A. V.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
1. COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre de l’Enseignement supérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65,
représentée par Maître Martin

Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est...

N° C.18.0402.F
1. D. A.,
2. C. B.,
3. J. F.,
4. A. R.-K.,
5. J. P.,
6. J. M. S.,
7. F. T.,
8. A. V.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
1. COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre de l’Enseignement supérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65,
représentée par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile,
2. SERVICE FÉDÉRAL DES PENSIONS, établissement public, dont le siège est établi à Saint-Gilles, Tour du Midi, Esplanade de l’Europe, 1,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 3 août et
2 décembre 2016 par la cour d’appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 20 décembre 2012.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 108 et 159 de la Constitution coordonnée le 17 févier 1994 et, en tant que de besoin, 67 de la Constitution du 7 février 1831 ;
- article 3, [alinéa] 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées
le 12 janvier 1973, avant sa modification par la loi du 9 août 1980 ;
- article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française.
Décision critiquée
L’arrêt attaqué du 3 août 2016 considère que l’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique, avant son abrogation par l’article 528 du décret de la Communauté française du 20 décembre 2001, a été validé, avec effet à sa date d’entrée en vigueur et à celles de ses modifications successives, par l’article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française.
Griefs
L’article 108 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, comme l’article [67] de la Constitution du 7 février 1831, dispose que le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes ni dispenser de leur exécution.
En vertu de l’article 159 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois.
Conformément à l’article 3, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, dans sa version visée au moyen et applicable à la date de l’adoption de l’arrêté royal du 25 juin 1973, hors les cas d’urgence, les projets d’arrêtés réglementaires sont soumis à l’avis motivé de la section de législation du Conseil d’État.
L’obligation de consultation de la section de législation du Conseil d’État sur le texte des projets d’arrêtés royaux ayant une portée réglementaire est une formalité substantielle d’ordre public et l’invocation d’une urgence inexistante constitue un excès de pouvoir.
L’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique invoque l’urgence mais il n’a été publié au Moniteur belge que le 2 octobre 1973, en sorte que ce délai de plus de trois mois entre son adoption et sa publication démontre que l’urgence invoquée par le ministre pour se dispenser de l’avis de la section de législation du Conseil d’État n’existait pas.
Contrairement à ce que considère l’arrêt attaqué du 3 août 2016, l’article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française ne valide pas l’arrêté royal du 25 juin 1973.
En considérant cet arrêté royal comme applicable nonobstant l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État, l’arrêt attaqué du
3 août 2016 viole les articles 108 et 159 de la Constitution coordonnée
le 17 février 1994 et, en tant que de besoin, 67 de la Constitution du 7 février 1831, 3, [alinéa] 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État visé au moyen et 6 du décret précité de la Communauté française du 13 décembre 2012.
Second moyen
Dispositions légales violées
- articles 10, 11, 108 et 159 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994 et, en tant que de besoin, 6, 6bis et 67 de la Constitution du 7 février 1831, modifiée le 24 décembre 1970 ;
- article 3, [alinéa] 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, avant sa modification par la loi du 9 août 1980 ;
- article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française ;
- article 2, spécialement chapitre III.2, de l’arrêté royal du 9 novembre 1978 fixant au 1er avril 1972 les échelles de traitement des membres du personnel directeur et enseignant et du personnel auxiliaire d’éducation des établissements d’enseignement artistique de plein exercice de l’État, relevant du ministre de la Culture néerlandaise et du ministre de la Culture française, ainsi que des membres du personnel du service d’inspection chargés de la surveillance des établissements d’enseignement artistique, avant son abrogation par le décret du 20 décembre 2001 fixant les règles spécifiques à l’enseignement supérieur artistique organisé en écoles supérieures des arts (organisation, financement, encadrement, statut des personnels, droits et devoirs des étudiants).
