N° C.20.0593.F
1. M. T.,
2. M.-T. D.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. X. P.,
2. A. V.,
3. HDI GLOBAL SE, société européenne de droit allemand, dont le siège est établi à Hanovre (Allemagne), Hdi-Platz, 1, et dont la succursale belge est établie à Woluwé-Saint-Pierre, avenue de Tervuren, 273, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0542.602.657,
4. AIG EUROPE, société de droit luxembourgeois, dont le siège est établi à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg), avenue John F. Kennedy, 35, et dont la succursale belge est établie à Ixelles, boulevard de la Plaine, 11, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0692.816.659,
parties appelées en déclaration d’arrêt commun,
représentées par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 4 juin 2020 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 2 novembre 2022, l’avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général
Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
L’arrêt attaqué constate que « le jugement entrepris décide que la demande [des demandeurs] est prescrite […] et dit cette demande irrecevable », que les demandeurs interjettent appel en vue d’entendre « réformer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions [et] dire l’action recevable et non prescrite », et que les parties appelées en déclaration d’arrêt commun appuient la demande des demandeurs.
Il relève que, alors que le jugement entrepris considère que les demandeurs avaient connaissance du dommage au jour du jugement déclaratif de faillite du
18 novembre 2008 et que dès lors l’action introduite le 30 juin 2015 est prescrite, les demandeurs et les parties appelées en déclaration d’arrêt commun « objectent que l’inculpation, le mandat d’arrêt et les mesures de blocage et de saisie des comptes sont des actes juridictionnels » en sorte « qu’il fallait attendre qu’ils soient retirés, annulés ou rétractés pour que prenne cours la prescription de l’action et [que], selon eux, l’arrêt de la cour d’appel de Mons remet en cause ces actes juridictionnels et les annule ‘implicitement’ en constatant l’irrecevabilité des poursuites ».
Dès lors que l’arrêt considère que les demandeurs sollicitent la réformation du jugement entrepris ayant déclaré leur demande irrecevable, c’est à la suite d’une erreur matérielle évidente, qu’il est au pouvoir de la Cour de rectifier pour apprécier le fondement du moyen, que l’arrêt fait état de ce que les demandeurs « demandent de constater que la demande est irrecevable ».
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
La faute du magistrat pouvant, sur la base des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, entraîner la responsabilité de l’État consiste, en règle, en un comportement qui, ou bien s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère du magistrat normalement soigneux et prudent, placé dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification, viole une norme du droit national ou d’un traité international ayant des effets dans l’ordre juridique interne, imposant au magistrat de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée.
Lorsque l’acte incriminé constitue l’objet direct de la fonction juridictionnelle, la demande tendant à la réparation du dommage ne peut, en règle, être reçue que si l’acte litigieux a été retiré, réformé, annulé ou rétracté par une décision passée en force de chose jugée en raison de la violation d’une norme juridique établie et n’est plus, dès lors, revêtu de l’autorité de la chose jugée.
Lorsque les actes litigieux sont ceux du juge d’instruction portant sur l’inculpation, le mandat d’arrêt et des réquisitions de saisie, la circonstance que, par une décision coulée en force de chose jugée de la juridiction de jugement, les poursuites aient été déclarées irrecevables en raison de la violation du droit de l’inculpé à un procès équitable n’implique pas que ces actes aient été retirés, réformés, annulés ou rétractés et leur privation d’effet ne peut être assimilée à un retrait.
Dans la mesure où il repose sur le soutènement contraire, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, l’arrêt attaqué relève que, « le 17 janvier 2008, le juge d’instruction délivre un mandat d’arrêt à l’encontre [du demandeur] qui est inculpé de faux en écritures et usage de faux en sa qualité d’administrateur de la société TMC […] et de deux autres sociétés, […] d’abus de biens sociaux, de blanchiment d’argent, de détournements d’actifs au détriment de la société TMC, de non-aveu de faillite, de tenue d’une comptabilité inexacte et de déclarations fiscales inexactes […] au cours de la période de 1999 à 2008 » et que « l’inculpation et le mandat d’arrêt sont confirmés par la chambre du conseil et ensuite en appel par la chambre des mises en accusation le 1er février 2008, [laquelle] remet [cependant le demandeur] en liberté sous condition ».
