N° P.19.1310.F
1. CH. E.
2. K. A.
3. P. S.
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Raf Verstraeten, Joost Huysmans et Benjamin Gillard, avocats au barreau de Louvain.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre des arrêts rendus les 19 juin 2019 et 4 décembre 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire commun, annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 24 septembre 2020, l'avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé des conclusions au greffe.
Le 19 octobre 2020, les demandeurs ont déposé une note en réponse aux conclusions du ministère public.
A l'audience du 21 octobre 2020, le président de section Benoît Dejemeppe a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre l'arrêt avant dire droit du 19 juin 2019 :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre l'arrêt du 4 décembre 2019 :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 21, 4°, 22, 23 et 24, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 837, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Il soutient que, pour décider que la prescription n'était pas acquise au jour de l'arrêt, mais seulement le surlendemain 6 décembre 2019, la cour d'appel ne pouvait retenir, au titre de cause de suspension, le délai de traitement d'une requête en récusation déposée par l'un des demandeurs au cours de la procédure suivie devant le tribunal correctionnel.
Aux termes de l'article 24, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la prescription de l'action publique est suspendue lorsque la loi le prévoit ou lorsqu'il existe un obstacle légal à l'introduction ou à l'exercice de l'action publique.
L'article 837, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose qu'à compter du jour de la communication au juge de la demande en récusation, tous jugements et opérations sont suspendus sauf si la demande n'émane pas d'une partie ou du ministère public.
Dès lors qu'elle emporte la suspension de l'examen de la cause dont le juge est saisi, la demande en récusation a pour effet de constituer un obstacle légal à l'exercice de l'action publique. Partant, elle suspend la prescription de cette action.
Contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, la circonstance que la procédure en récusation est intimement liée au droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial est sans incidence à cet égard.
Le moyen manque en droit.
Quant à la seconde branche :
Le moyen invoque d'abord la violation de l'article 23 du titre préliminaire du Code de procédure pénale qui prévoit que le jour où l'infraction a été commise ainsi que celui où l'acte interruptif a été fait sont comptés dans les délais. Les demandeurs soutiennent qu'après avoir constaté qu'une apostille du juge d'instruction du 24 octobre 2013 constituait le dernier acte interruptif de la prescription, la cour d'appel ne pouvait en déduire que, sans tenir compte des périodes de suspension, le terme du délai de prescription serait reporté au 24 octobre 2018 alors qu'il s'agissait du 23 octobre 2018.
Cette différence d'un jour étant sans incidence sur le point de savoir si, à la date de l'arrêt, l'action publique était prescrite, le moyen, fût-il fondé, ne saurait conduire à la cassation et est, à cet égard, irrecevable à défaut d'intérêt.
Les demandeurs soutiennent ensuite que, dans la mesure où l'article 836 du Code judiciaire prévoit que l'acte de récusation est remis dans les vingt-quatre heures par le greffier au juge récusé et que, les pièces de la procédure ne permettant pas de déterminer si le greffier a remis audit juge la demande en récusation le jour du dépôt de la requête, soit le 31 mai 2018, ou le lendemain, il y a lieu de retenir cette dernière hypothèse, plus favorable à la personne poursuivie. Le moyen en déduit que la cour d'appel ne pouvait pas retenir la date du dépôt de la requête comme point de départ de la période de suspension de la prescription, mais le lendemain, soit le 1er juin 2018.
Il apparaît des pièces de la procédure qu'à l'audience du 31 mai 2018, le tribunal présidé par le juge dont la récusation était demandée a remis la cause en raison du dépôt d'une telle requête. Ce constat implique que le juge avait reçu la demande de récusation à la date précitée.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Les demandeurs soutiennent enfin que la cour d'appel a méconnu la portée de l'article 52, alinéa 1er, du Code judiciaire en vertu duquel un délai court depuis le lendemain du jour de l'acte ou de l'événement qui y donne cours. Selon le moyen, la prescription n'a dès lors pas été suspendue depuis la date de la communication de la requête en récusation au juge, mais depuis le lendemain.
