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18/05/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0347.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 mai 2020, C.19.0347.F


N° C.19.0347.F
1. G. Q.,
2. M. V. D.,
3. C. L.,
4. C. L.,
5. N. A.,
6. B. H.,
7. M. C.,
8. P. R.,
9. N. J.,
10. M.-J. R.,
11. B. C. S.,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

VILLE DE BRUXELLES, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, en l'hôtel de ville, Grand'Place, 1,
défender

esse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi ...

N° C.19.0347.F
1. G. Q.,
2. M. V. D.,
3. C. L.,
4. C. L.,
5. N. A.,
6. B. H.,
7. M. C.,
8. P. R.,
9. N. J.,
10. M.-J. R.,
11. B. C. S.,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

VILLE DE BRUXELLES, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, en l'hôtel de ville, Grand'Place, 1,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 18 janvier 2019 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 28 avril 2020, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 30 avril 2020, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Disposition légale violée

Article 159 de la Constitution

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué déclare non fondée la demande des demanderesses tendant au dédommagement de l'absence de paiement de l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires depuis leur entrée en fonction respective jusqu'au 31 août 2011 et les condamne aux dépens d'appel, par les motifs suivants :
« 13. L'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires a fait l'objet de décisions administratives et de décisions de juridictions de l'ordre judiciaire ;
14. Les décisions de la ville de Bruxelles relatives à cette indemnité, pertinentes pour la solution du litige, sont les suivantes :
- octroi de l'indemnité aux chefs d'école primaire par délibération du 19 décembre 1960 ;
- suppression de l'indemnité pour les chefs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 par décision du collège échevinal du 4 juillet 1991 en exécution de la délibération du conseil communal du 29 avril 1991 d'aligner, en ce qui concerne les chefs d'école primaire, les règles du statut pécuniaire communal sur celles des communautés, pour des motifs ayant trait au redressement des finances communales ;
- octroi ‘d'une indemnité pour la direction et la surveillance des fonctions accessoires' aux chefs des établissements d'enseignement maternel, primaire et fondamental ordinaire et spécialisé, à partir du 1er septembre 2011, par décision du 30 mai 2011 ;
- ajout le 16 janvier 2012 à l'article 6 du règlement du 30 mai 2011 d'une disposition qui prévoit que ce ‘règlement entre en vigueur au 1er septembre 2011 et abroge toutes les délibérations antérieures portant sur l'indemnité pour la direction, la surveillance et le contrôle des activités accessoires des chefs d'école primaire contenues notamment dans la délibération du 19 décembre 1960 et ses modifications' ;
15. Les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire relatives à l'indemnité litigieuse, prononcées à la demande de dix-huit directeurs d'école primaire entrés en fonction entre le 1er septembre 1991 et le 1er septembre 2001, utiles pour la solution du litige, sont les suivantes :
- arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 17 juin 2010 qui
. décide que la décision de la ville de Bruxelles de supprimer, pour ce qui concerne les dix-huit plaignants, les indemnités litigieuses est illégale faute de reposer sur des motifs exacts [...] ;
. confirme la décision du premier juge qui dit (i) illégale la délibération du collège échevinal du 4 juillet 1991 et refuse de l'appliquer conformément à l'article 159 de la Constitution, et (ii) que les directeurs d'école primaire tirent [...] des délibérations du conseil communal des 19 octobre 1964 et 6 mai 1968 [...] le droit subjectif de recevoir une indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires qu'ils ont assumées ;
. confirme le jugement entrepris en ce que le premier juge ‘a accueilli la demande originaire dans son principe quant au droit à des arriérés d'indemnités' ;
