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15/04/2021 | BELGIQUE | N°C.20.0198.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 avril 2021, C.20.0198.F


N° C.20.0198.F
L. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne du président de celui-ci, dont le cabinet est établi à Namur (Jambes), rue Mazy,
25-27,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe

, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cass...

N° C.20.0198.F
L. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne du président de celui-ci, dont le cabinet est établi à Namur (Jambes), rue Mazy,
25-27,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 21 novembre 2018 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d'appel.
Le 26 mars 2021, l'avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 10, 11 et 16 de la Constitution ;
- article 1er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'État et des provinces, qui constitue l'article 100 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées par l'arrêté royal du 17 juillet 1991 ;
- article 71, § 1er, de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989 ;
- article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;
- article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signé à Paris le 20 mars 1952 et approuvé par la loi du 13 mai 1955.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué décide que c'est à juste titre que le premier juge a déclaré prescrite la demande de la demanderesse contre la défenderesse aux motifs que
« Suivant l'article 1er, a), de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'État et des provinces, qui forme l'article 100 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées par l'arrêté royal du 17 juillet 1991, [...] sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État, les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées ;
[...] Ce délai de prescription est [...] applicable aux créances à charge de la Région wallonne ;
Conformément à ce que relève [la défenderesse], la créance alléguée en l'espèce étant née le jour de l'accident survenu le 29 juin 1995, c'est à compter du 1er janvier 1995 qu'il y a lieu de comptabiliser le délai quinquennal, de sorte que la citation devait intervenir le 31 décembre 1999 au plus tard ;
Le premier juge fait état de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 juin 2007 (numéros de rôle 4053 et 4068) qui dit pour droit que
‘1. L'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées par l'arrêté royal du 17 juillet 1991, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prévoit un délai de prescription quinquennale pour les actions en indemnisation fondées sur la responsabilité extracontractuelle de l'État fédéral, des communautés et des régions, à compter du premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle la créance est née ;
2. La même disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle prévoit un délai de prescription quinquennale pour les actions en indemnisation fondées sur la responsabilité extracontractuelle de l'État fédéral, des communautés et des régions, lorsque le préjudice ou l'identité du responsable ne peuvent être établis que postérieurement à ce délai' ;
Le premier juge en a déduit à juste titre que ce n'est que lorsque le préjudice ou l'identité du responsable ne peut être établi que postérieurement à l'expiration du délai de prescription quinquennale que l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État viole la Constitution et ne peut être appliqué ;
Il en a déduit également à juste titre que, lorsque le préjudice et l'identité du responsable sont établis avant l'expiration dudit délai quinquennal, l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État ne viole pas la Constitution et peut être appliqué, ce qui est le cas en l'espèce ;
En effet, il est établi que le dommage a été établi dès le 26 [lire : 29] juin 1995, jour du décès [du mari de la demanderesse] ;
Par ailleurs, l'identité du responsable de l'accident litigieux, désigné par [la demanderesse] en la personne de [la défenderesse], était connue de [celle-là] au plus tard le 12 janvier 1999, comme en atteste la lettre de son conseil adressée au conducteur P., précisant notamment : ‘Envisagez-vous une action civile ? Le cas échéant, allez-vous lancer citation contre le ministère wallon de l'Équipement et des Transports ?' ;
Il s'en déduit que, lors de la rédaction de cette lettre, [la demanderesse] disposait d'éléments lui permettant de poursuivre la responsabilité de [la défenderesse] et de produire sa créance contre elle devant une juridiction, soit avant l'expiration du délai de cinq ans prévu à l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État (contrairement à ce qu'elle soutient, il n'était pas nécessaire que cette responsabilité soit déjà constatée par une décision de justice) ».
Griefs

En vertu de l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur la comptabilité de l'État, sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État, les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées.
Ce délai de prescription est applicable aux créances à charge de la défenderesse par application de l'article 71, § 1er, de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989.
Le point de départ de ce délai ne peut débuter qu'à partir du premier janvier de l'année au cours de laquelle le préjudice et l'identité du responsable ont pu être constatés.
En effet, selon la Cour constitutionnelle, seule pareille interprétation de l'article 100 n'est pas susceptible d'entraîner des effets disproportionnés au regard du droit au respect des biens des titulaires des créances à charge de l'État et de rendre cette disposition légale conforme aux articles 10, 11 et 16 de la Constitution ainsi qu'aux articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales et 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention.
Le jugement attaqué constate que le dommage de la demanderesse a été établi le 29 juin 1995 et que l'identité de la défenderesse, responsable potentielle de l'accident, a été connue au plus tard le 12 janvier 1999.
Le délai quinquennal de prescription ne pouvait dès lors débuter que le 1er janvier 1999, de sorte qu'il expirait le 31 décembre 2003 et que la citation du 25 avril 2003 n'était pas tardive.
Il en résulte qu'en décidant qu'en ce qui concerne le dommage de la demanderesse, « établi dès le 29 juin 1995 », le délai de prescription prévu par l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur la comptabilité de l'État a commencé à courir le 1er janvier 1995 alors que l'identité du responsable de l'accident litigieux désigné par la demanderesse n'a, selon les constatations du tribunal d'appel, été connue que le 12 janvier 1999, date à laquelle elle « disposait d'éléments lui permettant de poursuivre la responsabilité de [la défenderesse] et de produire sa créance contre elle devant une juridiction », le jugement attaqué viole cette disposition légale, en vertu de laquelle ce délai ne peut commencer à courir que le premier janvier de l'année au cours de laquelle le préjudice et l'identité du responsable ont pu être constatés, soit le 1er janvier 1999, ainsi que l'article 71 de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989 et les articles 10, 11 et 16 de la Constitution.
En décidant dans ces circonstances que l'action introduite par la citation du 25 avril 2003 était prescrite alors qu'elle ne l'était que le 21 décembre 2003, le jugement attaqué viole ces mêmes dispositions.
III. La décision de la Cour
Sur la première fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il ne précise pas faire grief au jugement attaqué de violer les articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel à cette convention :
La violation des autres dispositions mentionnées par le moyen suffirait, si celui-ci était fondé, à emporter la cassation.
Sur la deuxième fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il ne précise pas en quoi le jugement attaqué violerait les articles 10, 11 et 16 de la Constitution et l'article 71, § 1er, de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989 :
Le moyen expose avec une suffisante précision que le jugement attaqué viole ces dispositions en faisant courir le délai de la prescription prévue à l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, dès le 1er janvier 1995 alors que l'identité du responsable n'a été connue de la demanderesse que le 12 janvier 1999 et que, en vertu de l'ensemble desdites dispositions, ce délai ne pouvait prendre cours que le 1er janvier 1999.

