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24/01/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0189.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 janvier 2020, C.19.0189.F


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0189.F
1. J.-P. L.,
2. A. R.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

1. N. N.,
2. VIEUX SAVY, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Bastogne, Savy, 513 R, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0477.370.355,
défendeurs en cassation.

I. La procédure d

evant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 10 décembre 2018 par le tribunal de ...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.19.0189.F
1. J.-P. L.,
2. A. R.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,

contre

1. N. N.,
2. VIEUX SAVY, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Bastogne, Savy, 513 R, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0477.370.355,
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 10 décembre 2018 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d'appel et comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 22 septembre 2017.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- articles 6, § 1er, 12.2, alinéa 1er, 47, 52, 7°, et 55 de la loi du 4 novembre 1969 modifiant la législation sur le bail à ferme et sur le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux, tels qu'ils ont été modifiés par la loi du 7 novembre 1988 modifiant la législation sur le bail à ferme et la limitation des fermages (section III du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil).
Décisions et motifs critiqués

1. Le jugement attaqué déclare l'appel recevable et en majeure partie fondé et, en conséquence, réforme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il déclare que la demande était recevable et que les demandeurs étaient titulaires d'un bail à ferme sur les parcelles 415/C et 414/D ; déclare l'action en subrogation introduite par les demandeurs non fondée ; compense les dépens de première instance et d'appel, et condamne les demandeurs à supporter les dépens de cassation, liquidés à la somme de 1.671,41 euros.
2. Le jugement attaqué se fonde sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et, en particulier, sur les motifs suivants :
« Par l'article 52 de la loi du 4 novembre 1969, le législateur a entendu restreindre la jouissance du droit de préemption dans diverses hypothèses et, notamment, dans les cas qui sont visés à l'article 6, § 1er, 1° à 5°.
Il s'agit des cas où le terrain loué selon bail à ferme est à bâtir.
Il ne ressort d'aucun texte que ce même législateur ait voulu que les conditions applicables en cas de congé, et notamment celles qui sont prévues à l'article 12 (production d'un permis de bâtir), soient également applicables en cas de vente.
En effet, ni l'article 52 ni l'article 6 ne font référence à l'article 12.
En outre, l'on voit mal l'utilité de la condition de l'existence d'un permis dans un tel cas de figure, puisque ce n'est pas le propriétaire lui-même qui compte faire usage de la destination première du terrain (ce qui serait le cas en cas de congé) mais un tiers acquéreur dudit terrain (soit en cas de vente).
Cela compliquerait singulièrement les choses, alors que la volonté du législateur a manifestement été de faciliter la vie du propriétaire qui souhaite vendre son bien, en libérant celui-ci de l'avantage octroyé au locataire-fermier par le droit de préemption qu'il détient en règle ».

3. Le jugement attaqué en conclut que « les [demandeurs] ne peuvent pas faire valoir de droit de préemption sur les parcelles litigieuses ».

Griefs

Première branche

1. Le droit de préemption est le droit que l'article 47 de la loi sur la bail à ferme reconnaît au preneur d'un bien rural d'être substitué à tout acquéreur en cas de vente du bien loué.
L'article 52, 7°, de la loi sur le bail à ferme prévoit toutefois que le preneur ne jouit pas de ce droit « dans les cas prévus aux articles 6, § 1er, 1° à 5° inclus ».
L'article 55 de la loi sur le bail à ferme dispose qu'« en cas d'aliénation du bien loué, l'acquéreur est subrogé aux droits et obligations du bailleur ».
Ces trois dispositions légales font partie du paragraphe 11 de la loi sur le bail à ferme, intitulé « De l'aliénation du bien loué et du droit de préemption du preneur ».
Relatif au congé donné par le bailleur, réglé par le paragraphe 3 de la loi sur le bail à ferme, l'article 6, § 1er, auquel renvoie l'article 52, 7°, précité, énonce que :
« Par dérogation à l'article 4 (prévoyant la durée du bail à ferme), le bailleur peut mettre fin au bail à tout moment en vue de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale, lorsque :
(...) 2° les baux concernent des terrains non bâtis qui, au moment du congé, doivent être considérés comme terrains à bâtir sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable ».