Il considère dès lors que « ces actes ont été validés par l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 1er février 2008 » et que l’arrêt de la cour d’appel du 26 novembre 2014 déclarant les poursuites irrecevables « n’en constate pas l’irrégularité » et « n’annule pas l’inculpation et le mandat d’arrêt délivré contre [le demandeur] ».
Il relève encore qu’« au cours de l’instruction, sous réserve de deux demandes de mainlevée formées en octobre et novembre 2008, [les demandeurs] n’ont formé aucune demande de mainlevée [des saisies] auprès du juge d’instruction, aucun recours en annulation contre les ordonnances de saisie du juge d’instruction comme les y autorisait l’article 61quater du Code d’instruction criminelle et, lors de la clôture de l’instruction, aucune demande d’annulation devant la chambre du conseil par application de l’article 131 de ce code » et qu’« ils ne prouvent pas avoir contesté leur validité lors du procès au fond ».
L’arrêt attaqué, qui donne ainsi à connaître que l’actuelle impossibilité pour le demandeur d’obtenir le retrait des actes litigieux résulte, non d’une circonstance indépendante de sa volonté, soit l’arrêt de la cour d’appel du
26 novembre 2014, mais de son propre comportement dès lors qu’il n’a critiqué ces actes ni lors de l’instruction ni devant la cour d’appel, justifie légalement sa décision que « la demande n’est pas recevable en ce qu’elle est dirigée contre ces actes juridictionnels qui n’ont été ni invalidés, ni retirés, ni réformés ».
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Après avoir relevé, s’agissant de l’intervention de la police judiciaire auprès de la société Atradius, qu’« il ne résulte d’aucune pièce qu’à la suite de cette visite, la société Atradius aurait suspendu ou mis fin à la ligne
d’assurance-crédit », l’arrêt attaqué considère, d’une part, sur la base des conclusions de l’administrateur provisoire qu’il cite en ses pages 20 à 22, que,
« si ce rapport témoigne de nombreuses difficultés, et notamment de menaces des banques, il relate également les résultats obtenus pour le maintien des lignes de crédit, les paiements faits aux fournisseurs, la récupération de créances et il ne constate nullement qu’en avril 2008, les conditions de la faillite seraient réunies dans le chef de la société TMC », d’autre part, que « ce qu’il advient des affaires à partir du mois d’avril 2008 ne résulte d’aucune pièce soumise à la cour [d’appel] et ne fait l’objet d’aucune explication des [demandeurs, étant] seule produite une lettre de la banque Dexia du 29 octobre 2008 qui dénonce l’ouverture de crédit de la société TMC avec effet immédiat ». Il en déduit qu’« il n’est ainsi pas démontré que l’attitude fautive des enquêteurs serait la cause ou l’une des causes de la faillite de la société TMC [prononcée le 18 novembre 2008] et des dommages allégués ».
Par ces énonciations, l’arrêt attaqué, qui ne se limite pas à examiner l’impact de la seule intervention de la police judiciaire auprès de la société Atradius, répond, en leur opposant sa propre appréciation, aux conclusions des demandeurs qui soutenaient que, sur un plan général, l’attitude des enquêteurs était à l’origine de la faillite de la société TMC et de leur dommage.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Pour le surplus, dans la mesure où il prétend que de ses constatations, l’arrêt attaqué ne pouvait conclure à l’absence d’un lien causal entre la faute des enquêteurs et le dommage des demandeurs, le moyen invite la Cour à procéder à une appréciation des faits, ce qui n’est pas en son pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille cent trente et un euros cinquante-quatre centimes envers les parties demanderesses, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux par le président de section Michel Lemal, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.