Sur la troisième fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de sa nouveauté :
N'est, en principe, pas nouveau, le moyen qui critique un motif que le juge d'appel donne pour justifier sa décision.
Le moyen critique le motif du jugement attaqué que, « lorsque le préjudice et l'identité du responsable sont établis avant l'expiration [du délai visé audit article 100, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées du 17 juillet 1991, cette disposition] ne viole pas la Constitution et peut être appliquée, ce qui est le cas en l'espèce ».
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen :
En vertu de l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État, les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées.
Le jugement attaqué constate que, « le 25 avril 2003, [la demanderesse a] lancé citation contre [la défenderesse, en vue d'obtenir la réparation du] dommage subi suite au décès d'A. D., [son] mari, [survenu] le 29 juin 1995 dans un accident de la route ».
Il relève que « la créance alléguée [est] née le jour de l'accident » et que « le dommage a été établi dès le [...] décès d'A. D. » tandis que « l'identité du responsable de l'accident litigieux, désigné en l'espèce par [la demanderesse] en la personne de [la défenderesse], était connue [de celle-là] au plus tard le 12 janvier 1999, comme en atteste [la lettre de son] conseil adressée au conseil du conducteur ».
Il considère que, « lorsque le préjudice et l'identité du responsable sont établis avant l'expiration dudit délai quinquennal, l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État [...] ne viole pas la Constitution et peut être appliqué » et que, puisque, « lors de la rédaction [de la lettre du 12 janvier 1999, la demanderesse] disposait d'éléments [lui] permettant de poursuivre la responsabilité de [la défenderesse], soit avant l'expiration du délai de cinq ans prévu à l'article 100, alinéa 1er, 1° » précité, « la citation signifiée le 25 avril 2003 l'a [...] été au-delà du délai de cinq ans qui a commencé à courir le 1er janvier 1995 ». Il en déduit que « la demande [est] prescrite ».
Dès lors que le moyen fait grief au jugement attaqué d'appliquer l'article 100 précité de manière non conforme aux articles 10, 11 et 16 de la Constitution en faisant débuter le point de départ de la prescription, lorsque la connaissance du dommage et de l'identité de la personne responsable est constatée avant l'expiration du délai de cinq ans, non au premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle le préjudice et l'identité du responsable ont pu être constatés, mais au premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle la créance est née, il y a lieu, conformément à l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de poser la question préjudicielle figurant au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour,
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu à la question préjudicielle suivante :
L'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, viole-t-il les articles 10, 11 et 16 de la Constitution en ce qu'il fixe le point de départ de la prescription quinquennale d'une action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle des pouvoirs publics au premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle la créance est née, lorsque la personne lésée a connaissance du dommage et de l'identité de la personne responsable avant l'expiration du délai quinquennal, alors que, suivant l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, de l'ancien Code civil, toute action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage et de l'identité de la personne responsable ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quinze avril deux mille vingt et un par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0198.F
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Droit civil - Autres - Droit constitutionnel

Analyses

Lorsque devant la Cour se pose la question de savoir si l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991, en ce qu'il fixe le point de départ de la prescription quinquennale d'une action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle des pouvoirs publics au premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle la créance est née, lorsque la personne lésée a connaissance du dommage et de l'identité de la personne responsable avant l'expiration du délai quinquennal, alors que, suivant l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, de l'ancien Code civil, toute action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage et de l'identité de la personne responsable viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, la Cour pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (1). (1) Voir les concl. du MP.

PRESCRIPTION - MATIERE CIVILE - Délais (Nature. Durée. Point de départ. Fin) - RESPONSABILITE HORS CONTRAT - OBLIGATION DE REPARER - Etat. Pouvoirs publics - QUESTION PREJUDICIELLE - COUR CONSTITUTIONNELLE [notice1]


Références :

[notice1]

Loi - 06-01-1989 - Art. 26, § 1er, 3° - 30 / No pub 1989021001 ;

Lois coordonnées - 17-07-1991 - Art. 100, al. 1er, 1° - 46 / No pub 1991071751 ;

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 2262bis, § 1er, al. 2 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-04-15;c.20.0198.f ?

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