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07/02/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0309.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 février 2020, C.19.0309.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0309.F
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Émile Jacqmain, 53, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.494.849,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

L., société anonyme,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avoc

at à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0309.F
AG INSURANCE, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Émile Jacqmain, 53, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.494.849,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

L., société anonyme,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 11 janvier 2019 par le tribunal de première instance du Luxembourg, statuant en degré d'appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 1384, alinéa 3, du Code civil ;
- article 29bis, §§ 1er, alinéas 1er et 2, 4, alinéa 1er, et 5, de la loi du
21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué, statuant contradictoirement, réforme le jugement entrepris en ce que celui-ci avait dit fondée la demande de la demanderesse jusqu'à concurrence d'un euro provisionnel sur la base de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil et avait condamné la défenderesse à payer à la demanderesse un euro de provision, dit les demandes non fondées et la condamne aux dépens des deux instances, aux motifs suivants :
« 3. Quant au fondement du recours subrogatoire de [la demanderesse]
Il suit des dispositions de l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 que l'assureur qui a indemnisé une victime ou un ayant droit de celle-ci est subrogé dans leurs droits contre le tiers responsable en droit commun. Ce dernier est toute personne autre que l'assuré, impliquée dans l'accident, dont la faute a causé le dommage réparé par l'assureur.
La subrogation dans les droits de la victime permet à l'assureur d'exercer toutes les actions en responsabilité quasi délictuelle dont elle disposait à l'égard du ou des tiers responsables ou, par assimilation, l'assureur qui couvre la responsabilité de ceux-ci, sous la réserve que ce responsable ne soit pas son propre assuré.
L'assureur subrogé ne peut obtenir le remboursement que s'il démontre que la responsabilité du tiers est engagée. Celui-ci peut opposer à l'assureur toutes les exceptions qu'il aurait pu opposer à la victime, pour autant que celles-ci soient nées antérieurement au paiement. Il peut lui opposer le partage de responsabilité intervenu entre lui et la victime.
L'article 1384, alinéa 3, du Code civil implique l'existence d'un tiers lésé qui seul peut s'en prévaloir, à l'exclusion du commettant et du préposé dans leurs rapports réciproques. Ainsi, en règle, le dommage causé au commettant par son préposé, par le préposé à lui-même, ou encore au préposé par son commettant ou un autre de ses préposés, n'est pas un dommage à un tiers au sens de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil. Il s'ensuit que l'action subrogatoire ne peut être déclarée fondée sur le pied de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil puisque M. G., dans les droits desquels [la demanderesse] est subrogée, ne disposait pas d'une telle action contre son commettant, en l'occurrence la [défenderesse]».

Griefs

En vertu de l'article 29bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, en cas d'accident de la circulation impliquant un ou plusieurs véhicules automoteurs, et à l'exception des dégâts matériels subis par le conducteur de chaque véhicule automoteur impliqué, tous les dommages subis par les victimes et leurs ayants droit et résultant de lésions corporelles ou du décès, y compris les dégâts aux vêtements, sont réparés solidairement par les assureurs qui, conformément à cette loi, couvrent la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur des véhicules automoteurs.
L'article 29bis, § 1er, alinéa 2, de cette loi dispose que cette obligation d'indemnisation est exécutée conformément aux dispositions légales relatives à l'assurance de la responsabilité en général et à l'assurance de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs en particulier, pour autant que cet article n'y déroge pas.
Aux termes de l'article 29bis, § 4, alinéa 1er, de la même loi, l'assureur ou le fonds commun de garantie automobile sont subrogés dans les droits de la victime contre les tiers responsables en droit commun.
L'article 29bis, § 5, de ladite loi ajoute que les règles de la responsabilité civile restent d'application pour tout ce qui n'est pas régi expressément par cet article.
Il s'ensuit que la demanderesse, ayant indemnisé en application de l'article 29bis, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989 les deux victimes de l'accident survenu le ... au niveau de l'échangeur de Haut-Ittre, était subrogée dans les droits des victimes contre les tiers responsables en droit commun.

