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17/09/2020 | BELGIQUE | N°C.16.0547.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 septembre 2020, C.16.0547.F


N° C.16.0547.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du receveur du Team Recouvrement personnes morales Bruxelles 3, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50 (bte 3110),
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

BARDAFEU CINÉMA, société à responsabilité

limitée, dont le siège est établi à Ixelles, place Eugène Flagey, 7,
défenderesse en cassa...

N° C.16.0547.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du receveur du Team Recouvrement personnes morales Bruxelles 3, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50 (bte 3110),
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,

contre

BARDAFEU CINÉMA, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Ixelles, place Eugène Flagey, 7,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 novembre 2015 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 16 mars 2020, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et le procureur général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 2, 49/1, alinéa 4, et 55 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises ;
- articles 2, alinéa 1er, 1°, 3bis et 23, alinéa 1er, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs ;
- articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ;
- articles 30, 1°, 249 et 270 du Code des impôts sur les revenus 1992.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, par confirmation du jugement entrepris, déclare l'intervention volontaire du demandeur non fondée et homologue le plan de réorganisation proposé par le débiteur, aux motifs suivants :
« 8. La question en débat consiste à déterminer si la créance [du demandeur], à savoir le précompte professionnel retenu sur la rémunération du travailleur, peut se voir ou non appliquer la réduction prévue par l'article 49/1, alinéa 1er, de la loi sur la continuité des entreprises, qui prévoit que la proposition de paiement pour tous les créanciers ne peut être inférieure à quinze p.c. du montant de leurs créances.
9. Par son arrêt du 16 mai 2014 (R.G. F.13.0100.F), la Cour de cassation avait décidé que ‘bénéficie du statut de dette de la masse, la créance de rémunération brute qui est la contrepartie de la prestation de travail réalisée en exécution d'un contrat de travail au cours de la procédure de réorganisation judiciaire'.
10. Mais, par ses arrêts du 27 mars 2015 (R.G. F.14.0157.N et F.14.0141.N), la Cour a décidé qu'‘il ressort de l'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises, des articles 2, 1°, 3bis et 23, alinéa 1er, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs et des articles 2, alinéa 1er, et 17, §§ 1er et 2, applicables à l'époque, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée que le fisc, s'agissant du précompte professionnel et de la taxe sur la valeur ajoutée, ne doit pas être considéré comme un créancier auquel une certaine sécurité doit être conférée en vue de la continuité des prestations pendant la procédure de réorganisation judiciaire. Les créances de précompte professionnel et de taxe sur la valeur ajoutée ne constituent dès lors pas des dettes de la masse au sens de l'article 37, alinéa 1er', précité.
11. La question est au cœur d'un vif débat mené par l'État belge et l'Office national de la sécurité sociale : ‘Les administrations fiscales - spécialement en matière de précompte professionnel - et sociale n'ont guère été satisfaites du sort - peu enviable selon elles - que leur a réservé en 2009 la loi sur la continuité des entreprises. Depuis lors, elles ne cessent de multiplier les contentieux afin de tenter de s'assurer, dans le cadre de la réorganisation judiciaire de leur débiteur, un traitement préférentiel, que ce soit pour leurs créances sursitaires ou post-sursis. La Cour de cassation a été amenée à intervenir à plusieurs reprises, de même que le législateur en 2013 en modifiant certaines dispositions de la loi sur la continuité des entreprises' (Sophie Jacmain et Cécile De Boe, ‘L'article 37 de la loi sur la continuité des entreprises : nouveaux développements et mise en perspective au regard de la responsabilité - en particulier en matière fiscale et sociale - des dirigeants d'entreprise', R.D.C., 2015, 523).
12. Selon [le demandeur], la Cour de cassation ne revoit pas, par ses arrêts du 27 mars 2015, expressément et indubitablement la jurisprudence de son arrêt de 2014, de telle sorte que le précompte professionnel, étant un des éléments de la créance de rémunération brute, bénéficie du statut de dette de la masse et ne peut dès lors se voir appliquer quelque réduction.
13. Cette position est inexacte.
En effet, par les arrêts du 27 mars 2015, ‘la Cour de cassation refus[e] à l'administration du précompte professionnel et à celle de la taxe sur la valeur ajoutée le statut de créancier de la masse, revenant ainsi sur son arrêt déjà fort critiqué du 16 mai 2014' (Sophie Jacmain et Cécile De Boe, idem).
14. Ces arrêts décident sans ambiguïté que ‘le fisc, s'agissant du précompte professionnel et de la taxe sur la valeur ajoutée, ne doit pas être considéré comme un créancier auquel une certaine sécurité doit être conférée en vue de la continuité des prestations pendant la procédure de réorganisation judiciaire'.
Ainsi, ‘la Cour de cassation se positionne très clairement par rapport à l'idée poursuivie par le législateur en 2009 de créer un incitant - et partant une protection - pour les créanciers indispensables à la poursuite des activités par opposition aux créanciers « involontaires » et passifs que sont l'administration fiscale et sociale, dont les créances découlent de l'effet de la loi et non d'une volonté délibérée de leur part de contracter avec le débiteur en réorganisation judiciaire. La Cour de cassation se fonde sur la volonté clairement exprimée du législateur. Le fisc, ne prodiguant aucune prestation en faveur du débiteur en réorganisation, ne fait pas partie de cette catégorie de créancier à « protéger » selon la Cour' (Sophie Jacmain et Cécile De Boe, op. cit., n° 7, p. 534).
15. L'intention du législateur de ne pas considérer le fisc et l'Office national de la sécurité sociale comme des créanciers à protéger autrement que par une ‘compensation' était en effet clairement exprimée dans les travaux préparatoires, qui indiquent sans ambiguïté que, ‘en cas de sursis, le ministre précise que le fisc et l'Office national de la sécurité sociale sont des créanciers ordinaires. Ces deux organismes n'ont donc pas de privilège mais reçoivent en revanche une contrepartie. Lorsqu'un traitement différencié des créanciers est prévu dans le plan de réorganisation, le fisc et l'Office national de la sécurité sociale ne peuvent pas être traités de manière moins favorable que le créancier le mieux traité (voir l'article 49/1, alinéa 2, proposé à l'article 27 du projet de loi). Par le passé, des abus étaient systématiquement constatés : certains plans prévoyaient qu'il n'était accordé que un à cinq p.c. à ces créanciers publics, tel le fisc, alors que les autres créanciers se voyaient accorder nonante-cinq à nonante-neuf p.c. Ces abus sont à présent évités' (Doc. parl., Chambre, n° 53-2692/003, 15 et 16).
16. Comme le relève avec pertinence le premier juge, le législateur n'a pas voulu empêcher un abattement des dettes des créanciers publics mais a fixé une limite et toute autre interprétation reviendrait à vider de son sens l'article 49/1, alinéa 2, de la loi.
Le fisc et l'Office national de sécurité sociale se voient donc déjà traités de manière avantageuse par rapport aux autres créanciers puisque, par l'effet de la loi, ils sont traités comme le créancier le mieux avantagé par le plan.
17. C'est dès lors à juste titre que le premier juge a décidé qu'aucune disposition du plan de réorganisation ne contrevenait à la loi ou à l'ordre public ».

