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17/09/2020 | BELGIQUE | N°C.18.0423.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 septembre 2020, C.18.0423.F


N° C.18.0423.F
BNP PARIBAS FORTIS, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, Montagne du Parc, 3,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

1. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue

de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
2. A. A., avocat, agissant en qualité de...

N° C.18.0423.F
BNP PARIBAS FORTIS, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, Montagne du Parc, 3,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

1. ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
2. A. A., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme L.G. Stone,

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 7 mars 2018 par la cour d'appel de Liège.
Le 16 mars 2020, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et le procureur général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 6, 23, 1110 et 1120 du Code judiciaire ;
- article 37, plus particulièrement alinéa 1er, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, avant son abrogation par l'article 71 de la loi du 11 août 2017 portant insertion du livre XX « Insolvabilité des entreprises » dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre XX et des dispositions d'application au livre XX dans le livre Ier du Code de droit économique ;
- article 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, réformant le jugement entrepris, déclare non fondée la tierce opposition formée par la demanderesse tendant à ce qu'il soit dit pour droit que la créance de précompte professionnel du premier défendeur ne pouvait être assimilée à une dette de la masse et que ce dernier ne pouvait en conséquence se prévaloir de l'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises visée au moyen, aux motifs suivants :
« De l'admission de la créance [du premier défendeur] en qualité de dette de la masse (article 37 de la loi relative à la continuité des entreprises)
La question qui oppose [...] les parties quant à la portée des termes de l'article 37 de la loi doit être examinée à la lumière de l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2014, qui a précisé, quant à la qualification de dette de la masse du précompte professionnel, que :
‘Pour le surplus, aux termes de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, dans la mesure où les créances se rapportent à des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire, qu'elles soient issues d'engagements nouveaux du débiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure, elles sont considérées comme des dettes de la masse dans une faillite ou une liquidation subséquente survenue au cours de la période de réorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans la mesure où il y a un lien étroit entre la fin de la procédure de réorganisation et cette procédure collective.
Il s'ensuit que constitue une dette de la masse, dans les conditions précitées, la créance à l'égard du débiteur née en contrepartie de la prestation qui lui a été fournie pendant la procédure de réorganisation judiciaire.
En vertu de l'article 2, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération s'entend du salaire auquel le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement.
Selon l'article 3bis de cette loi, le droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23, dont notamment les retenues effectuées en vertu de la législation fiscale, de la législation relative à la sécurité sociale et en application des conventions particulières ou collectives concernant les avantages complémentaires de sécurité sociale.
Il ressort de la combinaison de ces dispositions que la créance de rémunération, contrepartie des prestations effectuées en exécution d'un contrat de travail, comprend les montants qui font l'objet d'une retenue par application de l'article 23 de la loi, dont le précompte professionnel, et que, dès lors, bénéficie du statut de dette de la masse, la créance de rémunération brute qui est la contrepartie de cette prestation de travail réalisée au cours de la procédure de réorganisation judiciaire'.
Dans son arrêt n° 50/2016 du 24 mars 2016, la Cour constitutionnelle a rappelé que :
‘B.13.1. Le précompte professionnel est d'ailleurs protégé en tant qu'élément de la rémunération du travailleur, comme cela résulte de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, dont les articles 1er et 2 définissent le champ d'application de cette loi, ainsi que la notion de « rémunération ».
