N° P.19.1308.F
1. A. S.,
prévenu,
2. JAND, société coopérative à responsabilité illimitée, dont le siège est établi à Mons, rue de la Clef, 12/B,
civilement responsable,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Olivier Haenecour, avocat au barreau de Mons.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 13 novembre 2019 par la cour d'appel de Mons, chambre pénale sociale.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12, 14 et 141 de la Constitution, 2 du Code pénal, et 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ainsi que du principe général du droit de la légalité des délits et des peines.
2. L'arrêt condamne le demandeur du chef de trois préventions relatives au fait d'avoir, le 20 mai 2016, occupé un travailleur étranger en violation des articles 4, § 1er, alinéa 1er, 4/1, 1° et 3°, de la loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation des travailleurs étrangers, et de l'article 175, § 1er, alinéa 1er, et § 1er/1, alinéa 1er, 1° et 3°, du Code pénal social.
3. Le moyen soutient que cette condamnation est illégale au motif que si les faits étaient punissables au moment où ils ont été commis, ils ne le sont pas demeurés sans discontinuer jusqu'au jour de l'arrêt.
Les demandeurs font valoir qu'en raison de l'abrogation de l'article 175 du Code pénal social par la loi du 9 mai 2018 insérant un article 175/1 dans le Code pénal social et de son remplacement par le décret wallon du 28 février 2019 relatif au contrôle des législations et réglementations relatives à la politique économique, à la politique de l'emploi et à la recherche scientifique (...), les faits ne sont pas restés punissables entre le 24 décembre 2018, date d'entrée en vigueur de la loi du 9 mai 2018, et le 1er juillet 2019, date d'entrée en vigueur du décret du 28 février 2019, soit durant une période ayant débuté après la date des faits visés aux préventions et ayant pris fin avant celle à laquelle l'arrêt a été prononcé.
4. En vertu de l'article 2, alinéa 2, du Code pénal, aucune peine ne peut être appliquée si le fait reproché a cessé d'être une infraction à un moment quelconque entre la date à laquelle il a été commis et celle du jugement.
5. Au moment de son entrée en vigueur, le 1er juillet 2011, l'article 175, § 1er, alinéa 1er, et § 1er/1, alinéa 1er, 1° et 3°, du Code pénal social incriminait les infractions en matière d'occupation de main-d'œuvre étrangère, notamment celles relatives aux faits reprochés au premier demandeur et visés par les articles 4, § 1er, alinéa 1er, 4/1, 1° et 3°, de la loi du 30 avril 1999 précitée.
6. En application des articles 5, alinéa 1er, 35 et 39 de la Constitution et 6, § 1er, IX, 3°, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, tel qu'il a été remplacé par l'article 22, 4°, de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l'Etat, entré en vigueur le 1er juillet 2014, les régions sont, depuis cette dernière date, compétentes pour réglementer l'occupation des travailleurs étrangers, sous réserve d'exceptions sans incidence en l'espèce.
7. L'article 3 de la loi du 9 mai 2018 insérant un article 175/1 dans le Code pénal social, entré en vigueur le 24 décembre 2018, dispose que, « dans le Code pénal social, l'article 175 est abrogé (...) ».
Selon les travaux préparatoires de cette loi, « l'abrogation de l'article 175 doit être lue à la lumière du transfert de compétences suite à la sixième réforme de l'État. (...) L'article 175 reste d'application pour les infractions relatives aux compétences régionales en matière d'occupation de travailleurs étrangers pour lesquels les régions sont compétentes sur la base de l'article 6, § 1er, IX, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Dans la mesure où l'article 175 couvre les compétences régionales, seules les régions peuvent le modifier, le compléter ou l'abroger » (Exposé des motifs, Ch. repr., doc 54, n° 2948/01, p. 5).
8. Il s'ensuit que, conformément à l'article 94, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, aussi longtemps que les régions n'ont pas modifié ou abrogé, chacune pour ce qui la concerne, les dispositions de la loi du 30 avril 1999, parmi lesquelles figurent les articles 4 et 4/1 et l'article 175 du Code pénal social, ceux-ci demeurent d'application.