. avant dire droit pour le surplus, ordonne la réouverture des débats sur plusieurs questions, dont la prescription et la détermination du montant des arriérés revenant à chaque intimé ;
- arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 16 février 2011 qui
. dit la demande des directeurs d'école primaire entrés en fonction avant le 2 mai 1997 non prescrite dès lors qu'elle est fondée sur une infraction continuée qui s'est répétée tous les mois (violation de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs) ;
. condamne la ville de Bruxelles à payer aux dix-huit plaignants les arriérés de rétributions pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires assumées depuis leur entrée en fonction respective, à majorer des intérêts et des dépens ;
16. Les [demanderesses] ne peuvent être suivies lorsqu'elles affirment que la ville de Bruxelles a octroyé du 1er septembre 1992 au 1er septembre 2011 (date de l'entrée en vigueur du règlement du 30 mai 2011) aux directeurs d'école primaire une indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires ou que les directeurs d'école primaire pouvaient prétendre à cette indemnité durant cette période ;
17. En effet, la cour [d'appel] rappelle que, ‘aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois' et que, ‘cependant, une décision judiciaire qui déclare un arrêté illégal par application de cet article n'a pas de portée générale mais s'applique seulement au litige dans le cadre duquel le contrôle de légalité est exercé et entre les parties concernées, que cette décision ne fait donc pas disparaître l'arrêté de l'ordre juridique et qu'on ne saurait anticiper sur des décisions judiciaires ultérieures concernant la légalité des arrêtés énumérés dans la disposition litigieuse' [...] ;
La ville de Bruxelles a décidé le 19 avril 1991 de supprimer l'indemnité en question avec effet au 1er septembre 1991 pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 et cette décision a été mise en œuvre par le collège échevinal par décision du 4 juillet 1991 ;
Par ailleurs, la ville de Bruxelles n'a pas pris une nouvelle décision d'octroi de l'indemnité aux directeurs d'école primaire pour la période du 1er septembre 1991 au 1er septembre 2011 ;
Par conséquent, la décision de supprimer l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 1er septembre 1991 a subsisté dans l'ordre juridique jusqu'à l'abrogation par le règlement du 30 mai 2011 de toutes ‘les délibérations antérieures portant sur l'indemnité pour la direction, la surveillance et le contrôle des activités accessoires des chefs d'école primaire' [...] ;
18. II n'est pas permis, eu égard à l'effet relatif du contrôle de légalité incident de la décision de la ville de Bruxelles de supprimer l'indemnité en question et à l'autorité de chose jugée relative des arrêts de la cour d'appel du 17 juin 2010 et du 16 février 2011, de considérer, comme le font les [demanderesses], que ‘ladite rétribution n'a jamais été supprimée' ou, en d'autres termes, que la décision de supprimer l'indemnité n'existait pas au moment de l'entrée en fonction des [demanderesses] [...] ;
Autrement dit, la déclaration d'illégalité incidente et le refus d'application en vertu de l'article 159 de la Constitution de la décision de suppression de l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires par la cour [d'appel] dans les arrêts du 17 juin 2010 et du 16 février 2011 sont limités au cas d'espèce tranché par ces arrêts et n'affectent que les parties en cause dans cette espèce ;
19. Dès lors que (i) la ville de Bruxelles a décidé de supprimer en 1991, c'est-à-dire avant l'entrée en fonction des [demanderesses], l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 et que (ii) cette décision de suppression de l'indemnité n'avait pas disparu de l'ordre juridique au cours de la période considérée (du 1er septembre 1991 au 1er septembre 2011), la ville de Bruxelles n'a pu commettre la faute alléguée, à savoir ‘s'être abstenue d'octroyer aux [demanderesses] des avantages comparables à ceux qui étaient octroyés aux directeurs d'école primaire durant la période du 1er septembre 1992 au 30 mai 2011 ou auxquels ils pouvaient prétendre durant cette période' ».

