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25/03/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0229.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 mars 2020, P.20.0229.F


N° P.20.0229.F
D. N'F.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 11 février 2020 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.>Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire reçu au greffe le 18 février 2020.
A l'audience du 1...

N° P.20.0229.F
D. N'F.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 11 février 2020 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire reçu au greffe le 18 février 2020.
A l'audience du 11 mars 2020, le président de section Benoît Dejemeppe a fait rapport, l'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu et le demandeur a déposé une note en réponse.
La Cour n'a pas égard à la pièce déposée par l'Office des étrangers en cours de délibéré.

II. LES FAITS

Le 26 mai 2015, le demandeur a introduit une demande de protection internationale qui a fait l'objet d'une décision de refus par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides le 1er mars 2017.

Le demandeur s'est vu notifier l'ordre de quitter le territoire le 15 mars 2017.

Le 12 janvier 2020, le demandeur s'est vu notifier un nouvel ordre de quitter le territoire, accompagné d'une décision de maintien en vue de garantir l'exécution de cette mesure.

Le 17 janvier 2020, le demandeur a introduit un recours contre cette mesure privative de liberté en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Liège.

Par une ordonnance du 24 janvier 2020, la chambre du conseil a déclaré fondée la requête du demandeur et a ordonné sa remise en liberté.

L'arrêt attaqué statue sur l'appel du défendeur contre cette ordonnance. Il déclare le recours fondé et ordonne le maintien du demandeur à la disposition de l'Office des étrangers.

Le 27 février 2020, le délégué du ministre chargé de l'Asile et la Migration a ordonné l'écrou du demandeur à la disposition de l'Office des étrangers après qu'il a, le jour même, refusé d'obtempérer à l'ordre de quitter le territoire.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

1. Dans sa note en réponse aux conclusions du ministère public, le demandeur fait valoir qu'en vertu de l'article 15.6 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive retour), le manque de coopération est un motif de prolongation de la rétention, de sorte qu'une décision de privation de liberté prise pour ce motif ne constitue pas un titre autonome ayant pour effet de rendre sans objet le recours dirigé contre la décision précédente, mais la prolongation de celle-ci.

L'article 15 de la directive retour dispose :
« 5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu'il est nécessaire de garantir que l'éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.
6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n'excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l'opération d'éloignement dure plus longtemps en raison :
a) du manque de coopération du ressortissant concerné (...). ».

Contrairement à ce que le demandeur soutient, il ne se déduit pas de l'article 15.6 que cette disposition est incompatible avec une nouvelle mesure de rétention prise à l'égard de l'étranger qui refuse de coopérer à son éloignement, laquelle, bien qu'elle constitue un titre distinct de la décision antérieure en vertu de la loi nationale, a pour effet de prolonger la période de rétention au sens de la directive retour.

2. Le demandeur soutient également que les articles 5.1 et 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantissent le droit à la liberté et celui d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de la détention et ordonne la libération si la détention est illégale, et le principe de l'égalité des armes, selon lequel chaque partie doit pouvoir présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, impliquent que la prise d'une nouvelle décision de rétention ne peut conduire à déclarer automatiquement sans objet à défaut d'intérêt le recours dirigé contre la précédente décision de rétention.

En vertu des articles 71 à 74 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, la chambre du conseil et, en degré d'appel, la chambre des mises en accusation, sont chargées de vérifier si la mesure privative de liberté et d'éloignement du territoire est conforme à la loi et, si tel n'est pas le cas, d'ordonner la remise en liberté de l'étranger qui en fait l'objet. Ces juridictions ne sont pas compétentes pour se prononcer uniquement sur la légalité d'une mesure privative de liberté en vertu de laquelle l'étranger n'est plus détenu, lorsque soit l'étranger est détenu en vertu d'un nouveau titre autonome de privation de liberté qui est distinct de celui visé par le recours dont ces juridictions ont été saisies, soit a été remis en liberté, rapatrié, ou transféré vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande de protection internationale.

Les dispositions conventionnelles et le principe invoqués par le demandeur seraient méconnus si, après que la chambre du conseil, la chambre des mises en accusation ou la Cour de cassation ont constaté que la requête de mise en liberté est devenue sans objet en raison de la circonstance que l'étranger n'est plus détenu en vertu de la décision de rétention contre laquelle la requête est dirigée, il était privé d'un recours effectif pour faire constater l'éventuelle illégalité de cette décision et obtenir la réparation du dommage subi en raison de cette illégalité.

L'article 27 de la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante dispose :
« § 1er. Un droit à réparation est ouvert à toute personne qui a été privée de sa liberté dans des conditions incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 18 mai 1955.
§ 2. L'action est portée devant les juridictions ordinaires dans les formes prévues par le Code judiciaire et dirigée contre l'Etat belge en la personne du Ministre de la justice ».

L'article 27 de la loi du 13 mars 1973 permet à l'étranger qui a fait l'objet d'une mesure privative de liberté dans des conditions incompatibles avec les dispositions de l'article 5 de la Convention de faire constater l'illégalité de sa détention et d'obtenir la réparation de l'entièreté du dommage qu'il a subi, en ce compris le dommage moral.

La notion de « privation de liberté » visée à cette disposition couvre, en effet, non seulement toute mesure de détention préventive prise à l'égard d'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit, mais également toutes les autres formes de détention judiciaire ou administrative, dont notamment les mesures de rétention prises en vertu des dispositions applicables de la loi du 15 décembre 1980. A cet égard, l'article 27 ne requiert pas que, préalablement à l'exercice de l'action en réparation, l'illégalité de la détention soit constatée par une décision judiciaire antérieure.

Ni l'article 5.4 de la Convention ni le principe général du droit à un procès équitable, en ce compris le principe de l'égalité des armes, ne font obstacle à ce que le législateur juge plus approprié, tant que l'étranger est détenu en vertu de la mesure privative de liberté visée par son recours, que le contrôle de légalité de la détention soit confié à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation statuant à bref délai conformément, en règle, aux dispositions légales relatives à la détention préventive, tandis que lorsque l'étranger a été libéré ou n'est plus détenu en vertu de ce titre, le constat de l'illégalité éventuelle de la détention subie et la question de la réparation du dommage causé par cette détention ressortissent aux juridictions ordinaires en vertu de l'article 27 de la loi du 13 mars 1973, précité.

Dès lors que le demandeur dispose du droit de faire constater l'illégalité alléguée de sa privation de liberté fondée sur le titre dont il a précédemment fait l'objet et d'obtenir la réparation du dommage subi en raison de cette détention, la décision constatant que le recours introduit contre cette mesure devant les juridictions d'instruction est devenu sans objet n'est pas contraire aux dispositions conventionnelles et au principe invoqués.

3. Prise sur la base de l'article 27, § 3, de la loi du 15 décembre 1980, la décision d'écrou du 27 février 2020 ne prolonge pas la mesure initiale mais constitue un titre autonome de privation de liberté, distinct de celui visé par le recours sur lequel les juges d'appel ont statué.

Le pourvoi est dès lors devenu sans objet.

Il n'y a pas lieu d'avoir égard au mémoire du demandeur, étranger à la circonstance que le pourvoi n'a plus d'objet.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Laisse les frais à charge de l'Etat.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante et un euros quatre-vingts centimes dus.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.20.0229.F
Date de la décision : 25/03/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-25;p.20.0229.f ?

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