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06/03/2020 | BELGIQUE | N°C.18.0366.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 mars 2020, C.18.0366.F


N° C.18.0366.F
CLOHSE GROUP LUX, société de droit luxembourgeois, dont le siège social est établi à Huldange (Grand-Duché de Luxembourg), Duarrefstrooss, 59,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

CATERPILLAR INC., société de droit de l'État du Delaware (États-Unis d'Amérique), dont le siège social est établi à Preoria (États-Unis d'Amérique), Adams Street, 100 N.E.

,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cass...

N° C.18.0366.F
CLOHSE GROUP LUX, société de droit luxembourgeois, dont le siège social est établi à Huldange (Grand-Duché de Luxembourg), Duarrefstrooss, 59,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

CATERPILLAR INC., société de droit de l'État du Delaware (États-Unis d'Amérique), dont le siège social est établi à Preoria (États-Unis d'Amérique), Adams Street, 100 N.E.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 20 mars et 6 juin 2018 par la cour d'appel de Liège.
Le 19 février 2020, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- article 2.20, paragraphe 1er, b), de la Convention Benelux du 25 février 2005 en matière de propriété intellectuelle, approuvée par l'article 2 de la loi du 22 mars 2006 portant assentiment à la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), faite à La Haye le 25 avril 2005 ;
- article 5, paragraphe 1er, b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
- article 10, paragraphe 2, b), de la directive (EU) 2015/2436 du 16 décembre 2015 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

1. L'arrêt attaqué [du 20 mars 2018] décide qu'en faisant usage du signe « Tigercat » pour les produits, notamment les machines, qu'elle importe, met sur le marché, promeut, offre en vente et distribue, la demanderesse crée un risque de confusion avec la marque « Cat » de la défenderesse et porte en conséquence atteinte, au sens de l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle, aux enregistrements Benelux n° 0048253 et 0316078 de la marque « Cat » de cette dernière.
En conséquence, cet arrêt, tel qu'il a été rectifié par le second arrêt attaqué, ordonne à la demanderesse de cesser tout usage au Benelux du signe « Tigercat » pour designer tout produit des classes 7 et 12, y compris dans le secteur forestier, sous peine d'une astreinte de mille euros par fait unique d'usage et notamment par usage unique - y compris dans la publicité ou sur internet - ou par jour où cet usage serait constaté dans les neuf mois de la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 200.000 euros par machine ou autre produit qu'elle offrirait en vente, vendrait, importerait ou exporterait sous le signe « Tigercat », à compter d'un délai de neuf mois à dater de la signification de l'arrêt à intervenir, tout en la condamnant aux dépens de première instance et d'appel de la défenderesse, liquidés à 4.062,20 euros.
2. Le premier arrêt attaqué se fonde sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et, en particulier, sur les motifs suivants :
« Eléments de similitude entre les marques ‘Cat' et ‘Tigercat'
9. Le premier juge a adéquatement constaté que le caractère distinctif de la marque ‘Cat' ne peut être contesté et n'est d'ailleurs pas mis en cause par [la demanderesse]. Il a relevé à raison que la marque et le signe ne sont pas identiques, dès lors qu'ils ne sont pas tous les deux en tous points les mêmes.
Contrairement à ce qu'il a estimé, il existe néanmoins une similitude entre eux.
10. Il ne peut être contesté que la marque ‘Cat' doit être considérée comme une marque renommée qui est connue d'une partie significative du grand public en général et, partant, du public concerné par les produits ou services couverts par les parties.
Cette renommée s'étend indéniablement à l'ensemble du territoire belge et du Benelux. Elle est établie en raison notamment des éléments suivants :
- l'ancienneté des enregistrements de la marque ‘Cat' ;
- le rayonnement national et international de la marque et de son titulaire, lequel détient la première place dans la part de marché mondial parmi les sociétés actives dans l'industrie de la construction et de l'exploitation minière [...] ;
- [la défenderesse] disposait d'un important site de production en Belgique jusqu'en 2017 ;
- l'importance de son chiffre d'affaires réalisé en Europe [...] ;
- en ce qui concerne le Benelux, les ventes en Belgique et aux Pays-Bas correspondent, sur ces cinq dernières années, à 11,6 p.c. du total des chiffres d'affaires en Europe, avec un maximum de 15,7 p.c. pour l'année 2012 ;
- en 2015, le chiffre d'affaires des ventes de machines ‘Cat' était en Belgique de 69.874.378 euros et aux Pays-Bas de 83.054.159 euros, tandis que le chiffre d'affaires des ventes de moteurs ‘Cat' (systèmes de production d'énergie) était de 10.742.276 euros en Belgique et de 40.728.069 euros aux Pays-Bas, ce qui fait un chiffre d'affaires annuel dépassant les 200.000.000 euros au Benelux en 2015 ;
- [la défenderesse] figure au cinquième rang des cent plus grandes sociétés cotées en bourse [...] ;
- la marque est apposée sur ses machines, lesquelles sont employées dans divers secteurs, dont le génie civil [...]. Elle s'étend également à des produits dérivés [...] pour lesquels elle mène des campagnes de publicité ;
- des produits portant la marque ‘Cat' ont également été mis en évidence dans des films à grand succès distribués au Benelux, qu'il s'agisse des films de James Bond ‘Skyfall' ou ‘Le monde ne suffit pas', du film ‘Tomb Raider' ou d'autres films encore [...] ;
- elle dispose en Belgique de 11 revendeurs [...].
[La défenderesse] fait valoir [...] que : ‘La marque « Cat » bénéficie d'une protection très importante dans l'Union européenne, y compris au Benelux : [la défenderesse] possède environ 300 enregistrements de la marque [...] en Europe, dont 250 dans les États membres de l'Union européenne, aussi bien comme marque verbale que figurative. En sus de ces 250 marques nationales, 19 marques de l'Union européenne protègent l'élément « Cat » dans ses deux formats. Sur ces 250 marques nationales, plus de 60 protègent des produits de la classe 7. Il n'y a pas d'État¬ membre de l'Union européenne dans lequel la marque « Cat » n'est pas protégée pour des produits de la classe 7' [...].
Tant la dénomination de [la défenderesse] que sa marque verbale ‘Cat' sont extrêmement bien connues dans le Benelux et leur renommée est en conséquence bien établie.
[La demanderesse] précise que [...] ‘Tigercat expose régulièrement dans [des] salons internationaux, y compris Inter-Forst en Allemagne, Finn-Metko en Finlande, Skogs-Notla, Elmia Wood en Suède, Forexpo en France, KWF Expo en Allemagne et AFP au Royaume-Uni. [La défenderesse] a également participé à plusieurs de ces salons' [...].
[La demanderesse] n'établit toutefois pas que la marque ‘Tigercat' bénéficie d'une renommée à tout le moins égale à celle de la marque ‘Cat'.
Par ailleurs, [elle] reconnaît expressément en termes de conclusions [...] que [la défenderesse] est présente comme elle dans les salons internationaux concernant le marché des équipements forestiers, ce qui implique que la marque ‘Cat' bénéficie, au vu des éléments rappelés ci-avant, d'une renommée également dans ce secteur spécifique.
12. Par ailleurs, pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il y a lieu d'attacher à ces différents éléments, le tout en tenant compte en particulier des éléments distinctifs et dominants des marques en présence.
En l'occurrence, si, au départ, la marque ‘Cat' est un acronyme du nom de [la défenderesse], elle revêt également la signification qu'elle a dans son sens commun dans la langue anglaise, les parties s'accordant à la traduire comme ‘chat'.
Sur le plan conceptuel, le signe ‘Tigercat' ne revêt pas un autre sens, si ce n'est qu'il ne fait référence qu'à une variété de chat, entraînant par là un risque de confusion ‘indirecte' (voir infra, point 15 [lire : 14]).
Il en résulte également ‘une position distinctive autonome' au sens de la jurisprudence de la Cour de justice, le signe litigieux ne formant pas un sens différent par rapport au sens des éléments pris isolément [...].
Du fait du caractère particulièrement distinctif de la marque ‘Cat' et de sa renommée, l'élément ‘Cat' du signe litigieux apparaît comme prédominant tant sur le plan visuel qu'auditif, de sorte que la reprise de ces trois lettres telles quelles dans le signe ‘Tigercat' fait de celui-ci une marque similaire à la première.
Des produits et de leur caractère identique ou similaire.
13. Il faut avoir égard à tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre les produits ou services en cause, en particulier à la nature mais également à la destination des produits, c'est-à-dire au cercle de personnes auxquelles ils sont destinés, à leur utilisation des produits ou services, à leur caractère concurrent ou complémentaire, à la circonstance que les distributeurs distribuent ou commercialisent habituellement ou non les deux produits ou services considérés, et se mettre à la place du consommateur peu averti, d'intelligence et de perspicacité moyennes.

