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24/12/2021 | BELGIQUE | N°C.19.0381.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 décembre 2021, C.19.0381.F


N° C.19.0381.F
A. C. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
1. M.-F. M., et
2. L. R.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. F. J.,
2. S. D.,
parties appelées en déclaration d’arrê

t commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 1er m...

N° C.19.0381.F
A. C. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
1. M.-F. M., et
2. L. R.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. F. J.,
2. S. D.,
parties appelées en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 1er mars 2019 par la cour d’appel de Liège.
Le 7 décembre 2021, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l’avocat général
Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen
Dispositions légales violées
Articles 389, tant dans sa version originale, applicable à l’acte du 17 août 1966, que dans sa version issue de la loi du 8 avril 1965, applicable aux actes de 1967, 858, 859, 860, avant la modification de ces trois articles par la loi du
31 juillet 2017, 894, 935, dernier alinéa, 1984, 1997 et 1998 du Code civil
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt décide que « c'est à bon droit que le premier juge a considéré que les donations portaient sur le prix d'achat des immeubles et non sur les immeubles eux-mêmes, les parents ayant payé le prix en achetant au nom de leur fille », en se fondant sur les considérations suivantes :
« Entre août 1966 et octobre 1967, divers biens immobiliers ont été acquis par [la défenderesse], alors âgée d'une vingtaine d'années et étudiante, savoir une parcelle de terrain à ... pour 372.240 francs (acte du 17 août 1966), une parcelle de terrain à ... pour 265.000 francs (acte du 10 janvier 1967) (cet immeuble a été vendu le 21 octobre 1983), une parcelle de bois à … pour 300.000 francs (acte du 21 mars 1967), un appartement à ... pour 950.000 francs (acte du 16 octobre 1967) et un emplacement pour voiture à ... pour 90.000 francs (acte du 6 octobre 1967) ;
[Le demandeur] qualifie ces actes de donations déguisées ;
Compte tenu de l'âge de [la défenderesse] à l'époque de la passation des actes et du fait qu'elle ne bénéficiait d'aucun revenu, c'est à juste titre que [le demandeur] affirme que les fonds n'ont pas été versés par celle-ci. À titre d'exemple, il résulte de l'acte d'achat du terrain de … que le prix est payé au comptant lors de la passation de l'acte le 21 mars 1967 jusqu’à concurrence de 150.000 francs et 150.000 francs postérieurement, alors que [la défenderesse n'est pas présente à l'acte, étant représentée par son représentant légal, [son père] ; la fiche comptable du notaire instrumentant mentionne que le prix est payé par [ce dernier] (2 x 150.000 francs et 43.450 francs de frais) ;
Pour le même motif et en raison du train de vie élevé que menaient [les parents du demandeur et de la défenderesse], c'est également à raison que [le demandeur] affirme que ces fonds ont été versés par [ses parents] ([sa mère] bénéficiant, aux dires des parties [demanderesse et défenderesses], de revenus immobiliers importants) ;
Les actes litigieux doivent donc être qualifiés de donations déguisées ;
[Le demandeur] considère que l'objet des donations est le bien immeuble lui-même et non les fonds utilisés pour le paiement du prix de vente ;
[La défenderesse] invoque, à juste titre, la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, 'si des immeubles ont été acquis par une personne en son propre nom au moyen de fonds remis à titre gratuit à cette personne par une autre ou au moyen d'emprunts remboursés par celle-ci, les libéralités ainsi consenties ont pour objet exclusivement ces deniers ou ces montants remboursés et non point les immeubles eux-mêmes' (Cass., 25 janvier 2010, R.T.D.F., 2010, 1311) ;
C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que les donations portaient sur le prix d'achat des immeubles et non sur les immeubles eux-mêmes (les parents ayant payé le prix en achetant au nom de leur fille) ».
Griefs
1. D'une part, l'acte accompli par un représentant au nom de la personne qu'il représente est le produit de la volonté du représentant (articles 389, dans ses deux versions visées au moyen, 935, dernier alinéa, 1984, 1997 et 1998 du Code civil).
