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27/05/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0146.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 mai 2020, P.20.0146.F


N° P.20.0146.F
I. à IX. N. F.,
accusé, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thomas De Nys et Wiet Goris, avocats au barreau de Bruxelles, Louis De Groote, avocat au barreau de Gand, et Jean Flamme, avocat au barreau de Gand, dont le cabinet est établi à Gand, Franklin Rooseveltlaan, 112, où il est fait élection de domicile.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, contre les arrêts interlocutoires

rendus les 9 octobre, 8 novembre, 12 novembre, 2 décembre et 5 décembre 2019 par la ...

N° P.20.0146.F
I. à IX. N. F.,
accusé, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thomas De Nys et Wiet Goris, avocats au barreau de Bruxelles, Louis De Groote, avocat au barreau de Gand, et Jean Flamme, avocat au barreau de Gand, dont le cabinet est établi à Gand, Franklin Rooseveltlaan, 112, où il est fait élection de domicile.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, contre les arrêts interlocutoires rendus les 9 octobre, 8 novembre, 12 novembre, 2 décembre et 5 décembre 2019 par la cour d'assises de l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, ainsi que contre les arrêts de motivation et de condamnation rendus les 19 et 20 décembre 2019 par ladite cour d'assises.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
À l'audience du 29 avril 2020, le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport et l'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
Le demandeur a déposé, le 22 mai 2020, une note en réponse par application de l'article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de renvoi à la cour d'assises, formé au greffe de la cour d'appel de Bruxelles :

Par déclaration de Maître Jean Flamme, avocat au barreau de Gand, reçue le 2 janvier 2020 au greffe de ladite cour, le demandeur se désiste de son pourvoi.

B. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de renvoi à la cour d'assises, formé au greffe du tribunal de première instance :

Une partie ne peut, en règle, se pourvoir une nouvelle fois contre la même décision, même s'il n'a pas encore été statué sur le premier pourvoi au moment de la déclaration du second.

Le demandeur s'est pourvu le 20 décembre 2018 contre l'arrêt de renvoi à la cour d'assises, rendu le 6 décembre 2018.

Le pourvoi est irrecevable.

C. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt interlocutoire rendu le 9 octobre 2019 :

Sur le premier moyen :

Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 10, 11 et 13 de la Constitution.

Selon le demandeur, l'article 278bis du Code d'instruction criminelle, appliqué par l'arrêt attaqué, viole les dispositions susdites en attribuant au président de la cour, et non plus à la cour elle-même, le jugement des moyens visés à l'article 235bis du même code, que les parties peuvent soumettre au juge du fond.

Critiquant la loi et non l'arrêt, le moyen est irrecevable.

Subsidiairement, il y aurait lieu, d'après le demandeur, de poser à la Cour constitutionnelle une première question relative à la discrimination qui pourrait résulter du fait qu'en application de l'article 278bis précité, les moyens de l'accusé relatifs à des irrégularités, omissions ou nullités, ainsi qu'à des causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, sont tranchés par le président de la cour d'assises, sans l'assistance de ses assesseurs, alors que devant les juridictions de droit commun, elles le sont par le tribunal.

L'inégalité alléguée par le demandeur concerne une distinction qui n'est pas faite entre des accusés se trouvant dans la même situation et auxquels s'appliqueraient des règles différentes, mais qui est faite entre des justiciables se trouvant dans des situations juridiques différentes sans distinction pour chacune des personnes relevant des catégories concernées.

Le moyen sollicite qu'une seconde question soit posée en raison de la discrimination qui résulterait, selon lui, de la circonstance que si le demandeur avait été jugé avant le 3 juin 2019, soit sous l'empire de l'ancien article 291 du Code d'instruction criminelle, il aurait pu bénéficier d'un contrôle collégial de la régularité de la procédure, dont d'autres accusés ont alors bénéficié, tandis que lui-même en est privé par le nouvel article 278bis de ce code.

La discrimination invoquée résulte non pas de la loi, mais de l'application dans le temps des effets de sa modification ou de son abrogation.

Le demandeur soutient qu'en l'absence de mesure transitoire, il a été trompé dans sa confiance légitime envers les garanties procédurales existant à l'époque du règlement de la procédure.

Cette critique ne trouve pas son siège dans les dispositions légales visées par la question préjudicielle mais dans la règle consacrée par l'article 3 du Code judiciaire et relative à l'application immédiate des lois de procédure aux procès en cours.