Décision et motifs critiqués
L’arrêt attaqué du 2 décembre 2016, par confirmation du jugement entrepris, dit non fondées les demandes des demandeurs visant à ce qu’il soit dit pour droit qu’ils doivent obtenir un traitement à l’échelle barémique au taux de cent p.c. pour chacune des heures dont ils ont eu la charge et à ce que
le traitement pour lesdites heures soit pris en compte jusqu’à due concurrence pour le calcul de la pension de retraite, aux motifs que
« Sur l’illégalité des arrêtés royaux des 25 juin 1973 et 9 novembre 1978 et l’opportunité de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle
Par son arrêt du 20 décembre 2012, rendu en la présente cause, la Cour de cassation a considéré qu’en appliquant les arrêtés royaux des 25 juin 1973 et
9 novembre 1978, la cour d’appel de Bruxelles avait violé l’article 3, [alinéa] 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, ainsi que les articles 108 et 159 de la Constitution, dès lors que lesdits arrêtés royaux étaient illégaux pour n’avoir pas été soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État ;
L’article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française a procédé à
la validation rétroactive de l’arrêté royal du 9 novembre 1978 fixant les échelles de traitement des membres du personnel ;
En réponse à une question préjudicielle posée par la cour [d’appel], la Cour constitutionnelle a estimé que cette disposition décrétale ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec
les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité (arrêt n° 77/2015 du
28 mai 2015) ;
Conformément aux dispositions de l’article 26, § 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, la cour [d’appel] estime ne pas devoir poser une nouvelle question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, dès lors que, dans une affaire identique, ladite cour a considéré que l’article 6 du décret de
la Communauté française du 13 décembre 2012 était compatible avec
les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité […] ;
La cour [d’appel] entend faire application de la solution donnée par l’arrêt précité du 28 mai 2015 ;
Il convient dès lors de considérer comme légal et régulier l’arrêté royal du 9 novembre 1978 ;
En ce qui concerne l’arrêté royal du 25 juin 1973, la [défenderesse] relève à juste titre qu’il vise bien l’urgence dans son préambule pour se dispenser de l’avis de la section de législation du Conseil d’État […] ;
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 9 août 1980 modifiant l’article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, la motivation de l’urgence n’était pas requise ;
Les [demandeurs] ne démontrent pas le défaut de l’urgence alléguée pour ne pas demander l’avis du Conseil d’État ;
Il sera donc fait application des arrêtés royaux des 9 novembre 1978 et
25 juin 1973 ;
Sur la demande de paiement des traitements pour les heures complémentaires prestées par les [demandeurs]
Les [demandeurs] exposent que, pour déterminer la composition de l’horaire complet des enseignants des conservatoires, il faut nécessairement faire une lecture combinée de l’arrêté royal du 9 novembre 1978 et de l’arrêté royal du 25 juin 1973 ;
Ils soutiennent, en s’appuyant sur un arrêt du Conseil d’État du 21 avril 1993, que, dans la mesure où l’enseignant peut être contraint, dans le cadre de sa nomination, de donner douze heures de cours – l’arrêté du 9 novembre 1978 prévoit six heures de cours tandis que six heures ‘complémentaires’ peuvent être imposées par l’article 13 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 –, l’horaire complet d’un professeur de musique comporte douze heures de cours (C.E., 21 avril 1993, n° 42 628 […]) ;
La [défenderesse] estime pour sa part que la combinaison des arrêtés royaux des 9 novembre 1978 et 25 juin 1973 permet de fixer les prestations complètes d’un professeur à douze heures par semaine, soit les six heures de base et les six heures complémentaires éventuellement prestées mais que, en vertu des règles applicables en la matière, ces heures ne sont pas toutes rémunérées de la même manière : l’horaire de base de six heures par semaine donne lieu à la rémunération sur la base de l’échelle barémique 610 tandis que les heures complémentaires éventuellement prestées donnent lieu, pour leur part, à une rémunération calculée sur la base de l’article 21 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 (une rémunération d’un douzième du traitement annuel brut par heure complémentaire) ; celle-ci n’est par ailleurs pas incorporée au traitement et reste sans incidence sur la pension ;
L’arrêté royal du 9 novembre 1978 a fixé l’échelle barémique du traitement des professeurs de musique (fonction non exclusive) à ‘six heures par semaine : 610’ […] ;