D'autre part, « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire, qui accepte » (article 894 du Code civil).
Enfin, la donation à un enfant mineur peut en tout cas être acceptée par ses père et mère ou par tout autre ascendant (article 935, dernier alinéa, du Code civil).
Il suit de la combinaison de ces principes que, lorsque les parents d’un enfant mineur acquièrent en son nom un immeuble en en payant le prix de leurs propres deniers dans une intention libérale, la donation déguisée qu’ils réalisent ainsi, entièrement par leur propre volonté, porte sur cet immeuble et non sur le prix de celui-ci (articles 389, 858, 859, 860 – ces quatre articles dans leurs versions visées au moyen –, 894, 935, dernier alinéa, 1984, 1997 et 1998 du Code civil).
3. Le demandeur faisait valoir dans ses conclusions de synthèse d’appel que tous les immeubles acquis entre 1966 et octobre 1967 par la défenderesse l’avaient été alors qu’elle était mineure et sans revenus ni patrimoine et que ces achats avaient été négociés, « soit par [ses parents], soit par [son père] seul, lequel a comparu en qualité de représentant légal pour effectuer l’achat au nom de sa fille mineure ». Il faisait valoir encore que ces achats avaient été effectués sans donation préalable de fonds, les parents ayant soit directement payé le prix d’acquisition, soit remboursé des emprunts souscrits au nom de leur fille. Il en déduisait que l’objet des donations litigieuses était constitué par les immeubles acquis au nom de leur fille, la jurisprudence de la Cour visant une hypothèse différente – celle où le donataire acquiert de son propre chef un immeuble au moyen de fonds préalablement donnés.
4. En considérant dès lors que les donations litigieuses ont un objet immobilier [lire : mobilier] au motif qu’elles portent sur le prix d'achat des immeubles et non sur les immeubles eux-mêmes (les parents ayant payé le prix en achetant au nom de leur fille), l'arrêt, qui ne dénie pas que celle-ci était, à l'époque, mineure car âgée de moins de vingt et un ans, ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions visées au moyen).
Second moyen
Dispositions légales violées
Articles 829 et 843 du Code civil dans leur version applicable au moment des donations déguisées ou, à tout le moins, au jour de l'ouverture de la succession des défunts, donc avant l'abrogation du premier et la modification du second par la loi du 31 juillet 2017
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt reçoit les appels principal et incident, confirme en partie le jugement entrepris et, sur le point du rapport des donations, émende celui-ci en retenant que « les donations déguisées réalisées entre août 1966 et octobre 1967 ne sont pas soumises au rapport ».
Pour prendre cette décision, il se fonde plus particulièrement sur les motifs suivants :
« L'article 843 du Code civil énonce que tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part ou avec dispense du rapport ;
L'action en partage et le droit au rapport sont imprescriptibles. L'héritier concerné peut faire valoir ses droits à tout moment quel que soit le temps écoulé et sauf renonciation à solliciter le rapport intervenu en principe après l'ouverture de la succession […] ;
Le recours à la forme […] de la donation déguisée peut être justifié par un souci de discrétion, de facilité ou d'économie. Ni le don manuel ni la donation déguisée ne sont, dès lors, par essence, dispensés du rapport […] ;
La dispense peut être expresse ou tacite, le rapport n'étant pas d'ordre public ;
La dispense de rapport tacite est une question de fait, à résoudre au cas par cas et au vu de l'ensemble des circonstances qui ont entouré la libéralité, parmi lesquelles le déguisement peut être tenu pour occuper une place importante, mais non décisive [...] ;
Le recours au procédé de la donation déguisée n'implique pas, par lui-même, une dispense de rapport mais peut être un élément qui, joint à d'autres circonstances, permet d'établir que la volonté du de cuius était de dispenser du rapport [...] ;
La preuve de la dispense appartient à l'héritier gratifié ;