B.13.2. La loi sur la protection de la rémunération a pour but d'assurer au travailleur une disposition maximale de la rémunération qu'il a gagnée. « En faisant usage de l'expression ‘protection de la rémunération', le projet entend protéger le droit à la rémunération, préalablement acquis en vertu, soit d'un contrat de louage de travail ou d'un autre contrat ayant pour objet une prestation de travail, soit d'une loi ou d'un règlement. Ce but est atteint en édictant les mesures propres à assurer au bénéficiaire la disposition de son salaire dans la mesure qui lui permet d'assurer sa subsistance et celle de sa famille » (Doc. parl., Chambre, 1962-1963, n° 471/1, p. 1).
B.13.3. L'article 3bis de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, tel qu'il a été inséré par l'article 81 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises, dispose : « le travailleur a droit au paiement par l'employeur de la rémunération qui lui est due. Ce droit au paiement par l'employeur de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23 ».
L'article 23, alinéa 1er, 1°, de la même loi dispose que « peuvent seules être imputées sur la rémunération du travailleur, les retenues effectuées en application de la législation fiscale ».
B.13.4. Les travaux préparatoires de l'article 81 de la loi du 26 juin 2002, qui a inséré l'article 3bis dans la loi du 12 avril 1965, exposent : « l'objet de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs n'est pas de définir ce qui est dû au travailleur, mais bien de protéger le paiement de ce qui lui est dû. À cette fin, l'article 81 prévoit expressément que le travailleur a droit au paiement de la rémunération (au sens de l'article 2 de [la] loi du 12 avril 1965) qui lui est due en vertu d'une des sources [du] droit prévues à l'article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.
Ce droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération brute du travailleur, c'est-à-dire avant que soient effectuées, entre autres, les retenues fiscales (le précompte professionnel) et sociales (cotisations personnelles du travailleur). De telles retenues ne pourraient être effectuées si le travailleur n'avait pas droit au paiement de sa rémunération brute » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, 50-1687/001, p. 48).
B.13.5. Il résulte de ce qui précède que la créance de rémunération du travailleur comprend également le précompte professionnel en tant que retenue née de la prestation de travail du travailleur, à laquelle le travailleur a droit en vertu de son contrat de travail, et qui fait partie de la rémunération que l'employeur s'est engagé à payer, protégée à ce titre par la loi du 12 avril 1965.
B.13.6. La circonstance que le travailleur ne dispose pas d'un droit d'action contre l'employeur en vue d'obtenir directement le paiement de ce précompte ne modifie pas la nature de ce précompte.
B.14. La créance de précompte professionnel, dont l'entreprise est le redevable au titre d'avance sur l'impôt que les travailleurs devront payer sur leurs revenus professionnels, peut dès lors être considérée comme une créance « née de prestations de travail » qui, pour autant qu'elle soit antérieure à l'ouverture de la procédure, est protégée par la disposition en cause.
Cette créance fiscale pour le compte des travailleurs, antérieure à l'ouverture de la procédure, diffère dès lors essentiellement des créances fiscales de l'entreprise, qui pourraient être le cas échéant réduites, conformément à l'article 49/1, alinéa 2, de la loi du 31 janvier 2009.
La disposition en cause, interprétée comme visant la créance fiscale de précompte professionnel, ne peut davantage constituer une forme de privilège pour l'administration fiscale, puisque ce n'est pas cette dernière qui est protégée par la disposition en cause, mais les travailleurs et leur droit à la rémunération, afférente à leurs prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire'.
La cour [d'appel] se réfère à la motivation de l'arrêt précité prononcé par la Cour constitutionnelle, qu'elle fait sienne.
Dans son arrêt n° 47/2017 du 27 avril 2017, dont se prévaut [la demanderesse], [la Cour constitutionnelle a énoncé :] ‘B.8. Dans la première question préjudicielle, la Cour est invitée à se prononcer sur la différence de traitement entre créanciers qui résulterait de l'article 37, alinéa 1er, de la loi relative à la continuité des entreprises en ce qu'il priverait la créance de l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée du bénéfice du statut de dette de la masse en raison de son origine légale, tandis que les créances qui se rapportent à des prestations effectuées en période de réorganisation judiciaire mais qui ont une origine contractuelle peuvent bénéficier de ce statut.
B.9. La créance de l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée trouve son origine dans l'article 2 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, qui prévoit que sont soumises à la taxe, lorsqu'elles ont lieu en Belgique, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel'.
