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17/11/2020 | BELGIQUE | N°P.20.1127.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 novembre 2020, P.20.1127.N


N° P.20.1127.N
N. J. E.,
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen,
demanderesse en cassation,
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Flandre occidentale.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre des mises en accusation.
La demanderesse invoque huit moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric Van Dooren a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE L

A COUR
Sur les premier, deuxième et troisième moyens :
1. Les moyens invoquent la violation des ar...

N° P.20.1127.N
N. J. E.,
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen,
demanderesse en cassation,
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Flandre occidentale.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre des mises en accusation.
La demanderesse invoque huit moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric Van Dooren a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur les premier, deuxième et troisième moyens :
1. Les moyens invoquent la violation des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 du Code pénal, 6, 1°ter, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale et 4, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen : par la motivation que les juridictions répressives belges ne sont pas compétentes pour connaître des faits en la cause parce qu’ils sont antérieurs à l’insertion de l’article 6, 1°ter, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, l’arrêt déclare, à tort, que le motif de refus obligatoire prévu à l’article 4, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 n’est pas applicable ; sur la base de l’article 6, 1°ter, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, les tribunaux belges sont bien compétents pour les faits de terrorisme qui auraient été commis par un citoyen espagnol à l’encontre de citoyens espagnols (premier moyen) ; en effet, cette disposition porte sur une règle de droit pénal matériel avec effet rétroactif, la nature de la loi du 19 décembre 2003 n’ayant pas d’importance (deuxième moyen) ; l’article 7 de la Convention et l’article 2 du Code pénal requièrent l’application de la rétroactivité lorsqu’elle est à l’avantage du suspect, ce qui est le cas en l’espèce en ce que l’action publique est depuis lors prescrite pour les faits en Belgique (troisième moyen).
2. L’article 4, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 dispose que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée lorsqu'il y a prescription de l'action publique et que les faits relèvent de la compétence des juridictions belges.
Les deux conditions sont cumulatives, de sorte qu’en cas d’incompétence territoriale ou extraterritoriale des juridictions belges, il n’y a plus lieu de contrôler la prescription de l’action publique.
3. L’appréciation de la compétence précitée concerne la possibilité de poursuivre en Belgique les faits à la base du mandat d’arrêt européen. Le fait que la loi du 19 décembre 2003 concerne une loi sur la procédure et non une loi pénale telle que visée à l’article 2 du Code pénal n’est pas déterminant dans cette appréciation.
4. L’article 6, 1°ter, du titre préliminaire du Code de procédure pénale prévoit que tout Belge ou toute personne ayant sa résidence principale sur le territoire du Royaume qui, hors du territoire du royaume, se sera rendu coupable d'une infraction terroriste visée au Livre II, titre Iter, du Code pénal pourra être poursuivi en Belgique.
Cette disposition a été insérée par la loi du 19 décembre 2003 et est entrée en vigueur le 8 janvier 2014.
5. L’article 7, § 1er, de la Convention dispose : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. (…) »
L’article 2, alinéa 1er, du Code pénal dispose : « Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n'étaient pas portées par la loi avant que l'infraction fût commise. »
Ces dispositions requièrent l’existence, au moment où le suspect a commis l’acte ayant donné lieu à des poursuites et à un jugement, d’une disposition légale qui sanctionnait cet acte.
6. L’article 6, 1°ter, du titre préliminaire du Code de procédure pénale n’a pas instauré de nouveaux faits punissables, mais, en ajoutant un nouveau fondement légal à des poursuites et donc à une répression en Belgique, il a étendu la compétence extraterritoriale des juridictions belges. Ainsi, il y a lieu de considérer cette disposition comme étant une règle de droit pénal matériel.
7. Il résulte de ce qui précède que la loi pénale qui étend la répression en Belgique à des faits commis hors du territoire belge n’est pas applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur. Le juge qui connait de tels faits qui ne pouvaient faire l’objet de poursuites au moment de leur commission en Belgique, est tenu de constater la non-rétroactivité de la loi pénale et, par conséquent, son incompétence.