En l'occurrence, il ne peut être contesté que [la défenderesse] et Tigercat vendent des produits similaires, de par leur nature, leur aspect extérieur et le marché auquel ils sont destinés.
En effet, il s'agit en l'occurrence de machines tout terrain servant notamment à couper, ébrancher, charger, enlever et déplacer des arbres.
Leurs conceptions techniques apparaissent comme similaires, par la forme générale, ainsi et notamment la combinaison d'un châssis d'une grue auto-chenillée avec cabine, muni d'un bras articulé sur lequel un outil spécifique a été fixé, adapté au travail de coupe d'arbre ou d'ébranchage [...].
Une analyse identique s'impose pour chaque autre type d'engin fabriqué et commercialisé par les parties, en ce qui concerne leur aspect extérieur : jaune pour la partie principale bloc-moteur, noir pour la cabine en ce qui concerne le type ‘ Harvester' : bras articulé de couleur noire, apposition de la marque aux mêmes endroits sur le véhicule, dans une couleur différente pour assurer le contraste [...].
Les parties fréquentent les mêmes foires commerciales internationales, ce que [la demanderesse] reconnaît [...].
Contrairement à ce que soutient cette dernière, l'absence de [la défenderesse] à la foire DemoForest n'est pas de nature à remettre cette constatation en cause dès lors que [la défenderesse] était présente à celle de Libramont, ouverte à un très large public [...], qui vise également le même secteur de la foresterie, ce que [la demanderesse] ne contredit pas efficacement.
En ce qui concerne leur destination, celle-ci vise un même public large de professionnels de travaux publics et privés, ainsi que le secteur de la foresterie.
Les machines forestières de [la défenderesse] sont mentionnées dans diverses revues propres à ce dernier [...].
Il ressort des documents photographiques déposés par [la demanderesse] que les grands fabricants de machines lourdes (Volvo...) sont également présents dans le secteur de la sylviculture.

