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04/05/2020 | BELGIQUE | N°S.18.0036.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mai 2020, S.18.0036.F


N° S.18.0036.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

1. D. D. et
2. M. H., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur,
3. K. D.,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi e

n cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 février 2018 par la cour du travail de Liège.
Le ...

N° S.18.0036.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

1. D. D. et
2. M. H., agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur,
3. K. D.,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 février 2018 par la cour du travail de Liège.
Le 16 avril 2020, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

uant aux deux branches réunies :

L'aide sociale qui, comme l'affirme l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale, a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, est, en vertu du second alinéa du même article, assurée par les centres publics d'action sociale dans les conditions que cette loi détermine.
En vertu de l'article 57, § 2, alinéa 1er, par dérogation aux autres dispositions de cette loi, la mission du centre public d'action sociale se limite à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume 1° à l'octroi de l'aide médicale urgente ou 2°, si l'étranger a moins de dix-huit ans et séjourne, avec ses parents, illégalement dans le royaume, à constater l'état de besoin suite au fait que les parents n'assument pas ou ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien. L'alinéa 2 dispose que, dans le cas visé sous 2°, l'aide sociale est limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil.
Faisant usage de son pouvoir de déterminer les conditions d'exercice du droit à l'aide sociale, le législateur a, pour ne pas desservir la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, entendu par ces dispositions décourager les étrangers qui y sont visés de prolonger leur séjour en Belgique.
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans l'arrêt Abdida (C-562/13) du 18 décembre 2014, que les articles 5 et 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier, lus à la lumière des articles 19, § 2, et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que l'article 14, § 1er, b), de cette directive, s'opposent à une législation nationale qui ne confère pas un effet suspensif à un recours exercé contre une décision ordonnant à un ressortissant de pays tiers atteint d'une grave maladie de quitter le territoire d'un État membre, lorsque l'exécution de cette décision est susceptible d'exposer ce ressortissant de pays tiers à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé. Elle a jugé en effet que l'effectivité du recours exercé contre une telle décision exige, dans ces conditions, que le ressortissant de pays tiers dispose d'un recours avec effet suspensif, afin de garantir que la décision de retour ne soit pas exécutée avant qu'un grief relatif à une violation de l'article 5 de la directive 2008/115/CE, lu à la lumière de l'article 19, § 2, de la Charte, n'ait pu être examiné par une autorité compétente.
Il ressort manifestement de cette interprétation des articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive que, afin de garantir que le grief de violation de l'article 5 soit examiné avant l'exécution de la décision de retour, la législation nationale doit conférer un caractère suspensif au recours du ressortissant de pays tiers atteint d'une grave maladie dès que l'exécution de la décision lui ordonnant de quitter le territoire est susceptible de l'exposer au risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé et que ce caractère suspensif ne dépend pas de la démonstration que l'exécution de la décision exposerait effectivement l'étranger à ce risque.
Il s'ensuit que l'article 57, § 2, alinéas 1er, 1° et 2°, et 2, de la loi du 8 juillet 1976, interprété conformément aux articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE, ne s'applique pas au ressortissant d'un pays tiers à l'Union européenne atteint d'une grave maladie qui exerce un recours contre une décision lui ordonnant de quitter le territoire, lorsque l'exécution de cette décision est susceptible de l'exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé.
L'arrêt constate que les défendeurs, soit des parents et leurs enfants alors mineurs, ont introduit un recours « en annulation et suspension » au Conseil du contentieux des étrangers contre une décision de l'Office des étrangers déclarant non fondée leur demande de « régularisation de séjour pour motif médical », assortie d'un ordre fait à chacun d'eux de quitter le territoire. Après avoir exposé l'interprétation des articles 5, 13 et 14, § 1er, b), de la directive 2008/115/CE donnée par l'arrêt Abdida précité, il considère que, « pour que soit reconnu un effet suspensif au recours dont [ils ont] saisi le Conseil du contentieux des étrangers, il ne doit pas être exigé [d'eux qu'ils fassent], dès l'introduction dudit recours, la preuve définitive de la gravité de la maladie dont [le premier défendeur] est atteint et du risque de détérioration grave et irréversible que comporterait l'arrêt des traitements en cas d'éloignement vers son pays d'origine [...], mais il suffit qu'un grief défendable soit invoqué dans ce recours », que « la notion de ‘grief défendable' ne saurait dépendre d'une appréciation a priori du caractère manifestement fondé du recours », qu'il appartiendra « au [...] Conseil du contentieux des étrangers d'apprécier in fine si le risque invoqué [...] justifie l'annulation [des décisions entreprises] » mais qu' « il peut dès à présent être constaté » que le recours des défendeurs présente un grief défendable à ce sujet dès lors qu' « il y est [...] fait état de la contestation d'ordre médical opposant [le premier défendeur] au médecin fonctionnaire de l'Office des étrangers au sujet [...] de la gravité de la pathologie psychiatrique qui l'affecte, évaluée par ledit médecin fonctionnaire comme ne comportant aucun risque vital alors que les certificats et rapports médicaux soumis à l'appréciation du Conseil du contentieux des étrangers parlent d'un sévère état anxio-dépressif majeur chronique et d'un sévère état de stress post-traumatique chronique » renforcé par des « troubles médicaux lourds » et énoncent que « le manque d'infrastructures prenant en charge les personnes présentant des troubles psychiatriques et physiques en Arménie pourrait aggraver le pronostic vital ».
Par ces énonciations, qui ne dispensent pas les défendeurs de la charge de la preuve, l'arrêt a pu considérer que l'exécution des ordres de quitter le territoire assortissant le rejet de la demande de régularisation de séjour était susceptible d'exposer le premier défendeur atteint d'une grave maladie au risque sérieux d'une détérioration grave et irréversible de son état de santé.
Il décide ainsi légalement que le recours est suspensif, partant, que la limitation prévue par l'article 57, § 2, alinéas 1er, 1° et 2°, et 2, de la loi du 8 juillet 1976 ne s'applique pas à l'aide sociale litigieuse.
Par cette décision et la considération qu'il en déduit que les défendeurs sont « éligibles à l'octroi de l'aide sociale » conformément à l'article 57, § 1er, de la loi, l'arrêt répond aux conclusions du demandeur qui soutenaient que les défendeurs n'avaient droit qu'à un hébergement dans un centre fédéral d'accueil conformément à l'article 57, § 2, alinéa 2.
Le moyen, en aucun des rameaux de ces branches, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent nonante-six euros vingt-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du quatre mai deux mille vingt par le président de section Mireille Delange, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.18.0036.F
Date de la décision : 04/05/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-05-04;s.18.0036.f ?

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