Un suspect ne peut invoquer l’application rétroactive d’une telle disposition comme étant une loi pénale plus favorable en vue d’éviter l’application d’un instrument d’entraide judiciaire internationale.
8. Dans la mesure où ils sont déduits d’autres prémisses juridiques, les moyens manquent en droit.
9. Les juges d’appel ont décidé que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour connaître des faits pour lesquels la remise de la demanderesse est demandée. Ainsi, ils ont justifié légalement et sans devoir examiner plus avant la prescription de l’action publique en Belgique, le fait que le motif de refus obligatoire prévu à l’article 4, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 ne peut être appliqué.
Dans cette mesure, les moyens ne peuvent être accueillis.
Sur le quatrième moyen :
Quant aux première et deuxième branches :
10. Le moyen, en ces branches, invoque la violation des articles 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, 509 et 527 du Code d'instruction criminelle espagnol : se référant à la réponse du juge d’émission espagnol, l’arrêt considère, à tort, que la demanderesse ne sera pas soumise, après sa remise, à des mesures de détention qui pourraient donner lieu à des traitements inhumains ou dégradants ni à un régime d’isolement ; en effet, selon la législation espagnole, le juge d’émission espagnol n’est pas compétent pour offrir des garanties absolues à cet égard ; par conséquent, il sera toujours possible de placer la demanderesse à l’isolement ; en ne reconnaissant pas cette éventualité comme un danger pour les droits de l’homme, les juges d’appel ont violé l’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003.
11. L’arrêt ne considère pas que le régime de l’isolement en Espagne ne doit pas être considéré comme un danger pour les droits de l’homme ou comme une raison sérieuse pouvant porter atteinte aux droits fondamentaux de la demanderesse.
Dans cette mesure, le moyen, en sa première branche, manque en fait.
12. Dans la mesure où il critique l’appréciation souveraine des faits par le juge ou impose à la Cour un examen des faits pour lequel elle est sans compétence, le moyen, en sa deuxième branche, est irrecevable.
13. L’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 dispose : « L'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée dans les cas suivants : (…) 5° s'il y a des raisons sérieuses de croire que l'exécution du mandat d'arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne. »
14. Il ressort de la considération (10) du préambule de la Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres que le mécanisme du mandat d'arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. Ce degré de confiance élevé entre les États membres implique une présomption de respect par l’État membre d’émission des droits fondamentaux visés à l’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003.
15. Le juge décide souverainement si les éléments circonstanciés invoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée suffisent à renverser la présomption susmentionnée. La Cour se borne à vérifier si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences sans lien avec celles-ci ou qu'elles ne peuvent justifier.
16. Les juges d’appel ont constaté que le juge d’émission espagnol a fourni des réponses aux questions qu’ils ont posées aux autorités judiciaires espagnoles par arrêt interlocutoire du 30 juin 2020. Il ressort de ces réponses que ce juge indique que le régime de l’isolement ne peut sous aucun prétexte être d’application dans le cas de la demanderesse parce que de nombreuses années se sont écoulées depuis la commission des faits, qu’il n’y a aucun risque que des preuves aient été cachées et qu’il n’existe aucun danger pour la vie de tiers ou qu’une tierce personne échappe à la justice.
Les juges d’appel ont pu légalement décider, sur la base de ces constatations, que les éléments fournis permettent de déduire avec suffisamment de certitude qu’en cas de remise, la demanderesse ne sera pas soumise à des conditions de détention qui pourraient donner lieu à des traitements inhumains ou dégradants, ni à un régime d’isolement.
Dans cette mesure, le moyen, en ces branches, ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
43. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Sidney Berneman, Eric Van Dooren et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Dirk Schoeters, avec l’assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du président chevalier Jean de Codt et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.20.1127.N
Date de la décision : 17/11/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Droit constitutionnel - Autres