La Cour constitutionnelle a décidé sur cette question ‘qu'interprété en ce sens que les dettes fiscales en matière de taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent constituer « des dettes de la masse », l'article 37 de la loi relative à la continuité des entreprises n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution'.
Par la seconde question préjudicielle, la Cour constitutionnelle était interrogée ‘sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 37, alinéa 1er, de la loi relative à la continuité des entreprises, interprété en ce sens que les dettes de précompte professionnel, à la différence des dettes de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à des prestations effectuées à l'égard du débiteur en période de réorganisation judiciaire, peuvent bien constituer des « dettes de la masse »'. La Cour devait dès lors se prononcer sur la différence de traitement qui résulte de cette interprétation entre les différents types de créances de l'administration fiscale.
Sur cette seconde question, la Cour constitutionnelle a décidé que ‘la disposition en cause, dans l'interprétation selon laquelle le précompte professionnel peut constituer une « dette de la masse », fait naître une différence de traitement entre les créances de l'administration fiscale qui n'est pas raisonnablement justifiée' et que, dans cette interprétation, ‘l'article 37, alinéa 1er , de la loi relative à la continuité des entreprises n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution'.
Elle a par ailleurs souligné que l'interprétation selon laquelle le précompte professionnel ne peut constituer une ‘dette de la masse' est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, au motif que ‘la différence de traitement dénoncée dans la seconde question préjudicielle entre les créances de l'administration fiscale est inexistante'.
Dans cet arrêt n° 47/2017 du 27 avril 2017, la Cour constitutionnelle n'est pas revenue sur les principes qu'elle avait énoncés dans son arrêt n° 50/2016 du 24 mars 2016 en ce que la créance de précompte professionnel, dont l'entreprise est le redevable au titre d'avance sur l'impôt que les travailleurs devront payer sur leurs revenus professionnels, peut dès lors être considérée comme une créance ‘née de prestations de travail' et, partant, comme la contrepartie de celles-ci.
[La demanderesse] donne à l'arrêt du 27 avril 2017 une portée qu'il n'a pas pour la solution du présent litige, le débat ne portant pas en l'occurrence sur l'inégalité de traitement entre deux créances fiscales de nature différente.
[Le premier défendeur] est fondé à se prévaloir du bénéfice de l'article 37 de la loi relative à la continuité des entreprises.
Pour le surplus, la cour [d'appel] observe que l'article XX.58, inséré par l'article 2 de la loi du 11 août 2017 portant insertion du Livre XX ‘Insolvabilité des entreprises' dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au Livre XX et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre Ier du Code de droit économique (entrée en vigueur au 1er mai 2018), rencontre la question de l'inégalité de traitement entre les créances fiscales relevées par la Cour constitutionnelle en son arrêt du 27 avril 2017, dès lors qu'il énonce que, ‘dans la mesure où les créances se rapportent à des prestations effectuées à l'égard du débiteur par son cocontractant pendant la procédure de réorganisation judiciaire, qu'elles soient issues d'engagements nouveaux du débiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure, elles sont considérées comme des dettes de la masse dans une faillite ou liquidation subséquente ou dans la répartition visée à l'article XX.91 en cas de transfert sous autorité judiciaire, pour autant qu'il y ait un lien étroit entre la fin de la procédure et la réorganisation judiciaire et cette procédure', que ‘les prélèvements, cotisations ou dettes en principal fiscaux ou sociaux sont considérés pour l'application de cet article comme se rapportant à des prestations effectuées par le cocontractant', et que ‘les accessoires des prélèvements, cotisations ou dettes fiscaux ou sociaux, pendant la procédure de réorganisation, ne sont pas considérés comme des dettes de la masse dans une faillite ou liquidation subséquente'.
À l'examen des travaux préparatoires de ces nouvelles dispositions, il ne ressort pas que le législateur ait voulu opérer un revirement législatif en ce qui concerne le champ d'application de l'article 37 de la loi relative à la continuité des entreprises. Celles-ci ne font que consacrer les principes énoncés, en ce qui concerne l'essence de la créance de précompte professionnel, à l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 24 mars 2016, ce qui infirme l'interprétation téléologique sous-jacente à l'arrêt du 27 mars 2015 de la Cour de cassation opérant un revirement jurisprudentiel par rapport à l'arrêt de cette cour du 16 mai 2014 ».