[La demanderesse] fait valoir à raison qu'il existe de la sorte un chevauchement entre les publics concernés par les produits pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées ou utilisées : ces publics sont au moins pour partie les mêmes et ils se chevauchent dans la mesure où les entreprises des secteurs forestiers, qui ont à exploiter une forêt, à creuser des voies d'accès pour ladite exploitation, à débarder des arbres en vue de la construction de travaux, à les évacuer, à niveler des terrains en vue d'effectuer des plantations, connaissent la marque antérieure ‘Cat'. Or, ce chevauchement entre les publics renforce la possibilité que le signe postérieur ‘Tigercat' soit susceptible d'évoquer la marque antérieure ‘Cat'.
Les produits sont concurrents, la circonstance que [la défenderesse] fabrique et commercialise des engins de génie civil autres que ceux destinés à un travail en forêt n'est pas de nature à rendre marginale la similitude des machines vendues sous le signe ‘Tigercat' de celle de la gamme spécifique de [la défenderesse].
Au contraire, elle est de nature à renforcer cette similarité au travers du signe litigieux tel qu'il a été composé.
‘Tigercat' a reconnu cette similarité de produits dans le cadre d'une procédure en déchéance de l'enregistrement international de la marque ‘Tigercat' n° 754834 désignant, entre autres, le Royaume-Uni, pendante devant le UKIPO, où elle a qualifié [la défenderesse] expressément comme son principal concurrent (‘ main competitor' [...]) sur le marché en question [...].
[La défenderesse] soutient dès lors à raison qu'il existe un marché ‘partagé' entre les parties.
Du risque de confusion
14. [...] En l'occurrence, force est de constater un risque de confusion indirecte entre le signe ‘Tigercat' et la marque ‘Cat', ne fût-ce qu'en raison de la similarité conceptuelle entre les deux, le premier suggérant n'être que le dérivé du second.

En raison du caractère particulièrement distinctif et de la renommée nationale et internationale de la marque ‘Cat', le public pertinent peut croire que les produits de ‘Tigercat' proviennent d'une entreprise avec laquelle [la défenderesse] aurait un lien.
En effet, même si les produits en question s'adressent principalement à un public de professionnels, raisonnablement attentif et avisé, ce qu'il doit être pour l'acquisition d'engins représentant un investissement important, cette circonstance n'autorise pas à considérer que ceux-ci sont correctement informés des partenariats économiques pouvant exister entre différentes entreprises ou de l'existence d'accords de licence entre des entreprises du secteur qui font usage de signes distinctifs présentant des éléments de similitude importants.
En outre, [la défenderesse] fait valoir, sans être efficacement contredite à cet égard, que : ‘Les machines de gros œuvre ne sont par ailleurs pas uniquement vendues à des grandes entreprises, mais sont également proposées à la location à de petites entreprises, même unipersonnelles, pour la réalisation de travaux de génie civil, de nivellement de terrains agricoles ou forestiers, de creusement ou d'aménagement de chemins forestiers ou agricoles, ainsi parfois qu'à des particuliers souhaitant les louer pour réaliser des chantiers sur leur propre propriété et nécessitant occasionnellement le recours à du matériel de gros¬ œuvre. De tels matériels peuvent être loués avec les services d'un chauffeur ou d'un opérateur dédicacé au maniement de l'engin en cause, de sorte que contrairement à ce que soutien[t] [la demanderesse], aucune formation spécifique n'est requise pour louer de tels engins. L'attention d'un tel public, spécialement dans le cadre de la location pour une courte durée et pour un prix ne dépassant pas quelques centaines d'euros, est naturellement moindre qu'à l'occasion d'un acte d'achat' [...].
En raison de la similarité des produits en cause telle qu'elle est décrite ci-avant, un niveau d'attention accru ou même élevé ne suffirait pas à exclure un risque de confusion en l'occurrence, même s'il fallait considérer que le public pertinent en ce compris les professionnels possède un niveau ».

3. L'arrêt attaqué en conclut que « la demande est fondée en principe sur pied de l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle », et qu'« il n'y a dès lors pas lieu de procéder à l'examen de la demande au regard de l'article 2.20, § 1er, c), de cette convention ».

Griefs

Première branche

1. L'article 2.20, § 1er, de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle prévoit que :
« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Sans préjudice de l'application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le droit exclusif à la marque permet au titulaire d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement [...] b) de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque ».
L'article 5, § 1er, b), de la directive 2008/95 dispose de manière identique que :
« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires [...] b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque ».

