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19/08/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0840.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 août 2020, P.20.0840.F


N° P.20.0840.F
B. E.
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 juillet 2020 par le tribunal de l'application des peines de Liège.
Le 11 août 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
A l'audience du 19 août 2020, le président de section Christian Storck a fait rapport et le premier avocat général a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR


Sur le moyen pris, d'office, de la violation des articles 10, 11 et 159 de la Constitution et du ...

N° P.20.0840.F
B. E.
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Sandra Berbuto, avocat au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 juillet 2020 par le tribunal de l'application des peines de Liège.
Le 11 août 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
A l'audience du 19 août 2020, le président de section Christian Storck a fait rapport et le premier avocat général a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le moyen pris, d'office, de la violation des articles 10, 11 et 159 de la Constitution et du principe général du droit suivant lequel le juge ne peut appliquer une disposition qui viole une norme supérieure :

Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.

Cette disposition constitutionnelle constitue l'application aux actes de l'administration du principe général du droit suivant lequel le juge ne peut appliquer une disposition qui viole une norme supérieure.

Les juridictions contentieuses ont, en vertu de cette disposition et de ce principe général du droit, le pouvoir et le devoir de vérifier la conformité à la Constitution et à la loi de tout arrêté ou règlement sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception.

Pour dire que « la demande de surveillance électronique [...] est devenue irrecevable », le jugement attaqué, qui se réfère à « la fiche d'écrou du 10 juillet 2020 jointe au dossier de la procédure », constate que « la date d'admissibilité à la mesure a été recalculée à la suite de l'interruption de peine dont [le demandeur] a bénéficié dans le cadre de la crise sanitaire et est dès lors passée du 17 juillet au 24 septembre 2020 ».

Il exclut ainsi de l'exécution de la peine l'interruption que celle-ci a connue en vertu de l'article 6, § 1er, de l'arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l'exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du corona virus covid 19.

Cette disposition a été prise sur la base des articles 2 et 5, § 1er, 7°, de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du corona virus covid 19 (II) qui, en vue de permettre à la Belgique de réagir à l'épidémie ou la pandémie de ce corona virus et d'en gérer les conséquences, autorisent le Roi, par arrêté délibéré en conseil des ministres, à adapter les règles en matière de procédure et de modalités de l'exécution des peines.

En prévoyant que les arrêtés visés au paragraphe 1er peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en vigueur, même dans les matières qui sont expressément réservées à la loi par la Constitution, l'article 5, § 2, alinéa 1er, de cette loi ne dispense pas le Roi du respect dû à la Constitution.

L'article 6, § 1er, de l'arrêté royal n° 3 dispose que l'interruption de l'exécution de la peine « corona virus covid-19 » permet au condamné de quitter la prison pour la durée de la période visée à l'article 1er, alinéas 1er et 3, de cet arrêté et a pour objectif de réduire la concentration de la population carcérale, de limiter les risques sanitaires liés au départ et au retour en prison et de contribuer ainsi à combattre le risque de pic d'infection.

Conformément à l'article 7, alinéa 1er, de cet arrêté royal, l'interruption de l'exécution de la peine peut être octroyée, sous réserve des autres conditions prévues à cet article, soit à un condamné qui a déjà bénéficié d'un congé pénitentiaire qui s'est bien déroulé ou qui jouit déjà de congés pénitentiaires dans le cadre d'une détention limitée, soit à un condamné qui appartient au groupe à risque des personnes vulnérables au développement de symptômes graves du corona virus covid 19.

L'article 8 du même arrêté précise les conditions générales dont est assortie la décision d'octroi.

Aux termes de l'article 6, § 2, dudit arrêté, l'interruption de l'exécution de la peine suspend l'exécution de la peine pour la durée de la mesure.
Cette mesure présente des similitudes avec le congé pénitentiaire visé à l'article 6 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine, qui peut, comme elle, être soumis à des conditions restreignant la liberté du bénéficiaire ; ni la circonstance que l'interruption de l'exécution de la peine visée à l'article 6, § 1er, de l'arrêté royal n° 3 serait une mesure collective alors que le congé pénitentiaire est une mesure individuelle ni sa durée ne sont de nature à affecter ces similitudes, dès lors que sa mise en œuvre requiert d'apprécier si chacun des condamnés à qui elle sera octroyée répond aux conditions de l'article 7 dudit arrêté.

Elle se distingue en revanche avec netteté de l'interruption de l'exécution de la peine qui, en vertu de l'article 15, § 2, de la loi du 17 mai 2006, peut, à la demande du condamné, lui être accordée pour des motifs graves et exceptionnels à caractère familial et qui n'est assortie d'aucune condition.

Elle n'en est pas moins soumise, quant à l'imputation de sa durée sur l'exécution de la peine, au même régime que l'interruption de la peine visée à cet article 15, § 2, alors que, s'agissant du congé pénitentiaire, l'article 6, § 3, de la même loi dispose que l'exécution de la peine privative de liberté se poursuit pendant la durée de celui-ci.

La règle de l'égalité des Belges devant la loi, contenue dans l'article 10 de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés qui leur sont reconnus, contenue dans l'article 11 de la Constitution, impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ; le principe de l'égalité est également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Les nécessités de la lutte contre la propagation de la covid 19 ne sauraient justifier que les condamnés à qui est octroyée l'interruption de l'exécution de la peine prévue à l'article 6, § 1er, de l'arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, dont ils doivent respecter les conditions, soient privés de l'imputation de la durée de cette interruption sur l'exécution de leur peine.

En appliquant l'article 6, § 2, de l'arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 pour fonder sa décision, le jugement attaqué viole les dispositions constitutionnelles et méconnaît le principe général du droit précités.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve les frais pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause devant le tribunal de l'application des peines de Liège autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient le président de section, président, Christian Storck, le président de section Eric Dirix, les conseillers Filip Van Volsem, Michel Lemal et Steven Van Overbeke, et prononcé en audience publique du dix-neuf août deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.20.0840.F
Date de la décision : 19/08/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-08-19;p.20.0840.f ?

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