L’article 13 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 dispose toutefois que
‘le professeur peut être tenu, sauf empêchement motivé, de donner, conformément aux dispositions de l’article 12, des heures complémentaires dont le nombre ne peut être supérieur à six par semaine’ […] ;
L’article 21 de cet arrêté royal prévoit que, ‘par mesure transitoire,
le professeur tenu en vertu des articles 12 et 13 du présent arrêté de donner des heures complémentaires reçoit une rémunération d’un douzième de son traitement annuel brut par heure complémentaire’ ;
Il résulte de ces dispositions que les prestations complètes d’un professeur de musique correspondant au nombre maximum d’heures de cours qu’il peut être amené à donner dans le cadre de sa fonction est de douze heures par semaine, étant les six heures de base correspondant à la rémunération barémique 610 visée par l’arrêté royal du 9 novembre 1978, auxquelles peuvent s’ajouter six heures complémentaires que le professeur est tenu de prester, sauf empêchement motivé, en application de l’article 13 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 (C.E, n° 163 325 du 10 octobre 2006 […]) ;
En ce qui concerne la rémunération de ces prestations, il convient de se référer, d’une part, à l’article 2 de l’arrêté royal du 9 novembre 1978, qui fixe l’échelle de traitement des professeurs de cours artistiques enseignant la musique six heures par semaine à l’échelle barémique 610, d’autre part, à l’article 21 de l’arrêté royal du 25 juin 1973, qui fixe la rémunération des heures complémentaires que le professeur est tenu de donner en application des articles 12 et 13 de cet arrêté à un douzième de son traitement annuel brut par heure complémentaire, soit cinquante pour cent de la rémunération perçue pour les heures prestées dans le cadre de l’horaire de base ;
Les [demandeurs] soutiennent vainement qu’il serait contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination de rémunérer de manière différente les enseignants qui donneraient six heures de cours et ceux qui seraient contraints de donner six heures complémentaires, les premiers voyant les heures données [rémunérées] à un taux horaire différent de celui des heures complémentaires données par les seconds ;
En effet, ce régime de rémunération est applicable à tous les professeurs de musique se trouvant dans la même situation – chacun bénéficiant de l’échelle barémique pour l’horaire de base et chacun étant rémunéré à cinquante pour cent pour les heures complémentaires éventuellement prestées – et il ne peut dès lors être considéré que les principes d’égalité et de non-discrimination sont méconnus ;
Les [demandeurs] ne démontrent ni que des professeurs de musique se trouvant dans une situation identique ou comparable auraient été traités de manière plus favorable ni que la [défenderesse] aurait accepté, par acquiescement à des décisions de justice, de rémunérer d’autres professeurs de musique pour des prestations complètes de douze heures jusqu’à concurrence de cent pour cent ;
Les [demandeurs] soutiennent également que l’article 21 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 était une disposition transitoire qui a été remplacée par l’arrêté royal du 9 novembre 1978, qui fixe le barème applicable à partir de six heures de cours dans l’enseignement de la musique, et l’arrêté royal du 15 décembre 1978, qui porte à douze le nombre d’heures qui composent l’horaire complet des [demandeurs] ;
Les [demandeurs] ajoutent qu’en refusant d’intégrer la rémunération des heures complémentaires dans [leur] traitement […] au motif que ces heures ne seraient pas comparables aux six premières, la [défenderesse] méconnaît la notion d’horaire complet dans l’enseignement artistique dispensé dans les conservatoires royaux de musique et que la fin du régime transitoire organisé par l’arrêté royal du 25 juin 1973 a pour seule conséquence que l’échelle barémique 610 trouve à s’appliquer à la rémunération des heures complémentaires imposées par l’article 13 de cet arrêté royal ;
À cet égard, la [défenderesse] fait valoir à juste titre que l’article 77 de la loi du 24 décembre 1976 relative aux propositions budgétaires 1976-1977 et l’arrêté royal pris pour son exécution – déclaré par ailleurs illégal par le Conseil d’État dans son arrêt n° 163 325 du 10 octobre 2006 – règlent la question du nombre d’heures prestées qui sont prises en compte pour le paiement d’un enseignant en situation de cumul et ne sont pas applicables en la présente cause, à défaut pour les [demandeurs] de revendiquer le paiement de prestations d’enseignement cumulées dans différents établissements ;
Par conséquent, l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du