En matière répressive, le mode de computation des délais de prescription ainsi que, le cas échéant, de suspension ou d'interruption de celle-ci, relève des dispositions du titre préliminaire du Code de procédure pénale et non de l'article 52 du Code judiciaire.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Il ressort des pièces de la procédure que la prescription a été interrompue en dernier lieu le 24 octobre 2013, de sorte que, sauf intervention de causes de suspension, le délai de la prescription aurait expiré le 23 octobre 2018. La prescription a été suspendue pendant un an lors du règlement de la procédure devant la chambre du conseil, par l'effet d'une demande d'accomplissement de devoirs complémentaires déposée par l'un des demandeurs, reportant le terme du délai de prescription du 23 octobre 2018 au 23 octobre 2019. Celle-ci a encore été suspendue pendant 43 jours à la suite de la procédure en récusation introduite le 31 mai 2018 et qui a pris fin par l'arrêt du 12 juillet 2018 rejetant cette demande.
Le délai de la prescription a donc été prolongé jusqu'au 5 décembre 2019.
Le 4 décembre 2019, date de l'arrêt, la prescription n'était dès lors pas intervenue.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le moyen est pris de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et de la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Les demandeurs font grief à l'arrêt de déclarer les poursuites recevables malgré la disparition ou l'inaccessibilité de certaines pièces à conviction recueillies par les enquêteurs sous une forme informatique lors de commissions rogatoires exécutées en Russie. Selon le moyen, d'une part, la cour d'appel n'a pas examiné in concreto dans quelle mesure l'absence de ces pièces constituait un obstacle à l'exercice effectif des droits de la défense (première branche), et, d'autre part, elle ne pouvait pas déduire de ses constatations que ces manquements ne violaient pas le droit à un procès équitable (seconde branche).
Aucune disposition légale ni aucun principe général du droit n'interdisent au juge de statuer sur la base d'un dossier dont certaines pièces sont manquantes, pour autant qu'il tienne compte de cette disparition si elle paraît en fait susceptible d'entraver le libre et complet exercice des droits de la défense.
En ce qui concerne l'absence d'un support digital, les juges d'appel ont constaté que la copie, sur un CD Rom, de la correspondance issue des boîtes mails utilisées notamment par un coprévenu, a fait l'objet de deux procès-verbaux dont il résultait qu'elle ne contenait que des éléments étrangers à la cause.
A propos de l'impossibilité d'accès à certains disques durs, l'arrêt ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui seraient sans aucun lien avec celles-ci ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification. En effet, la cour d'appel a énoncé que les données intéressantes qui ont fait l'objet de constatations étaient copiées collées telles quelles dans le corps des procès-verbaux ou leurs annexes et que, lorsqu'un document, même original, intéressant pour l'enquête était découvert, ce dernier était généralement joint directement à un procès-verbal de découverte ou à un procès-verbal de constatations.
La cour d'appel a encore relevé que, de manière générale, dans les enquêtes, les exploitations de petits matériels ICT tels que les GSM sont imprimées et jointes au procès-verbal d'exploitation ou de constatations, mais qu'actuellement, vu le volume de données que l'on sait extraire d'un PC même portable ou smartphone, tout n'est pas systématiquement imprimé mais uniquement les éléments pertinents pour le dossier. Enfin, les juges d'appel ont cité trois exemples pour lesquels ils ont considéré, à l'appui d'éléments concrets, que la critique des demandeurs quant au caractère invérifiable des constatations des enquêteurs, n'était pas fondée.
Ayant ainsi vérifié l'incidence, sur les droits de la défense, des lacunes dénoncées par les demandeurs, les juges d'appel ont légalement dit n'y avoir lieu de déclarer les poursuites irrecevables.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de nonante-quatre euros soixante centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt et un octobre deux mille vingt par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.