Dans le même sens d'idée, l'article 10, § 1er, b), de la directive 2015/2436 énonce que :
« Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque [...] b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ».
Ces dispositions constituent une manifestation de la règle de spécialité et de la règle de territorialité du droit des marques, en vertu desquelles « le droit d'usage exclusif [de la marque] ne vaut que par rapport aux produits ou services couverts par l'enregistrement » et déploie ses effets sur un territoire déterminé.
Il en résulte que le titulaire de la marque ne peut interdire l'usage d'un signe similaire à celui qu'il a enregistré en tant que marque que dans la mesure où le signe litigieux est utilisé pour la commercialisation de produits ou de services similaires ou identiques à ceux pour lesquels il a obtenu l'exclusivité grâce au dépôt de sa marque et de son enregistrement.
En application de cette règle, la Cour de justice de l'Union européenne a décidé qu'« afin d'apprécier la similitude des produits en cause, au sens de l'article 8, § 1er, sous b), du règlement n° 40/94 [dont le contenu était similaire à l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle], il y a lieu de prendre en compte le groupe de produits protégé par les marques en conflit et non les produits effectivement commercialisés sous ces marques ».
Dans d'autres arrêts, la Cour de justice de l'Union européenne précise que « la comparaison des produits doit porter sur ceux qui sont visés par l'enregistrement des marques en question et non sur ceux pour lesquels la marque antérieure a effectivement été utilisée ».
Partant, la question de l'existence d'une similitude entre des marques ou des produits et services concernés doit, dans le cadre de la mise en œuvre de l'interdiction consacrée par l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle et prônée par l'article 5, § 1er, b), de la directive 2008/95, ainsi que par l'article 10, § 1er, b), de la directive 2015/2436, prendre spécialement comme référence les produits et services pour lesquels la marque a été enregistrée et non, indistinctement, l'ensemble des produits et services effectivement commercialisés sous ces marques, y compris hors du territoire où la protection est assurée par l'enregistrement. Tout usage de la marque pour des produits ou services qui ne sont pas relatifs à de tels produits ou services n'est pas pertinent aux fins de la comparaison.
2. Après avoir constaté que :
- l'enregistrement Benelux n° 0048253 dont bénéficie la marque « Cat » couvre des produits de classes 7, 8 et 12, notamment « machines pour briser les routes, grattoirs, bulldozers, déchireuses et équipement pour la construction et l'entretien des routes, pour déplacer et enlever de la terre, des pierres, de la neige et des matériaux similaires aux fins de prévenir l'érosion des sols et à d'autres fins industrielles et agricoles [...] ; machines et équipements agricoles » (classe 7) et
« tracteurs destinés à être utilisés pour des travaux agricoles, pour la construction de routes [...] et à des fins industrielles et agricoles ; camions à benne » ;
- l'enregistrement Benelux n° 0316078 de la marque « Cat » couvre quant à lui des produits en classes 7, 12 et 25, et notamment les suivants : « des machines non comprises dans d'autres classes et machines-outils ; [...] en classe 7, de grandes machines agricoles » ; en classe 12, des « véhicules, moyens de transport terrestres, aériens ou maritimes » et, en classe 25, des « vêtements, y compris des bottes, chaussures et pantoufles »,
l'arrêt attaqué « constate qu'en faisant usage du signe ‘Tigercat' pour les produits, notamment les machines, qu'elle importe, met sur le marché, promeut, offre en vente et distribue, [la demanderesse] crée un risque de confusion avec la marque ‘Cat' de [la défenderesse] et porte en conséquence atteinte, au sens de l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle, aux enregistrements Benelux n° 004825 et 0316078 de la marque ‘Cat' de [la défenderesse] », et
« Ordonne [à la demanderesse] de cesser tout usage au Benelux du signe ‘Tigercat' pour désigner tout produit des classes 7 et 12, y compris dans le secteur forestier », en se fondant sur les motifs que :
- « les parties vendent toutes deux des machines tout terrain servant notamment à couper, ébrancher, charger, enlever et déplacer des arbres » ;
- « il ne peut être contesté que [la défenderesse] et [Tigercat] vendent des produits similaires, de par leur nature, leur aspect extérieur et le marché auquel ils sont destinés » ;
- « en ce qui concerne [la destination des produits], celle-ci vise un même public large de professionnels de travaux publics et privés, ainsi que le secteur de la foresterie » ;
- « les grands fabricants de machines lourdes (Volvo...) sont également présents dans le secteur de la sylviculture (...) ; il existe de la sorte un chevauchement entre les publics concernés par les produits pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées ou utilisées » ;
- « les produits sont concurrents, la circonstance que [la défenderesse] fabrique et commercialise des engins de génie civil autres que ceux qui sont destinés à un travail en forêt n'est pas de nature à rendre marginale la similitude des machines vendues sous le signe ‘Tigercat' et celles de la gamme spécifique de [la défenderesse] » ;
- « ‘Tigercat' a reconnu cette similarité de produits dans le cadre d'une procédure en déchéance de l'enregistrement international de la marque ‘Tigercat' n° 754834 désignant entre autres le Royaume-Uni, pendante devant le UKIPO, où elle a qualifié [la défenderesse] expressément comme son principal concurrent ( ‘main competitor' [...]) sur le marché en question » ;
- « les parties fréquentent les mêmes foires commerciales internationales » dont celle de Libramont, « ouverte à un très large public [...], qui vise également le même secteur de la foresterie » ;
- « il existe un marché partagé entre les parties ».

Ce faisant, l'arrêt attaqué examine l'ensemble des produits commercialisés par les parties sous les signes Cat et Tigercat, y compris en dehors du Benelux, sans se limiter aux produits effectivement couverts par les enregistrements de marques invoqués par la défenderesse ou le territoire où la protection est assurée par l'enregistrement, en l'occurrence le territoire Benelux.
Afin de respecter la règle de spécialité et la règle de territorialité des marques, l'arrêt attaqué aurait dû opérer la comparaison entre, d'une part, les produits couverts par les enregistrements de la défenderesse et, d'autre part, les machines forestières commercialisées par la demanderesse.
Or, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les enregistrements Benelux n° 0048253 et 0316078 de la marque « Cat » ne couvrent pas, de manière spécifique, des produits utilisés dans le secteur forestier, au contraire des enregistrements de la marque internationale n° 754834 « Tigercat ».
3. L'arrêt attaqué, qui, sur la base des considérations qui précèdent, interdit à la demanderesse de faire tout usage de la marque Tigercat pour désigner tout produit des classes 7 et 12, sans qu'il ressorte de ses constatations que les produits de la marque « Cat » qu'il considère comme similaires à ceux de la marque « Tigercat » sont couverts sur le territoire Benelux par un enregistrement comme machines utilisées dans le secteur forestier, n'est pas légalement justifié au regard des dispositions légales visées au moyen (hormis l'article 149 de la Constitution).

Deuxième branche

1. Dans ses conclusions de synthèse d'appel, la demanderesse faisait valoir qu'« il est manifeste que le public pertinent composé de professionnels associera le signe ‘Cat' à une simple abréviation de Caterpillar, [ainsi] que [la défenderesse] l'a vraisemblablement souhaité d'ailleurs lors du choix de ce signe ». Elle ajoutait que « la similarité entre les marques, y compris conceptuelle, doit s'apprécier au regard de la nature des produits et du secteur concerné, celui de la construction et de l'industrie ».
Enfin, elle précisait que « le fait que plusieurs entreprises concurrentes utilisent des marques incluant la composante ‘Cat', ou des signes extrêmement similaires, ne fait que renforcer la position [de la demanderesse] selon laquelle il ne peut y avoir aucun risque de confusion entre les marques ‘Cat' et ‘Tigercat' auprès du public pertinent, composé de professionnels faisant preuve d'un niveau d'attention élevé ».
2. Après avoir rappelé que, « pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle », l'arrêt attaqué décide que, « sur le plan conceptuel, le signe ‘Tigercat' entraîne ‘un risque de confusion indirecte' avec la marque ‘Cat' », en se fondant sur les motifs que :
« En l'occurrence, si, au départ, la marque ‘Cat' est un acronyme du nom [de la défenderesse], elle revêt également la signification qu'elle a dans son sens commun dans la langue anglaise, les parties s'accordant à la traduire comme ‘chat' », et que, « sur le plan conceptuel, le signe ‘Tigercat' ne revêt pas un autre sens, si ce n'est qu'il se réfère à une variété de chats ».
Par ces motifs, l'arrêt attaqué se borne à apprécier le degré de similitude entre les marques concernées au regard de la signification qu'elles revêtent, sur le plan conceptuel, « selon le sens commun dans la langue anglaise ».
En aucun de ses motifs, l'arrêt attaqué ne répond au moyen circonstancié de la demanderesse selon lequel la similitude conceptuelle entre les marques devait s'apprécier en fonction du « public pertinent » composé de « professionnels » du secteur de la construction.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué n'est pas régulièrement motivé au regard de l'article 149 de la Constitution.

