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29/01/2020 | BELGIQUE | N°P.19.1003.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 janvier 2020, P.19.1003.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.1003.F
G. M., mère de l'enfant mineur G.S.,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maîtres Jean-Paul Reynders, avocat au barreau de Liège, et Michaël Mallien et Jacques Fierens, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 septembre 2019, sous le numéro J180, par la cour d'appel de Liège, chambre de la jeunesse.
La demanderesse invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée confor

me.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.19.1003.F
G. M., mère de l'enfant mineur G.S.,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maîtres Jean-Paul Reynders, avocat au barreau de Liège, et Michaël Mallien et Jacques Fierens, avocats au barreau de Bruxelles.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 septembre 2019, sous le numéro J180, par la cour d'appel de Liège, chambre de la jeunesse.
La demanderesse invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur le premier moyen :

Le moyen est pris de la violation des articles 16, 19, §§ 2 et 3, 21, 23 et 26 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, dit règlement Bruxelles IIbis, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000.

L'arrêt attaqué confirme le jugement entrepris, rendu par le tribunal de la jeunesse, qui renouvelle pour un an la mesure d'hébergement du mineur hors du milieu familial en application des articles 43 et 51 du décret du 18 janvier 2018 portant le code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse.

Le moyen soutient que la cour d'appel devait se dessaisir après avoir constaté les éléments suivants :
- un tribunal roumain a déjà statué sur la demande relative aux modalités d'hébergement de l'enfant, introduite par la demanderesse à la fin de l'année 2017 ;
- ce tribunal a confié à la demanderesse, où qu'elle se trouve, l'hébergement principal de l'enfant ;
- la juridiction belge a été saisie après la juridiction roumaine.

Selon la demanderesse, dès lors que la directrice adjointe de la protection de la jeunesse a décidé de confier l'hébergement exclusif de l'enfant au défendeur, les deux actions ont le même objet et la même cause, sans qu'il y ait lieu de distinguer la matière civile de la matière relative à la protection de la jeunesse, cette distinction étant inconnue du droit de l'Union européenne qui, sauf exception, inclut dans la matière dite « civile » les mesures prises dans le cadre de la protection de la jeunesse.

L'article 1er du règlement Bruxelles IIbis dispose :
« 1. Le présent règlement s'applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives : [...]
b) à l'attribution, à l'exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

2. Les matières visées au paragraphe 1, point b, concernent notamment :
a) le droit de garde et le droit de visite [...]
d) le placement de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un établissement ; [...] ».

L'article 19 est libellé comme suit : « [...]
2. Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l'égard d'un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d'Etats membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence de la juridiction première soit établie.
3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci. [...] ».

Selon la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 1er, paragraphe 1er, du règlement Bruxelles IIbis doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matières civiles », au sens de cette disposition, une décision qui ordonne la prise en charge immédiate et le placement d'un enfant en dehors de son foyer d'origine, lorsque, comme en l'espèce, cette décision a été adoptée dans le cadre des règles relatives à la protection de l'enfance.

Si, comme le souligne le moyen, le règlement Bruxelles IIbis ne fait donc pas de distinction entre ces deux matières lorsqu'il s'agit de définir son champ d'application et, partant, de déterminer la compétence internationale de la juridiction saisie, il ne s'en déduit toutefois pas que, selon le droit de l'Union européenne, deux procédures menées parallèlement dans ces matières aient nécessairement le même objet et la même cause. Afin d'identifier l'objet du litige, il y a lieu d'avoir égard au but de la demande.
Il ressort de l'arrêt attaqué que par jugement du 20 mai 2019, le tribunal de Gura Humorului (Roumanie) a prononcé le divorce entre la demanderesse et le père de l'enfant, a dit que l'autorité parentale sera exercée conjointement par les parents, a confié l'hébergement principal de l'enfant à la demanderesse et a condamné le père au paiement d'une part contributive dans les frais de son hébergement et de son éducation.

L'arrêt attaqué constate que la santé ou la sécurité de l'enfant est actuellement et gravement compromise et qu'il y a dès lors lieu d'ordonner, pour une durée d'un an, son hébergement hors de son milieu de vie, conformément à l'article 51, alinéas 1er et 2, du décret du 18 janvier 2018.

Il en résulte que les deux décisions n'ont pas le même objet, la première étant prononcée dans une procédure opposant les parents de l'enfant et réglementant entre eux l'exercice de l'autorité parentale et l'hébergement de l'enfant à la suite du divorce, la seconde ayant pour but de porter remède à la situation de danger dans laquelle se trouve l'enfant.

Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen :

Le moyen invoque la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 7 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et 22 et 22bis de la Constitution.

Il reproche à l'arrêt de considérer que la demanderesse se prévaut du jugement prononcé par une juridiction roumaine pour justifier la mesure ordonnée. Il soutient que ce jugement, antérieur à la saisine du tribunal de la jeunesse, a primauté sur la décision belge. Selon la demanderesse, l'ingérence ainsi motivée dans le droit au respect de la vie privée et familiale méconnaît également le droit pour l'enfant d'être élevé par ses parents et viole l'article 22bis de la Constitution qui énonce que dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

Les mesures prises dans le cadre de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse priment sur les dispositions civiles lorsque les unes sont incompatibles avec les autres.

En tant qu'il soutient le contraire, le moyen manque en droit.

Pour le surplus, l'arrêt ne justifie pas la mesure d'hébergement de l'enfant hors du milieu familial par la seule circonstance que la demanderesse se prévaut d'un jugement étranger antérieur à la décision belge. Il énonce que la demanderesse n'a pas respecté l'hébergement égalitaire négocié entre parties, qu'elle a fait obstruction aux contacts entre l'enfant et le père pendant plusieurs mois, qu'elle répète que le père est violent avec lui sans que cela n'ait jamais été établi, qu'elle s'est soustraite à la décision du tribunal de la jeunesse d'Arlon, a déplacé les enfants de manière illicite à plus d'une reprise et laisse craindre par son attitude actuelle, forte de la décision civile roumaine, une réitération de son geste.

De ces considérations, la cour d'appel a pu déduire, sans violer les dispositions invoquées, que la santé ou la sécurité de l'enfant est actuellement et gravement compromise de telle sorte qu'une mesure d'hébergement hors du milieu familial s'impose.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le troisième moyen :

Le moyen est pris de la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Il reproche d'abord à la cour d'appel d'avoir écarté du dossier de pièces déposé par la demanderesse la retranscription « libre » de l'audition vidéo-filmée de l'enfant faite dans le cadre de l'information pénale. Selon la demanderesse, l'écartement d'une pièce légalement produite méconnaît les droits de la défense.

En matière protectionnelle, lorsque la loi n'établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie en fait la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa décision et que les parties ont pu librement contredire.

Il résulte du procès-verbal d'audience du 4 septembre 2019 que le ministère public avait sollicité l'écartement des débats de la transcription libre de l'audition vidéo-filmée qui n'est pas conforme à celle faite par les services de police.

L'arrêt considère que la retranscription libre de l'audition vidéo-filmée ne revêt aucun caractère authentique ni officiel.

Il ressort de cette considération que le juge d'appel s'est limité à estimer que cette pièce ne présentait pas un caractère fiable suffisant et qu'il ne pouvait pas lui accorder de force probante.

Une telle appréciation ne méconnaît pas les droits de la défense.

Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.

Le moyen reproche ensuite à la cour d'appel d'avoir écarté la retranscription de l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre la demanderesse et la déléguée du service de la protection de la jeunesse à l'insu de cette dernière, en la qualifiant à tort de confidentielle.

En tant qu'il revient à critiquer l'appréciation en fait de la cour d'appel, le moyen est irrecevable.

Subsidiairement, la demanderesse soutient que, quand bien même il y aurait eu confidentialité, l'admission d'un élément de preuve obtenu en violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne se heurte pas en soi aux exigences du droit à un procès équitable, de telle sorte qu'il n'y avait pas lieu d'écarter la preuve.

La protection de la vie privée prévue par l'article 8 de la Convention s'étend aux communications privées. L'usage d'une communication privée enregistrée à l'insu des autres intervenants à laquelle on intervient soi-même peut constituer une violation de la disposition précitée.

Il appartient au juge d'apprécier si l'usage est autorisé et d'en décider sur la base des éléments de fait de la cause, compte tenu des attentes raisonnables, quant au respect de la vie privée, qu'ont pu avoir les intervenants, eu égard notamment au contenu et aux circonstances dans lesquelles la conversation a eu lieu. A cette fin, le juge peut prendre également en compte l'objectif poursuivi par l'utilisation de l'enregistrement ainsi que la qualité des participants et celle du destinataire de l'enregistrement.

Au terme d'une appréciation en fait, la cour d'appel a pu décider qu'au vu de l'attente raisonnable quant au respect de la vie privée qu'avait pu avoir l'un des intervenants à la communication, celle-ci avait un caractère confidentiel.

Le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de nonante-quatre euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.19.1003.F
Date de la décision : 29/01/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-29;p.19.1003.f ?

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