Griefs

Devant la cour d'appel, le demandeur sollicitait la réformation du jugement entrepris en ce que celui-ci avait admis que le plan de réorganisation judiciaire de la défenderesse prévoit « l'abattement de créances sursitaires de précompte professionnel, nées de prestations de travail antérieures au début de la procédure de réorganisation judiciaire ».
Il résulte du quatrième alinéa de l'article 49/1 de la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises que « le plan ne peut contenir de réduction ou d'abandon des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure ». À la différence des trois premiers alinéas, ce quatrième alinéa (ainsi que les alinéas 5 et 6) a pour objet la créance [définie à l'article 2, c)], et non le « créancier » [défini à l'article 2, g)]. Les trois premiers alinéas permettent dans certaines limites des abattements concernant certains créanciers alors que les alinéas 4 à 6 interdisent spécifiquement les abattements de certaines créances.
La loi du 31 janvier 2009 ne définit pas ce qu'il faut entendre par « créances nées de prestations de travail », de sorte qu'il faut s'en remettre, pour cette définition, au droit commun.
Il résulte des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail que la « rémunération » est un élément essentiel du contrat de travail et l'article 20 précise que « l'employeur a l'obligation [...] de payer la rémunération aux conditions, au temps et au lieu convenus ».
La législation fiscale empêche toutefois l'employeur de verser au travailleur l'intégralité de la rémunération brute due au travailleur. Plus précisément, les articles 270 et 30, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 le rendent redevable d'un « précompte professionnel » par le seul fait qu'il paye ou attribue une rémunération au travailleur.