Griefs

Première branche

En vertu de l'article 6 du Code judiciaire, le juge ne peut se prononcer par voie de dispositions générales et réglementaires sur les causes qui lui sont soumises.
Il ne peut en conséquence motiver sa décision par référence uniquement à une décision rendue dans une autre cause sans expliciter les raisons pour lesquelles il s'y rallie.
La seule reprise de la décision à laquelle le juge se réfère, même reproduite entre guillemets, ne suffit pas à considérer que le juge du fond n'aurait pas attribué à cette décision la valeur d'une disposition réglementaire (Cass., 30 novembre 2015, S.15.0058.F, rendu sur les conclusions conformes de M. l'avocat général Génicot, et réf. cit).
L'arrêt attaqué décide que, contrairement à ce que soutenait la demanderesse, la créance du [premier] défendeur constituait une dette de la masse en se référant uniquement à un arrêt de la Cour du 16 mai 2014 et à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2016, qu'il cite entre guillemets, déclarant que « la cour [d'appel] se réfère à la motivation de l'arrêt précité de la Cour constitutionnelle, qu'elle fait sienne ».
Le reste de la motivation de l'arrêt attaqué se borne à contester la pertinence de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 avril 2017 que la demanderesse invoquait en conclusions sans qu'il en résulte une motivation propre, la cour [d'appel] considérant uniquement que, par cet arrêt, « la Cour constitutionnelle n'est pas revenue sur les principes qu'elle avait énoncés dans son arrêt n° 50/2016 du 24 mars 2016 ».
La référence faite par la cour [d'appel] aux travaux préparatoires de la loi du 11 août 2017 constitue, non un motif de sa décision, mais une simple réflexion incidente, par ailleurs inexacte (voir seconde branche), quant à la portée de cette nouvelle loi, non applicable au litige.
Il s'ensuit qu'en se fondant, pour décider que la créance du [premier] défendeur constituait une dette de la masse bénéficiant du régime de l'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises, sur le seul enseignement de l'arrêt de la Cour du 16 mai 2014 et de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 24 mars 2016, qu'il se borne à reproduire textuellement, l'arrêt attaqué attribue à ces décisions la portée de règles générales et viole les dispositions du Code judiciaire visées au moyen.