Le jugement attaqué admet d'ailleurs explicitement que la demanderesse est subrogée dans les droits de M. G.
La demanderesse se prévalait, à l'appui de sa demande, notamment de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil à l'égard de la défenderesse.
Aux termes de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Cette disposition instaure une présomption irréfragable de responsabilité à charge du commettant pour le dommage causé par un préposé dans les fonctions auxquelles il l'a employé, dont peut se prévaloir tout tiers lésé, à l'exclusion du commettant et du préposé dans leurs relations réciproques.
En effet, dans cette dernière hypothèse, le préposé n'est pas un tiers à la relation qui fait naître la présomption.
La garantie ou la présomption de faute, résultant de l'article 1384 du Code civil, ne peut pas être invoquée dans les rapports entre la personne qui répond et celle dont elle répond.
Par contre, rien ne s'oppose à ce qu'un préposé se prévale à l'égard du commettant de la présomption de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil en raison d'un dommage causé par un de ses collègues dans les fonctions auxquelles le commettant l'a employé.
En effet, en ce cas, le préposé, victime du dommage, est un tiers à la relation liant le commettant à son collègue.
Il s'ensuit que l'assureur qui, sur la base de l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, a indemnisé un usager faible en raison d'un accident de roulage pourra s'adresser, en lieu et place de la victime, à son employeur sur la base de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, lorsque l'accident a été causé par l'acte d'un collègue dans les fonctions auxquelles il était employé par le même employeur.

Partant, le jugement attaqué, qui considère que « le dommage causé [...] au préposé par [...] un autre de ses préposés (à savoir les préposés du même commettant que celui de la victime) n'est pas un dommage à un tiers au sens de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil » et qui, sur ce fondement, décide que l'action subrogatoire exercée par la demanderesse, subrogée dans les droits de M. G., contre la défenderesse ne peut pas être accueillie, ne justifie pas légalement sa décision (violation des articles 1384, alinéa 3, du Code civil et 29bis, §§ 1er, alinéas 1er et 2, 4, alinéa 1er, et 5, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteur).

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d'intérêt :

Dès lors que, par la décision critiquée par le moyen, le jugement attaqué considère que la demanderesse ne peut se prévaloir de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil à l'égard de la défenderesse, ce jugement n'était pas tenu de se prononcer sur la faute imputée au préposé de la défenderesse et sur le lien de causalité entre cette faute et le dommage dont la demanderesse demande la réparation.
Partant, la circonstance que ce jugement ne constate ni une telle faute ni un tel lien de causalité, dont il n'exclut pas l'existence, ne prive pas le moyen d'intérêt.
Pour le surplus, il n'est pas au pouvoir de la Cour de vérifier si, devant le juge d'appel, la demanderesse rapportait la preuve de cette faute et de ce lien de causalité.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

En vertu de l'article 29bis, § 4, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, l'assureur d'un véhicule automoteur impliqué dans un accident de la circulation qui a indemnisé une victime d'un tel accident est subrogé dans les droits de cette victime contre les tiers responsables en droit commun.
La circonstance que la victime du dommage causé par un préposé du commettant soit également un préposé de ce commettant ne la prive pas en soi du droit de se prévaloir de la présomption de responsabilité établie par l'article 1384, alinéa 3, du Code civil à l'égard dudit commettant.
Il ressort des constatations du jugement attaqué que messieurs G. et L., ouvriers de la défenderesse, étaient occupés à travailler sur un chantier lorsque monsieur G. a été heurté par un véhicule conduit par l'assuré de la demanderesse, qu'il a été blessé à la suite de cet accident, que la demanderesse expose qu'elle l'a notamment indemnisé de son préjudice non économique sur la base de l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, qu'elle a sollicité de la défenderesse le remboursement de ses débours et qu'elle a invoqué le bénéfice du recours subrogatoire de l'article 29bis, § 4, précité.
Dans ses conclusions, la demanderesse, qui se fondait sur l'article 1384, alinéa 3, du Code civil, soutenait que le dommage subi par monsieur G. avait été causé par une faute de monsieur L., préposé de la défenderesse.
Le jugement attaqué, qui considère que « le dommage causé au préposé [...] par un autre préposé n'est pas un dommage à un tiers au sens de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil », ne justifie pas légalement sa décision de dire non fondée la demande de la demanderesse agissant en tant que subrogée dans les droits de monsieur G..
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué en tant qu'il dit non fondée la demande de la demanderesse agissant en tant que subrogée dans les droits de monsieur G. sur la base de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil et qu'il statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Liège, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du sept février deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.19.0309.F
Date de la décision : 07/02/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-02-07;c.19.0309.f ?

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