Selon l'article 249 de ce code, l'impôt sur les revenus du travailleur est en effet « perçu par voie de précompte », désigné comme « précompte professionnel » dans la mesure où il se rapporte aux revenus professionnels.
Ce précompte professionnel s'impute sur l'impôt dû par le travailleur sur sa rémunération.
En vertu de l'article 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération s'entend du salaire auquel le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement.
Selon l'article 3bis de cette loi, le droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23, dont notamment les retenues effectuées en vertu de la législation fiscale.
Il ressort de la combinaison de ces dispositions que la créance de rémunération, contrepartie des prestations effectuées en exécution d'un contrat de travail, comprend les montants qui font l'objet d'une retenue par application de l'article 23 de la loi, dont le précompte professionnel, et que c'est la créance de rémunération brute qui est donc la contrepartie de la prestation de travail.
En l'espèce, il n'était pas contesté que le précompte professionnel litigieux était relatif à des prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire.
Les considérations de l'arrêt attaqué relatives à la question si le demandeur doit être considéré comme « un créancier auquel une certaine sécurité doit être conférée en vue de la continuité des prestations pendant la procédure de réorganisation judiciaire » et si sa créance de précompte professionnel « bénéficie du statut de dette de la masse » sont étrangères à la question si le juge peut valider une suppression ou une réduction de la créance de précompte professionnel [du demandeur] alors que l'article 49/1, alinéa 4, de la loi du 31 janvier 2009 prévoit que « le plan ne peut contenir de réduction ou d'abandon des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure ».

La réponse à cette question est assurément négative. Affirmer, comme le fait l'arrêt attaqué, qu'en édictant l'article 49 précité le législateur n'a eu en vue que la protection du travailleur est sans pertinence. En effet, si l'on réduit ou supprime la créance de précompte professionnel [du demandeur], on ampute du même coup la rémunération du travailleur, le précompte professionnel faisant partie intégrante, en vertu de l'article 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 12 avril 1965, de la rémunération due par l'employeur en raison de l'engagement du travailleur.
Autrement dit, la créance de précompte professionnel [du demandeur] ne peut être dissociée de la créance de rémunération du travailleur à l'égard de son employeur. Le précompte professionnel qui doit être versé [au demandeur] est le même et a la même nature que le précompte professionnel qui doit être prélevé sur la rémunération du travailleur et dont l'employeur est redevable à titre d'avance sur l'impôt que le travailleur devra payer sur ses revenus professionnels (cf. article 270 du Code des impôts sur les revenus 1992).
Il en résulte que, dans la mesure où le plan de réorganisation propose un abattement d'une partie de la créance de rémunération brute des travailleurs qui est la contrepartie de leurs prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure, ce plan méconnaît les articles 49/1, alinéa 4, de la loi du 31 janvier 2009, 2, alinéa 1er, 1°, 3bis, 23 de la loi du 12 avril 1965, 2 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, 30, 1°, 249 et 270 du Code des impôts sur les revenus 1992, de sorte que la cour d'appel devait, en application de l'article 55, § 3, de la loi du 31 janvier 2009, refuser de l'homologuer.

III. La décision de la Cour

En vertu de l'article 49, alinéa 1er, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, applicable au litige, le plan indique les délais de paiement et les abattements de créances sursitaires en capital et intérêts proposés, et, conformément à l'article 49/1, alinéa 1er, de cette loi, la proposition de paiement ne peut être inférieure à quinze pour cent du montant de la créance.

Suivant l'article 49/1, alinéa 2, première phrase, de la même loi, si le plan prévoit un traitement différencié des créanciers, il ne peut accorder aux créanciers publics munis d'un privilège général un traitement moins favorable que celui qu'il accorde aux créanciers sursitaires ordinaires les plus favorisés.
Selon l'article 49/1, alinéa 4, de la loi, le plan ne peut contenir de réduction ou d'abandon des créances nées de prestations de travail antérieures à l'ouverture de la procédure.
Il suit tant de l'articulation de l'article 49/1 précité que de la volonté du législateur que les dérogations apportées au principe que le plan peut contenir des réductions de créances sursitaires concernent des catégories de créanciers distinctes et exclusives l'une de l'autre, en sorte que, dès lors que la catégorie des créanciers publics munis d'un privilège général est visée à l'alinéa 2 de cette disposition, ceux-ci ne peuvent en outre se prévaloir du régime prévu pour la catégorie des travailleurs titulaires d'une créance née de prestations de travail visé à l'alinéa 4.
En vertu de l'article 2, 1°, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération s'entend du salaire auquel le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement et, conformément à l'article 3bis de cette loi, le droit au paiement de la rémunération porte sur la rémunération, avant imputation des retenues visées à l'article 23, dont les retenues effectuées en vertu de la législation fiscale.
Il s'ensuit que, si la créance née de prestations de travail comprend le précompte professionnel, il n'en résulte pas que cette créance de précompte professionnel ne puisse faire l'objet d'une réduction dès lors que son sort est déterminé par la qualité de son titulaire, dont le statut est fixé à l'article 49/1, alinéa 2.
Le moyen, qui est tout entier fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent trente-huit euros cinquante et un centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Eric Dirix, Koen Mestdagh et Geert Jocqué, les conseillers Michel Lemal, Bart Wylleman, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique et plénière du dix-sept septembre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence du procureur général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0547.F
Date de la décision : 17/09/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-17;c.16.0547.f ?

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