Troisième branche

1. Pour l'application de l'article 2.20 § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle et au regard de l'article 5, § 1er, b), de la directive 2008/95, ainsi que de l'article 10, § 1er, b), de la directive 2015/2436, les différences conceptuelles entre les signes peuvent neutraliser leurs similitudes auditives et visuelles, pour autant qu'au moins l'un de ces signes ait, dans la perspective du public pertinent, une signification claire et déterminée, de sorte que le public est susceptible de la saisir directement.
La question de la différence ou de la similitude conceptuelles entre deux signes s'apprécie donc dans la perspective du public pertinent et non selon le sens commun.
Deux signes sont identiques ou similaires sur le plan conceptuel lorsqu'ils sont perçus comme ayant le même contenu sémantique ou un contenu sémantique analogue. Le « contenu sémantique » d'une marque correspond à ce qu'elle signifie, ce qu'elle évoque.
Si un terme a plusieurs significations et que l'une d'entre elles revêt une importance particulière pour les produits et services en cause, la comparaison conceptuelle doit porter sur cette signification. En tout état de cause, ce qui importe, c'est la façon dont le terme est perçu par le public pertinent.
2. En l'espèce, tout en constatant que « les produits en question s'adressent à un public de professionnels raisonnablement attentif et avisé, ce qu'il doit être pour l'acquisition d'un équipement représentant un investissement important », et après avoir rappelé que, « pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle », l'arrêt attaqué décide que le signe « Tigercat » entraîne « un risque de confusion indirecte » avec la marque « Cat », en se fondant sur la signification que peut avoir le signe « Cat » « selon son sens commun en langue anglaise » et non dans la perspective du public pertinent dont il décrit les caractéristiques.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué qui, sur la base des considérations qui précèdent, décide que le signe « Tigercat » entraîne un risque de confusion indirecte avec la marque « Cat » en fonction de l'existence d'une similitude conceptuelle entre les deux signes, n'est pas légalement justifié au regard des dispositions légales visées au moyen.

Quatrième branche

1. L'article 2.20, § 1er, de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle prévoit que :
« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Sans préjudice de l'application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le droit exclusif à la marque permet au titulaire d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement [...] b) de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque ».
L'article 5, § 1er, b), de la directive 2008/95 et l'article 10, § 1er, b), de la directive 2015/2436 conditionnent aussi l'application de l'interdiction qu'ils consacrent à l'existence d'un risque de confusion dans le chef du public concerné.
Au regard de ces dispositions légales, le titulaire de la marque qui entend bénéficier de l'interdiction consacrée par celles-ci doit établir l'existence d'une similitude objective entre la marque et le signe en cause, de laquelle découle, pour le public, un risque de confusion entre la marque et le signe contesté.
Pour ce faire, le titulaire de la marque est tenu de démontrer l'existence d'éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle présentant une ampleur telle que l'impression d'ensemble qu'ils produisent conduise à ce risque de confusion.
Le juge du fond est tenu à cet égard d'effectuer une appréciation globale des signes en cause : « pour apprécier la ressemblance entre une marque et un signe, il doit les examiner globalement, c'est-à-dire, dans leur totalité ».
Le caractère objectif de la similitude implique que « la renommée de la marque antérieure et la similitude existant entre les produits des marques litigieuses (...) n'ont aucune incidence sur l'appréciation de la similitude existant entre les signes en cause ».
2. Après avoir rappelé que, « pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle » et que :
- « la marque ‘Cat' doit être considérée comme une marque renommée qui est connue d'une partie significative du grand public en général et, partant, du public concerné par les produits ou services couverts par les parties » ;
- « cette renommée s'étend indéniablement à l'ensemble du territoire belge et du Benelux. [La défenderesse] est présente comme elle dans les salons internationaux concernant le marché des équipements forestiers, ce qui implique que la marque ‘Cat' bénéficie, au vu des éléments rappelés ci-avant, d'une renommée également dans ce secteur spécifique » ;
- « tant la dénomination de [la défenderesse] que sa marque verbale ‘Cat' sont extrêmement bien connues dans le Benelux et que leur renommée est en conséquence bien établie », l'arrêt attaqué décide qu'il existe une similitude visuelle et auditive entre les signes « Cat » et « Tigercat », en se fondant sur le motif que « du fait du caractère particulièrement distinctif de la marque ‘Cat' et de sa renommée, l'élément ‘Cat' du signe litigieux apparaît comme prédominant tant sur le plan visuel qu'auditif, de sorte que la reprise de ces trois lettres telles quelles dans le signe ‘Tigercat' fait de celui-ci une marque similaire à la première ».
Ce faisant, l'arrêt attaqué infère directement l'existence d'une similitude entre le signe « Tigercat » et le signe « Cat » de la renommée du second, alors que ce critère ne peut avoir aucune incidence sur l'appréciation de la similitude pouvant exister entre les signes en cause, et ce, sans procéder à une appréciation globale de la totalité des éléments de ressemblance ou de différence entre les deux signes en cause.
3. L'arrêt attaqué n'est donc pas légalement justifié au regard des dispositions légales visées au moyen (hormis l'article 149 de la Constitution).