N'étant pas préjudicielles au sens de l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les questions ne doivent pas être posées à celle-ci.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

D. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt interlocutoire rendu le 8 novembre 2019 :

Sur le troisième moyen :

Quant aux deux branches réunies :

Le moyen invoque la violation des articles 6.1 et 6.3, d, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution et 281, § 2, du Code d'instruction criminelle. Il reproche d'abord à la cour d'avoir rejeté la demande d'interroger des témoins de la défense et de faire projeter deux documentaires filmés, diffusés après la décision du président de ne pas autoriser l'audition de certains de ces témoins et rendue en application de l'article 278 du Code d'instruction criminelle. Selon le demandeur, les conclusions des auteurs de ces reportages seraient opposées à celles des témoins de l'accusation. Ensuite, il fait grief à l'arrêt de ne pas contenir les motifs permettant de comprendre pourquoi il dit irrecevables les demandes d'audition de témoins contextuels et factuels formulées par la défense du demandeur, alors que, depuis l'arrêt du 9 octobre 2019 rendu par le président conformément à l'article 278, § 2, du Code d'instruction criminelle, des éléments nouveaux sont apparus, qui justifiaient l'accomplissement des actes sollicités.

L'article 281, § 2, du Code d'instruction criminelle prévoit que le président prend, même d'office, toute mesure utile pour recueillir toutes les preuves à charge et à décharge. Il mène les débats d'une manière objective et impartiale. Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel il peut prendre sur lui tout ce qu'il croit utile pour découvrir la vérité ; la loi le charge d'employer en honneur et conscience tous ses efforts pour en favoriser la manifestation. Le président peut dans le cours des débats, appeler et entendre toutes personnes, ou se faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraîtraient, d'après les nouveaux développements donnés à l'audience, soit par les accusés, soit par les témoins, pouvoir donner un éclairage utile sur le fait contesté. Les témoins ainsi appelés seront entendus dans les formes prévues aux articles 295 à 299. Le président doit rejeter tout ce qui tendrait à prolonger les débats sans donner lieu d'espérer plus de certitude dans les résultats.

Après que le président a rejeté une demande d'interrogatoire formulée conformément à l'article 278 du Code d'instruction criminelle, la cour ne saurait, lors des débats, statuer à nouveau sur la même demande, la décision rendue en application de la disposition précitée n'étant pas susceptible de recours et seul le président, dans les conditions prévues à l'article 281 de ce code, étant investi du pouvoir d'ordonner les devoirs et auditions qui lui semblent utiles à la manifestation de la vérité.

Dans la mesure où il procède d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.

Quant aux autres devoirs dont l'exécution avait été sollicitée par le demandeur, la cour a estimé qu'ils se rattachaient aux auditions que le président, aux termes de l'arrêt du 9 octobre 2019, avait refusé d'autoriser. Elle a partant, d'une part, décidé que cette nouvelle demande était irrecevable, et d'autre part, relevé que la décision d'ordonner tout ce qui paraît utile à la manifestation de la vérité appartient au président, de manière discrétionnaire, de sorte qu'elle-même n'était pas compétente pour en connaître.

Ni les articles 6.1 et 6.3, d, de la Convention ni aucune autre disposition n'exigent que la décision du président, prise conformément à l'article 278 du Code d'instruction criminelle, puisse être réexaminée par une autre formation de jugement ou que l'accusé soit autorisé à introduire, lors des débats devant la cour d'assises, une demande en vue de l'exécution d'actes d'instruction qui se rattachent à ceux qui ont déjà été refusés par le président.

Ainsi, l'arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision de ne pas examiner à nouveau la requête du demandeur.

À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

E. Sur les pourvois dirigés contre les arrêts interlocutoires rendus les 12 novembre, 2 décembre et 5 décembre 2019 :

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.

F. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de motivation rendu le 19 décembre 2019 :

Sur le deuxième moyen :

Quant à la première branche :

Le demandeur reproche à la cour d'assises de l'avoir reconnu coupable du crime de génocide sans avoir égard à l'élément contextuel de l'infraction, étant, selon lui, une forme particulière de préméditation en vue de l'élimination d'une population. Il en conclut que ce fait ne peut être commis par un individu isolé mais relève d'une politique dont l'auteur doit avoir connaissance, pour ensuite participer sciemment à sa mise en œuvre. Selon le moyen, cet élément moral est également requis pour que puissent être déclarés établis le crime contre l'humanité et le crime de guerre.

En tant qu'il soutient que le demandeur n'aurait pu participer à l'exécution d'une attaque généralisée et systématique contre une population civile, faute d'avoir connaissance de l'existence de cette agression et de la circonstance même qu'un conflit armé avait éclaté, parce qu'il était confiné dans sa maison et que l'avion transportant le président du Rwanda venait à peine d'être abattu, le moyen critique l'appréciation en fait des juges d'appel et requiert la vérification d'éléments de fait, qui n'est pas au pouvoir de la Cour.

Dans cette mesure, il est irrecevable.

En tant qu'il soutient que la chambre des mises en accusation n'a pas pu juger suffisantes les charges retenues contre le demandeur, le moyen, étranger à l'arrêt attaqué, est également irrecevable.