Eu égard aux circonstances spécifiques de la cause (contexte familial, donations déguisées à un enfant mineur), la cour [d’appel] estime que ces donations ne sont tacitement pas soumises au rapport car les soumettre au rapport serait contraire au résultat recherché par les donateurs ;
Il convient, partant, de réformer le jugement entrepris sur ce point ».
Griefs
1. L'article 829 du Code civil, applicable au moment des donations déguisées consenties à la défenderesse ou, à tout le moins, au jour de l'ouverture de la succession des défunts, énonce que « chaque cohéritier fait rapport à la masse, suivant les règles qui seront ci-après établies, des dons qui lui ont été faits et des sommes dont il est débiteur ».
Aux termes de l'article 843 de ce code, applicable également au moment de ces donations déguisées ou, à tout le moins, au jour de l'ouverture de la succession des défunts, « tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part ou avec dispense du rapport ».
Il résulte de ces dispositions qu'en règle, les donations consenties à un cohéritier doivent être rapportées à la masse, sauf si elles ont fait l'objet d'une dispense de rapport expresse, ce qui exclut toute dispense tacite.
2. L'arrêt considère toutefois que « la dispense peut être expresse ou tacite, le rapport n'étant pas d'ordre public », que « la dispense de rapport tacite est une question de fait, à résoudre au cas par cas et au vu de l'ensemble des circonstances qui ont entouré la libéralité, parmi lesquelles le déguisement peut être tenu pour occuper une place importante, mais non décisive », que « le recours au procédé de la donation déguisée n'implique pas, par lui-même, une dispense de rapport mais peut être un élément qui, joint à d'autres circonstances, permet d'établir que la volonté du de cuius était de dispenser du rapport » et encore que « la preuve de la dispense appartient à l'héritier gratifié ».
Au terme de son appréciation, l’arrêt retient qu’« eu égard aux circonstances spécifiques de la cause (contexte familial, donations déguisées à un enfant mineur), ces donations ne sont tacitement pas soumises au rapport car les soumettre au rapport serait contraire au résultat recherché par les donateurs ».
En décidant, sur la base des « circonstances spécifiques de la cause », que les donations consenties l’étaient avec dispense tacite de rapport et que pareille dispense tacite est valable, alors qu’il résulte de l’article 843 du Code civil qu’elle ne peut qu’être expresse, l’arrêt viole ledit article 843 et, par voie de conséquence, l’article 829 du Code civil.
III. La décision de la Cour
Sur le second moyen :
Aux termes de l’article 843 de l’ancien Code civil, tel qu’il s’applique au litige, tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons ni réclamer les legs à lui faits par le défunt, à moins que les dons et legs ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part ou avec dispense du rapport.
Cette disposition exige que la dispense du rapport soit certaine mais n’exclut pas qu’elle puisse être tacite.
Le moyen, qui repose tout entier sur le soutènement contraire, manque en droit.
Sur le premier moyen :
Dès lors que l’arrêt décide, sans être valablement critiqué, que les donations litigieuses ne sont pas soumises au rapport, le moyen, qui est dirigé contre les considérations, qui ne fondent aucune de ses décisions, par lesquelles il tient pour mobilier l’objet de ces donations, ne saurait entraîner la cassation et, dénué d’intérêt, est, partant, irrecevable.
Et le rejet du pourvoi prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille cinq cent nonante et un euros nonante-deux centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-quatre décembre deux mille vingt et un par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.19.0381.F
Date de la décision : 24/12/2021
Type d'affaire : Droit civil

Analyses

L’article 843 de l’ancien Code civil exige que la dispense du rapport soit certaine mais n’exclut pas qu’elle puisse être tacite (1). (1) Voir les concl. du MP.

DONATIONS ET TESTAMENTS - SUCCESSION [notice1]


Références :

[notice1]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 843 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : DELANGE MIREILLE, LEMAL MICHEL, ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-12-24;c.19.0381.f ?

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