Cinquième branche

1. L'article 2.20, § 1er, de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle prévoit que :
« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Sans préjudice de l'application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le droit exclusif à la marque permet au titulaire d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement [...] b) de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion, qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque ».
La même exigence de démontrer un risque de confusion comme condition de l'interdiction ressort des articles 5, § 1er, b), de la directive 2008/95 et 10, § 1er, b), de la directive 2015/2436.
Outre l'existence d'une similitude entre les signes et les produits en cause, le titulaire de la marque doit donc démontrer que celle-ci provoque un risque de confusion pour le public concerné.
À cette fin, le risque d'association, même s'il peut être compris dans le risque de confusion, ne peut suffire à lui seul.
En effet, « le titulaire de la marque ne peut s'opposer à l'emploi d'un signe ressemblant à sa marque que s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; la simple association entre deux marques que pourrait faire le public par le biais de la concordance de leur contenu ne suffit pas en elle-même pour conclure à l'existence d'un risque de confusion ».
L'existence d'un tel risque de confusion doit se déduire d'une appréciation globale et in concreto, de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce : « il est indispensable, dans chaque cas individuel, de déterminer, au moyen, notamment, d'une analyse des composants d'un signe et de leur poids relatif dans la perception du public visé, l'impression d'ensemble produite par le signe [...] dans la mémoire dudit public et de procéder ensuite, à la lumière de cette impression d'ensemble et de tous les facteurs pertinents de l'espèce, à l'appréciation du risque de confusion [...] ; l'appréciation individuelle de chaque signe, telle qu'elle est requise par la jurisprudence constante de la Cour [de justice de l'Union européenne], doit être effectuée en fonction des circonstances particulières de l'espèce et ne saurait, par conséquent, être considérée comme soumise à des présomptions générales [...] ; l'argumentation selon laquelle il suffirait, pour constater un risque de confusion sur la base de la position distinctive autonome d'un élément de la marque demandée, que certains facteurs soient présents doit être rejetée comme non fondée ».
La renommée d'une marque ne permet pas de présumer l'existence d'un risque de confusion du seul fait qu'elle est de nature à accroître l'existence d'un risque d'association. En d'autres termes, le seul fait que le public pertinent soit susceptible, en raison de cette renommée, d'effectuer un lien entre la marque et le signe litigieux est insuffisant pour établir l'existence d'un risque de confusion.
En toutes hypothèses, la renommée ne suffit pas davantage, à elle seule, à établir un risque d'association.
2. L'arrêt attaqué décide qu'il existe un « risque de confusion indirecte » entre les signes en cause en se fondant sur les motifs qu'« en raison du caractère particulièrement distinctif et de la renommée nationale et internationale de la marque ‘Cat', le public pertinent peut croire que les produits de Tigercat proviennent d'une entreprise avec laquelle [la défenderesse] aurait un lien ».
Ce faisant, l'arrêt attaqué :
- déduit l'existence d'un risque de confusion entre les signes en conflit de l'existence d'un simple risque d'association, et
- [se fonde sur] la renommée de l'une des deux marques pour présumer l'existence de ce risque d'association, tout en se dispensant, à la faveur de cette présomption illégale, de procéder à une appréciation globale et in concreto de tous les facteurs pertinents de l'espèce.
3. L'arrêt attaqué, qui sur la base des seules considérations qui précèdent, décide qu'il existe un risque de confusion entre le signe et la marque en cause, n'est pas légalement justifié au regard des dispositions légales visées au moyen (hormis l'article 149 de la Constitution).

Second moyen

Dispositions légales violées

- article 1138, 3°, du Code judiciaire ;
- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

1. L'arrêt attaqué [du 20 mars 2018] décide qu'en faisant usage du signe « Tigercat » pour les produits, notamment les machines, qu'elle importe, met sur le marché, promeut, offre en vente et distribue, la demanderesse crée un risque de confusion avec la marque « Cat » de Caterpillar et porte en conséquence atteinte, au sens de l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle, aux enregistrements Benelux n° 0048253 et 0316078 de la marque « Cat » de cette dernière.
En conséquence, l'arrêt attaqué, tel qu'il a été rectifié par le second arrêt attaqué, ordonne à la demanderesse de cesser tout usage au Benelux du signe « Tigercat » pour désigner tout produit des classes 7 et 12, y compris dans le secteur forestier, sous peine d'une astreinte de mille euros par fait unique d'usage et notamment par usage unique - y compris dans la publicité ou sur internet - ou par jour où cet usage serait constaté dans les neuf mois de la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 200.000 euros par machine ou autre produit qu'elle offrirait en vente, vendrait, importerait ou exporterait sous le signe « Tigercat », à compter d'un délai de neuf mois à dater de la signification de l'arrêt à intervenir, tout en la condamnant aux dépens de première instance et d'appel de la défenderesse, liquidés à 4.062,20 euros.
2. Le premier arrêt attaqué se fonde sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et, en particulier, sur les motifs suivants :
« Si [la défenderesse] est fondée à réclamer les mesures d'interdiction et de cessation assortie d'astreintes [sur le fondement de l'article 2.20, § 1er, b), de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle], il y a lieu de limiter celles-ci à 200.000 euros par machine ou autre produit, [...] le montant de mille euros demandé pour tout fait unique d'usage étant par ailleurs retenu.
En ce qui concerne le délai pour l'entrée en vigueur de cessation, il y a lieu de fixer celui-ci à neuf mois compte tenu du volume des ventes réalisées dans un tel secteur et de la nécessité pour l'entreprise de réorienter une partie de ses activités ».
Il prononce ensuite l'ordre de cessation suivant, tel qu'il a été rectifié par le second arrêt attaqué :
« Ordonne à la [demanderesse] de cesser tout usage au Benelux du signe ‘Tigercat' pour désigner tout produit des classes 7 et 12, y compris dans le secteur forestier sous peine d'une astreinte de mille euros par fait unique d'usage et notamment par usage unique - y compris dans la publicité ou sur internet - ou par jour où cet usage serait constaté dans les [neuf mois] de la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 200.000 euros par machine ou autre produit qu'elle offrirait en vente, vendrait, importerait ou exporterait sous le signe ‘Tigercat' à compter d'un délai de neuf mois à dater de la signification de l'arrêt à intervenir ».

