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30/11/2022 | BELGIQUE | N°P.22.0591.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 novembre 2022, P.22.0591.F


N° P.22.0591.F
B. K.,
condamné,
demandeur en réouverture de la procédure,
ayant pour conseil Maître Gert Warson, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête remise au greffe le 3 mai 2022, signée par un avocat inscrit au barreau depuis plus de dix ans, et annexée au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur sollicite la réouverture de la procédure ayant fait l’objet de l’arrêt de la Cour du 15 octobre 2014.
A l’audience du 12 octobre 2022, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l

’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
Le demandeur a déposé, le 9 novembre ...

N° P.22.0591.F
B. K.,
condamné,
demandeur en réouverture de la procédure,
ayant pour conseil Maître Gert Warson, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête remise au greffe le 3 mai 2022, signée par un avocat inscrit au barreau depuis plus de dix ans, et annexée au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur sollicite la réouverture de la procédure ayant fait l’objet de l’arrêt de la Cour du 15 octobre 2014.
A l’audience du 12 octobre 2022, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
Le demandeur a déposé, le 9 novembre 2022, une note en réponse.
Les conseils du demandeur ont été entendus à l’audience du 23 novembre 2022.
II. LES FAITS
Par un arrêt du 10 juin 2014, la cour d’appel de Bruxelles a condamné le fonctionnaire européen K. B. à une peine d’emprisonnement de quarante mois, avec sursis pour la moitié, à une amende de dix mille euros, ainsi qu’à la confiscation de plusieurs sommes d’argent, du chef de blanchiment, corruption passive et violation du secret professionnel.
A la suite d’une enquête de l’Office européen de lutte anti-fraude, il est apparu qu’entre le 1er janvier 1990 et le 15 octobre 2003, date du dernier fait, ce fonctionnaire, employé à la Direction générale de l’agriculture, a perçu régulièrement de l’argent, pour un montant total de six cent mille euros d’après l’expertise judiciaire citée par l’arrêt, ainsi que divers avantages matériels, afin de transmettre, à des sociétés céréalières privées, des informations stratégiques leur permettant de soumissionner favorablement lors des adjudications européennes.
Le demandeur s’est pourvu en cassation le 25 juin 2014.
Par son arrêt du 15 octobre 2014, la Cour a rejeté les six moyens invoqués et dit la condamnation susdite conforme à la loi.
K. B. a saisi la Cour européenne des droits de l’homme par une requête du 14 avril 2015.
La Cour européenne a statué sur cette requête le 14 septembre 2021. Son arrêt juge la procédure menée en cause de K. B. inéquitable dans son ensemble et entachée d’un dépassement du délai raisonnable.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
En vertu de l’article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, la Cour de cassation ordonne la réouverture de la procédure lorsque la décision attaquée est contraire sur le fond à la Convention européenne, ou lorsque la procédure qui la viole est entachée d’erreurs ou de défaillances à ce point graves qu’un doute sérieux existe quant au résultat du procès.
La contrariété sur le fond, visée par cet article, s’entend de toute décision qualifiant de crime ou de délit un comportement constituant, en réalité, l’exercice légitime d’une liberté ou d’un droit garantis par la Convention, ou encore de toute décision infligeant une peine incompatible avec les principes et valeurs qu’elle consacre.
La violation du droit à un procès équitable, du droit à l’assistance d’un avocat garanti par les articles 6.1 et 6.3, c, de la Convention, ou du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, ne relèvent pas d’une contrariété matérielle ou sur le fond, mais d’une défaillance formelle ou de procédure.
Le procès mené en cause de K. B. est jugé inéquitable en raison de la conjonction des trois facteurs suivants :
- le demandeur n’a pas pu, conformément au droit interne en vigueur à l’époque, bénéficier de l’assistance d’un avocat au cours des actes de l’instruction préparatoire ;
- il n’a pas pu obtenir, avant le règlement de la procédure, la tenue d’un nouvel interrogatoire récapitulatif par le juge d’instruction, dans le respect de la loi sur l’emploi des langues et avec l’assistance d’un avocat ;
- tout en précisant qu’elle le faisait à titre surabondant, la cour d’appel s’est référée, pour six des trente-neuf préventions retenues, à des déclarations faites par le demandeur sans avocat.
Par ailleurs, la Cour européenne a considéré que la complexité, indéniable, de l’enquête, et le comportement procédurier du suspect ne suffisaient à expliquer ni la durée de l’instruction préparatoire, soit six ans, ni le délai supplémentaire de quatre années pour le règlement de la procédure et la fixation de la cause devant les juges du fond.
Dès lors que les motifs de la condamnation de l’Etat belge ne relèvent pas d’une contrariété sur le fond mais d’une défaillance procédurale, il y a lieu de rechercher si celle-ci crée un doute sérieux quant au résultat du procès.
Au paragraphe 53 de son arrêt, la Cour européenne rappelle que le constat d’une violation des articles 6.1 et 6.3, c, de la Convention ne permet pas de conclure que l’intéressé a été condamné à tort ; elle ajoute qu’il est impossible de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si cette violation n’avait pas existé.