Il se déduit du rapprochement de ces dispositions légales que l'exception au droit de préemption consacrée par l'article 52, 7°, de la loi sur le bail à ferme, par la référence qu'il comporte à l'article 6, § 1er, 1° à 5°, de cette loi, suppose que soit satisfaite la condition selon laquelle le bailleur doit agir en vue de donner au bien loué une affectation conforme à sa destination finale, à savoir celle de terrains à bâtir.
En vertu des articles 1315, alinéa 2, du Code civil et 870 du Code judiciaire, il revient au bailleur de rapporter la preuve que la condition précitée est satisfaite.
À cet égard, l'article 12.2, alinéa 1er, (logé, comme l'article 6, dans le paragraphe 3 de la loi sur le bail à ferme réglant le congé donné par le bailleur) dispose que, « si le congé est fondé sur les motifs visés (à l'article 6, § 1er, 2°), (il) ne pourra être validé que sur production d'une copie certifiée conforme du permis de bâtir accordé par l'administration compétente ».
2. Après avoir constaté que :
 les demandeurs ont introduit « une action en retrait et subrogation (...) le 29 décembre 2003 (...) devant le juge de paix de Bastogne » ;
 « le tribunal de première instance du Luxembourg, division de Neufchâteau, a, par jugement du 14 octobre 2015, [...] confirmé le jugement rendu par le juge de paix sous (...) (une) seule émendation [relative aux dépens de première instance] » et que ledit jugement entrepris avait quant à lui décidé que « les [demandeurs], titulaires d'un bail à ferme portant sur les parcelles 415/C et 414/D, sont subrogés à la [défenderesse] dans l'acte de vente reçu le 19 avril 2002 » ;
 « le tribunal de première instance du Luxembourg, division de Neufchâteau, a statué sur deux questions litigieuses : la première relative à l'étendue de l'assiette du bail à ferme que détiennent les [demandeurs], la seconde concernant l'existence dans le chef de ces derniers d'un droit de préemption sur lesdites parcelles », impliquant que « la question de l'étendue de l'assiette du bail à ferme excède les limites de la saisine du tribunal de renvoi », et que « lui est seule soumise par l'effet de la cassation la question de l'existence en faveur des [demandeurs] d'un droit de préemption leur ouvrant le droit à être subrogés » ;
 les demandeurs « relèvent que ‘les [défendeurs] ne démontrent pas qu'ils avaient la volonté de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale, ni ne produisent de permis de bâtir concrétisant cette volonté au moment de la vente litigieuse, soit en 2002' »,
le jugement attaqué décide que « les [demandeurs] ne peuvent pas faire valoir de droit de préemption sur les parcelles litigieuses », aux motifs que :
« Il ne ressort d'aucun texte que [le] législateur ait voulu que les conditions applicables en cas de congé, et notamment celles qui sont prévues à l'article 12 (production d'un permis de bâtir), soient également applicables en cas de vente.
En effet, ni l'article 52 ni l'article 6 ne font référence à l'article 12.
En outre, l'on voit mal l'utilité de la condition de l'existence d'un permis dans un tel cas de figure, puisque ce n'est pas le propriétaire lui-même qui compte faire usage de la destination première du terrain (ce qui serait le cas en cas de congé) mais un tiers acquéreur dudit terrain (soit en cas de vente).
Cela compliquerait singulièrement les choses, alors que la volonté du législateur a manifestement été de faciliter la vie du propriétaire qui souhaite vendre son bien, en libérant celui-ci de l'avantage octroyé au locataire-fermier par le droit de préemption qu'il détient en règle ».
Or, par la référence que comporte l'article 52, 7°, à l'article 6, § 1er, 1° à 5°, de la loi sur le bail à ferme, le législateur a voulu, de manière expresse, rapprocher les conditions du congé donné par le bailleur et celle de la vente du bien loué pour ce qui concerne l'exception au droit de préemption du preneur.
Dès lors, cette exception ne peut être admise qu'à la condition qu'il soit prouvé, par la partie qui l'invoque, que l'acquisition a lieu en vue de donner au bien loué une affectation conforme à sa destination finale, à savoir celle de terrain à bâtir.

Cette preuve découle, aux termes de l'article 12.2, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, de la « production d'une copie certifiée conforme du permis de bâtir accordé par l'administration compétente ». À tout le moins, la charge de la preuve relative à l'affectation du bien repose sur le propriétaire qui souhaite vendre son bien. À défaut, l'exception au droit de préemption du locataire-fermier ne peut être retenue.
3. En conséquence, le jugement attaqué qui, sur la base des considérations qui précèdent, refuse d'avoir égard à l'une des conditions d'application de l'article 6, § 1er, 2°, de la loi sur le bail à ferme, auquel l'article 52, 7°, de cette loi renvoie expressément, n'est pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution).

Seconde branche

1. Les juges ont l'obligation de motiver leurs décisions, c'est-à-dire d'exprimer clairement et sans équivoque les raisons qui ont déterminé leur conviction.
2. Les demandeurs faisaient valoir que :
« À ce sujet, il y a lieu de rappeler que l'article 12.2 de la loi sur le bail à ferme prévoit que, ‘si le congé est basé sur les motifs visés aux articles 6, § 1er, 1° à 5° inclus, et 7, 10°, le congé ne pourra être validé que sur production d'une copie certifiée conforme du permis de bâtir accordé par l'administration compétente'.
La loi sur le bail à ferme est en effet une législation protectrice des droits du preneur et l'article 6 de cette loi constitue une exception au principe inscrit à l'article 4. S'agissant d'une exception, l'article 6 est de stricte interprétation et le législateur a entendu en définir lui-même le contenu.