Seconde branche

Comme le soutenait la demanderesse devant la cour [d'appel], la créance de précompte professionnel ne peut être assimilée à une dette de la masse.
En vertu de l'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises, dans la mesure où les créances se rapportent à des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la période de réorganisation judiciaire, qu'elles soient issues d'engagements nouveaux du débiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure, elles sont considérées comme des dettes de la masse dans une faillite ou une liquidation subséquente survenue au cours de la période de réorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans la mesure où il y a un lien étroit entre la fin de la procédure de réorganisation et cette procédure collective.
La ratio legis de cette disposition est de pouvoir opérer un redressement économique de l'entreprise en sauvegardant la confiance des cocontractants du débiteur par une assurance d'être payés et en donnant la possibilité à l'entreprise de compter sur leur concours (Cass., 27 mars 2015, F.14.0141.N, et les conclusions de monsieur le procureur général Thijs, alors avocat général, qui se réfère notamment aux travaux préparatoires de la loi : Doc. parl., Chambre 2007-2008, 52-0160/02, p. 63).
Cela implique que la reconnaissance d'une dette en tant que dette de la masse au sens de l'article 37 de la loi doit être limitée aux dettes contractuelles, c'est-à-dire aux dettes pour des prestations résultant de contrats conclus avec l'entreprise, ce qui ne vise pas les dettes fiscales.
Une dette personnelle de l'employeur vis-à-vis du Trésor qui trouve son origine dans une obligation légale ne constitue en effet pas la contrepartie d'une prestation de travail, à l'inverse de la rémunération du travailleur (Cass., 27 mars 2015, F.14.0141.N ; 16 juin 2016, F.16.0022.N ; Cour constitutionnelle, 27 avril 2017, n° 47/2017).
L'arrêt attaqué oppose à cette analyse un arrêt de la Cour du 16 mai 2014 (F.13.0100.F) et un arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2016 (n° 50/2016).
L'arrêt du 16 mai 2014 décide effectivement que le précompte professionnel afférent à la rémunération du travailleur fait partie de celle-ci et constitue une dette de la masse.
Les arrêts précités du 27 mars 2015 et 16 juin 2016 sont revenus sur cette jurisprudence.
L'arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2016 se rapporte, non à l'article 37 de la loi, mais à son article 49/1, qui dispose que le plan ne peut prévoir de réduction ou d'abandon de créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure.
La question de base est cependant la même dans le cadre des deux dispositions : le précompte professionnel peut-il être considéré comme la contrepartie de la prestation du travailleur ?
Certes, l'arrêt précité de la Cour constitutionnelle avait décidé que l'article 49/1, interprété comme protégeant la créance fiscale de précompte professionnel de tout abattement n'était pas discriminatoire, estimant que le précompte professionnel doit être considéré comme une créance « née de la prestation de travail ».
L'arrêt de la Cour du 16 juin 2016 (F.16.0022.N) se prononce en sens contraire à propos de l'application de l'article 49.
La Cour constitutionnelle elle-même a revu sa jurisprudence dans le cadre de l'application de l'article 37 par son arrêt du 27 avril 2017 (47/2017).
Cet arrêt, s'il se rapporte à la différence de traitement entre la dette de l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée et la dette de précompte professionnel, a une portée générale en ce qui concerne le statut de cette dernière.
La Cour constitutionnelle a en effet considéré que la dette de précompte professionnel n'est pas la contrepartie de prestations de travail et ne peut être traitée, tout comme la taxe sur la valeur ajoutée, comme une dette de la masse (considérants B.15 et B.16). C'est en raison de cette constatation que la Cour a écarté l'existence d'une discrimination entre ces deux créances de l'administration fiscale. Cette décision se réfère précisément aux arrêts précités des 27 mars 2015 et 16 juin 2016 et aux travaux préparatoires de la loi.
L'arrêt attaqué, en considérant que cette décision n'est pas pertinente pour la solution du litige soumis à la cour d'appel, en méconnait la teneur exacte et la portée.
Comme le soulignent certains auteurs et l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 avril 2017, l'idée d'assimiler la dette de précompte à la rémunération du travailleur pour justifier la qualification de dette de la masse de la créance de précompte professionnel est contraire à la nature de cette créance (voir à ce propos C. Alter et A. Levy-Morelle, « Égalité entre les créanciers publics et privés dans les réorganisations judiciaires », J.T., 2017, n°s 12 et 13 en particulier, p. 93).
