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23/11/2022 | BELGIQUE | N°P.22.1223.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 novembre 2022, P.22.1223.F


N° P.22.1223.F
I. Y. L.
mineure d’âge,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Dimitri de Béco, avocat au barreau de Bruxelles,
II. G. K.
mère de l’enfant mineure L. Y.
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Bertrande Chaidron et Louis Hovine, avocats au barreau du Brabant wallon.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 12 août 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse.
La première demanderesse fait valoir cinq moyens et la seconde en invoque d

eux, chacune dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseille...

N° P.22.1223.F
I. Y. L.
mineure d’âge,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Dimitri de Béco, avocat au barreau de Bruxelles,
II. G. K.
mère de l’enfant mineure L. Y.
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Bertrande Chaidron et Louis Hovine, avocats au barreau du Brabant wallon.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 12 août 2022 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre de la jeunesse.
La première demanderesse fait valoir cinq moyens et la seconde en invoque deux, chacune dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ignacio de la Serna a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de L.Y. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 22bis de la Constitution, 3 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 5 de l’ordonnance de l’assemblée réunie de la commission communautaire commune de la région de Bruxelles-Capitale du 29 avril 2004 relative à l’aide à la jeunesse.
La demanderesse reproche au juge d’appel de ne pas avoir pris en considération son intérêt en décidant de la placer hors du milieu maternel. Âgée de quatorze ans, elle estime disposer de tout le discernement nécessaire pour apprécier la pertinence d’une telle mesure et considère que cette dernière est contraire à son intérêt et à ses droits.
Si l’intérêt de l’enfant, au centre des dispositions légales précitées, constitue le critère principal qui doit guider le juge saisi d’une décision de placement d’un enfant mineur, il ne peut se réduire à la volonté de l’enfant, fût-il doté de la capacité de discernement.
Soutenant le contraire, le moyen manque en droit.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 22bis de la Constitution et 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
La demanderesse soutient que le juge d’appel n’a pas pris en considération son opinion, comme les dispositions précitées l’imposent.
Dans la mesure où il est affirmé que le juge saisi d’une demande de placement doit suivre l’opinion de l’enfant, le moyen manque en droit.
Contrairement à ce que la demanderesse soutient, le juge d’appel a pris en compte l’opinion de celle-ci en donnant écho à la contestation par la demanderesse de la mesure de placement et du contenu du rapport d’expertise de l’équipe Bru-Stars.
A cet égard, affirmant le contraire, le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 22bis de la Constitution.
La demanderesse considère que la mesure de placement confirmée par le juge d’appel est une source de souffrance psychique et constitue un traitement inhumain et dégradant ainsi qu’une atteinte à son intégrité psychique.
En énonçant qu’une mesure de placement décidée par le juge, après avoir recueilli l’avis d’experts, constitue un traitement inhumain et dégradant ainsi qu’une atteinte à l’intégrité psychique de l’enfant au motif qu’elle ne correspond pas à sa volonté, le moyen critique l’appréciation en fait du juge d’appel.
A cet égard, il est irrecevable.
En tant qu’il fait grief à l’arrêt de ne pas entériner le choix de l’enfant, le moyen réitère le grief vainement invoqué au premier moyen.
Dans cette mesure également, il est irrecevable.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 7, 9, § 1er, et 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant, le moyen soutient que le placement de la demanderesse emporte une atteinte à son droit de vivre en famille avec sa mère et constitue un ingérence disproportionnée dans sa vie familiale.
L’article 8 précité garantit notamment le droit au respect de la vie familiale. Il n’autorise l’ingérence de l’autorité publique dans ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Cette disposition doit être interprétée en tenant compte des articles 7 et 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Le droit au respect de la vie familiale implique ainsi notamment, pour l’enfant, le droit d’être élevé par ses parents et celui, pour une mère ou pour un père, de ne pas être séparé de son enfant contre son gré, sauf lorsque cette séparation est requise par l’intérêt supérieur de l’enfant et pour autant que la mesure, prise conformément aux lois et procédures applicables, soit susceptible de révision judiciaire notamment à la requête des titulaires de l’autorité parentale à laquelle il est ainsi porté atteinte.
En tant qu’il soutient que la mesure de placement est contraire au respect de la vie familiale parce qu’il va à l’encontre du désir de la demanderesse de ne pas être séparée de sa mère, le moyen manque en droit.
Après avoir fait mention du point de vue des parties et des avis des experts, l’arrêt conclut que le placement de la demanderesse en service résidentiel d’observation et d’orientation doit permettre à celle-ci de la soutenir dans son développement personnel et face aux difficultés qu’elle rencontre, ainsi que dans l’identification de ses besoins et pensées propres. La décision attaquée précise que cette prise en charge pourra opérer un ajustement de la relation mère-fille, par la distanciation et l’intervention d’un tiers.
Par ces considérations, le juge d’appel a légalement décidé que le placement hors du milieu familial ne portait pas atteinte, de manière injustifiée ou disproportionnée, au respect de la vie privée et familiale.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 9, § 1er, de la Convention relative aux droits de l’enfant et 10 de l’ordonnance du 29 avril 2004 relative à l’aide à la jeunesse.
La demanderesse considère que le placement dont elle fait l’objet n’est pas pris en dernier ressort, d’autres mesures étant possibles, en l’occurrence un suivi par un psychologue privé comme cela se fait depuis des années et ce, sans qu’il soit nécessaire de quitter le domicile maternel.
En réponse à cette défense, l’arrêt se réfère d’abord aux conclusions des experts de l’équipe médico-légale de Bru-Stars estimant que la demanderesse est en danger et que sans une séparation mère-fille, doublée d’une aide thérapeutique, il n’y aura pas de possibilité d’évolution positive. Ensuite, l’arrêt constate que le maintien de la demanderesse en milieu familial, accompagné d’un suivi chez une psychologue et psychothérapeute, tel celui qui perdure depuis huit ans, est manifestement insuffisant. L’arrêt relève enfin que, selon les experts, le traitement ambulatoire qu’ils pourraient proposer paraît inadéquat et bien insuffisant pour tenter de remobiliser le développement psychique de l’enfant.
Par ces considérations, le juge d’appel a procédé au contrôle de subsidiarité de la mesure de placement.
Partant, le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. Sur le pourvoi de K. G. :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 3, § 1er, 9, 12, et 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et 22 et 22bis de la Constitution.
La demanderesse fait grief au juge d’appel d’avoir confirmé la mesure de placement sans avoir motivé sa décision au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Par les motifs énoncés en réponse au quatrième moyen de la première demanderesse, le juge d’appel a eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le moyen manque en fait.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 3, § 1er, et 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant, 22 et 22bis de la Constitution, et 8 de l’ordonnance du 29 avril 2004 relative à l’aide à la jeunesse.
Il reproche au juge d’appel d’avoir confirmé une mesure de placement sans que ni la santé, ni la sécurité de l’enfant ne soient gravement compromises, ni que le comportement de ses parents ne soit source d’un danger immédiat.
A la défense qui faisait valoir ce moyen, l’arrêt oppose les conclusions du rapport d’expertise qui constatent
- « une dégradation de l’état psychique de l’enfant avec la mise en place de mécanismes de défenses obsessionnels particulièrement rigides ainsi que des idées persécutoires et une tendance à l’interprétation de la réalité » ;
- l’absence de possibilité d’évolution positive sans une séparation mère-fille doublée d’une aide thérapeutique adaptée et soutenue sur le long terme ;
- la situation de mise en danger de l’enfant dont l’évolution ne peut s’envisager que comme très préoccupante.
Par ces considérations, le juge d’appel a légalement justifié la confirmation de la mesure de placement en estimant que l’enfant se trouvait actuellement en danger dans son milieu familial.
Partant, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacune des demanderesses aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quarante-cinq euros soixante-cinq centimes dont I) sur le pourvoi de L. Y.: vingt-deux euros septante-sept centimes dus et II) sur le pourvoi de K. G. : vingt-deux euros quatre-vingt-huit centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.22.1223.F
Date de la décision : 23/11/2022
Type d'affaire : Droit civil - Droit constitutionnel - Droit international public