Ainsi, dès lors que le recours à l'article 6 est lié à la volonté du bailleur de ‘donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale', le législateur a imposé que, s'agissant d'un terrain à bâtir, le bailleur démontre son intention réelle de bâtir et produise une autorisation délivrée à cet effet.
Or, en l'espèce, les [défendeurs] ne démontrent pas qu'ils avaient la volonté de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale, ni ne produisent de permis de bâtir concrétisant cette volonté au moment de la vente litigieuse, soit en 2002 [comme le prévoit l'article 12.2 de la loi sur le bail à ferme].
Les conditions d'application de l'article 6, § 1er, 2°, de la loi sur le bail à ferme n'étant pas remplies, les [défendeurs] ne peuvent s'en prévaloir pour considérer que les [demandeurs] ne bénéficiaient pas d'un droit de préemption en vertu de l'article 52, 7°, de la même loi ».
En substance, les demandeurs articulaient dès lors, de manière circonstanciée, d'une part, un moyen fondé sur une lecture combinée des articles 6, § 1er, 1° à 5°, et 12.2 de la loi sur le bail à ferme, d'autre part, un moyen fondé sur le seul libellé de l'article 6, § 1er, 1°, de cette loi, en soutenant que celui-ci ne pouvait sortir ses effets qu'à la condition que soit démontrée la volonté de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale.
Or, s'il répond au moyen que les demandeurs fondaient sur l'article 12.2, alinéa 1er, de la loi sur la bail à ferme et la formalité de production d'un permis de bâtir que celui-ci exige, le jugement attaqué ne comporte, en aucun de ses motifs, de considération relative à celui que les demandeurs fondaient sur le fait que les défendeurs ne démontraient pas leur volonté réelle d'affecter les biens loués à leur destination finale.
En conséquence, le jugement attaqué n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

L'article 52, 7°, de la loi du 4 novembre 1969 contenant des règles particulières aux baux à ferme dispose que le preneur ne jouit pas du droit de préemption dans les cas prévus aux articles 6, § 1er, 1°, 2° à 5° inclus, et 14, deuxième alinéa.
En vertu de l'article 6, § 1er, 2°, de cette loi, par dérogation à l'article 4, le bailleur peut mettre fin au bail à tout moment en vue de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale, lorsque les baux concernent des terrains non bâtis qui, au moment du congé, doivent être considérés comme terrains à bâtir sans que des travaux de voirie doivent y être effectués au préalable.
Il ne suit pas de ces dispositions que l'exception au droit de préemption est subordonnée à la condition que le bailleur rapporte la preuve que la vente a lieu en vue de donner au bien loué une affectation conforme à sa destination finale et qu'il produise une copie certifiée conforme d'un permis de bâtir accordé par l'administration communale compétente.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Quant à la seconde branche :

Après avoir énoncé que les demandeurs relèvent que les défendeurs « ne démontrent pas qu'ils avaient la volonté de donner aux biens loués une affectation conforme à leur destination finale ni ne produisent de permis de bâtir concrétisant cette volonté au moment de la vente litigieuse », le jugement attaqué considère qu'« il ne ressort d'aucun texte que [le] législateur ait voulu que les conditions applicables en cas de congé, et notamment celles prévues à l'article 12 [de la loi du 4 novembre 1969] (production d'un permis de bâtir), soient également applicables en cas de vente », qu'« en effet, ni l'article 52 ni l'article 6 ne font référence à l'article 12 », qu'« en outre, l'on voit mal l'utilité de la condition de l'existence d'un permis dans un tel cas de figure, puisque ce n'est pas le propriétaire lui-même qui compte faire usage de la destination première du terrain (ce qui serait le cas en cas de congé) mais un tiers acquéreur dudit terrain (soit en cas de vente) » et que « cela compliquerait singulièrement les choses, alors que la volonté du législateur a manifestement été de faciliter la vie du propriétaire qui souhaite vendre son bien, en libérant celui-ci de l'avantage octroyé au locataire-fermier par le droit de préemption qu'il détient en règle ».
Par ces considérations, le jugement attaqué répond, en les contredisant, aux conclusions des demandeurs reproduites au moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille septante-cinq euros envers les parties demanderesses, y compris la somme de quarante euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l'État au titre de mise au rôle.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.19.0189.F
Date de la décision : 24/01/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-24;c.19.0189.f ?

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