Analyses

Les conditions prévues à l'article 4, 4°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen, qui dispose que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée lorsqu'il y a prescription de l'action publique et que les faits relèvent de la compétence des juridictions belges, sont cumulatives, de sorte qu'en cas d'incompétence territoriale ou extraterritoriale des juridictions belges, il n'y a plus lieu de contrôler la prescription de l'action publique; l'appréciation de la compétence précitée concerne la possibilité de poursuivre en Belgique les faits à la base du mandat d'arrêt européen et le fait que la loi du 19 décembre 2003 concerne une loi sur la procédure et non une loi pénale telle que visée à l'article 2 du Code pénal n'est pas déterminant dans cette appréciation (1). (1) Cass. 10 août 2016, RG P.16.0889.N, Pas. 2016, n° 443 ; Cass. 23 janvier 2014, RG P.14.0065.F, Pas. 2014, n° 55 ; voir Cass. 14 juillet 2009, RG P.09.1075.N, Pas. 2009, n° 456.

MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Exécution - Motif de refus de l'article 4, 4°, de la Loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - Conditions cumulatives - Conséquence - Exécution - Motif de refus de l'article 4, 4°, de la Loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - Compétence des juridictions belges - Possibilité de poursuivre en Belgique - Portée [notice1]

L'article 7, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 2, alinéa 1er, du Code pénal requièrent l'existence, au moment où le suspect a commis l'acte donnent lieu à des poursuites et à un jugement, d'une disposition légale qui sanctionnait cet acte; la disposition légale de l'article 6, 1°ter, du titre préliminaire du Code de procédure pénale n'a pas instauré de nouveaux faits punissables, mais, en ajoutant un nouveau fondement légal à des poursuites et donc à une répression en Belgique, elle a étendu la compétence extraterritoriale des juridictions belges et elle doit ainsi être considérée comme étant une règle de droit pénal matériel (1) ; il résulte de ce qui précède que la loi pénale qui étend la répression en Belgique à des faits commis hors du territoire belge n'est pas applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur; un suspect ne peut invoquer l'application rétroactive d'une telle disposition comme étant une loi pénale plus favorable en vue d'éviter l'application d'un instrument d'entraide judiciaire internationale. (1) Cass. 12 octobre 1964 (Pas. 1965, I, p. 154).

MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Exécution - Motif de refus de l'article 4, 4°, de la Loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - Compétence des juridictions belges - Application dans le temps - Portée - LOIS. DECRETS. ORDONNANCES. ARRETES - APPLICATION DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE - Compétence des juridictions belges - Disposition qui étend la compétence extraterritoriale des juridictions belges - Nature - COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence - Disposition qui étend la compétence extraterritoriale des juridictions belges - Application - Conséquence [notice3]

Il ressort de la considération (10) du préambule de la Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres que le mécanisme du mandat d'arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres et que cela implique une présomption de respect par l'État membre d'émission des droits fondamentaux visés à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen; le juge décide souverainement si les éléments circonstanciés invoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée suffisent à renverser la présomption susmentionnée; la Cour se borne à vérifier si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences sans lien avec celles-ci ou qu'elles ne peuvent justifier.

MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Exécution - Motif de refus visé à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - Présomption de respect des droits fondamentaux par l'État membre d'émission - Conséquence - APPRECIATION SOUVERAINE PAR LE JUGE DU FOND - Mandat d'arrêt européen - Exécution - Motif de refus visé à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - Présomption de respect des droits fondamentaux par l'État membre d'émission - Contrôle par la Cour - Portée [notice6]


Références :

[notice1]

L. du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - 19-12-2003 - Art. 4, 4° - 32 / No pub 2003009950

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 7 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 2, al. 1er - 01 / No pub 1867060850 ;

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 6, 1°ter - 01 / No pub 1878041750 ;

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 7, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 2, al. 1er - 01 / No pub 1867060850 ;

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 6, 1°ter - 01 / No pub 1878041750

[notice6]

Décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 - 13-06-2002 - Préambule, considération 10 ;

L. du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - 19-12-2003 - Art. 4, 5° - 32 / No pub 2003009950


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-11-17;p.20.1127.n ?

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