29 juin 2000, auquel se réfèrent les [demandeurs], n’est pas pertinent en l’espèce dès lors qu’il a été rendu dans une situation de cumul et que les dispositions visées au moyen, étant l’article 77, § 1er, de la loi du 24 décembre 1976 et l’arrêté royal du 8 août 1984 remplaçant l’arrêté royal du 15 décembre 1978, ont pour seul objet de réduire la rémunération des professeurs cumulant leur fonction dans l’enseignement avec une autre fonction, en limitant la première à maximum un tiers du nombre d’heures requis pour un ‘emploi à prestations complètes’ (Cass., 29 juin 2000, C.98.0217.F […]) ;
Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la rémunération des [demandeurs] avait été bien calculée et définie sur la base de l’arrêté royal du 9 novembre 1978, qui détermine la charge horaire au regard de l’échelle barémique correspondante, et sur la base de l’arrêté royal du 25 juin 1973, non abrogé ni modifié, qui prévoit la possibilité de prestations complémentaires jusqu’à concurrence d’un maximum de six heures par semaine donnant lieu à un mode distinct de rémunération ;
Il s’ensuit que l’appel à cet égard n’est pas fondé ;
Sur le calcul de la pension des [demandeurs] retraités
Les [demandeurs] exposent que, s’ils venaient à triompher dans leur demande à l’égard de la [défenderesse], à savoir que leurs douze heures de cours devaient être payées au même barème, c’est-à-dire le barème 610, il s’agirait là du traitement attaché à leurs fonctions et il faudrait en tenir compte pour le calcul de la pension de retraite ;
Dans la mesure où la [défenderesse] a fait une exacte application des textes légaux et réglementaires en rétribuant les heures complémentaires prestées par les [demandeurs] jusqu’à concurrence d’un douzième de leur traitement annuel brut par heure complémentaire, soit à cinquante pour cent, la demande [de ceux-ci] tendant au nouveau calcul de leur pension sur la base de douze heures de cours payées au barème 610 n’est pas fondée ;
L’appel sur ce point n’est donc pas fondé ;
Sur la demande de remboursement des cotisations de pension
À titre subsidiaire, les [demandeurs] demandent la condamnation du [défendeur] à leur rembourser les retenues indûment perçues à titre de cotisations de pension sur la rémunération des heures complémentaires imposées par l’article 13 de l’arrêté royal du 25 juin 1973 ».
Griefs
Première branche
L’article 108 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, comme l’article [67] de la Constitution du 7 février 1831, dispose que le Roi fait
les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes ni dispenser de leur exécution.
En vertu de l’article 159 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois.
Conformément à l’article 3, [alinéa] 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, dans sa version visée au moyen et applicable à
la date de l’adoption de l’arrêté royal du 25 juin 1973, hors les cas d’urgence,
les projets d’arrêtés réglementaires sont soumis à l’avis motivé de la section de législation du Conseil d’État.
L’obligation de consultation de la section de législation du Conseil d’État sur le texte des projets d’arrêtés royaux ayant une portée réglementaire est
une formalité substantielle d’ordre public et l’invocation d’une urgence inexistante constitue un excès de pouvoir.
L’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique invoque l’urgence mais il n’a été publié au Moniteur belge que le 2 octobre 1973, en sorte que ce délai de plus de trois mois entre son adoption et sa publication démontre que l’urgence invoquée par le ministre pour se dispenser de l’avis de la section de législation du Conseil d’État n’existait pas.
L’article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française ne valide pas l’arrêté royal du 25 juin 1973.
L’arrêt attaqué du 2 décembre 2016, qui décide qu’il « sera […] fait application » de l’arrêté royal du 25 juin 1973 en considérant que les demandeurs « ne démontrent pas le défaut de l’urgence alléguée », viole les articles 108 et 159 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994 et, en tant que de besoin, 67 de la Constitution du 7 février 1831, 3, [alinéa] 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État visé au moyen et 6 du décret précité de la Communauté française du 13 décembre 2012.
Seconde branche
L’article 2, spécialement chapitre III.2, de l’arrêté royal du 9 novembre 1978 visé au moyen prévoit pour les professeurs de musique, tels les demandeurs, un traitement fixé à l’échelle 610 pour six heures de cours par semaine.
Ainsi qu’il résulte de la première branche du moyen, doit être écarté, en vertu de l’article 159 de la Constitution, l’arrêté royal du 25 juin 1973 qui fixe à cinquante pour cent du traitement de l’échelle 610 le traitement des heures que
le professeur est tenu de prester au-delà de six heures par semaine, dès lors que cet arrêté est illégal à défaut de consultation de la section de législation du Conseil d’État en violation de l’article 3, § 1er, des lois coordonnées du