9. L'article 150, § 2, du décret wallon du 28 février 2019, entré en vigueur le 1er juillet 2019, abroge l'article 175 du Code pénal social et l'article 113 du même décret insère, dans la loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation des travailleurs étrangers, un article 12, dont les paragraphes 1er, alinéa 1er, et 2, alinéa 1er, 1° et 3°, sanctionnent de la même manière les comportements visés par l'ancien article 175, § 1er, alinéa 1er, et § 1er/1, alinéa 1er, 1° et 3°, du Code pénal social.
10. En conséquence, l'article 175 du Code pénal social, tel qu'applicable au moment des faits reprochés au premier demandeur, est resté en vigueur sans discontinuité pour la Région wallonne jusqu'à son abrogation, le 1er juillet 2019, par l'article 150, § 2, du décret précité et, à partir de cette date, les infractions que cet article 175 sanctionnait sont devenues punissables en application dudit décret.
11. En considérant que les infractions imputées au premier demandeur sont restées punissables entre le 24 décembre 2018 et le 1er juillet 2019, conformément à l'article 175 du Code pénal social ancien et que les faits reprochés sont identiquement réprimés par l'article 12 de la loi du 30 avril 1999, tant au niveau de leur libellé que de leur sanction, les juges d'appel, qui n'ont ni pallié une absence d'incrimination ni statué sur un conflit relevant de la compétence de la Cour constitutionnelle, ont légalement justifié leur décision.
12. Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
13. Le moyen soutient que les juges d'appel ne pouvaient pas considérer que le procès-verbal reprenant les constatations faites le 20 mai 2016 valait jusqu'à preuve de contraire, alors qu'il avait été notifié au-delà du délai de quatorze jours prévu par l'article 66 du Code pénal social.
Il est en substance allégué que le calcul de ce délai dépend de la date de constatation effective des éléments constitutifs de l'infraction et non de celle de la rédaction du procès-verbal de constatation de celle-ci. Selon le demandeur, dès le 20 mai 2016, l'inspection sociale avait connaissance de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction et de l'identité de l'auteur, de sorte que l'adoption ultérieure d'une des mesures prévues par les articles 22 à 49 du même code n'est pas de nature à différer le point de départ du délai de quatorze jours.
14. Aux termes de l'article 66, alinéa 1er, dudit code, les procès-verbaux dressés par les inspecteurs sociaux font foi jusqu'à preuve du contraire pour autant qu'une copie en soit transmise à l'auteur présumé de l'infraction et, le cas échéant, à son employeur, dans un délai de quatorze jours prenant cours le lendemain du jour de la constatation de l'infraction.
Selon l'alinéa 2 de la même disposition, lorsque l'auteur présumé de l'infraction ou l'employeur ne peut pas être identifié le jour de la constatation de celle-ci, le délai de quatorze jours commence à courir le jour où l'auteur présumé de l'infraction a pu être identifié de façon certaine par les inspecteurs sociaux.
Aux termes de l'article 66, alinéa 4, dudit code, pour l'application du délai visé à l'alinéa 1er, l'avertissement, la fixation d'un délai pour se mettre en ordre ou l'adoption d'une des mesures visées aux articles 22 à 49, n'emportent pas la constatation de l'infraction.
15. Il résulte de ces dispositions que le délai de quatorze jours ne commence à courir qu'au moment où les enquêteurs sont en mesure de connaître avec certitude tous les éléments de l'infraction et qu'il ne subsiste plus de doute quant à l'identité de l'auteur.
16. Le fait de savoir si tous les éléments de l'infraction sont connus avec certitude et qu'aucun doute ne subsiste concernant l'identité de l'auteur, relève de l'appréciation souveraine du juge.
17. L'arrêt considère que
- l'inspection sociale du service public de Wallonie a procédé le 20 mai 2016 au contrôle du magasin d'alimentation exploité par la demanderesse, dont le demandeur est le gérant ;
- à cette date, les scellés ont été posés sur le fondement d'une appréciation de l'auditeur du travail et non du service d'inspection ;
- le demandeur a sollicité de postposer son audition afin de consulter son avocat ;
- cette audition a eu lieu le 14 juin 2016 ;
- le procès-verbal constatant l'infraction a été établi le 17 juin 2016.
18. Critiquant cette appréciation en fait des juges d'appel ou exigeant pour son examen une vérification d'éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d'office
19. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-un euros quarante centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf septembre deux mille vingt par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.