Une telle spéculation ne pouvant donc, à elle seule, engendrer un doute sérieux, la fiabilité du procès quant à son résultat doit s’apprécier en fonction des motifs qui fondent la décision rendue sur l’action publique et qui ont été soumis, en temps utile, à la libre contradiction des parties.
Ces motifs sont, en substance, les suivants :
- K. B. préparait les réunions des comités de gestion fixant les quantités totales de grains exportables hors de l’Union européenne et les taux de restitution à allouer pour favoriser ces exportations ;
- il était en même temps en contact avec plusieurs sociétés céréalières ;
- l’enquête a relevé l’existence de versements mensuels effectués par ces sociétés sur les comptes bancaires de K. B. auprès d’une banque luxembourgeoise ; les sommes étaient transférées par l’intéressé sur des comptes belges ouverts à son nom ou à celui de son épouse ;
- les dirigeants des entreprises concernées ont confirmé la transmission par K. B., moyennant pots-de-vin, d’informations stratégiques permettant d’anticiper le montant des restitutions ;
- les pièces saisies lors des perquisition, les documents trouvés dans le télécopieur de K. B., l’analyse de la téléphonie, les dépositions de ses collègues fonctionnaires relatives à son comportement suspect, établissent l’expédition desdites informations ;
- la nature hautement confidentielle des documents ainsi expédiés tient au fait qu’il s’agit de renseignements permettant à son bénéficiaire d’obtenir un avantage potentiel sur le marché, en achetant ou en vendant des stocks en avance sur la concurrence ;
- l’analyse du patrimoine de K. B. montre qu’entre 1996 et 2003, ses dépenses ont très largement dépassé ses revenus professionnels ;
- les corrupteurs ont décrit les cadeaux et avantages matériels offerts à K. B. et acceptés par lui.
Il en résulte que les préventions retenues à charge du demandeur ont été jugées établies sur la base d’éléments matériels et testimoniaux qui ne sont pas issus des déclarations recueillies sans l’assistance d’un avocat, qui ne sont pas frappés de discrédit du fait des circonstances de leur obtention, et dont l’accumulation relègue l’absence d’interrogatoire récapitulatif par le juge d’instruction au rang d’une erreur adventice, c’est-à-dire dénuée d’incidence quant à la gravité et la convergence des charges rassemblées par l’enquête.
De même, il ne résulte d’aucun des motifs de l’arrêt de condamnation que le montant de la somme à confisquer au titre d’avantages patrimoniaux supplémentaires obtenus grâce à la corruption, ait été déterminé sur la base des dires du demandeur.
En ce qui concerne le dépassement du délai raisonnable, ni l’arrêt du 14 septembre 2021 de la Cour européenne, ni la requête en réouverture ne font apparaître que les preuves recensées par les juges du fond auraient été recueillies à des dates à ce point éloignées des faits, qu’elles auraient perdu leur aptitude à établir ceux-ci.
Par ailleurs, les motifs donnés par la cour d’appel de Bruxelles dans son arrêt du 10 juin 2014 révèlent une volonté d’appliquer au prévenu une peine plus sévère que celle qui a été finalement retenue en raison, notamment, de l’ancienneté des faits, à laquelle l’arrêt se réfère expressément.
Relevant la cupidité et l’absence totale de scrupule du demandeur, l’arrêt du 10 juin 2014 précise que « la hauteur de l’emprisonnement tient compte de l’extrême gravité des faits, de la vénalité du comportement du prévenu, guidé par le seul appât du gain illicite, de la hauteur du produit de la corruption, de la longueur exceptionnelle de la période délictueuse, de l’absence de toute réelle prise de conscience du prévenu qui se lamente sur son sort, ressenti comme injuste, alors qu’il a pu, pendant de nombreuses années, mener un train de vie très élevé grâce à ses agissements de fonctionnaire corrompu. La peine d’emprisonnement tiendra également compte de l’ancienneté des faits, de l’absence d’antécédent judiciaire et de l’âge du prévenu ».
L’arrêt de la cour d’appel contient une motivation distincte pour les peines d’interdiction et de confiscations, lesquelles sont prononcées, d’une part, parce qu’elles sont obligatoires (préventions B.1 et B.2 de blanchiment) et, d’autre part, parce qu’il n’est pas envisageable, selon les juges d’appel, de laisser K. B. en possession des fruits de sa corruption.
Le blanchiment déclaré établi à charge du demandeur est puni d’un emprisonnement de quinze jours à cinq ans et d’une amende de vingt-six à cent mille euros.
En optant pour un emprisonnement de quarante mois, avec sursis pour la moitié, et pour une amende de dix mille euros, après avoir formulé des considérations susceptibles de conduire à une répression plus sévère, l’arrêt a appliqué à la sanction la réduction réelle et mesurable qu’il aurait dû consentir en cas de constat de dépassement du délai raisonnable. Et cette atténuation, il la motive précisément en se fondant sur l’ancienneté des faits.
Il s’en déduit que le résultat n’aurait pas été différent si les juges d’appel, au lieu de mentionner l’ancienneté des faits, avaient constaté le dépassement retenu par la Cour européenne.
Partant, s’il est établi par un arrêt définitif de la Cour européenne que la procédure suivie à charge du demandeur a violé l’article 6 de la Convention, il ne ressort pas de l’examen de la demande que cette violation soit la conséquence d’une défaillance à ce point grave qu’un doute sérieux puisse exister quant au résultat de la procédure attaquée, que ce soit au point de vue de la déclaration de culpabilité ou du choix de la peine.
Une des conditions mises à la réouverture par l’article 442quinquies du Code d’instruction criminelle fait, ainsi, défaut.
La requête n’est pas fondée.

PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette la requête en réouverture de la procédure ;
Laisse les frais à charge de l’Etat.
Lesdits frais taxés jusqu’ores à zéro euro.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.0591.F
Date de la décision : 30/11/2022
Type d'affaire : Droit pénal - Droit international public - Autres

Analyses

La contrariété sur le fond à la Convention européenne visée par l'article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle s'entend de toute décision qualifiant de crime ou de délit un comportement constituant, en réalité, l'exercice légitime d'une liberté ou d'un droit garantis par la Convention, ou encore de toute décision infligeant une peine incompatible avec les principes et valeurs qu'elle consacre (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP (qui portent sur la requête, et non sur les arguments ajoutés ensuite par le requérant, notamment quant au dépassement du délai raisonnable pour être jugé).

REOUVERTURE DE LA PROCEDURE - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Divers [notice1]

La violation du droit à un procès équitable, du droit à l'assistance d'un avocat garanti par les articles 6.1 et 6.3, c, de la Convention ou du droit d'être jugé dans un délai raisonnable ne relèvent pas d'une contrariété matérielle ou sur le fond à la Convention européenne visée par l'article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, mais d'une défaillance formelle ou de procédure (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP (qui portent sur la requête, et non sur les arguments ajoutés ensuite par le requérant, notamment quant au dépassement du délai raisonnable pour être jugé); voir Cass. 16 mars 2022, RG P.21.1300.F, Pas. 2022, n° 195, avec concl. de M. VANDERMEERSCH, avocat général, qui se réfèrent notamment à l'exposé des motifs de la Recommandation du 19 janvier 2000, R (2000) 2, du Comité des ministres du Conseil de l'Europe (cf. infra) ; Cass. 26 octobre 2022, RG P.22.0712.F, Pas. 2022, n° 683 (qui décide, comme le présente arrêt, qu'une telle défaillance, constatée par la Cour eur. D. H., ne répond pas in casu aux conditions édictées à l'article 442quinquies, al. 1er, C.I.cr. pour ordonner la réouverture de la procédure), avec concl. du MP.

REOUVERTURE DE LA PROCEDURE - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - AVOCAT [notice3]

Pour statuer sur une requête de réouverture de la procédure, dès lors que les motifs de la condamnation de l'État belge par la Cour européenne des droits de l'homme ne relèvent pas d'une contrariété sur le fond de la décision attaquée mais d'une défaillance procédurale, il y a lieu de rechercher si celle-ci crée un doute sérieux quant au résultat du procès (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP (qui portent sur la requête, et non sur les arguments ajoutés ensuite par le requérant, notamment quant au dépassement du délai raisonnable pour être jugé); voir Cass. 16 mars 2022, RG P.21.1300.F, Pas. 2022, n° 195, avec concl. de M. VANDERMEERSCH, avocat général, qui se réfèrent notamment à l'exposé des motifs de la Recommandation du 19 janvier 2000, R (2000) 2, du Comité des ministres du Conseil de l'Europe (cf. infra) ; Cass. 26 octobre 2022, RG P.22.0712.F, Pas. 2022, n° 683 (qui décide, comme le présente arrêt, qu'une telle défaillance, constatée par la Cour eur. D. H., ne répond pas in casu aux conditions édictées à l'article 442quinquies, al. 1er, C.I.cr. pour ordonner la réouverture de la procédure), avec concl. du MP.

REOUVERTURE DE LA PROCEDURE - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Divers [notice6]


Références :

[notice1]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 442quinquies - 30 / No pub 1808111701

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er et 3 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 442quinquies - 30 / No pub 1808111701

[notice6]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 442quinquies - 30 / No pub 1808111701


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-11-30;p.22.0591.f ?

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