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17/11/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0884.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 novembre 2020, P.20.0884.N


N° P.20.0884.N
1. L. V.,
2. M. L.,
demandeurs en réouverture de la procédure,
Me Herman Segers, avocat au barreau du Limbourg.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par requête déposée au greffe le 20 août 2020, annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme, les demandeurs sollicitent, sur la base de l’article 442bis du Code d’instruction criminelle, la réouverture de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 29 mars 2013 par la cour d’appel de Gand, contre lequel les demandeurs ont introduit un pourvoi en cassation que la Cour a reje

té par l’arrêt rendu le 13 janvier 2015.
Le 23 octobre 2020, l’avocat général Dirk Schoe...

N° P.20.0884.N
1. L. V.,
2. M. L.,
demandeurs en réouverture de la procédure,
Me Herman Segers, avocat au barreau du Limbourg.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par requête déposée au greffe le 20 août 2020, annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme, les demandeurs sollicitent, sur la base de l’article 442bis du Code d’instruction criminelle, la réouverture de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 29 mars 2013 par la cour d’appel de Gand, contre lequel les demandeurs ont introduit un pourvoi en cassation que la Cour a rejeté par l’arrêt rendu le 13 janvier 2015.
Le 23 octobre 2020, l’avocat général Dirk Schoeters a déposé des conclusions écrites au greffe.
À l’audience publique du 17 novembre 2020, le conseiller Steven Van Overbeke a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LES ÉLÉMENTS PERTINENTS
Les demandeurs exposent que :
- par arrêt du 29 mars 2013, la cour d’appel de Gand les a condamnés du chef d’infractions au décret du Conseil flamand du 3 mars 1976 réglant la protection des monuments et des sites urbains et ruraux, tel qu’alors applicable, la Cour ayant rejeté leur pourvoi formé contre ledit arrêt par arrêt rendu le 13 janvier 2015 ;
- le 2 juillet 2015, ils ont introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après : la Cour européenne), fondée principalement sur une violation de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en raison du dépassement du délai raisonnable concernant l’action en réparation ;
- par décision rendue le 16 juin 2020, communiquée aux demandeurs le 9 juillet 2020, la Cour européenne a rayé la requête du rôle, en application de l’article 37.1.c de ladite Convention ;
- en application de l’article 442quinquies du Code d’instruction criminelle, ils demandent la réouverture de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 29 mars 2013 par la cour d’appel de Gand, compte tenu de l’important préjudice financier qu’ils ont subi et continuent à subir dès lors que la Région flamande persiste à réclamer le paiement des astreintes liées à la mesure de réparation.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
1. Par décision rendue le 16 juin 2020, la Cour européenne actait la déclaration du gouvernement belge qui reconnaissait la durée excessive de la procédure et qui, moyennant la radiation de l’affaire, proposait que le fonctionnaire délégué au patrimoine immobilier renonce, à titre compensatoire, au recouvrement d’un montant de 8.000 euros sur la dette dont les demandeurs sont redevables aux autorités flamandes. À la lumière de cette déclaration et en dépit du refus des demandeurs d’accepter la transaction proposée par le gouvernement belge, la décision rendue le 16 juin 2020 se limite, pour le surplus, à la radiation de la requête du rôle, en application de l’article 37.1.c de la Convention.
2. Le principe de la séparation des pouvoirs implique que le pouvoir judiciaire n’est pas lié par l’interprétation que le gouvernement belge fait de la Convention, ni par une déclaration du gouvernement belge selon laquelle un juge violerait cette Convention.
3. Dans sa décision du 16 juin 2020, la Cour européenne se borne à acter la requête dans le sens susmentionné et à la rayer du rôle. Cette décision n’a pas autorité de la chose jugée en ce qui concerne la prétendue méconnaissance du délai raisonnable dans le traitement de l’action en réparation, invoquée par les demandeurs.
4. Par arrêt rendu le 29 mars 2013, la cour d’appel de Gand considère qu'il n’est pas question de dépassement du délai raisonnable en ce qui concerne l’action en réparation. Dans le cadre de leur pourvoi en cassation formé contre ledit arrêt, les demandeurs ont, à cet égard, invoqué un moyen, que la Cour a rejeté dans son arrêt du 13 janvier 2015, par les motifs suivants :
« 6. En matière répressive, la période qui entre dans le calcul du délai raisonnable commence à courir à compter du moment où une personne fait l'objet de poursuites, à savoir à partir du moment où elle fait l'objet d'une inculpation ou est sous le coup de poursuites pénales en raison de tout autre acte d'information ou d'instruction judiciaire, raison pour laquelle elle est dans l'obligation de prendre certaines mesures pour assurer sa défense contre l'accusation.
Les mises en demeure par des autorités administratives en raison de l'inobservation des prescriptions administratives même sanctionnées pénalement ne constituent pas, en tant que telles, des actes par lesquels la personne mise en demeure est sous le coup de poursuites pénales et par lesquels le délai raisonnable commence à courir.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
7. En matière civile, la période qui entre dans le calcul du délai raisonnable commence à courir, en principe, à compter du moment où la juridiction est saisie du litige.
Les mises en demeure par des autorités administratives en raison de l'inobservation des prescriptions administratives ne font pas courir le délai raisonnable en matière civile.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
8. Le juge apprécie souverainement si le délai raisonnable est respecté, en tenant compte des circonstances de la cause, plus précisément de sa complexité, du comportement des parties et de l’attitude des instances judiciaires.
Dans la mesure où il critique cette appréciation souveraine ou impose une vérification en fait pour laquelle la Cour est sans compétence, le moyen est irrecevable.
9. L’arrêt (... ) décide que :
- le fait que le défendeur n'a avisé le parquet d'une action en réparation que le 3 février 2009, après que les demandeurs aient déjà été mis préalablement en demeure à plusieurs reprises, n'exclut ni la recevabilité ni le bien-fondé de l'action en réparation ;
- les demandeurs estiment, à tort, que le défendeur n'a rien entrepris à leur encontre et que, sur la base de la méconnaissance des principes de bonne administration, ils ne pourraient plus demander réparation ;