Griefs

La demanderesse soulignait dans ses conclusions d'appel que, « dans la mesure où les débats et la demande de [la défenderesse] n'ont porté que sur l'usage du signe ‘Tigercat' en tant que marque, il convient de limiter le cas échéant l'ordre de cessation uniquement à un tel usage ».
Ce faisant, elle demandait à la cour d'appel de se prononcer sur le type d'usage du signe litigieux visé par l'ordre de cessation, l'invitant à faire la différence à cet égard entre son usage en tant que marque et tout autre usage.
L'arrêt attaqué ne se prononce pas sur ce chef de demande, qui était pourtant régulièrement soumis par la demanderesse à la cour d'appel.
L'arrêt attaqué omet de modaliser l'ordre de cessation [...] en [tenant] compte de la demande spécifique formulée par [la demanderesse] selon laquelle l'usage interdit devait se limiter à l'usage du signe litigieux en tant que marque.
À tout le moins, l'arrêt attaqué aurait dû exposer les motifs pour lesquels cette demande ou cette défense devait être rejetée.
L'arrêt attaqué omet de statuer sur un chef de la demande (violation de l'article 1138, 3°, du Code judiciaire), ou, à tout le moins, n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La décision de la Cour

Sur la recevabilité de la note d'audience déposée par la défenderesse le 5 mars 2020 :

En vertu de l'article 1107, alinéa 2, du Code judiciaire, lorsque les conclusions du ministère public sont écrites, les parties peuvent, au plus tard à l'audience et exclusivement en réponse à ces conclusions, déposer une note dans laquelle elles ne peuvent soulever de nouveaux moyens.
Si elle autorise chacune des parties à répondre aux conclusions du ministère public, cette disposition ne permet à aucune d'elles de répondre à la note d'une autre déposée en application de celle-ci.
Il y a lieu d'écarter la note d'audience de la défenderesse.

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 2.20.1, b), de la Convention Benelux du 25 février 2002 en matière de propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable aux faits, la marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif qui permet au titulaire d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

Conformément à l'arrêt C-39/97 de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 septembre 1998, pour apprécier la similitude entre les produits ou services en cause, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre les produits ou services et ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire.
Il suit des termes « en particulier » figurant dans cet arrêt que l'énumération de ces facteurs n'est qu'indicative et qu'il appartient au juge d'apprécier la similitude entre les produits en cause en tenant compte des facteurs qu'il estime pertinents.
Partant, la circonstance que l'enregistrement de la marque ne mentionne pas que les produits couverts sont utilisés dans un secteur d'activités identique à celui dans lequel sont utilisés les produits commercialisés par le tiers n'implique pas en soi qu'il n'existerait aucune similitude entre ces produits.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Quant à la deuxième et à la troisième branche :

Après avoir énoncé que, « pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il y a lieu d'attacher à ces différents éléments, le tout en tenant compte en particulier des éléments distinctifs et dominants des marques en présence », l'arrêt attaqué du 20 mars 2018 considère que, « si, au départ, la marque ‘Cat' est un acronyme du nom de [la défenderesse], elle revêt également la signification qu'elle a dans son sens commun dans la langue anglaise, les parties s'accordant à la traduire comme ‘chat' », que, « sur le plan conceptuel, le signe ‘Tigercat' ne revêt pas un autre sens, si ce n'est qu'il ne fait référence qu'à une variété de chats, entraînant par là un risque de confusion ‘indirecte' (voir infra, point 15 [lire : 14]) » et qu'« il en résulte également ‘une position distinctive autonome' au sens de la jurisprudence de la Cour de justice [de l'Union européenne], le signe litigieux ne formant pas un sens différent par rapport au sens des éléments pris isolément ».
Au point 14, il considère également que « le risque de confusion qui comprend le risque d'association inclut à la fois le risque de confusion ‘directe', c'est-à-dire le cas où le public confond le signe et la marque en cause, mais aussi le risque de confusion ‘indirecte', c'est-à-dire le cas où le public fait un lien entre les titulaires des marques respectives, en ce sens que le public peut croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement », qu'« en raison du caractère particulièrement distinctif et de la renommée nationale et internationale de la marque ‘Cat', le public pertinent peut croire que les produits de Tigercat proviennent d'une entreprise avec laquelle [la défenderesse] aurait un lien », qu'« en effet, même si les produits en question s'adressent principalement à un public de professionnels, raisonnablement attentif et avisé, ce qu'il doit être pour l'acquisition d'engins représentant un investissement important, cette circonstance n'autorise pas à considérer que ceux-ci sont correctement informés des partenariats économiques pouvant exister entre différentes entreprises ou de l'existence d'accords de licence entre des entreprises du secteur qui font usage de signes distinctifs présentant des éléments de similitude importants », qu'« en outre, [la défenderesse] fait valoir, sans être efficacement contredite à cet égard, que ‘les machines de gros œuvre ne sont par ailleurs pas uniquement vendues à de grandes entreprises, mais sont également proposées à la location à de petites entreprises, même unipersonnelles, pour la réalisation de travaux de génie civil, de nivellement de terrains agricoles ou forestiers, de creusement ou d'aménagement de chemins forestiers ou agricoles, ainsi parfois qu'à des particuliers souhaitant les louer pour réaliser des chantiers sur leur propre propriété et nécessitant occasionnellement le recours à du matériel de gros œuvre. De tels matériels peuvent être loués avec les services d'un chauffeur ou d'un opérateur dédicacé au maniement de l'engin en cause, de sorte que, contrairement à ce que soutiennent [la demanderesse et les sociétés Clohse J.P. und Söhne et Clohse Group], aucune formation spécifique n'est requise pour louer de tels engins. L'attention d'un tel public, spécialement dans le cadre de la location pour une courte durée et pour un prix ne dépassant pas quelques centaines d'euros, est naturellement moindre qu'à l'occasion d'un acte d'achat' » et qu'« en raison de la similarité des produits en cause telle qu'elle est décrite [par l'arrêt], un niveau d'attention accru ou même élevé ne suffirait pas à exclure un risque de confusion en l'occurrence, même s'il fallait considérer que le public pertinent, y compris les professionnels, possède un [tel] niveau ».
Il suit de ces considérations, qui répondent, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse reproduites au moyen, en sa deuxième branche, que l'arrêt attaqué du 20 mars 2018 apprécie la similitude entre les marques en cause en fonction du public pertinent et de la manière dont celui-ci est susceptible ou non d'en percevoir les différences.
Le moyen, en chacune de ces branches, manque en fait.

