N° P.22.1327.F
M. T.,
étranger,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège-Huy, dont le cabinet est établi à Liège, Mont Saint Martin, 22, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur fait valoir trois moyens dans un mémoire déposé au greffe le 11 octobre 2022.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe le 2 décembre 2022.
A l’audience du 13 décembre 2022, le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LES FAITS
En séjour illégal sur le territoire du Royaume, le demandeur a été intercepté le 27 octobre 2021 par les services de police et s’est vu notifier le même jour un ordre de quitter le territoire.
Les 11 décembre 2021 et 3 janvier 2022, le demandeur a fait l’objet d’une nouvelle interpellation par les services de police et a, à chaque fois, été relaxé.
Le 9 août 2022, le demandeur a été, à nouveau, intercepté par les services de police et s’est vu notifier le même jour une décision de maintien en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Il a été transféré le lendemain vers un centre fermé. Cette décision a été prise en vertu de l’article 51/5/1, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.
Le 12 septembre 2022, le demandeur a déposé une requête de mise en liberté.
Il s’est ensuite vu notifier, le 19 septembre 2022, une décision de transfert vers l’Etat membre responsable avec maintien dans un lieu déterminé. Cette décision est fondée sur l’article 51/5/1, § 2, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980.
Le demandeur a été remis en liberté par l’Office des étrangers le 14 octobre 2022.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
1. Il y a lieu de déterminer si le recours de l’étranger, qu’il s’agisse de la requête, de l’appel ou du pourvoi, conserve son objet lorsque l’intéressé est en liberté au moment où la juridiction doit statuer. Dans l’affirmative, le contrôle de légalité imparti aux juridictions d’instruction a pour objet un titre qui n’existe plus mais a existé. Dans la négative, lesdites juridictions sont dispensées du contrôle, sans préjudice des autres voies de droit ouvertes à l’étranger pour obtenir la réparation du dommage éventuellement subi.
2. L’article 71 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, donne compétence à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation pour connaître du recours formé par l’étranger contre la mesure privative de liberté dont il fait l’objet.
Le contrôle judiciaire prévu par ladite loi vise le titre actif, c’est-à-dire le titre originaire toujours en vigueur au moment où la juridiction d’instruction en vérifie la légalité, mais aussi le nouveau titre, substitué à l’ancien, et à la faveur duquel l’étranger demeure privé de liberté.
3. Par ailleurs, l’article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant le tribunal afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
La sanction de l’illégalité étant une libération qui doit intervenir à bref délai, il se comprend que l’article 5.4 vise le recours de l’étranger toujours détenu au moment où la juridiction d’instruction est appelée à statuer sur son recours. En effet, s’il a été libéré entretemps, il n’est plus possible d’ordonner son élargissement. En revanche, l’illégalité de son arrestation lui ouvre, après sa mise en liberté, le droit à réparation garanti par l’article 5.5 de la Convention.
En d’autres termes, le bref délai requis par la Convention coïncide avec la période de privation de liberté : ce que l’article 5.4 prohibe, c’est l’impossibilité pour l’étranger, alors qu’il est administrativement détenu, de faire contrôler les titres en vertu desquels il est retenu.
4. L’article 5.4 précité est dès lors violé au cas où un étranger a fait successivement l’objet de plusieurs décisions privatives de liberté sans que le contrôle juridictionnel ait pu être clôturé par une décision définitive en raison de la survenance, pendant la procédure de contrôle du titre de privation de liberté en vigueur, d’un nouveau titre autonome remplaçant le précédent.
Par contre, l’article 71 de la loi du 15 novembre 1980 ne viole pas l’article 5.4 de la Convention lorsque, comme en l’espèce, l’événement qui survient pendant la procédure de contrôle n’est pas un nouveau titre autonome remplaçant le précédent mais, au contraire, la libération de l’étranger qui en fut l’objet.
5. Le lien nécessaire entre l’exigence d’un contrôle « à bref délai » de la légalité d’une privation de liberté et l’existence d’un titre actif de la rétention à contrôler ressort également de l’article 9.3 de la directive Accueil. En vertu de cette disposition, il appartient aux Etats membres de prévoir qu’un contrôle juridictionnel accéléré du placement en rétention ait lieu le plus rapidement possible à compter du début de la privation de liberté, ou d’accorder à l’étranger le droit d’engager une procédure aux mêmes fins. L’article 9.3 ajoute que l’étranger est immédiatement remis en liberté si ce contrôle, requis à bref délai, débouche sur un constat d’illégalité de la rétention.
6. Entre le 9 août 2022, date de son interception, et le 14 octobre 2022, date de sa remise en liberté, le demandeur a pu soumettre le contrôle de la légalité de sa rétention aux juridictions d’instruction de première instance et d’appel.
Sans doute la Cour n’a-t-elle pas pu connaître du pourvoi pendant la durée du titre actif, conformément à l’exigence du bref délai tel que défini ci-dessus.
Mais cette circonstance n’a pas pour effet de restituer au pourvoi son objet puisque l’examen des moyens de cassation du demandeur après sa libération ne remédie pas au fait que cet examen n’a pas eu lieu avant celle-ci.
Le pourvoi est dès lors devenu sans objet.
Il n’y a pas lieu d’avoir égard aux moyens invoqués dans le mémoire du demandeur, étrangers à la circonstance que le pourvoi est sans objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation en audience plénière, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Beatrijs Deconinck, premier président, le chevalier Jean de Codt, président, Filip Van Volsem, Françoise Roggen, Peter Hoet, Antoine Lievens, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze décembre deux mille vingt-deux par Beatrijs Deconinck, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.