Les auteurs précités, se référant notamment à la jurisprudence de la Cour (Cass., 1er juin 2012, F.10.0038.F, rendu sur les conclusions conformes de M. le procureur général Henkes, alors avocat général), mettent en évidence le fait que le précompte professionnel n'est pas une avance sur l'impôt à charge du travailleur mais un véritable impôt à charge de l'employeur. Il ne peut, dans ces conditions, être considéré comme la contrepartie d'une prestation de travail.
La référence faite, par ailleurs, par l'arrêt attaqué à la loi du 11 août 2017 et à ses travaux préparatoires n'est pas adéquate.
D'abord, cette loi est postérieure au litige et ne lui était pas applicable.
Ensuite, et surtout, les travaux préparatoires révèlent que le législateur a voulu, dans un premier temps, se conformer au régime consacré par les arrêts précités des 27 mars 2015 et 16 juin 2016 et considérer que les prélèvements fiscaux et sociaux sur les rémunérations ne se rapportaient pas à des prestations effectuées par le cocontractant.
Le texte initial (Doc. 54-2407/05, p. 46) prévoyait en effet que « les prélèvements, cotisations ou dettes quelconques fiscaux ou sociaux ne sont pas considérés pour l'application de cet article (à ce moment article XX.60) comme se rapportant à des prestations effectuées par le cocontractant ».
L'article XX. 58 finalement adopté prévoit exactement le contraire :
« Les prélèvements, cotisations ou dette en principal fiscaux ou sociaux sont considérés pour l'application de cet article comme se rapportant à des prestations effectuées par le cocontractant. Les accessoires des prélèvements, cotisations ou dettes fiscaux ne sont pas considérés comme des dettes de la masse dans une faillite ou liquidation subséquente ».
Ces modifications résultent d'un amendement (n° 132, Doc. 54-2407/006) déposé par le parlementaire Verherstraeten pour des raisons qui sont peu explicitées et adopté sans guère de discussions (Doc. 2407/008, p. 17).
Quoi qu'il en soit, il en résulte que les travaux préparatoires de la loi montrent clairement qu'il s'agit d'une modification de la loi relative à la continuité des entreprises et que la référence faite à ce propos par l'arrêt est dénuée de toute pertinence.
Par conséquent, en traitant la créance du [premier] défendeur comme une dette de la masse, l'arrêt viole l'ensemble des dispositions légales visées au moyen, à l'exception des dispositions du Code judiciaire.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Après avoir relevé que le défendeur est titulaire d'une créance de précompte professionnel, l'arrêt considère, en ce qui concerne « l'admission de [cette] créance [...] en qualité de dette de la masse », que « la question qui oppose ainsi les parties quant à la portée des termes de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises doit être examinée à la lumière de l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2014 », dont il reproduit les termes. Mentionnant aussi les termes de l'arrêt 50/2016 rendu par la Cour constitutionnelle le 24 mars 2016, il énonce pour le surplus qu'il « se réfère à la motivation de [cet] arrêt qu'[il] fait sienne ». Il considère encore, à propos de l'« arrêt du 27 avril 2017 (arrêt 47/2017) dont [la demanderesse] se prévaut » et dont il reproduit également les termes, que « la Cour constitutionnelle ne revient pas sur les principes qu'elle énonce dans son arrêt [...] du 24 mars 2016 en ce que la créance de précompte professionnel, dont l'entreprise est le redevable au titre d'avance sur l'impôt que les travailleurs devront payer sur leurs revenus professionnels peut dès lors être considérée comme une créance ‘née de prestations de travail' et partant comme la contrepartie de celle-ci » et que « [la demanderesse] donne à l'arrêt du 27 avril 2017 une portée qu'il n'a pas pour la solution du présent litige, le débat ne portant pas en l'occurrence sur l'inégalité de traitement entre deux créances fiscales de nature différente ». Il souligne encore, à propos de l'article XX.58, qui remplace l'article 37 précité à partir du 1er mai 2018, qu'« à l'examen des travaux préparatoires de ces nouvelles dispositions, il ne ressort pas que le législateur ait voulu opérer un revirement législatif en ce qui concerne le champ d'application de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 » et que ces dispositions « ne font que consacrer les principes énoncés en ce qui concerne l'essence de la créance de précompte professionnel [par] l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2016, ce qui infirme l'interprétation téléologique sous-jacente à l'arrêt du 27 mars 2015 de la Cour de cassation opérant un revirement jurisprudentiel par rapport à l'arrêt de cette même cour du 16 mai 2014 ». Il déduit de ces énonciations que « [le défendeur] est fondé à se prévaloir de l'article 37 » précité.
Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt ne se borne pas à fonder sa décision sur la seule reproduction des termes des arrêts de la Cour du 16 mai 2014 et de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2016, mais il explicite, au regard de la nature de la créance du défendeur, les raisons pour lesquelles il s'y rallie.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la seconde branche :