Griefs

1. Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.
Cette disposition touche à l'ordre public. Toute juridiction contentieuse a donc le pouvoir mais aussi le devoir de contrôler la légalité interne et externe de tout acte administratif sur lequel se fonde une action, une défense ou une exception.
2. Les demanderesses fondaient leur demande sur l'article 1382 du Code civil. La faute reprochée à la défenderesse était l'abstention d'octroyer aux demanderesses des avantages comparables à ceux qui étaient octroyés aux directeurs d'école primaire durant la période du 1er septembre 1992 au 30 mai 2011 ou auxquels ils pouvaient prétendre durant cette période. Les demanderesses invoquaient l'illégalité de la décision de la défenderesse de supprimer l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 1er septembre 1991, telle qu'elle avait été constatée par la cour d'appel de Bruxelles dans les arrêts du 17 juin 2010 et du 16 février 2011.
L'arrêt attaqué considère que « la déclaration d'illégalité incidente et le refus d'application en vertu de l'article 159 de la Constitution de la décision de suppression de l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires par la cour [d'appel] dans les arrêts du 17 juin 2010 et du 16 février 2011 sont limités au cas d'espèce tranché par ces arrêts et n'affectent que les parties en cause dans cette espèce ».
Il en déduit que la faute alléguée n'est pas établie, dès lors que la ville de Bruxelles a décidé de supprimer en 1991, c'est-à-dire avant l'entrée en fonction des demanderesses, l'indemnité pour les tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 et que cette décision de suppression de l'indemnité n'avait pas disparu de l'ordre juridique au cours de la période considérée.
Dans la mesure où il se borne à considérer que la déclaration d'illégalité de la décision de suppression de l'indemnité litigieuse par la cour d'appel dans les arrêts du 17 juin 2010 et du 16 février 2011 ne s'impose pas au-delà de l'affaire jugée, sans contrôler lui-même la légalité interne et externe de cette décision, l'arrêt attaqué viole l'article 159 de la Constitution.

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il n'invoque la violation ni des articles 1382 et 1383 du Code civil ni des articles 10 et 11 de la Constitution :

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué de se fonder, pour apprécier la faute que les demanderesses reprochent à la défenderesse et consistant à ne pas leur avoir accordé, alors qu'elles étaient directrices d'école maternelle, un avantage auxquels pouvaient prétendre les directeurs d'école primaire, sur un acte administratif retirant cet avantage à ces derniers sans contrôler la légalité de cet acte.
La violation de l'article 159 de la Constitution suffirait, si le moyen était fondé, à entraîner la cassation.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.
Les juridictions contentieuses ont, en vertu de cette disposition, le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception.
L'arrêt attaqué constate, d'une part, que les demanderesses, qui « sont des chefs d'école maternelle entrés en fonction entre le 1er septembre 1992 et le 1er octobre 2008, [...] se plaignent que, contrairement aux chefs d'école primaire, elles n'ont pas été rétribuées par la [défenderesse], depuis leur entrée en fonction jusqu'au 31 août 2011, pour [leurs] tâches de direction, de surveillance et de contrôle des activités accessoires », d'autre part, que la défenderesse « a décidé [...] de supprimer l'indemnité [rétribuant ces tâches] avec effet au 1er septembre 1991 pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 » et « n'a pas pris une nouvelle décision d'octroi de l'indemnité aux directeurs d'école primaire pour la période du 1er septembre 1991 au [31 août] 2011 ».
S'il relève que la cour d'appel de Bruxelles a, par arrêt du 17 juin 2010, décidé que la décision de supprimer l'indemnité litigieuse pour les directeurs d'école primaire concernés était illégale et, par arrêt du 16 février 2011, condamné la défenderesse à payer à ceux-ci les arriérés dus à ce titre, l'arrêt attaqué considère que, « eu égard à l'effet relatif du contrôle de légalité incident de la décision [...] de supprimer [cette] indemnité [...] et à l'autorité de la chose jugée relative des[dits] arrêts », « il n'est pas permis » d'en déduire « que ‘ladite rétribution n'a jamais été supprimée' ou, en d'autres termes, que la décision de supprimer l'indemnité n'existait pas au moment de l'entrée en fonction des [demanderesses] ».
En considérant que, « dès lors que la [défenderesse] a décidé de supprimer [...] avant l'entrée en fonction des [demanderesses] l'indemnité [litigieuse] pour les directeurs d'école primaire entrés en fonction après le 31 août 1991 » et que « cette décision de suppression n'avait pas disparu de l'ordre juridique au cours de la période considérée [...], la [défenderesse] n'a pu commettre la faute alléguée », l'arrêt attaqué, qui, pour écarter cette faute, donne effet audit acte administratif sans en contrôler la légalité, viole l'article 159 de la Constitution.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du dix-huit mai deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.19.0347.F
Date de la décision : 18/05/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-05-18;c.19.0347.f ?

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