- les mises en demeure répétées, à savoir respectivement des 18 octobre 2000 (Patrimoine immobilier), 3 septembre 2000 (administration communale de Tessenderlo), 9 août 2004 (administration communale de Tessenderlo) et 13 avril 2007 (Patrimoine immobilier), démontrent précisément que les autorités, contrairement à l'allégation des demandeurs, n'ont pas permis la situation des années durant, qu'il n'est pas question de passivité et qu'en l'admettant même, cette passivité ne saurait justifier la propre passivité des demandeurs ;
- un procès-verbal circonstancié a été dressé le 5 novembre 2008 ;
- dès lors que les demandeurs ne lui ont accordé aucune suite concrète, le défendeur a introduit une action en réparation le 5 février 2009 ;
- cette action en réparation a été introduite lorsqu'il était absolument évident que les demandeurs ne donneraient aucune suite aux mises en demeure répétées en vue de se mettre volontairement en règle ;
- l'attitude des autorités dans les circonstances concrètes de la cause n'implique pas un dépassement du délai raisonnable pour l'action en réparation ;
- de même, l'examen de l'action en réparation devant le juge ne compte pas de périodes injustifiées d'inactivité, de sorte qu'aucun dépassement dans l'action en réparation ne saurait davantage être constaté en cette phase.
Par ces motifs, l'arrêt répond à la défense exposée dans le moyen et justifie légalement la décision rendue sur le non-dépassement du délai raisonnable.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli. »
5. Il ressort en outre des pièces jointes à la requête et du dossier répressif que :
- durant la période du 18 octobre 2000 au 13 avril 2007, les demandeurs ont, à plusieurs reprises, été mis en demeure de réaliser également, hormis les travaux de protection, des travaux de conservation et d’entretien de leurs propriétés, afin d’éviter que ces bâtiments classés comme monuments protégés continuent de se dégrader ;
- ces mises en demeure n’avaient pas en tant que telles pour effet que les demandeurs soient, de ce fait, sous le coup de poursuites pénales ou d’une action en réparation ;
- un procès-verbal a d’abord été rédigé initialement le 5 novembre 2008 par l’inspection de l’aménagement du territoire, de la politique du logement et du patrimoine immobilier, à la suite duquel le premier demandeur a été entendu en néerlandais le 4 février 2009 ;
- l’inspecteur régional de l’époque en charge du patrimoine a transmis une action en réparation au parquet le 5 février 2009, à la suite de quoi les demandeurs ont été cités, en avril 2009, à comparaître devant le tribunal correctionnel de Hasselt ;
- le tribunal correctionnel de Hasselt a condamné les demandeurs pénalement par jugement rendu le 3 novembre 2009 du chef d’infractions au décret du Conseil flamand 3 mars 1976 et a par ailleurs ordonné la réparation demandée sous peine d’astreinte ;
- sur l’appel formé par les demandeurs contre ce jugement, la cour d’appel d’Anvers a confirmé, par arrêt rendu le 3 mars 2010 par défaut à l'égard des demandeurs, la condamnation pénale et a ordonné à nouveau la réparation demandée, toutefois avec des délais d’exécution et astreintes quelque peu adaptés ;
- sur l’opposition des demandeurs, la cour d’appel d’Anvers a, par arrêt rendu le 17 novembre 2010, condamné encore une fois les demandeurs pénalement, après avoir refusé d’accéder à la sollicitation des demandeurs visant à remettre l’examen de l’action en réparation, et les a également condamnés à l’action en réparation sous peine d'astreinte dans le sens susmentionné ;
- l’arrêt rendu le 17 novembre 2010 a été annulé par la Cour par arrêt rendu le 22 mai 2012 sur la base d’un défaut de motivation, la cause ayant dès lors été renvoyée à la cour d’appel de Gand ;
- la cour d’appel de Gand a condamné les demandeurs au pénal, par arrêt rendu le 29 mars 2013, et les a également condamnés à la réparation en plusieurs phases demandée sous peine d'astreinte ;
- le pourvoi en cassation des demandeurs dirigé contre l’arrêt rendu le 29 mars 2013 a été rejeté par la Cour par arrêt rendu le 13 janvier 2015.
6. Il ressort ainsi que les demandeurs ont été pour la première fois sous le coup de poursuites pénales et d’une action en réparation à partir du 5 novembre 2008. Contrairement à l’allégation des demandeurs, il ne saurait être déduit de la circonstance que l’action en réparation n’a été introduite que le 5 février 2009, à savoir neuf ans après le constat de délabrement et les premières mises en demeure du 18 octobre 2000, que cette période de neuf ans attesterait d’un dépassement du délai raisonnable concernant l’action en réparation. Le délai raisonnable ne pouvait en effet débuter que le 5 novembre 2008 au plus tôt, dès lors que les demandeurs n’ont été sous le coup d’une action publique et d’une action en réparation qu’à compter de cette date.
7. Ne peuvent y faire obstacle ni la constatation que les demandeurs ont été condamnés du chef d’un délit de négligence ou d’omission, notamment parce qu’ils ont négligé leur obligation légale de réaliser à leurs propriétés, qui sont protégées comme monuments, les travaux de conservation et d’entretien nécessaires, tels que visés aux articles 11, § 1er, et 13, § 1er, 3° du décret du Conseil flamand du 3 mars 1976, actuellement les articles 6.4.1 et 11.2.2, alinéa 1er, 6° du décret du Conseil flamand du 12 juillet 2013 relatif au patrimoine immobilier, ni la circonstance que la mesure de réparation qui a été ordonnée à leur charge sous peine d’astreinte tend simplement à faire respecter cette obligation. L’omission en elle-même de remplir l’obligation légale de maintenir les monuments protégés en bon état n’a effectivement pas pour effet que les demandeurs, qui ont été sommés et mis en demeure à cet égard durant une période de près de neuf ans, seraient sous le coup de poursuites pénales ou d’une action en réparation.
8. Par conséquent, il ne ressort pas de l’examen de la requête que l’arrêt rendu le 29 mars 2013 par la cour d’appel de Gand, qui est devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation dirigé contre celui-ci par l’arrêt rendu le 13 janvier 2015 par la Cour, serait contraire sur le fond à la Convention, ni qu’il serait question, en violation de cette Convention, d’erreurs ou de défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux existe quant à l’issue de la procédure attaquée.
Par conséquent, les conditions d’application de l’article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle ne sont pas remplies.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Déclare la demande de réouverture de la procédure non fondée ;
Laisse les frais à charge de l’État.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Erwin Francis, Sidney Berneman, Eric Van Dooren et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt par le chevalier Jean de Codt, en présence de l’avocat général Dirk Schoeters, avec l’assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller François Stévenart Meeûs et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.20.0884.N
Date de la décision : 17/11/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Droit constitutionnel - Droit international public