Analyses

Si l'intérêt de l'enfant, au centre des articles 22bis de la Constitution, 3 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et 5 de l'ordonnance de l'assemblée réunie de la commission communautaire commune de la région de Bruxelles-Capitale du 29 avril 2004 relative à l'aide à la jeunesse, constitue le critère principal qui doit guider le juge saisi d'une décision de placement d'un enfant mineur, il ne peut se réduire à la volonté de l'enfant, fût-il doté de la capacité de discernement.

PROTECTION DE LA JEUNESSE - ENFANT - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 22 [notice1]

L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être interprété en tenant compte des articles 7 et 9 de la Convention relative aux droits de l'enfant ; le droit au respect de la vie familiale implique ainsi notamment, pour l'enfant, le droit d'être élevé par ses parents et celui, pour une mère ou pour un père, de ne pas être séparé de son enfant contre son gré, sauf lorsque cette séparation est requise par l'intérêt supérieur de l'enfant et pour autant que la mesure, prise conformément aux lois et procédures applicables, soit susceptible de révision judiciaire notamment à la requête des titulaires de l'autorité parentale à laquelle il est ainsi porté atteinte (1). (1) Cass. 28 septembre 2022, RG P.22.0988.F, inédit.

PROTECTION DE LA JEUNESSE - ENFANT - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 [notice4]


Références :

[notice1]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 22bis - 30 / No pub 1994021048 ;

Convention relative aux Droits de l'Enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 - 20-11-1989 - Art. 3 - 35 / Lien DB Justel 19891120-35 ;

Ordonnance du Commission communautaire commune de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 avril 2004 relative à l'aide à la jeunesse - 29-04-2004 - Art. 5 - 43 / No pub 2004031215

[notice4]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 8 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Convention relative aux Droits de l'Enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 - 20-11-1989 - Art. 7 et 9 - 35 / Lien DB Justel 19891120-35


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-11-23;p.22.1223.f ?

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