12 janvier 1973 sur le Conseil d’État visé au moyen.
Il s’en déduit que chaque heure de cours prestée excédant six heures par semaine doit être rémunérée sur la base d’un sixième de l’échelle 610 prévue audit arrêté royal du 9 novembre 1978, aucune disposition ne permettant que ces prestations soient rémunérées à un taux différent.
Au demeurant, tant les articles 6 et 6bis de la Constitution du 7 février 1831 que les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994 interdisent de traiter différemment, sans justification objective et raisonnable, des situations identiques, savoir les heures de cours prestées par un professeur dans le cadre d’un horaire complet de douze heures selon que le professeur ne preste que six heures ou est tenu d’en prester plus.
Il s’ensuit que l’arrêt attaqué du 2 décembre 2016, qui, après avoir considéré que « les prestations complètes d’un professeur de musique correspondant au nombre maximum d’heures de cours qu’il peut être amené à donner sont de douze heures par semaine », décide que les heures prestées
au-delà de six heures par semaine « donnent lieu à un mode distinct de rémunération », soit celui qui est prévu à l’article 21 de l’arrêté royal du 25 juin 1973, viole toutes les dispositions légales visées au moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l’article 3, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, tel qu’il s’applique au litige, hors les cas d’urgence, et les projets de lois budgétaires exceptés, les ministres soumettent à l’avis motivé du Conseil d’État le texte de tous avant-projets de lois ou d’arrêtés d’exécution, organiques et réglementaires.
Si, en règle, il appartient aux ministres d’apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l’urgence qui les dispense de solliciter cet avis, il incombe, conformément à l’article 159 de la Constitution, aux cours et tribunaux d’examiner si le ministre n’a pas à cette occasion excédé, voire détourné, son pouvoir en méconnaissant la notion légale de l’urgence.
Dès lors que les demandeurs ne se prévalaient devant la cour d’appel d’aucune circonstance élusive de l’urgence alléguée dans le préambule de l’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique, qui n’a pas été soumis à l’avis motivé de la section de législation du Conseil d’État, l’arrêt attaqué du
2 décembre 2016 a pu, sur la base d’une appréciation à laquelle il n’appartient pas à la Cour de substituer la sienne, considérer, pour faire application de cet arrêté, que les demandeurs « ne démontrent pas le défaut de l’urgence alléguée pour ne pas demander [ledit] avis ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen, qui, en cette branche, est tout entier déduit de la circonstance que l’application de l’arrêté royal du 25 juin 1973 doit être écartée en raison de l’illégalité vainement dénoncée par la première branche du moyen, est irrecevable.
Sur le premier moyen :
Il résulte des motifs de l’arrêt du 2 décembre 2016 que la cour d’appel n’a pas fondé sa décision de faire application de l’arrêté royal du 25 juin 1973 sur la circonstance, constatée par l’arrêt attaqué du 3 août 2016, que cet arrêté aurait été validé par l’article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française.
Le moyen, qui critique cette constatation sur laquelle n’est fondée aucune décision, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent quinze euros septante et un centimes envers les parties demanderesses, y compris la contribution au fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, limitée à vingt euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du cinq janvier deux mille vingt-trois par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0402.F
Date de la décision : 05/01/2023
Type d'affaire : Droit administratif - Droit constitutionnel

Analyses

Si, en règle, il appartient aux ministres d'apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l'urgence qui les dispense de solliciter cet avis, il incombe, conformément à l'article 159 de la Constitution, aux cours et tribunaux d'examiner si le ministre n'a pas à cette occasion excédé, voire détourné, son pouvoir en méconnaissant la notion légale de l'urgence (1). (1) Cass. 29 avril 2022, RG C.18.0047.F, Pas. 2022, n° 303.

CONSEIL D'ETAT - POUVOIRS - POUVOIR JUDICIAIRE - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 100 A FIN) - Article 159 - ENSEIGNEMENT [notice1]


Références :

[notice1]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 159 - 30 / No pub 1994021048 ;

Lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées par A.R. du 12 janvier 1973 - 12-01-1973 - Art. 3 - 02 / No pub 1973011250


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2023-01-05;c.18.0402.f ?

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