Analyses

Le principe de la séparation des pouvoirs implique que le pouvoir judiciaire n'est pas lié par l'interprétation que le gouvernement belge fait de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni par une déclaration du gouvernement belge selon laquelle un juge aurait violé cette Convention; la décision par laquelle la Cour européenne des droits de l'Homme se borne à acter la déclaration du gouvernement belge et à rayer la requête du rôle n'a pas autorité de la chose jugée en ce qui concerne la méconnaissance du délai raisonnable, dans le traitement de l'action en réparation invoquée par les demandeurs (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

REOUVERTURE DE LA PROCEDURE - Cour européenne des Droits de l'Homme - Reconnaissance par l'État belge d'une violation de la Convention - Radiation de la cause - Autorité de la chose interprétée - Conséquence - POUVOIRS - SEPARATION DES POUVOIRS - Cour européenne des Droits de l'Homme - Reconnaissance par l'État belge d'une violation de la Convention - Radiation de la cause - Autorité de la chose interprétée - Portée - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Divers - Article 37 - Cour européenne des Droits de l'Homme - Reconnaissance par l'État belge d'une violation de la Convention - Radiation de la cause - Conséquence [notice1]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6 et 37 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 442bis - 30 / No pub 1808111701


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-11-17;p.20.0884.n ?

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