Les éléments constitutifs du crime de génocide sont définis par l'article 136bis du Code pénal, disposition qui ne restreint pas et donc ne méconnaît pas la portée de l'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Conformément à l'article 136bis susdit, le crime de génocide s'entend de l'un des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel :
1° meurtre de membres du groupe ;
2° atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
3° soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
4° mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
5° transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

L'élément moral particulier requis dans le chef de l'auteur du génocide consiste donc dans l'intention, par la perpétration des actes énumérés et au-delà de l'élément moral qui leur est propre, de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel.

Au terme d'une appréciation qui gît en fait, la cour d'assises a notamment considéré que le demandeur, qui était une personnalité connue et influente dans la région de Mataba, avait veillé au paiement, à l'armement et à l'entraînement de miliciens responsables des meurtres. Elle a ensuite estimé que le demandeur avait pris part à une réunion avec des personnalités politiques, lors de laquelle des propos ont été tenus, qui incitaient les membres de la population à se surveiller mutuellement, à tuer les Tutsis et leurs protecteurs et à détruire leurs maisons, pour effacer les traces des crimes. Elle a encore précisé que c'est à partir de l'arrivée du demandeur à Mataba et de cette réunion, que les massacres et leur organisation se sont intensifiés dans la région, avant de conclure qu'il résulte des éléments énumérés par l'arrêt que le demandeur a entretenu une milice à Mataba et qu'il a cautionné le message des autorités, permettant ainsi aux massacres d'être perpétrés par sa milice envers les Tutsis et les personnes qui leur étaient assimilées. Par ailleurs, la cour d'assises a considéré que c'est le demandeur qui avait communiqué à des militaires les informations leur ayant permis d'arrêter et d'exécuter plusieurs personnes à Kigali, participant ainsi lui-même à ces crimes de guerre. Enfin, l'arrêt considère que ces derniers relèvent également de la participation au génocide, dès lors que, sur la base des témoignages que cette décision énumère, il estime établi que le demandeur a accompli personnellement plusieurs actes tendant à la recherche, à l'identification et à l'exécution de membres de la communauté tutsie, tâche dont les juges d'appel ont relevé que les autres acteurs étaient tenus de rendre compte au demandeur.

Ainsi, l'arrêt énonce les éléments qui ont convaincu la cour d'assises que le demandeur avait participé à l'organisation et à l'exécution de meurtres en vue de détruire, en tout ou en partie, la population des Tutsis de la région de Mataba et de Kigali, ainsi que ceux qui auraient entendu la protéger.

Partant, l'arrêt décide légalement que le demandeur, animé de l'élément moral particulier requis, a commis le crime de génocide.

À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

Le moyen reproche à l'arrêt de ne pas statuer sur la requête du demandeur tendant à soumettre au jury une question additionnelle en rapport avec les éléments constitutifs des crimes mis à sa charge, tels que ces éléments sont libellés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Mais il ressort des pièces de la procédure que le demandeur a été poursuivi du chef des crimes visés aux articles 136bis, 136quater, § 1er, 136septies, 392, 393 et 394 du Code pénal, et qu'il en a été jugé coupable sur la base de la réponse affirmative donnée par le collège du jury et de la cour aux questions libellées en rapport avec les qualifications criminelles susdites.

Le moyen n'indique pas en quoi la question additionnelle qu'il évoque aurait pu modifier la délibération relative à l'accusation dont le demandeur avait à se défendre.

Telle qu'il la dénonce, l'omission dont le demandeur accuse l'arrêt n'est pas de nature à lui infliger grief.

Imprécis et dénué d'intérêt, le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

G. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de condamnation rendu le 20 décembre 2019 :

Sur le surplus du premier moyen :

Le demandeur soutient qu'en rejetant l'exception déduite du dépassement du délai raisonnable, l'arrêt interlocutoire rendu le 9 octobre 2019 par le président a privé la cour du droit de retenir ce dépassement à titre de circonstance atténuante, compte tenu de l'autorité de chose jugée dudit arrêt.

D'une part, une décision avant dire droit n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée.

D'autre part, l'arrêt du 9 octobre 2019 se borne à dire que les poursuites ne doivent pas être déclarées irrecevables en raison d'un dépassement du délai raisonnable. Il ne se prononce pas sur l'incidence éventuelle d'un tel dépassement quant à la peine et laisse donc cette question à la libre appréciation de la juridiction appelée à statuer sur le fond.

Le moyen ne peut être accueilli.

Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constants par le jury.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Décrète le désistement du pourvoi formé par déclaration au greffe de la cour d'appel de Bruxelles et dirigé contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles du 6 décembre 2018 portant renvoi du demandeur devant la cour d'assises ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de sept cent soixante-cinq euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.20.0146.F
Date de la décision : 27/05/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-05-27;p.20.0146.f ?

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