Quant à la quatrième branche :

L'arrêt attaqué du 20 mars 2018 énonce que « le premier juge a adéquatement constaté que le caractère distinctif de la marque ‘Cat' ne peut être contesté et n'est d'ailleurs pas mis en cause par [la demanderesse et les sociétés Clohse J.P. und Söhne et Clohse Group] ».
Ainsi qu'il a été dit dans la réponse aux deuxième et troisième branches du moyen, il énonce que, « pour apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, il convient de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive ainsi que conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il y a lieu d'attacher à ces différents éléments, le tout en tenant compte en particulier des éléments distinctifs et dominants des marques en présence », et considère à cet égard que, « si, au départ, la marque ‘Cat' est un acronyme du nom de [la défenderesse], elle revêt également la signification qu'elle a dans son sens commun dans la langue anglaise, les parties s'accordant à la traduire comme ‘chat' », que, « sur le plan conceptuel, le signe ‘Tigercat' ne revêt pas un autre sens, si ce n'est qu'il ne fait référence qu'à une variété de chats, entraînant par là un risque de confusion ‘indirecte' », et qu'« il en résulte également ‘une position distinctive autonome' au sens de la jurisprudence de la Cour de justice [de l'Union européenne], le signe litigieux ne formant pas un sens différent par rapport au sens des éléments pris isolément ».
Cet arrêt, qui considère ensuite que, « du fait du caractère particulièrement distinctif de la marque ‘Cat' et de sa renommée, l'élément ‘Cat' du signe litigieux apparaît comme prédominant tant sur le plan visuel qu'auditif, de sorte que la reprise de ces trois lettres telles quelles dans le signe ‘Tigercat' fait de celui-ci une marque similaire à la première », n'infère pas l'existence d'une similitude entre les signes Tigercat et Cat de la renommée de ce dernier mais, après avoir admis l'existence d'une similitude conceptuelle entre ces signes, détermine l'importance que revêt sur le plan visuel et auditif l'élément Cat présent dans les deux marques en cause.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d'une interprétation inexacte de cet arrêt, manque en fait.

Quant à la cinquième branche :

Conformément à l'arrêt C-39/97 de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 septembre 1998, constitue un risque de confusion, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement. La Cour de justice a également considéré que le risque de confusion dans l'esprit du public doit être apprécié globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, que l'appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte, et notamment la similitude des marques et celle des produits ou des services désignés, qu'ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement, et que le caractère distinctif de la marque antérieure, et en particulier sa renommée, doit être pris en compte pour apprécier si la similitude entre les produits ou les services désignés par les deux marques est suffisante pour donner lieu à un risque de confusion.

L'arrêt attaqué du 20 mars 2018 considère que « force est de constater un risque de confusion indirecte entre le signe ‘Tigercat' et la marque ‘Cat', ne fût-ce qu'en raison de la similarité conceptuelle entre les deux, le premier suggérant n'être que le dérivé du second », qu'« en raison du caractère particulièrement distinctif et de la renommée nationale et internationale de la marque ‘Cat', le public pertinent peut croire que les produits de Tigercat proviennent d'une entreprise avec laquelle [la défenderesse] aurait un lien », qu'« en raison de la similarité des produits en cause telle qu'elle est décrite [par l'arrêt], un niveau d'attention accru ou même élevé ne suffirait pas à exclure un risque de confusion en l'occurrence, même s'il fallait considérer que le public pertinent, y compris les professionnels, possède un [tel] niveau » et que, pour les motifs qu'il cite, la demanderesse ne peut soutenir que « tout risque de confusion dans le chef du public professionnel pertinent est également exclu du fait que les marques ‘Tigercat' et ‘Cat' ont coexisté paisiblement à travers le monde pendant une longue période ».
Par ces motifs, l'arrêt attaqué justifie légalement sa décision qu'il existe un risque de confusion entre les marques en cause.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Sur le second moyen :

En ordonnant à la demanderesse « de cesser tout usage au Benelux du signe ‘Tigercat' pour désigner tout produit des classes 7 et 12, y compris dans le secteur forestier », l'arrêt attaqué du 20 mars 2018 limite, comme la demanderesse le sollicitait, l'ordre de cessation de l'usage du signe précité en tant que marque.
Le moyen, qui repose sur la supposition contraire, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour,

sans avoir égard à la note d'audience déposée par la défenderesse le 5 mars 2020,

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de six cent soixante-deux euros soixante-six centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du six mars deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.18.0366.F
Date de la décision : 06/03/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-06;c.18.0366.f ?

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