1. Aux termes de l'article 37 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, applicable au litige, dans la mesure où les créances se rapportent à des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire, qu'elles soient issues d'engagements nouveaux du débiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure, elles sont considérées comme des dettes de la masse dans une faillite ou une liquidation subséquente survenue au cours de la période de réorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans la mesure où il y a un lien étroit entre la fin de la procédure de réorganisation et cette procédure collective.
Il s'ensuit que constitue une dette de la masse, dans les conditions précitées, la créance sur le débiteur née en contrepartie de la prestation qui lui a été fournie pendant la procédure de réorganisation judiciaire.
2. En vertu de l'article 270, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, sont redevables du précompte professionnel ceux qui, à titre de débiteur, dépositaire, mandataire ou intermédiaire, paient ou attribuent en Belgique des rémunérations.
En vertu de l'article 2, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération s'entend du salaire auquel le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement.
Selon l'article 3bis de cette loi, le droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23, dont notamment les retenues effectuées en vertu de la législation fiscale.
Il ressort de la combinaison de ces dispositions que la créance de rémunération, contrepartie des prestations effectuées en exécution d'un contrat de travail, comprend le précompte professionnel, et que, dès lors, bénéficie du statut de dette de la masse, la créance de rémunération brute lorsque la prestation de travail est réalisée au cours de la procédure de réorganisation judiciaire.
Il s'ensuit que l'État belge, envers lequel le débiteur est redevable du précompte professionnel, peut prétendre à l'existence d'une dette de la masse.
Cette interprétation trouve appui dans l'article XX.58 de la loi du 11 août 2017 portant insertion du livre XX « Insolvabilité des entreprises » dans le Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au livre XX et des dispositions d'application au livre XX dans le livre 1er du Code de droit économique.
3. Suivant l'article 2, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, sont soumises à la taxe, lorsqu'elles ont lieu en Belgique, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.
En vertu de l'article 51, § 1er, du même code, la taxe est due 1° par l'assujetti qui effectue une livraison de biens ou une prestation de services imposable qui a lieu en Belgique ; 2° par la personne qui effectue une acquisition intracommunautaire de biens imposables qui a lieu en Belgique ; 3° par toute personne qui, dans une facture ou un document en tenant lieu, mentionne la taxe sur la valeur ajoutée, encore qu'elle n'ait fourni aucun bien ni aucun service.
L'article 51, § 2, de ce code détermine les cas de dérogations au paragraphe 1er tandis que l'article 51, § 4, autorise le Roi à déroger à cette même disposition pour obliger le cocontractant du fournisseur de biens ou de services au paiement de l'impôt dans la mesure où Il l'estime nécessaire pour garantir ce paiement.
Conformément à l'article 6 de l'arrêté royal n° 7 relatif aux importations de biens pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, pris en application de l'article 52, § 1er, du code, la taxe est due par le destinataire qui effectue en Belgique une importation imposable.
En vertu de l'article 51bis, § 1er, le cocontractant de la personne qui est redevable de la taxe est solidairement tenu avec elle au paiement de la taxe envers l'État lorsque la facture ou le document en tenant lieu n'a pas été délivré ou contient des indications inexactes quant au prix ou à ses accessoires ou ne mentionne pas le montant de la taxe due sur l'opération ou le mentionne inexactement.
En vertu de l'article 45, § 1er, de ce code, tout assujetti peut déduire de la taxe dont il est redevable, les taxes ayant grevé les biens et les services qui lui ont été fournis, les biens qu'il a importés et les acquisitions intracommunautaires de biens qu'il a effectuées, dans la mesure où il les utilise pour effectuer des opérations taxées ou des opérations exonérées en vertu des articles 39 à 42.
Selon l'article 47 du code, la déduction est opérée sur la taxe sur la valeur ajoutée due par l'assujetti pour la période au cours de laquelle le droit à déduction a pris naissance et quand le montant des déductions autorisées dépasse celui des taxes dues pour les livraisons de biens et les prestations de services effectuées par l'assujetti, l'excédent est reporté sur la période suivante.
Il suit de la combinaison de ces dispositions, d'une part, que dans le régime de la taxe sur la valeur ajoutée qui frappe l'activité économique de livraisons de biens ou prestations de services par un assujetti, c'est le fournisseur qui joue le rôle de collecteur d'impôts et est, en règle, le redevable de la taxe à l'égard de l'État belge, d'autre part, que le principe de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé le coût des éléments constitutifs du prix d'une opération taxée garantit la neutralité de la charge fiscale pour l'assujetti.
Il en résulte que, pour des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire au sens de l'article 37, alinéa 1er, de la loi du 31 janvier 2009, l'État belge n'est, en règle, pas créancier de taxes sur la valeur ajoutée sur le débiteur, mais sur son cocontractant qui a fourni ces prestations, et que la créance dont l'État se prévaut envers le débiteur au titre du solde du compte courant dans lequel les déductions et les taxes dues ont été enregistrées ne résulte en définitive que d'opérations effectuées par ce débiteur, mais non de prestations fournies à son égard.
À défaut d'être titulaire d'une créance de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à des prestations fournies au débiteur durant la période de réorganisation judiciaire, l'État belge ne rentre pas dans le champ de l'article 37, alinéa 1er, précité.
Si, dans l'arrêt n° 47/2017 du 27 avril 2017, la Cour constitutionnelle a considéré que l'article 37, alinéa 1er, précité, fait naître une différence de traitement injustifiée entre les créances de l'administration fiscale et a dit pour droit que cette disposition, interprétée en ce sens que la dette de précompte professionnel peut constituer une dette de la masse, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, cette décision se fonde sur la prémisse que, dans l'interprétation qui lui était soumise, il existe une « créance de l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à des prestations effectuées à l'égard du débiteur en période de réorganisation judiciaire ».
Dès lors que, à défaut d'être titulaire d'une telle créance, l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée ne rentre pas dans le champ de l'article 37, alinéa 1er, précité, la différence de traitement entre cette administration fiscale et celle qui, titulaire d'une créance de précompte professionnel sur le débiteur se rapportant à des prestations de travail fournies à son égard, rentre dans le champ de l'article 37, alinéa 1er, précité, ne résulte pas de cette disposition, mais du mécanisme même de la taxe sur la valeur ajoutée, et l'inconstitutionnalité constatée est étrangère à cette situation.
5. Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement que la créance de précompte professionnel ne peut constituer une dette de la masse au sens de l'article 37, alinéa 1er, précité, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille cent quarante-deux euros quarante centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Eric Dirix, Koen Mestdagh et Geert Jocqué, les conseillers Michel Lemal, Bart Wylleman, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique et plénière du dix-sept septembre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence du procureur général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0423.F
Date de la décision : 17/09/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-17;c.18.0423.f ?

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